Ce sont souvent les informations les moins spectaculaires qui donnent un
aperçu des développements sociaux. C’est le cas aussi du communiqué de
presse relatant que Berthold Huber, président du plus grand syndicat
d’Europe, l’IG Metall (IGM), fêtera son 60ème anniversaire dans
la chancellerie allemande le 17 mars suite à une invitation personnelle de
la chef du gouvernement allemand.
On ne peut que féliciter Huber, le cadre est tout à fait approprié.
Prendront place à la table d’anniversaire, aux côtés du héros de la fête, la
chancelière elle-même, Angela Merkel, le président de la fédération
patronale de la métallurgie Gesamtmetall, Martin Kannegiesser, le patron de
Siemens, Peter Löscher et le patron de Volkswagen, Martin Winterkorn.
Selon l’article du Süddeutsche Zeitung, d’autres invités seront
les secrétaires des comités d’entreprise d’un grand nombre de grands
groupes. Le journal remarque que la liste des invités comprendra « le grand
favori de Merkel parmi les représentants des travailleurs : Klaus Franz
d’Opel. Et même Uwe Hück de Porsche sera présent. »
L’affaire livre une importante leçon pédagogique au mouvement ouvrier.
Elle montre tout à fait clairement de quel côté se trouvent les syndicats et
à quel point leur collaboration avec le gouvernement s’est déjà développée.
La fête d’anniversaire de Huber a un caractère symbolique et est la
confirmation de la transformation de plus en plus évidente des syndicats en
organes de l’Etat.
Il y a exactement 70 ans, quelques jours seulement avant d'être
assassiné, Léon Trotsky écrivait « Les syndicats à l’époque de la décadence
impérialiste. » Il commence par les mots : « Il y a un aspect commun dans le
développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations
syndicales modernes dans le monde entier : c’est leur rapprochement et leur
intégration au pouvoir d’Etat. »
Le fait que cette tendance vers une fusion avec l’Etat est
caractéristique pour toutes les formes d’organisations syndicales quelles
qu’elles soient, les soi-disant apolitiques, socio-démocrates,
« communistes » ou anarchistes, montre clairement que le problème ne se
situe pas au niveau du comportement des fonctionnaires individuels.
L’économie est contrôlée par des monopoles coopérant étroitement avec
l’Etat. Dans le passé, et sous ces conditions, tout ce que les syndicats
pouvaient faire c’était d'exploiter les rivalités entre les différents
entreprises. A présent, cependant, comme l’écrivait Trotsky, « Ils doivent
affronter un adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir de
l’Etat. De là découle pour les syndicats -- dans la mesure où ils restent
sur des positions réformistes, c’est-à-dire sur des positions fondées sur
l’adaptation à la propriété privée – la nécessité de s’adapter à l’Etat
capitaliste et de chercher à coopérer avec lui. »
Depuis que ces paroles ont été écrites, de nombreux groupes et
organisation politiques cherchent à réfuter l’analyse de Trotsky. Durant la
période d’après-guerre, lorsque les syndicats étaient encore en mesure
d’obtenir des augmentations de salaire et des améliorations des conditions
sociales pour un certain temps, ces organisations proclamaient que les
syndicats étaient capables de jouer un rôle progressiste en allant même
jusqu’à affirmer que les améliorations sociales et la progression vers le
socialisme ne pouvaient se faire qu’au moyen des syndicats.
Jusqu’à ce jour, les sociaux-démocrates, les staliniens et les pablistes
toutes tendances confondues rejettent toute critique fondamentale des
syndicats en cherchant à subordonner la classe ouvrière à l’appareil de la
bureaucratie syndicale.
La fête d’anniversaire de Hubert à la chancellerie contribue à dissiper
un tel point de vue opportuniste. Huber a remercié avec effusion la
chancelière pour son invitation par une lettre commençant par « Chère madame
la Chancelière. » L’invitation était arrivée après que l’accord tarifaire
ait été signé par les responsables de l’IGM il y a quelques semaines à peine
en Rhénanie-du-Nord/Westphalie. L’accord qui est censé durer deux ans
comporte des réductions réelles de salaire pour les salariés et confirme que
l’accord du syndicat avait pour but de protéger les arrières du
gouvernement.
Le plan d’économie de la Grèce qui a été dicté par l’Union européenne est
le prélude d’attaques massives contre la classe ouvrière de par l’Europe ;
et, compte tenu de la résistance populaire grandissante, l’IGM, le syndicat
Verdi (le syndicat allemand des services) et d’autres syndicats allemands
cherchent à retenir et à amadouer les travailleurs en acceptant des accords
de longue durée. A présent, Huber et les autres dirigeants des comités
d’entreprise sont récompensés pour avoir tendu ce rameau d’olivier au
gouvernement.
Les travailleurs devraient saluer cette clarification fournie par
l’invitation de Huber à la chancellerie et se préparer au fait que lors des
luttes de classe à venir les syndicats et les comités d’entreprise opéreront
encore plus vigoureusement pour l’application du programme gouvernemental.
Ce développement rend encore plus urgente la mise en place de comités
d’usine pour s’opposer systématiquement aux syndicats et aux comités
d’entreprise et à leur défense de la politique gouvernementale.