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Une année de lutte des travailleurs d'un sous-traitant de l'automobile trahie

Les leçons de la trahison des Sodimatex en France

Par Alex Lantier
11 juin 2010

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Le 13 avril, les travailleurs de Sodimatex ont mis fin à une année de lutte dans leur usine de Crépy-en-Valois, ville industrielle du département de l'Oise au Nord de Paris. Leur lutte avait attiré l'attention des médias après que les travailleurs avaient relié des cocktails Molotov à des bonbonnes de gaz dans leur usine le 2 avril et menacé de les faire exploser.

Moins de deux semaines après, les travailleurs acceptaient un accord – préparé conjointement par les syndicats, les représentants locaux et la direction de l'entreprise – qui mettait fin à l'occupation de leur usine et leur faisait perdre leur emploi. En échange, on leur promettait une prime de départ de 51 000 euros. Les médias annoncent maintenant qu'après un examen plus attentif des détails de l'accord, les travailleurs recevront moins que cela, plusieurs milliers d'euros de moins.

Cette défaite n'était pas inéluctable. La lutte a été trahie en dépit de nombreuses conditions favorables : une sympathie générale du public envers les travailleurs de Sodimatex, l'opposition au gouvernement impopulaire du Président Nicolas Sarkozy, et une vague de grèves en France et en Europe qui affecte pratiquement toutes les industries importantes.

Cette défaite est le produit de l'absence d'une politique indépendante dans la classe ouvrière. Pour les syndicats qui ont dominé la lutte à Sodimatex, il n'était pas question d'envisager une tentative de sauver l'usine, ni de se pencher sur les forces économico-politiques à l'œuvre dans cette fermeture, ou d'adresser un appel à une opposition sociale plus large. Comme nous l'ont déclaré les délégués syndicaux, il n'y avait aucun plan pour organiser une grève de sympathie, laquelle aurait trouvé un vaste écho. Ils s'en sont tenus à l'idée que l'usine serait fermée, et que la seule question était le montant de l'indemnité de départ.

Quant aux organisations de « gauche » comme le Parti communiste français (PCF), le Parti ouvrier indépendant (POI), Lutte ouvrière (LO), et le Nouveau Parti anti-capitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot, ils ont joué leur rôle habituel : couvrir la politique anti-ouvrière des syndicats en lançant des appels sentimentaux et trop vagues à la solidarité, tout en démoralisant la classe ouvrière.

Une année de lutte contre la fermeture

Des journalistes du WSWS se sont rendus à Crépy-en-Valois pour parler aux travailleurs de Sodimatex le 12 avril.

Vincent Ricbourg, travaillant sur une chaîne d'assemblage depuis 10 ans à Sodimatex, se rappelle lorsque les travailleurs ont reçu l'annonce de la fermeture de l'usine le 10 avril 2009 : « On a fait 15 jours de grève, pour pouvoir négocier avec la direction du groupe. Leur principe était de ne pas négocier. »

Les travailleurs ont par deux fois traduit en justice le groupe Trèves — propriétaire de Sodimatex — pour obtenir des négociations. Mais la cour d'appel d'Amiens est revenue sur la décision de première instance favorable aux travailleurs.

À partir de l'automne dernier, les travailleurs ont occupé l'usine, espérant pouvoir organiser une reprise du travail. Vincent a expliqué que « Depuis le 9 septembre, l'usine devait être fermée. Ils nous payent, mais ils ne nous donnent pas de travail. Le délégué syndical ne sait rien, et le directeur ne dit rien. »

À l'usine de Clairoix appartenant au fabricant de pneumatiques Continental, la direction a tenté de démoraliser les travailleurs en leur proposant de déplacer leurs emplois vers des pays de langue française en Afrique du Nord, pour des salaires de misère.

Vincent a déclaré que les travailleurs de Sodimatex étaient allés manifester devant l'Assemblée nationale à Paris en février : « On a été gazé et chargé par les CRS; ils étaient 150 CRS pour 47 travailleurs » Une délégation a rencontré le député PCF Daniel Paul. Ils ont demandé qu'il enquête sur les 55 millions d'euros d'aides publiques reçus par Trèves avant la fermeture de l'usine.

