WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
L'acteur
britannique Corin Redgrave est décédé le 6 avril dans un hôpital du sud de
Londres, il aurait eu 71 ans trois mois plus tard. Un cancer de la prostate lui
avait été diagnostiqué en 2000 et il avait subi une grave attaque cardiaque en
2005. Cependant, il avait suffisamment récupéré pour pouvoir retourner sur
scène en 2009 et il était apparemment en discussion concernant de futurs
projets au théâtre.
Selon
les médias, il était tombé malade à nouveau récemment et serait mort entouré de
membres de sa famille, dont sa femme, Kika Markham.
Redgrave,
et sa sœur Vanessa, faisait partie des membres les plus en vue de la
génération d'artistes et d'intellectuels britanniques attirés parle mouvement
trotskyste de la Ligue des travailleurs socialistes dirigée par Gerry Healy (Socialist Labour League – SLL
– plus tard rebaptisée Workers
Revolutionnary Party) dans les années 1960 et au début des années 1970.
Beaucoup ont sacrifié leur carrière et leur célébrité au service de ce qu'ils
considéraient comme le futur du socialisme.
L'engagement
de ces artistes dans le mouvement marxiste a été le point culminant en
Grande-Bretagne d'une période de fermentation intellectuelle et culturelle
extraordinaire. L'impérialisme britannique émergea de la seconde Guerre
Mondiale en faillite économique. L'Empire partait en lambeaux. La classe
ouvrière entrait en action — et son dégoût de l'aristocratie décrépie et
de l'élite au pouvoir dans son ensemble, a trouvé une expression chez ces
artistes.
Le
vide de la vie bourgeoise et l'hypocrisie des institutions britanniques sont devenus
les cibles d'une critique culturelle sans relâche — en colère,
sarcastique, iconoclaste et rebelle. Les « jeunes gens en colère »
des années 1950, un groupe d'écrivains issus de la classe ouvrière et du bas de
la classe moyenne, dont faisaient partie John Osborne, Kingsley Amis, John Braine
et Alan Silitoe, ont exprimé l'amertume et la désillusion engendrées par la
société britannique. Richard Burton fut l'un des acteurs les plus en vue et les
plus talentueux assimilés à ce courant.
La
« nouvelle vague britannique » du début des années 1960 développa une
bonne partie de ces thèmes au cinéma et à la télévision, généralement sous une
forme plus distinctement de gauche, dans des œuvres telles que This Sporting Life de Lindsay Anderson
[sorti en France sous le titre « Le prix d'un homme », ndt], Saturday Night and Sunday Morning
[Samedi soir, dimanche matin] de Karel Reisz, The Loneliness of the Long Distance Runner [La solitude du coureur
de fond] de Tony Richardson (ces deux derniers films étant basés sur des
œuvres de Silitoe). De nouvelles figures du cinéma étaient associées à ce
« néo-réalisme », dont Albert Finney, Tom Courtenay, Alan Bates, Rita
Tushingham et Richard Harris.
Les
œuvres de cette période étaient artistiquement inégales, mais généralement
audacieuses et provocantes. Même avec tous leurs défauts, la plupart
restent mémorables, et certaines images sont assez fascinantes. Dans cet
environnement, le cinéma britannique et le théâtre se sont penchés sur la vie
de la classe ouvrière d'une manière qui était, à son mieux, réaliste et sans
sentimentalisme. À tout le moins, ces qualités étaient bien plus présentes en
Grande-Bretagne qu'aux États-Unis.
Ce
fut une période rare, exprimant un état de troubles de plus en plus
révolutionnaires.
Dans
ce contexte, il est nécessaire d'insister sur le rôle extraordinaire de la SLL
et de Healy en particulier. Ce n'était pas un hasard si autant d'artistes ont
gravité autour de la SLL. C'était le seul parti révolutionnaire en
Grande-Bretagne — c'était aussi le seul parti honnête. Le mouvement
trotskyste britannique, dans lequel Healy a joué le rôle décisif, était sorti
de décennies de lutte contre le Parti travailliste et le stalinisme. De plus,
cela a introduit dans le milieu des artistes, des auteurs et des intellectuels
quelque chose qui en était absent autrement : une perspective historique.
