La dégradation de la dette des Etats-Unis marque un tournant dans
la crise du capitalisme américain et mondial.
L'agence de notation Standard & Poor's a clairement fait
comprendre dans son communiqué de vendredi qu'elle allait prendre une
initiative sans précédent pour priver les obligations du Trésor américain de
leur note AAA parce que le gouvernement Obama et le Congrès ont manqué de
satisfaire, dans leur accord budgétaire, aux exigences des banques de Wall
Street, pour lesquelles elle parle.
S&P a réitéré son appel, initialement lancé en avril
dernier, pour que le gouvernement américain approuve, avant les élections de
novembre 2012, des mesures de réduction budgétaire s'élevant à au moins 4 mille
milliards de dollars, y compris des coupes massives dans les programmes sociaux
tels Medicare, Medicaid et la sécurité sociale.
En plus des motifs politiques se cachant derrière l'action de
Standard & Poor's et de son impact immédiat sur les marchés financiers
internationaux, la perte pour les Etats-Unis de leur très bonne note de crédit,
a des implications historiques, économiques et politiques énormes. Elle
détériorera davantage encore le statut du dollar américain en tant que monnaie
de réserve mondiale et monnaie d'échange, déstabilisera les relations
économiques mondiales et accélérera l'accroissement des antagonismes nationaux.
La dégradation de la dette américaine est une reconnaissance
du formidable déclin de la position mondiale du capitalisme américain. Le 15
août prochain marquera le 40ème anniversaire de l'effondrement du
système monétaire de Bretton Woods, établi à la fin de la deuxième Guerre
mondiale. Cet ordre monétaire avait été la pierre angulaire de la
re-stabilisation et de l'expansion du capitalisme mondial.
La pierre angulaire de Bretton Woods était le rôle imparti au
dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale et d'échange. Le
dollar, convertible en or à un taux de 35 dollars l'once, était devenu l'ancre
d'un système de taux d'échange monétaire fixes.
La position privilégiée du dollar américain était la
reconnaissance que les Etats-Unis étaient sorti du naufrage de la guerre comme
la première puissance économique mondiale. Leur industrie a dominé les marchés
mondiaux. En 1950, la part américaine de la production automobile était de 75
pour cent. En 1955, l'Amérique comptait pour près de 40 pour cent de la
production mondiale d'acier. La majorité des réserves d'or du monde était stockée
à Fort Knox.
Toutefois, cet arrangement comportait une contradiction
fondamentale - la tentative de faire opérer une monnaie nationale comme une
monnaie mondiale. Même les énormes ressources économiques des Etats-Unis ne
pouvaient supplanter les contradictions fondamentales du système capitaliste existant
entre l'économie mondiale et le système d'Etat-nation.
A la fin des années 1960, la quantité de dollars détenue
outre-mer dépassait de loin les réserves d'or américaines et les Etats-Unis
étaient confrontés à une concurrence grandissante de la part de l'Allemagne et
du Japon qui avaient connu un nouvel essor. Le système de Bretton Woods s'est
effondré le 15 août 1971, lorsque le gouvernement Nixon, après une ruée sur le
dollar, a supprimé la parité or de la monnaie américaine.
L'acceptation tacite de l'érosion de l'hégémonie économique
américaine a été un tournant majeur dans les rapports économiques et politiques
d'après-guerre. Elle a conduit à Bretton Woods II, un système de flottement des
taux de change liés au dollar - un arrangement qui dépendait encore plus de la
confiance internationale dans la solidité du capitalisme américain.
Cette confiance a progressivement été érodée au fur et à
mesure que les Etats-Unis sont devenus, de la plus grande nation créancière du
monde qu'ils étaient, la plus grande nation débitrice. Sa base industrielle a
dépéri, rendant son économie de plus en plus tributaire de la spéculation
financière.
On a assisté depuis 1971 à des crises financières
internationales de plus en plus graves et à la détérioration des niveaux de vie
de la classe ouvrière, d'abord aux Etats-Unis puis en Europe et au Japon. Ce
qui est sous-jacent à ces développements c'est le déclin de plus en plus
tangible de la position des Etats-Unis dans le monde et la décrépitude de leur
infrastructure industrielle.
L'un des critères de ce processus est le déclin du dollar. Par
rapport au yen japonais, par exemple, la monnaie américaine est passée de 360
en 1997 à 77 aujourd'hui - une perte de quelque 80 pour cent de sa valeur. Si
l'on prend l'or comme la valeur standard, la chute est encore plus forte - de
35 dollars l'once en 1971 à plus de 1.600 dollars de nos jours, un déclin de la
valeur du dollar de 98 pour cent.
Durant ces trente dernières années, le capitalisme américain a
eu pour base la création d'une bulle financière après l'autre. La spéculation
outrancière et semi-criminelle dans les prêts hypothécaires à risque (subprime)
dans les années 2000 a exacerbé le processus du parasitisme financier et abouti
au krach de Wall Street qui a déclenché en 2008 la plus grave crise économique
mondiale depuis les années 1930.