Après cette rencontre, Olivier Besancenot leur a brièvement parlé, affirmant que le NPA était en solidarité avec Sodimatex et leur promettant qu'il parlerait d'eux lors d'un passage à la télévision.

Interrogé sur l'aide que les travailleurs de Sodimatex avaient reçu de la part des fédérations syndicales, Vincent a répondu, « Les délégués n'ont eu aucun soutien de leurs fédérations. Elles étaient là seulement quand il y avait des médias. Nous n'avons jamais eu de contact avec eux, et les délégués ne portent plus leurs badges. ».

Pascal Baugrand, chef de machine à Sodimatex, a demandé au WSWS de faire part de sa gratitude envers la population de Crépy-en-Valois : « Les gens de la région nous apportent à manger, à boire. L'adjoint au maire va sur Senlis [où les syndicats négocient avec les autorités] il essaie de calmer le jeu. On est sous pression. »

Ces entretiens ont été interrompus lorsque ces travailleurs ont été appelés ailleurs. Plusieurs personnes portant des badges CGT ont encerclé les journalistes du WSWS, les traitants de « provocateurs », et les ont poussés hors des abords de Sodimatex. Lorsque les journalistes du WSWS ont essayé de distribuer des tracts et d'interviewer des travailleurs devant une autre entrée de l'usine, ces mêmes délégués syndicaux sont revenus et les ont à nouveau poussés hors des abords, menaçant de casser leurs appareils photos et de confisquer leurs notes. Ils criaient que les travailleurs de Sodimatex ne voulaient pas de « politique » dans leur lutte.

Alors que les reporters du WSWS se faisaient éjecter, une femme distribuant le journal du POI, Informations Ouvrières, est arrivée et a été autorisée à le distribuer à l'intérieur de l'usine.

Comment les syndicats, l'État, et les directions travaillent ensemble pour fermer les usines

L'hostilité des syndicats et des organisations de « gauche » des classes moyennes envers les journalistes du WSWS ne reflète pas seulement leur propre hostilité envers une politique de classe, mais aussi la crainte que leur rôle dans les fermetures ne devienne évident aux yeux des travailleurs.

Le groupe Trèves a décidé de fermer l'usine Sodimatex ainsi que celle de PTPM à Aÿ (Marne), au moment où se produisaient des réductions mondiales dans l'industrie automobile dans les premiers mois de la crise économique. Il a reçu 55 millions d'euros de la part du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA), juste après avoir annoncé la fermeture.

Dans une lettre récente envoyée à quotidien l'Humanité, proche du PCF, pour expliquer les fermetures d'usines, Trèves a déclaré : « le Groupe Trèves a mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour assurer la livraison de ses clients. Il s’est appuyé sur ses usines implantées au Portugal, en Espagne et, ponctuellement, sur sa coentreprise Trevertex. » En « volumes globaux », la filiale roumaine ne représente peut-être pas grand-chose (« seulement 6 % », argue-t-on chez Trèves) », Trevertex travaille pour le voiturier roumain Dacia, qui a été acheté par Renault en 1999.

Comme l'ont fait remarquer plusieurs articles de presse par la suite, la fermeture de Sodimatex a été une délocalisation « financée par l'Etat ». Sur les banderoles entourant leur usine, les travailleurs de Sodimatex ont dénoncé Trèves comme des « patrons-voyous », espérant rallier une large opposition populaire à l'usage des fonds publics par l'entreprise pour piller l'économie.

Ce que les syndicats et les organisations de la classe moyenne n'ont pas cherché à expliquer, c'est que les « patrons-voyous » agissaient suivant un plan établi par l'Etat, en collaboration avec les syndicats. Ces mêmes forces qui ont dit aux travailleurs qu'elles cherchaient à obtenir un bon arrangement pour leur compte étaient en fait celles qui ont préparé la fermeture.