De
nombreuses années durant, Healy, dont le rôle a été commémoré en fiction par
Trevor Griffiths dans sa pièce de 1973, The
Party, a brandi une perspective socialiste révolutionnaire contre vents et
marées.
Corin
Redgrave venait, bien sûr, d'une longue lignée d'acteurs. Son grand-père
paternel, Roy Redgrave, était un comédien de théâtre et acteur du cinéma muet,
il mourut en Australie en 1922. Sa grand-mère paternelle, Margaret Scudamore,
jouait également.
Le
père de Corin, Michael Redgrave (1908-1985), était l'un des acteurs les plus
distingués à la scène et à l'écran d'une génération remarquable (Laurence
Olivier, John Gieglud, Ralph Richardson, Alec Guiness). La femme de Michael,
Rachel Kempson (1910-2003), était également une actrice célèbre au théâtre
comme au cinéma.
Les
sœurs de Corin Redgrave, Vanessa (née en 1937) et Lynn (née en 1943), sont
toutes les deux des actrices très connues, et la prochaine génération a produit
Joely et Natasha Richardson (filles de Vanessa et du réalisateur Tony
Richardson) — la dernière étant décédée dans un tragique accident de ski
l'année dernière — et Jemma Redgrave, la fille de Corin et de sa première
femme.
Il
semble raisonnable de penser que Corin Redgrave a vécu (et joué) dans l'ombre
de son père et de sa sœur aînée plus célèbre durant une bonne partie de sa
vie, ou, en tout cas, que c'était la perception publique à laquelle il devait
se confronter.
Après
avoir obtenu son diplôme au King's
College de Cambridge, Redgrave a entamé une carrière d'acteur au Royal Court Theater en 1961, à l'age de
22 ans, dans une mise en scène du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Sa
première apparition télévisée fut dans un épisode de Chapeau melon et bottes de
cuir en 1964.
Il
est apparu par la suite dans des rôles secondaires dans plusieurs films de sa
soeur Vanessa, dont A Man For All Seasons
(Un homme pour l'éternité - 1966), The
Charge of the light brigade (La charge de la brigade légère - 1968), Oh! What a Lovely War (Ah Dieu ! que la
guerre est jolie - 1969), et un autre avec sa sœur Lynn, The Deadly Affair (M 15 demande
protection - 1966).
Redgrave
obtint également un rôle dans La ragazza
con la pistola (La fille au pistolet - 1968), avec Monica Vitti. Des
extraits de ce film amusant par moments, ainsi que des portions d'A Man For All Seasons, se trouvent sur
YouTube.
Le
jeune Redgrave se révélait intelligent et imposant, mais un brin forcé et trop
conscient de lui-même. Il n'avait pas le charisme, la présence dominante, et
peut-être le don naturel de son père et de sa sœur — il devait
travailler plus durement pour jouer. Ou, pour le dire autrement, il était en
quelque sorte plus réfléchi.
Un
acteur professionnel est obligé de travailler avec toutes sortes de matériaux
— du bon, du mauvais et du moyen. Pour qu'un acteur donne tout ce qu'il
a, il doit faire un, plus ou moins, avec l'œuvre en question. Avec le
Redgrave des débuts, on ne peut exclure totalement le soupçon qu'il considérait
souvent, et à juste titre, que son texte n'était pas très bon, voire banal. Il
essaye d'avoir l'air convaincu de leur qualité admirable, mais n'y parvient pas
tout le temps. Il semble souvent plus intelligent que son rôle, ce qui est un
handicap pour un acteur.
Redgrave
avait participé à des manifestations contre la guerre du Vietnam à Londres,
dont un certain nombre étaient menées par sa sœur déjà célèbre, à la fin
des années 1960. Il découvrit la SLL vers 1970. Il était déjà suffisamment
engagé pour jouer un rôle (en tant que narrateur) dans le premier effort
entrepris par les acteurs et les artistes qui avaient rejoint la SLL au grand
« Rassemblement anti-conservateurs » devant l'Alexandra Palace en
février 1971, où ils ont joué une pièce musicale satirique sur « 200 ans
d'Histoire du travail ».