D'une manière importante, l'actuelle crise est encore plus
profonde que la Grande Dépression. A cette époque, les Etats-Unis étaient
encore une puissante économique montante, une force potentielle de re-stabilisation
économique. De nos jours, les Etats-Unis sont le centre du déclin économique
mondial et source d'instabilité et de crise.
Aujourd'hui, le monde fonctionne sans un système monétaire viable.
Ceci a des implications catastrophiques.
Mohamed El-Erian, le directeur général du Pacific Investment
Management Co. (PIMCO), le premier fonds mondial de placement obligataire, a
dit dans un article paru dans le Financial Times : « . la
dégradation de vendredi érodera au fil du temps la place des biens publics
mondiaux fournis [par les Etats-Unis] - à commencer par le dollar comme monnaie
de réserve mondiale jusqu'à ses marchés financiers comme meilleure place à
laquelle les autres pays confient leurs économies durement gagnées. Ceci
affaiblira l'efficacité des Etats-Unis en tant qu'ancre mondiale, en accélérant
le déplacement instable vers un système multipolaire et en augmentant le risque
de fragmentation économique. »
Xinhua, l'agence de presse officielle de la Chine, a publié un
communiqué exceptionnellement hargneux suite à la dégradation, dénonçant les Etats-Unis
pour leur « addiction à la dette » et mettant en garde qu'à moins que
Washington ne réduise ses « gigantesques dépenses militaires et ses coûts
sociaux pléthoriques » une nouvelle dégradation sera inévitable. Le
communiqué appelle à un contrôle international de l'impression de dollars
américains en réitérant l'affirmation de la Chine qu'un nouveau système
monétaire mondial est indispensable pour remplacer celui dominé par le dollar
américain.
Malgré les appels de la Chine et d'autres pays en faveur d'un
nouveau système monétaire, il n'existe pas de candidat sérieux pour remplacer
les Etats-Unis comme pierre angulaire d'un nouvel ordre capitaliste mondial et
le dollar comme ancre des rapports monétaires internationaux. La Chine, qui est
encore un pays relativement arriéré et miné par des contradictions sociales et
politiques explosives, est incapable de jouer ce rôle. L'Europe est elle-même en
proie au désarroi et l'euro au bord de l'effondrement. Le Japon reste plongé
dans la stagnation économique.
La récession économique, les guerres monétaires et
commerciales et la dégradation de la dette américaine sont toutes des
expressions de ce qui est indubitablement une crise historique du système
capitaliste mondial. C'est cette crise qui sous-tend les profondes divisions
existant entre les principales puissances capitalistes et les crises politiques
aux Etats-Unis et dans tout autre pays impérialiste.
La seule chose sur laquelle les élites dirigeantes du monde sont
d'accord, c'est le besoin d'intensifier l'attaque contre la classe ouvrière
américaine et internationale. Elles cherchent à s'extirper des conséquences de
l'effondrement de leur système en attaquant brutalement les niveaux de vie et
les droits démocratiques des travailleurs.
Dans le même temps, l'effondrement de tout fondement pour une
coordination et une stabilité internationales entre les puissances capitalistes
ouvre une nouvelle période de nationalisme virulent et de guerre économique
inter-impérialiste qui conduira inexorablement vers une nouvelle conflagration
mondiale. Une fois de plus, comme dans les années 1930, le conflit insoluble
entre l'économie mondiale et l'Etat-nation menace l'humanité du spectre de la guerre
mondiale et de la barbarie fasciste.
Quelles conclusions faut-il en tirer? Premièrement, le krach
financier de 2008 n'avait pas été l'expression de simples conditions
conjoncturelles, mais d'un effondrement historique et de l'échec du capitalisme
américain et mondial.
Deuxièmement, cette crise a débouché sur une nouvelle période
de soulèvements révolutionnaires, dont on a déjà pu voir les débuts dans les
révolutions en Tunisie et en Egypte et dans la montée des protestations de la
classe ouvrière en Europe et aux Etats-Unis.
La véracité de l'affirmation que la classe ouvrière ne peut
pas défendre ses intérêts vitaux dans le cadre du capitalisme et que le
socialisme offre l'unique base pour une répartition et un développement
rationnels, planifiés et progressistes des forces productrices de l'humanité a
été confirmée.
La classe ouvrière aux Etats-Unis et partout dans le monde
doit rompre avec les représentants politiques et les agences de la bourgeoisie
dont les syndicats officiels, et entamer une lutte consciente pour le
renversement du système de profit, l'établissement de gouvernements ouvriers et
la construction du socialisme à l'échelle mondiale.
C'est la perspective du Parti de l'Egalité socialiste aux
Etats-Unis et du Comité International de la Quatrième Internationale.