Le FMEA a été créé pour servir d'« états généraux de l'industrie automobile » en janvier 2009, mis en place par des services de l'Etat, des entreprises privées, et les syndicats. C'est un partenariat public-privé, au capital initial de 300 millions d'euros apporté par les géants de l'automobile Peugeot et Renault ainsi que par le Fonds d'investissement stratégique français (FIS). Un site Web du gouvernement français déclare que le but du FMEA est d'aider à « Consolider et renforcer la compétitivité de l'industrie automobile ».

Les intérêts de Renault et Peugeot à disposer d'une main d'œuvre et de pièces détachées à bon marché sont évidents. Le but du FIS n'était pas différent.

Le FIS, disposant de 20 milliards d'euros, a été créé en 2008 avec de l'argent de l'Etat, de la Caisse des dépôts (qui supervise les entreprises publiques), et du fonds d'investissement Mubala appartenant à l'émirat d'Abu Dabi. Le site Web du FIS déclare que son but est d'aider des « entreprises dont les projets de croissance sont porteurs de compétitivité pour le pays. » Il insiste même sur le fait qu'il limitera la durée pendant laquelle il détiendra les entreprises, pour les rendre au secteur privé une fois rendues profitables le plus vite possible.

En bref, en délocalisant sa production, Trèves a joué le rôle qui lui a été assigné par les banques, l'Etat, et les syndicats : maintenir le taux de profit et la compétitivité des grands producteurs automobiles français, au détriment des travailleurs.

La menace de faire exploser l'usine et le rôle des syndicats

Le matin du 2 avril, les travailleurs de Sodimatex ont placé des cocktails Molotov autour d'une bombonne de gaz dans leur usine et ont menacé de la faire exploser, pendant que les syndicats négociaient avec les autorités et la direction de Trèves.

Les syndicats ont accueilli cette action désespérée de la part des travailleurs, visant à attirer l'attention du public et à améliorer leur posirtion dans les négociations, avec une franche hostilité. Gérard Decleir, délégue de Force ouvrière (FO) à Sodimatex, a déclaré au Monde, « Même si on leur dit de ne pas le faire, y'en a qui sont ingérables ».

La menace faisant la une des journaux nationaux, plusieurs ministres ont dénoncé les travailleurs de Sodimatex. Le ministre de l'industrie Christian Estrosi a déclaré qu'il « condamne avec la plus grande fermeté l'attitude inacceptable d'une minorité dans laquelle ne se reconnaissent pas tous les salariés de l'usine ». L'usine a été cernée par 15 cars de CRS.

Les négociations ont continué au cours de la semaine suivante, après que les travailleurs ont accepté d'enlever les cocktails Molotovs de la bombonne. La police a également eu la possibilité d'inspecter le site.

Contacté par le WSWS le 9 avril, le délégué CGT de l'usine, Julio Tavares, a déclaré qu'il s'attendait a une issue « positive » aux négociations. Parce que, pour le citer, « on demandait pas grand chose -- seulement 21.000 euros » en prime de départ (soit 21 000 euros de plus que le minimum légal qui était de 29 000 dans le cas de Sodimatex).

Interrogé sur d'éventuelles discussions dans les syndicats pour organiser des grèves de sympathie plus larges, Tavares a répondu, « Non, non. Aucune. Notre fédération, on n'a rien entendu. J'ai appelé mon secrétaire, je lui a dit les 4 verités -- on ne l'a jamais vu sur le site. La fédération [c'est à dire la direction nationale de la CGT], on les finance, et ils ne sont jamais derrière nous pour nous donner un coup de main. »

L'image qui ressort des commentaires de Tavares – celle d'une bureaucratie isolée, parasitaire, cherchant à conserver le contrôle des travailleurs – n'est pas vraiment une nouvelle. Dans un des cas les plus médiatisés de l'année dernière, le délégué CGT de l'usine de Continental à Clairoix, Xavier Mathieu, s'en était pris au dirigeant de la CGT, Bernard Thibault, le traitant de « racaille », parce qu'il ne s'était pas rendu à Clairoix après que la fermeture avait été décidée.