Encore
une fois, cela vaut la peine de mentionner ceux qui ont gravité autour de la SLL :
les réalisateurs de cinéma et de télévision Ken Loach et Roy Battersby ; les
scénaristes Jim Allen, Trevor Griffiths, John Arden, Margareta D'Arcy, David
Mercer, John McGrath, Colin Welland, Neville Smith, Tom Kempinski et Troy
Kennedy Martin ; les producteurs/éditeurs Tony Garnett, Kenith Trodd et Roger
Smith ; d'innombrables acteurs, dont les Redgrave, Tony Selby, Jack Sheperd,
Frances de la Tour, Malcolm Tierney, David Calder, David Hargreaves, etc. ; le
journaliste Francis Wyndham ; l'artiste et archiviste photographe David King ;
et bien d'autres.
Parmi
ceux qui ont simplement participés à des représentations théâtrales ou des
fêtes des Jeunes socialistes, ou prêtés leur nom à des activités de récoltes de
fonds, il y avait les acteurs Judy Geeson, Eleonor Bron, Judi Dench, Glenda Jackson,
Marty Feldman, Dudley Moore, Suzi Kendall, Helen Mirren, Roy Kinnear et Anthony
Booth ; les poètes Adrian Mitchel et Christopher Logue ; le comique Spike
Milligan ; les chanteurs Annie Ross et Paul Jones (l'ex-chanteur des Manfred
Mann) ; les groupes de rock Slade et UB40, entre autres ; Larry Adler, une
légende de l'harmonica ; le présentateur de talk
show Michael Parkinson ; etc.
Corin
Redgrave fut l'un de ces artistes et intellectuels qui ont fait l'effort le
plus sérieux pour étudier le marxisme et le trotskysme, pour donner une base
théorique à son activité. Beaucoup des acteurs qui ont participé aux activités
de la SLL-WRP, y compris sa sœur Vanessa, se sont contentés de s'en
remettre à leur intuition. Pour simplifier les choses, on pourrait dire à ceux
qui l'ont connu, que si Vanessa Redgrave était toujours en représentation, son
frère était toujours en train de penser.
Vanessa
pouvait toujours s'en remettre à sa réserve inépuisable de gestes et autres
envolées dramatiques. Elle pouvait être, à n'importe quel moment, Antigone,
Cléopâtre ou « La Dame de la mer » [d'après une pièce d'Ibsen, ndt].
Corin était presque l'opposé. Un homme timide et réservé, il parlait calmement,
avec de longues pauses quand il cherchait le mot approprié tout en tirant sur
une cigarette.
Corin
Redgrave a commencé à participer sérieusement à la vie politique en 1971. Le 1er
juillet de cette année, deux semaines avant son 32e anniversaire, une
lettre de Redgrave fut publiée, expliquant « Pourquoi je lis le Workers Press ».
« Je
lis le Workers Press pour découvrir
ce qui se passe. En quatre pages, il va plus au cœur de la situation que
d'autres journaux ne le font en 20 pages. Mais évidemment, ce n'est pas le but
des autres journaux.
« Sous
le couvert du "journalisme objectif sans préjugés" leur but est de
cacher aux lecteurs tout besoin ou toute possibilité de changer les choses,
sauf dans leurs caractères les moins essentiels…
« Les
journaux de Fleet Street ont le cycle de vie d'un éphémère. Ce qui commence
comme de l'information finit en eau de boudin.
« Mais
la connaissance, contrairement à l'information est une question de
développement continu. C'est là que les rubriques des pages intérieures [du Workers Press] prennent toute leur
importance.
« Elles
s'intéressent à des questions historiques, philosophiques, et scientifiques et
les étudient sous tous leurs aspects. »
Sur
la page de garde du Workers Press du
12 juillet 1971, on trouve une photo marquante. Elle montre Corin et Vanessa
Redgrave, Gerry Healy et Gerry Caughey, un gréviste licencié pour l'exemple de
l'usine Pilkington, la compagnie verrière. Sur la photo, Vanessa est encore
habillée d'une manière flamboyante, qui influencé par le « Swinging London », mais déjà qui
déjà – même si sa relation au mouvement était encore assez ténue –
domine l'image. En fait, comme l'a reconnu Vanessa Redgrave par la suite, c'est
Corin qui soumettait ses propres doutes et ses renoncements à une critique sans
pitié, et qui l'a finalement convaincu de rejoindre la SLL.
