WSWS : Nouvelles et analyses : Histoire et culture
Réalisé par Denis Villeneuve;
écrit par Villeneuve, basé sur la pièce de Wajdi Mouawad
Incendies, le nouveau film
du réalisateur canadien Denis Villeneuve, évoque le terrible conflit
libanais des années 1970 et 80 et exprime une sympathie pour ses victimes.
Villeneuve a dirigé plusieurs longs métrages incluant Polytechnique
(2009) et Maelström (2000).
Malheureusement, le film –
basé sur la pièce encensée de Wajdi Mouawad – est finalement suffisamment
vague historiquement et géographiquement pour laisser place à toutes
sortes d'idées à propos des origines des troubles au Liban.
Le préambule du film présente
l'image familière de jeunes garçons dans un camp d'entrainement militaire
situé quelque part dans le monde arabe. Sur la musique de la
pièce « You and Whose Army » de Radiohead, les adolescents se font
raser la tête. La caméra cadre en gros plan le visage poignant d'un
jeune garçon et capte l'innocence s'évanouissant.
À Montréal, un notaire (Rémy
Girard) rencontre deux jumeaux, Jeanne (Mélissa Désormeaux-Poulin)
et Simon (Maxim Gaudette) pour la lecture du testament de leur mère.
Il leur transmet deux lettres, l'une devant être remise à leur père
qu'ils n'ont jamais vu, et l'autre à un frère dont ils ignoraient
l'existence. Leur mère Nawal (Lubna Azabal) a toujours été un personnage
un peu énigmatique, et ils connaissent peu de choses de sa vie avant
son arrivée au Canada.
Jeanne est curieuse de connaître l'histoire de sa mère et quitte pour le pays dont le nom n'est jamais spécifié, mais qui ressemble beaucoup au Liban, alors que son frère reste derrière, ruminant ses ressentiments envers sa mère. Tandis que la complexité de l'histoire de Nawal émerge, il va éventuellement rejoindre sa soeur.
Le film est entrecoupé avec
l'expérience des jumeaux dans le pays d'origine de leur mère et des
souvenirs des années de jeune adulte de Nawal, une chrétienne. Sa
vie politique débute en 1970, lorsque ses frères assassinent son amoureux
musulman, le père de leur enfant à naître. Pour éviter la colère
de la communauté, elle est envoyée chez une parente en ville après
la naissance de son fils qui lui est rapidement retiré. Un maelström
politique se développe lorsque des nationalistes chrétiens attaquent
les écoles et les camps de réfugiés musulmans dans le sud, où Nawal
se dirige à la recherche de son fils.
Les lieux représentés dans
Incendies sont fictifs et les événements qui se sont passés au Liban
durant la guerre civile y sont délibérément amalgamés. Par exemple,
l'un des événements les plus horrifiants – le massacre des Palestiniens
en 1982 dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila par les
fascistes de la milice phalangiste avec la complicité de l'armée israélienne
– n'est jamais mis en scène, mais le spectateur sent la présence
de cet événement dans la trame du film.
De plus, les scènes d'incendies,
de torture et de répression sont réalistes. Dans l'une des scènes
les plus mémorables du film, Nawal voyage en autobus déguisée en
musulmane. Le véhicule, transportant des musulmans, la plupart des
femmes et des enfants, est attaqué par des forces chrétiennes d'extrême
droite qui ouvrent le feu et tuent la plupart des passagers. Nawal se
retrouve étendue sur le plancher du véhicule près d'une mère terrifiée
et sa jeune fille tandis que la milice asperge l'autobus d'essence.
Nawal sort son crucifix et est sauvée non sans avoir tenté en vain
de secourir la jeune enfant musulmane.
C'est un moment de grande détresse,
la tension monte à l'extrême et un lien émotif est immédiatement
créé avec les victimes. Dans ce bref et intense moment, Villeneuve
réussit saisir un profond et fondamental moment de vérité à propos
du cauchemar au Moyen-Orient.
Bien rythmé, le film manoeuvre
habilement entre le passé et le présent alors que Jeanne et Simon
visitent les endroits où les événements brutaux dans la vie de leur
mère se sont déroulés. La découverte des ces traumatismes aide les
jumeaux à mieux comprendre l'absence émotive de Nawal en tant que
parent. L'une des révélations les plus difficiles à accepter
est la découverte des 15 années de détention de Nawal dans une horrible
prison pour avoir assassiné un dirigeant nationaliste de droite. Torturée
et violée à répétition, elle est reconnue dans la région comme
« la femme qui chante » et est célébrée pour avoir survécu aux tentatives
systématiques de briser son moral intransigeant.
Le périple de Nawal à travers
les terres blanches et sèches du Liban du Sud est magnifiquement filmé,
l'âme du pays et son histoire de souffrance étant toujours présentes
dans les images. Villeneuve fait un travail remarquable d'agencement
d'images qui dérange et qui provoque une réaction viscérale. Le film
excelle dans les moments historiques concrets.