Le fait que des syndicalistes puissent se permettre des critiques personnelles contre Thibault, tout en laissant tomber les travailleurs au même moment, démontre l'importance cruciale qu'il y a à développer une critique politique des syndicats. Thibault n'a personnellement que du mépris pour les travailleurs ordinaires. Mais ce qui est bien plus important, c'est le soutien que les syndicats accordent à l'État et aux entreprises françaises. C'est cela qui constitue la base de toute la collaboration des appareils syndicaux à l'exécution du plan du FMEA pour fermer des usines automobiles.

Ce sont cette politique corporatiste et les intérêts sociaux qu'elle représente, et non les traits de caractère de tel ou tel bureaucrate syndical, qui nourrissent l'hostilité des syndicats envers la classe ouvrière et leur distanciation sociale.

La plupart des centrales syndicales ont refusé de faire des commentaires au WSWS sur la lutte des Sodimatex. Cependant, nous avons pu parler avec le secrétaire général de la CFDT de Picardie, Dominique Bernichon. Interrogé sur la position de la CFDT concernant la menace de faire exploser l'usine, Bernichon a déclaré, « Le sentiment que l'on a envers cette action, dans l'équipe CFDT, [c'est qu'elle] émane des salariés. C'est une lutte qui se déroule très largement en dehors des appareils syndicaux. Les salariés ne souhaitaient pas que les syndicats mettent en avant leurs drapeaux. Cela pose des problèmes, on sent une exaspération des salariés. »

Interrogé sur la possibilité pour les travailleurs de trouver un autre travail, Bernichon a déclaré « C'est toute la difficulté -- la Picardie reste assez industrielle, c'est sur des bassins très marqués par une culture industrielle. La reconversion est difficile. Les salariés doivent trouver d'autres qualifications pour travailler dans d'autres secteurs. Il n'y a pas vraiment d'autres secteurs qui émergent -- ce n'est pas forcément évident. "

Néanmoins, il a dit que les travailleurs devaient se battre pour «pour le meilleur accompagnement et la meilleure indemnité ».

Quand nous lui avons demandé si la CFDT pourrait répondre aux attentes des travailleurs avec cette stratégie il a répondu, « Le constat que l'on peut faire c'est que les représentants salariés sont devenus les porte-paroles des salariés, on n'est plus dans un approche syndicale. C'est une expérience pilotée par les salariés . »

Il a insisté sur le fait que les délégués de l'usine Sodimatex étaient devenus les porte-paroles de l'usine, «du fait de leur mandat » - autrement dit, pas parce qu'ils auraient été eux-mêmes favorables à cette action.

Les critiques que ces délégués d'usines peuvent adresser aux bureaucrates dirigeants leurs syndicats en ont rendu certains très populaires – en particulier Xavier Mathieu, qui a bénéficié d'une couverture assez positive dans les grands médias.

Cependant, ils ne sont pas les porte-paroles des intérêts de la classe ouvrière. Par leur formation et leurs conceptions, et aussi leur situation professionnelle, ils sont en premier lieu responsables devant la bureaucratie syndicale ou l'establishment politique, ils ont en charge de veiller à ce que la femeture des usines ne dégénère pas. C'est cela qui les a décidés à expulser nos journalistes du site de la Sodimatex.

Comme les autres travailleurs des usines qui vont fermer, ils sont aussi à la recherche d'un nouvel emploi. Mais leurs "compétences" et leurs aspirations sont assez différentes de celles des autres travailleurs, et les poussent vers une orientation de classe différente. Pour ne citer qu'un exemple, Guy Eyermann, délégué CGT de l'usine New Fabris à Châtellerault que des travailleurs avaient menacé de faire exploser l'année dernière, fait maintenant de la propagande pour Ségolène Royal – candidate du PS aux élections présidentielles de 2007.