Les
Redgrave se sont retrouvés en accord avec les perspectives révolutionnaires du
Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et son orientation
vers la construction d'un mouvement basé sur des principes socialistes dans la
classe ouvrière, et a tenté d'agir sur cette conviction.
Il
y a eu, cependant, des approches différentes à ce processus. La reprise de la
lutte de classes internationale, et la révolte artistique qu'elle a générée, a
attiré de nombreux intellectuels vers le mouvement trotskyste en Grande-Bretagne.Les
conditions ont encouragé et rendu possibles l'entrée de toute une couche de la
société, y compris des éléments de « l’aristocratie »
culturelle comme les Redgrave, dans la politique révolutionnaire.
Néanmoins,
cela n'a pas résolu toutes les difficultés de la situation politique. Le
développement de Corin Redgrave par la suite se trouva compromis par les
contradictions croissantes de la SLL (devenu le WRP en novembre
1973). Celles-ci étaient elles-mêmes liées aux conditions existantes,
généralement défavorables, du courant marxiste : la domination continue des
bureaucraties travaillistes, staliniennes et syndicales sur de larges sections
de la classe ouvrière européenne et internationale et l'isolement relatif des
forces authentiquement trotskystes.
Des
problèmes politiques sérieux émergeaient dans la SLL au début des années 1970,
alors que les Redgrave et la plupart des artistes étaient encore très
inexpérimentés — non seulement sur les questions pratiques mais aussi sur
les questions théoriques. Ils étaient enthousiastes, et même très impliqués
— mais ils ne savaient pas grand-chose de l'histoire du mouvement
trotskyste international. De plus, bien que ni Vanessa ni Corin ne soient des
snobs, leur existence n'impliquait aucun contact sérieux avec les luttes de la
classe ouvrière.
Healy
et la SLL se sont trouvé quasiment seuls à un moment dans leur détermination
inaltérable à construire un parti révolutionnaire indépendant des bureaucraties
travaillistes, bourgeoises nationalistes, castristes, maoïstes etc. La SLL,
après sa prise de position résolue au début des années 1960, a commencé à
retomber dans une direction nationale opportuniste au début des années 1970. La
rupture sans clarifications avec l'Organisation communiste internationale (OCI)
française en 1971, qui avait été son principal allié dans la lutte du début des
années 1960 contre l'opportunisme pabliste, a ajouté aux difficultés pratiques
et théoriques de la SLL.
Healy
et la direction de la SLL ont développé une perspective de plus en plus nationaliste,
faisant comme si leur tâche était en premier lieu de construire les forces et
les ressources pour une révolution britannique, et remettant à plus tard les
questions théoriques et pratiques liées à la construction d'un parti mondial.
Le dirigeant de la SLL a commencé à révéler, dans ses discours, une orientation
de plus en plus restreinte aux intérêts et aux besoins des « travailleurs
anglais ».
La
crise politique qui se développait au sein de la SLL/WRP a certainement sapé
l'éducation politique de Corin Redgrave et d'autres artistes du parti. De plus,
Redgrave a pratiquement cessé de jouer — en partie, semble-t-il, à cause
d'une mise à l'écart par l'industrie du cinéma. Entre le milieu des années 1970
et 1990 il n'a qu'une poignée d'apparitions à la télévision et au cinéma à son
actif.
L'idée
selon laquelle l'activité artistique et la politique révolutionnaire seraient
mutuellement exclusives est fausse, et ce n'était pas d'ailleurs pas la
politique officielle de la SLL mais en pratique elle détermina les choix d'un
certain nombre de ses membres artistes-intellectuels. En particulier pour
quelqu'un comme Redgrave pour qui le jeu était "dans les gènes", une
telle décision devait nécessairement avoir des conséquences néfastes, et même
constituer un handicap.
