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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

Les événements sanglants de Bangkok : un avertissement

Par Peter Symonds
24 mai 2010

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Le fait qu'il n'y ait eu aucune condamnation internationale de la répression militaire thaïlandaise contre les manifestants anti-gouvernement de ces dernières semaines est un avertissement lugubre pour la classe ouvrière du monde entier sur les mesures qui seront utilisées pour faire face aux tensions de classe qui augmentent.

La répression des manifestations de l'UDD (Front uni pour la démocratie et contre la dictature) de ces deux derniers mois s'est aggravée mercredi avec le recours à des véhicules blindés et des soldats lourdement armés pour détruire le camp UDD du quartier commercial de Bangkok. Des soldats ont tiré à vue au moindre signe de résistance, tuant 15 personnes et en blessant 400. L'utilisation de tireurs isolés pour descendre des cibles choisies est particulièrement significative. Une présence militaire lourde est toujours sur place. Le gouvernement a décrété l'état d'urgence et un couvre-feu dans toute la capitale et dans un tiers des provinces du pays.

Tout au long des manifestations, les divisions de classe ont été criantes. Le quartier de Ratchaprasong comprend de luxueux hôtels 5 étoiles et d'immenses centres commerciaux où les gens aisés de Bangkok achètent des produits très coûteux. À proximité, les grandes banques et grosses entreprises ont leur siège social. Bon nombre de manifestants étaient des fermiers et des petits propriétaires du nord et du nord-est défavorisé du pays qui ont été rejoints par des couches de pauvres des villes. Après que l'armée a défoncé le site de la manifestation, des groupes de manifestants en colère se sont attaqués aux symboles de richesse et de privilèges alentour, mettant le feu à la bourse, au gigantesque centre commercial CentreWorld ainsi qu'à d'autres bâtiments.

Durant ces dernières semaines, les gouvernements du monde entier sont restés en grande partie silencieux tandis que la violence militaire s'accentuait et que le nombre de morts augmentait. Pas une parole n'a été prononcée la semaine dernière après qu'un tireur isolé a mortellement blessé un ancien général dans le camp des manifestants. Ce n'est qu'une fois que les manifestants ont été réprimés que le gouvernement Obama a fait une déclaration déplorant de façon générale la violence et les pertes humaines. Le porte-parole du département d'Etat américain Gordon Duguid n'a pas condamné le gouvernement thaïlandais ni l'armée, mais il a critiqué les manifestants pour avoir mis le feu aux symboles de la richesse et du profit privé.

Dans la même optique, le ministre des Affaires étrangères australien Stephen Smith a « regretté » la violence et les pertes humaines, mais il a dit être content que l'armée thaïlandaise ait fait preuve de « retenue » face aux manifestants. Le chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton s'est déclarée « profondément attristée » par les pertes humaines et a ajouté : « A présent la réconciliation nationale est une absolue nécessité. » Elle a appelé les manifestants à travailler avec le gouvernement, « sans recourir à la violence. »Aucun gouvernement n'a condamné le premier ministre Abhisit Vejjajiva ou l'armée pour la mort de plus de 80 personnes, pour la plupart non armées, de ces six dernières semaines.

Les tensions de classes se sont déclenchées en Thaïlande de façon déformée et contradictoire. La classe ouvrière thaïlandaise était largement absente de ces manifestations. Quand des travailleurs y ont participé, c'était au sein du mouvement politiquement informe des « Chemises rouges », qui comprend des petits fermiers, des commerçants, des vendeurs et des hommes d'affaires des zones rurales. Leur bannière est l'UDD qui est aligné à l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, populiste de droite et milliardaire de la téléphonie. Ce dernier est engagé dans une bataille politique acharnée contre ses rivaux d'une autre faction de l'élite dirigeante, depuis qu'il a été évincé lors du coup d'Etat militaire de 2006.

Ce n'est pas la première fois que des clivages au sein de la classe dirigeante d'un pays ouvrent la voie à un mouvement social plus large. La crise économique qui empire et attise les divisions au sein des élites dirigeantes s'exprime aussi dans le fossé toujours plus profond qui se creuse entre riches et pauvres. Alors même que la pauvreté absolue décline en Thaïlande, l'intégration du pays dans les processus de production mondialisée comme plateforme de main-d'oeuvre à bon marché exacerbe la fracture sociale.

Le Rapport mondial 2009 sur le développement humain publié par les Nations unies ce mois-ci rapporte que la Thaïlande est l'une des sociétés les plus inégalitaires d'Asie. Les 20 pour cent de la population en haut de l'échelle touchent 55 pour cent du revenu national comparé aux 4,3 pour cent du quintile le plus pauvre, soit près de 13 fois plus, par rapport à 5 à 8 fois en Europe ou en Amérique du Nord, et entre 9 à 11 fois pour le reste de l'Asie du Sud-Est. Tandis que l'économie thaïlandaise rebondit temporairement après le bouleversement financier mondial de 2008-09, la reprise ne s'est pas propagée de façon égale. L'assèchement du crédit a durement frappé les petits fermiers et petits propriétaires lourdement endettés.

Le ressentiment face à l'évincement par l'armée du gouvernement Thaksin s'est transformé en hostilité générale envers les élites traditionnelles du pays, dont la monarchie, les tribunaux et l'armée. Comme l'a dit au New York Times une manifestante jeudi : « Cela fait des centaines d'années, voire même des milliers d'années que nous sommes pauvres et eux, ils vivent dans des lieux de rêves et des manoirs. Cela fait longtemps qu'ils nous imposent ça. »

Le soutien tacite des Etats-Unis, de l'Australie, de l'Union européenne et d'autres pays, à la répression militaire féroce du gouvernement Abhisit et aux mesures d'Etat policier a une signification plus grande. Les tensions de classe augmentent de par le monde au moment où se développe le deuxième stade de la crise économique mondiale et que les gouvernements insistent pour que les travailleurs paient pour les renflouements massifs et les plans de relance utilisés pour sauver les banques et les spéculateurs financiers. Des inégalités sociales grandissantes ont attisé les manifestations thaïlandaises tandis qu'en Grèce un programme gouvernemental féroce d'austérité mis en place à la demande de l'UE et du FMI a conduit à des protestations et des grèves massives.

Que personne ne fasse l'erreur de croire que les méthodes répressives seront confinées aux pays dits du Tiers-monde comme la Thaïlande. Cela faisait près de deux décennies que l'armée thaïlandaise n'avait pas tiré et tué de manifestants non armés. Depuis, la mondialisation de la production a transformé Bangkok en une métropole moderne, en un centre de commerce et de transports internationaux comme Sydney, Londres et New York.

Le recours à la force militaire en Thaïlande reflète que l'on arrive à épuisement de tous les fusibles utilisés pour contenir les tensions de classe - le parlement, les tribunaux, la monarchie et même l'UDD et les partis de l'opposition qui sont de plus en plus discrédités. Les mécanismes politiques sur lesquels compte la classe dirigeante de Grèce et d'ailleurs sont eux aussi au bout de leur capacité et au moment où les conflits de classe commencent à émerger ils atteignent leur point de rupture. Le silence universel sur l'utilisation par le régime thaïlandais d'armes à feu contre des manifestants est un avertissement lugubre pour les travailleurs du monde entier: les élites dirigeantes n'hésiteront pas à avoir recours à des méthodes similaires pour maintenir en place le système capitaliste contre tout mouvement de révolte des travailleurs.


(Article original paru le 22 mai)

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