La trahison

Au soir du mardi 13 avril, le ministre de l'industrie Christian Estrosi avait annoncé qu'un accord était sorti des négociations entre les syndicalistes et la direction de Sodimatex. Estrosi avait déclaré que les travailleurs receveraient « un financement à hauteur de 51.000 euros en moyenne pour chaque salarié en fonction de son ancienneté, dont 22.000 euros au-delà des indemnités prévues par la loi ».

Le Journal du Dimanche notait, « C'est Christian Estrosi, le ministre de l'Industrie, qui a annoncé la nouvelle. L'accord a été trouvé dans l'après-midi, mardi, mais il n'a été révélé que le soir afin de 'blinder l'info', selon les syndicats, qui souhaitaient que l'accord ne tombe pas à l'eau. »

Alors que les syndicalistes avaient axé toute leur lutte sur l'obtention d'une prime de départ moyenne de 51 000 euros, il apparaît qu'ils n'ont même pas obtenu cette somme, et qu'ils ont d'abord cherché à cacher cela aux travailleurs. Le délégué de la CFDT Patrick Testard a dit après-coup, au sujet des chiffres d'Estrosi, « Je ne sais pas d'où il les a sortis, mais ce n'est pas ça ».

Caroline Substelny, l'avocate des travailleurs de Sodimatex, a déclaré au Journal du Dimanche que les traailleurs n'avaient en fait reçu que 10 000 euros de plus que le minimum légal.

Les travailleurs de Sodimatex se font arnaquer, y compris sur les sommes dérisoires promises par les syndicats, et se retrouvent jetés sur un marché du travail avec peu de chances d'obtenir un travail décent. Les statistiques officielles du chômage dans le département de l'Oise sont de 12,5 pour cent. Ville d'environ 14.000 habitants, Crépy-en-Valois a déjà perdu 1000 emplois en 2003, avec la fermeture de l'usine Case Poclain qui fabriquait des pompe hydrauliques.

Le WSWS a interviewé Mme Cousin tout en distribuant des tracts devant un supermarché après avoir été expulsé de Sodimatex.

Elle a expliqué qu'elle venait de perdre son emploi de comptable en intérim : « L'emploi, c'est pratiquement tout parti. Les gens qui ont vécu ici de génération en génération disent que ça va de pire en pire. Les gens de plus de 40 ans sont tous touchés par les licenciements. Il n'y a que les hypermarchés, mais les salaires sont très bas ... ou on peut toucher le SMIC à Roissy -- mais ensuite il y a les frais et il faut payer l'essence. Est-ce qu'on peut faire ça avec quelques centaines d'euros par mois ? »

Dans la région, a-t-elle dit, « 50 pour cent des travailleurs sont au chômage ou prennent des postes qui ne sont pas à eux. »

Interrogée sur ce qu'elle pensait des syndicats et des partis « de gauche », elle a déclaré « Ils ne se sentent pas concernés par ce qui se passe ... Gauche, droite -- il n'y a pas de différence. Je comprends pourquoi les gens prennent leurs patrons en otage; on voit bien des choses en tant que comptable. »

Le rôle de l'ex-gauche

Les partis "de gauche" (ou plutôt d'ex-gauche) ont créé le climat politique dans lequel les syndicats pouvaient mener à bien une trahison aussi ouverte des travailleurs. Sur tous leurs sites Web, il n'y a eu aucun commentaire sur l'affaire Sodimatex depuis que cette grève a été trahie.

Au cours de la lutte elle-même, pourtant, les ex-groupes de gauche ont publié plusieurs appels, visant à lier les travailleurs à la bureaucratie syndicale. Ils ont tous proposé la même perspective : prétendre que Trèves fermait l'usine sans avoir prévenu l'État et les syndicats, et en appeler au gouvernement et au ministre de l'industrie Christian Estrosi pour qu'il intervienne et organise une prime de départ et la fermeture de l'usine.