Au
début, Corin participa aux diverses manifestations théâtrales organisées par le
groupe des acteurs, sur la révolution de Cromwell, la Révolution russe, les
années de la Dépression, la répression stalinienne en Union soviétique, etc. La
valeur artistique de ces œuvres, dont il avait co-écrits ou mis en scène
certaines, était variable. La satire amusante et bien trouvée, ainsi qu'un
effort sérieux pour recréer des événements historiques critiques, coexistait
avec une agit-prop assez vulgaire.
Les
deux Redgrave sont montés rapidement, trop rapidement, à la direction du WRP au
milieu des années 1970, finissant par devenir membres du Comité central et du
Comité politique. Le succès électoral du Parti travailliste en 1974 a précipité
une crise au WRP, entraînant le départ d'Alan Thornett et d'une partie des
cadres syndicaux, qui avaient organisé une opposition à Healy sur une plate-forme
essentiellement de droite. Les Redgrave et d'autres issus du milieu artistique
ont joué un rôle encore plus important après cette crise.
L'une
des principales faiblesses du rapport établi entre la direction Healy et les
artistes au début des années 1970 a été son incapacité à s'attaquer aux
problèmes théoriques et esthétiques sérieux soulevés par Trotsky et Aleksandr
Voronsky dans les années 1920 et 1930. Les méthodes staliniennes lourdes de la
« culture prolétarienne » et du « réalisme socialiste » ont
été rejetées d'emblée par les trotskystes britanniques, mais sans que cela soit
accompagné d'un effort de longue durée pour critiquer et dépasser les approches
assez provinciales auxquelles les acteurs et scénaristes britanniques étaient
habitués : d'un côté, le « kitchen
sink drama » [mélodrames de la vie quotidienne, ndt]
(c’est-à-dire un réalisme empirique, superficiel), et de l'autre, le
grand style déclamatoire, avec toutes ses forces et ses faiblesses, associé
avec la mise en scène des pièces de Shakespeare et d'autres classiques.
À
la fin des années 1970 et au début des 1980, ceux qui ont travaillé avec
Redgrave dans le mouvement pouvaient voir qu'il était en pleine crise politique
et personnelle. Ayant reçu la mission de travailler en tant qu'organisateur du
parti, il ne s'en sortait pas — et pour ne rien arranger, il était
souvent la cible des colères partiales de Healy.
La
manière dont Healy a traité et s'est servi des Redgrave et d'autres est devenus
de plus en plus opportuniste tout au long des années 1970. Après la victoire du
Parti travailliste en 1974 en Grande-Bretagne, et la
« normalisation » générale de la vie politique en Europe, dont firent
partie la trahison de la révolution portugaise en 1974 et la transition
relativement calme du franquisme à la démocratie bourgeoise en Espagne, Healy
et ses collègues à la direction du WRP, Michael Banda et Cliff Slaughter, sont
devenus de plus en plus pessimistes quant à la capacité révolutionnaire de la
classe britannique et européenne.Ils se sont tournés avec un enthousiasme
croissant vers les mouvements bourgeois nationalistes, en particulier au
Moyen-Orient, et vers les bureaucrates syndicaux en Grande-Bretagne.
Le
nom de Redgrave, en particulier celui de Vanessa, est devenu un outil important
qui ouvrait ou semblait ouvrir tout une série de portes politiques et
financières.
Ce
qui avait été de l'enthousiasme spontané de la part d'acteurs et d'auteurs au
début des années 1970 pour produire divers événements sur scène était devenu
quelque chose de plus cynique au moment où, par exemple, le WRP organisait un
spectacle pour le centenaire de la mort de Marx en 1983. Des
« stars » ont été parachutées au dernier moment pour remplacer des
acteurs jeunes ou moins connus qui avaient passé des semaines à répéter la
pièce sur Marx. Cela faisait partie d'un déclin opportuniste général.
À
la fin des années 1970, Corin Redgrave était devenu l'un des principaux
porte-parole du parti. Il a été obligé de représenter le WRP lorsque celui-ci a
été attaqué par les médias et l'État britanniques.
En
septembre 1975, le journal l'Observer
publia un article diffamatoire prétendant que le WRP était un groupe «
extrémiste » cachant des armes dans son Collège d'éducation marxiste. Cette
provocation était organisée pour coïncider avec un raid policier sur ce
collège. La campagne du WRP pour se défendre obtint un soutien très large dans
de nombreuses sections du mouvement ouvrier organisé ainsi que dans la
communauté intellectuelle et artistique. Le parti a légitimement poursuivi l'Observer pour diffamation, et le procès
a eu lieu en octobre-novembre 1978.