Malheureusement, même certains
de ces moments sont délibérément ambigus. À la fin, cette ambigüité
est employée au service d'une finale qui dissout dans un nuage de confusion
libérale le contenu historique tangible du film. La fin d'Incendies
détruit la base de la structure d'un film sur lequel Villeneuve a travaillé
fort, auquel participent des acteurs qui livrent une performance sincère.
Dans les notes de production,
Villeneuve parle de prodiguer de la politique de manière apolitique.
Il acclame la pièce de Mouawad pour avoir abordé le sujet de la colère
sans alimenter la colère. « L'émotion » explique le réalisateur,
« ne doit pas être une fin, mais un moyen pour atteindre l'effet de
catharsis désiré [une fin difficile à avaler]. Incendies c'est aussi
le voyage de Jeanne et Simon vers la source de la haine de leur mère.
C'est une quête universelle et elle me touche profondément.
« Les guerres qui ont divisé
cette région impliquent parfois17 factions différentes avec des alliés
et des traîtres... Les spectateurs du film doivent comprendre l*fessentiel
de ce qui peut être compris en acceptant du même coup que la situation
soit devenue trop complexe pour être simplifiée à une représentation
en noir et blanc. »
Dans une entrevue donnée en
avril avec movingpicturesnetwork.com, Villeneuve décrit la situation
avec sa propre interprétation simplifiée : « Des frères qui s'entretuent,
c'est ça la guerre [civile]... C'est ce que j'aime de cette pièce,
cette idée que toutes les personnes sont reliées entre elles, et c'est
plus terrible de penser que tout le monde s'entretue alors qu'ils sont
tous liés en quelque sorte, comme une grande famille. » Sans révéler
la fin du film et sa métaphore centrale, il est permis de dire que
dans Incendies fascistes, tortionnaires, violeurs et victimes sont reliés
biologiquement de manière bien improbable.
Dans une autre entrevue avec
comingsoon.net, le réalisateur prétend que « la clé de la liberté
en tant qu'adulte – se libérer de sa colère contre ses parents afin
de comprendre sa propre enfance et les liens entre le passé et le présent. »
Premièrement, on peut se questionner
sur la sagesse d'un parent (Nawal) qui envoie ses enfants dans une zone
de guerre afin d'y découvrir, à travers un processus extrêmement
risqué, se qu'elle aurait pu (et aurait dû) leur dire dans l'environnement
sécuritaire de Montréal. Cette incongruité est malmenée par Villeneuve
pour les besoins de son récit.
Même en mettant cet élément
de côté, le film comporte de nombreux problèmes. La réconciliation
et le pardon sur le plan individuel est une chose, mais cela ne modifie
pas les faits historiques : l'intervention de l'impérialisme mondial
au Moyen-Orient, ses machinations via Israël et les mouvements fascistes,
tels les Phalanges, sans mentionner l'impotence et la servilité de
la bourgeoisie nationale (le PLO et le Hamas). Encourager un individu
à pardonner à quelqu'un qui lui a fait du mal n'est pas la même chose
que d'essayer d'obtenir le même résultat auprès d'une population
opprimée avec des platitudes libérales face à un exploiteur mondial
et ses agents régionaux.
Des classes ou des peuples
entiers ne se jettent pas dans les bras d'un ennemi mortel au nom d'une
amnistie abstraite et creuse, et ils ne devraient pas le faire.
La situation réelle contemporaine du Moyen-Orient est brouillée dans
Incendies au point d'en être expulsée et remplacée par des schémas
simplifiés.
Villeneuve s'est engagé, sûrement
involontairement, dans une sorte d'habile tour de passe-passe intellectuel.
Il a créé, à partir d'épisodes historiques spécifiques d'injustice
et d'oppression, des moments très puissants sur le plan émotif. Il
implique très fortement le spectateur pour ensuite le laisser tomber
en absolvant essentiellement les forces responsables des atrocités
commises. Le spectateur veut savoir ce qui c'est passé et aussi comprendre
comment éviter que de telles choses se reproduisent. Ceci est dans
l'intérêt de la clarté et de la justice, et non dans un but de vengeance.
La tâche consiste à identifier
la réalité sociale qui rend possible ces horribles événements, à
essayer de venir à bout des contradictions qui permettent à ces atrocités
de se répéter, et pas seulement au Moyen-Orient. Les véritables relations
sociales doivent être disséquées, et non assainies, avec les moyens
que l'artiste jugera appropriés. À son meilleur et lorsqu'il
se montre le plus responsable, Incendies montre que la vérité historique
peut être rendue de manière artistique.
Le communalisme au Liban ne
pourra être vaincu simplement avec le lait de la gentillesse humaine.
La politique des grandes puissances et les divisions de classe alimentent
les tensions sociales et ethniques. Penser autrement est chimérique
et affaiblit le film.
Jusqu'à quel point Villeneuve
est-il conscient que son dur travail et toutes ses perles n'abordent
pas la question du rôle d'Israël et surtout celui des États-Unis?
(Article original paru le 28 juin 2011)
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