Dans une déclaration du 2 avril – immédiatement après que les travailleurs ont menacé de faire exploser l'usine – la secrétaire générale du Parti communiste français, Marie-Georges Buffet, avait qualifée la décisionde fermer l'usine de « scandaleuse ». Elle demandait que les travailleurs de Sodimatex reçoivent 21 000 euros de prime de départ, insistant que « Mr Estrosi à le devoir d’intervenir au plus vite pour que les négociations puissent reprendre. »

Dans un article affiché le 15 avril – mais apparement écrit avant le vote de la fermeture – le NPA de Besancenot faisait les mêmes remarques. Il disait que la décision de Trèves de prendre 55 millions d'euros des fonds du FMEA puis de fermer l'usine était une « bonne raison » pour Estrosi « de se mettre en colère. » S'alignant sur les syndicats et leur demande d'une prime de départ de 21 000 euros, il notait avec espoir, « Pas sûr que Estrosi ne repique pas une colère, » avant le vote du 13 avril – comme si la pression pouvait transformer Estrosi en un ami des travailleurs.

Dans sa déclaration du 2 avril, Lutte ouvrière a demandé pour les travailleurs de Sodimatex « que leurs modestes revendications soient au moins satisfaites. ». Elle a fait un appel moral au gouvernement : « L’indécence n’a-t-elle pas de bornes ? Après avoir rempli les poches de ce patron délinquant avec l’argent public, faut-il que le ministre s’en fasse l’homme de main ? » se terminant par l'affirmation qu'il était temps que « justice soit rendue ».

Pour répondre à la question de LO – posée par un parti qui se réclame toujours officiellement comme trotskyste ! – oui, Woerth et Estrosi et le reste du gouvernement bourgeois français sont, avec les syndicats, complices de Trèves et des banques. Ce ne sont pas seulement les conclusions que l'on peut tirer en se penchant sur le FMEA et les détails de l'affaire Sodimatex. C'est l'ABC du marxisme, ce que tous ces ex-partis de gauche rejettent.

Ces partis ont rendu un service essentiel à la bourgeoisie, en suggérant implicitement aux travailleurs que la tactique la plus à gauche  sur laquelle les travailleurs pouvaient s'appuyer était de s'en remettre entièrement à l'État. Cela a laissé la classe ouvrière désarmée devant la crise économique, alors que l'État organisait le saccage des salaires et de la production.

La décision de cette ex-gauche de désarmer politiquemeent la classe ouvrière va de pair avec la décision d'isoler chaque lutte usine par usine. Au moment de la lutte des New Fabris l'année dernière, le NPA notait l"isolement des luttes des différents lieux de travail et écrivait : « Ce serait une occasion pour les travailleurs eux-mêmes de débattre de perspectives concrètes à mettre en avant aujourd'hui ».

La désunion des luttes des travailleurs a également attiré des commentaires dans la presse officielle. Le Monde faisait remarquer récemment qu'un grand nombre de grèves étaient en cours, en citant plus d'une douzaine, et commentait que la montée des luttes sociales était « discrète ». C'est la manière pour un journaliste bourgeois de dire que – en dépit de « l'accélération de la radicalisation » et des « réactions plus fortes » des travailleurs – les politiciens bourgeois peuvent continuer leurs petites affaires sans être inquiétés, en faisant des coupes claires dans les programmes sociaux et en fermant des usines.

La tâche essentielle qui se présente aux travailleurs ainsi qu'aux étudiants et intellectuels de tendance socialiste est de populariser la perspective socialiste dont les travailleurs ont besoin pour monter une grande offensive politique contre l'Etat et les syndicats.

C'est inséparable d'une lutte dans la classe ouvrière pour ré-établir les principes fondamentaux du marxisme, que l'ex-gauche déforme et trahit. C'est toute l'importance politique du WSWS – créé pour être un organe qui informe, unifie, et fournisse une direction politique aux luttes de la classe ouvrière, et également pour servir de forum à la renaissance d'une culture marxiste et trotskyste dans la classe ouvrière.

Comme l'a montré l'expérience de Sodimatex, ce sont les conditions nécessaires pour que les travailleurs puissent tenter de se défendre sérieusement contre les syndicats, l'Etat et les banques.

(Article original paru le 13 mai 2010)