Redgrave,
avec sa sœur et Roy Battersby, a joué le rôle principal dans l'affaire
pour le compte du WRP. Ni Healy ni Banda n'y ont fait une apparition. Tout en
reconnaissant les difficultés à prouver une accusation de diffamation, il faut
dire que Redgrave a fait bien trop de concessions en tentant de montrer la
« respectabilité » du WRP et son rejet de la violence.
Au
début des années 1980, Redgrave a subi une crise personnelle inévitable et a
tenté de retourner sur scène, tout en restant actif politiquement. Le WRP à
cette époque était dans un état de crise sévère, et pour la première fois
devait faire face à une opposition politique et théorique à sa trajectoire
opportuniste au sein du CIQI, venant de la Workers
League aux États-Unis.
Redgrave,
qui avait peu de contacts avec le mouvement trotskyste international et dont
l'étude du marxisme et de l'histoire du trotskysme avait soit cessé totalement
soit fait peu de progrès dans le milieu opportuniste du WRP, n'a pas saisi les
questions que soulevait la scission de 1985-86. Il revenait à une implication
active dans le WRP à un moment vraiment peu opportun — lorsque la crise a
éclaté.
Bizarrement,
il a été au côté de Healy en août 1985 et chercha à tromper les délégués du
CIQI avec un rapport qui falsifiait les causes e la crise financière qui venait
d'éclater. Redgrave quitta le mouvement trotskyste avec Healy à l'automne
de 1985. Ce fut la fin de sa vie politique sérieuse.
Après
le départ de Redgrave du WRP, il n'y a qu'une série d'efforts spécifiques et
avortés de sa part pour maintenir un groupe d'acteurs autour de Healy dans le
« Parti marxiste » qui ne fut qu'un feu de paille, puis plus tard, le
dérapage inévitable vers le social-libéralisme. Il resta engagé sur diverses
questions — la question palestinienne, le racisme, la Tchétchénie, la
« paix mondiale ». Comme cela est arrivé à tant d'autres à gauche, il
a trouvé une voie de sortie en adoptant une version assez banale du
volontarisme philanthropique britannique.
À
la suite de sa « réhabilitation » à la fin des années 1980, une fois
qu'il ne fut plus, d'après les termes du Daily
Telegraph, « [politiquement] trop chaud pour être employé par la
plupart des réalisateurs », il a fait des apparitions réussies au théâtre,
à la télévision et au cinéma. Dans des œuvres telles qu'In the Name of the Father (1993), Four Weddings and a Funeral (1994), Persuasion (1995) et The Forsythe Saga (2002), il a joué
admirablement. D'après les mots généreux d'une nécrologie de la BBC, « il a
éclos plus tard que Vanessa, qui est devenue une star internationale très tôt,
mais il a fini par être considéré comme l'un des meilleurs acteurs du pays. »
En
ce qui concerne ses idées sociales et politiques, l'image générale était claire
— Corin Redgrave avait plus ou moins fait la paix avec le status quo, et
c'était réciproque. Qu'il ait migré aussi loin vers la droite ou moins que sa
sœur, laquelle flirtait avec le Prince William et la famille royale lors
d'une récente remise de prix, nous ne le savons pas, mais ce n'est pas la
question la plus importante.
L'évolution
des Redgrave et l'évolution de nombreux artistes et intellectuels attirés par
la politique révolutionnaire au début des années 1970 ont un aspect tragique.
Collectivement c'était un ensemble d'êtres humains énormément doués et humains,
en fait, les meilleurs de leur génération.
Les
individus sont responsables de ce qu'ils font, en « mal » comme en
« bien », mais ce qu'ils font est fortement influencé et modelé par
des événements et les processus qui ne leur appartiennent pas. Nous rendons
hommage aux meilleurs côtés ainsi qu’au sens du sacrifice, de Corin
Redgrave et de la génération d’artistes dont il était un représentant
important.
(Article original paru le 12 avril 2010)
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