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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La crise de l’Europe

Par Peter Schwarz
1 août 2011

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Jamais depuis l’adoption du Traité de Rome, il y a 54 ans, l’Union européenne et les organisations qui l’ont précédé n’avaient été si près de l’abîme que la semaine passée. De nombreux experts étaient d’avis que si les chefs de gouvernement des pays de la zone euro ne parvenaient pas à trouver une réponse à la crise de la dette lors de leur sommet d’urgence ce jeudi, ceci signifierait la fin de l’euro et de l’Union européenne.

Les conséquences d’un tel échec ne se limiteraient pas à la sphère économique. Depuis la Guerre de Trente ans au 17ème siècle, l’Europe a été à maintes reprises ravagée par des guerres, qui ont atteint leur paroxysme avec les deux guerres mondiales de 1914 et de 1939. Depuis lors, l’UE et les organisations qui l’ont précédée ont constitué le plus important mécanisme pour éviter de nouveaux conflits armés entre les puissances européennes. Ce n’est donc pas un hasard si pour de nombreux politiciens plus âgés qui se sont exprimés avant le sommet, l’Europe – comme l’a dit Spiegel Online– « reste une question de guerre et de paix, et non pas d’euros et de centimes. » Ils ont instamment mis en garde contre un échec du sommet d’urgence à Bruxelles.

Le sommet n’a pas résolu la crise mais l’a simplement différée. Il a même exacerbé les problèmes sous-jacents.

Les participants ont adopté un deuxième plan d’aide de prêts prévu de longue date pour la Grèce à hauteur de plus de 109 milliards d’euros et qui, comme le premier, est lié à des mesures d’austérité drastiques. Afin de faciliter son remboursement, le taux d’intérêt pour la dette du gouvernement grec a été baissé de 4,5 à 3,5 pour cent et les conditions du prêt ont été prolongées de sept ans et demi pour passer à une durée entre 15 et 30 ans.

Les pouvoirs du Fonds de sauvetage européen (EFS) ont été étendus ; à l’avenir il acquerra des obligations sur le marché en assistant de manière préventive les pays vulnérables. Toutefois, le volume total de ses ressources ne sera pas augmenté.

Les participants au sommet ont fait tout un battage sur l’implication des créanciers privés dans la dette grecque. L’ampleur de leur implication est fixée à 50 milliards d’euros d’ici 2014. Mais, un examen plus approfondi révèle qu'il s'agit d'une supercherie. Il est permis aux banques, aux compagnies d’assurance et autres créanciers privés de rembourser leurs obligations grecques en encourant une petite perte de 20 pour cent en moyenne ou bien ils peuvent échanger leurs titres de dette contre de nouvelles obligations à long terme dont le remboursement est garanti par l’UE. De cette manière, ils peuvent vendre leurs obligations grecques à un prix se situant largement au-dessus de la valeur de marché actuelle. Tous les risques futurs sont rejetés sur la population.

Grâce aux mesures adoptées à Bruxelles, qui contiennent encore beaucoup d’ambiguïtés et d’incertitudes, la dette du gouvernement grec de 350 milliards d’euros ne sera réduite que de 26 milliards d’euros – une goutte d’eau dans la mer.

L’Irlande et le Portugal, qui sont également fortement endettés, bénéficieront aussi d’une réduction des taux d’intérêt de la part du fonds de sauvetage, mais une participation des banques est expressément réservée à la Grèce. Aucune disposition n’est prévue pour l’Espagne et l’Italie bien que les taux d’intérêt de leurs obligations aient enregistré un bond la semaine passée et que les dettes de ces deux pays soient considérées être un problème central de la crise de l’euro.

Ce n’est, dès lors, qu’une question de temps avant que la pression ne s’accroît sur l’euro et que les chefs des gouvernements soient obligés de se réunir à nouveau en un sommet d’urgence.

La question quant aux causes qui sous-tendent la crise de la dette n’a pas été abordée au sommet, et n’a, à plus forte raison, pas trouvé de réponse. Les politiciens et les médias ressassent à satiété que la crise est la conséquence d’une gestion financière douteuse et que les pays touchés « vivaient au-dessus de leurs moyens. »

En fait, la crise de la dette est la conséquence du pillage systématique des caisses de l’Etat et de l’enrichissement de la classe supérieure aux dépens des travailleurs. Pendant trois décennies, la taxation des sociétés, des hauts revenus et de la fortune n'a cessé d'être réduite. Des milliards d’euros avec lesquels les pertes spéculatives des banques ont été compensées après la crise financière de 2008 ont eu raison des finances publiques.

Mais, ce ne sont pas les ressources qui manquent en Europe pour régler les dettes. L’augmentation rapide de la richesse privée d’un certain nombre de millionnaires le montre et elle ne cesse de croître malgré la crise. Selon le World Wealth Report, qui est compilé par la banque d’investissement américaine Merrill Lynch, il y avait quelque 3,1 million de millionnaires en Europe en 2007 et qui ensemble possèdent une fortune totale de 10,6 mille milliards de dollars (7,5 mille milliards d’euros). L’instauration d’un impôt spécial de seulement 4,7 pour cent sur cette fortune pourrait effacer d’un coup l’ensemble de la dette publique grecque.

Cette richesse est en rapide augmentation, même en période de crise financière. Selon la Bundesbank, rien qu’en Allemagne, le montant des fortunes privées a augmenté au cours des cinq derniers trimestres en tout de 350 milliards d’euros – soit précisément le montant total exact de la dette grecque. Et ce, malgré le fait que les revenus moyens stagnent depuis dix ans et que les bas revenus ont baissé. La richesse se concentre presque exclusivement dans les dix pour cent au sommet de la société qui détiennent plus de 60 pour cent de la richesse totale.

Mais ces avoirs sont intouchables pour les gouvernements de la zone euro. Même un prélèvement bancaire, exigé pour des motifs tactiques par le président Sarkozy, a été catégoriquement refusé à Bruxelles. Les dirigeants réunis se sont même servis de la crise pour accélérer la redistribution de la richesse sociale. Le sommet d’urgence à Bruxelles a salué les plans d’austérité en Espagne et en Italie en insistant pour dire que le déficit budgétaire de tous les pays de la zone euro devait passer en dessous de 3 pour cent d’ici 2013, ce qui signifie ainsi d’avantage de coupes drastiques dans les dépenses sociales.

Ce sont avant tout les partis bourgeois de « gauche » – les sociaux-démocrates, les Verts et les anciens staliniens – qui insistent sur la nécessité d’imposer des attaques supplémentaires contre les travailleurs. Ils se présentent en sauveurs de l’unité européenne, bien que leur conception de « sauver l’Europe » soit synonyme de rigueur sans fin.

En Grèce, la victoire du parti social-démocrate PASOK était la condition préalable à un plan d’austérité qui réduira d’ici 2015 de 40 pour cent les niveaux de vie des travailleurs et des retraités. En Italie, le président Giorgio Napolitano, âgé de 86 ans et qui est un ancien cadre du Parti communiste stalinien, est en train de veiller à que l’opposition de centre-gauche soutienne le dernier plan d’austérité du gouvernement Berlusconi et qui cible presque exclusivement les moyens et bas revenus.

En Allemagne, le Parti social-démocrate (SPD) a proposé son soutien au gouvernement Merkel afin d’adopter des mesures impopulaires pour gérer la crise de l’euro. Et, dans Spiegel-Online, le dirigeant du Parti des Verts, Cem Ördemir, a loué le premier ministre grec Papandreou pour avoir introduit ses mesures d’austérité malgré la résistance populaire.

Dans les années 1920, Léon Trotsky avait souligné que la bourgeoisie européenne était incapable d’unir l’Europe dans l’intérêt de son peuple. Le système capitaliste, fondé sur la propriété privée, sur l’exploitation, sur l’enrichissement personnel et les intérêts nationaux, est incapable de garantir une coexistence harmonieuse et solidaire entre les peuples européens. Cette appréciation est absolument confirmée de nos jours.

Les débats entre les partis bourgeois de droite et de « gauche » sur le moyen de sortir de la crise oscillent entre le nationalisme flagrant d’un côté et le « sauver l’Europe » en ruinant sa population, de l’autre. Comme dans les années 1930, les deux voies mènent au déclin social, à la dictature et à la guerre.

La classe ouvrière ne peut s’assujettir à aucun de ces camps ; elle doit lutter pour sa propre réponse à la crise – la réorganisation de l’Europe sur une base socialiste. Les grands groupes financiers doivent être expropriés et placés sous contrôle démocratique ; les biens des ultra-riches doivent êtres fortement taxés ou confisqués. Sur cette base, il sera possible de résoudre la crise actuelle, de surmonter la fracture sociale en Europe et d’utiliser ses vastes ressources dans l’intérêt de l'ensemble de la société.

L’alternative à la balkanisation de l’Europe en Etats-nations belligérants et de la dictature du capital financier et de ses institutions à Bruxelles ce sont les Etats socialistes unis d’Europe.

(Article original paru le 23 juillet 2011)

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