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Le procureur de Manhattan abandonne les poursuites contre Dominique Strauss-Kahn

Par David Walsh
29 août 2011

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A la demande des juges du bureau du procureur de Manhattan, un juge de la Cour suprême de New York a rejeté mardi les charges d’agression sexuelle contre Dominique Strauss-Kahn

Strauss-Kahn, ancien directeur du Fonds monétaire international (FMI) et figure influente du Parti socialiste français, avait été arrêté le 14 mai suite à une plainte déposée auprès de la police de New York par une femme de chambre de l’hôtel de luxe Sofitel. Strauss-Kahn avait ensuite été obligé de démissionner de son poste au FMI et de laisser tomber la campagne prévue pour sa nomination de candidat du Parti socialiste, l’un des deux principaux partis bourgeois en France, à l’élection présidentielle.

Se fondant uniquement sur une déclaration de la victime présumée, le procureur Cyrus Vance Jr et son bureau avaient fait descendre Strauss-Kahn d’un avion, l’avait soumis au traitement dégradant du « perp » (l’accusé paradé menottes aux poignets), entre autres humiliations, et l’avait inculpé et incarcéré. Par la suite ils s'étaient prononcés contre une libération sous caution et l’avaient assigné à résidence 24 heures sur 24 muni d’un bracelet électronique et sous la surveillance de gardes armés.

Les médias américains, menés par le New York Times, s'étaient saisis de l’affaire et avaient œuvré assidument pour condamner Strauss-Kahn dans l’opinion publique. Maureen Dowd, du journal Times, avait écrit un article particulièrement absurde et repoussant, « Puissant et primitif, » tenant la culpabilité du politicien français pour acquise.

La « gauche » traditionnelle américaine avait fait de même. Katha Pollitt du magazine Nation et Sherri Wolf du Socialist Worker n’ont pas montré la moindre préoccupation pour les droits démocratiques et notamment la présomption d’innocence. La culpabilité de Strauss-Kahn ne répondait que trop bien à leur programme petit bourgeois pour que des faits, ou l'absence de faits, soient un obstacle. Bien sûr, l’on ne peut espérer de la part de ces individus peu scrupuleux aucune rétraction, ni compte rendu honnête de leurs positions.

Le dossier Strauss-Kahn a commencé à s’effondrer fin juin lorsque les procureurs ont été obligés de prendre acte des contradictions dans les déclarations faites par la victime présumée, Nafissatou Diallo, une immigrée guinéenne de 32 ans, ainsi que des nombreux mensonges qu’elle leur avait racontés. Dans un effort pour sauver un tant soi peu leur procès et sans aucun doute pour sauver la face, les procureurs ont étiré en longueur les poursuites judiciaires pendant sept semaines supplémentaires. Maintenant le dossier s'est effondré ignominieusement. Le rapport de 25 pages soumis lundi par le bureau du parquet est un désaveu extraordinaire du dossier qu'ils avaient monté.

Après l’épisode de la mi mai, le procureur Vance avait publié divers communiqués concernant l’affaire Strauss-Kahn. Le 16 mai, par exemple, son communiqué de presse avait débuté ainsi, « Selon les documents enregistrés auprès du tribunal le 14 mais 2011, Strauss-Kahn a fermé la porte de sa chambre d’hôtel, empêchant ainsi la victime, un membre du personnel de nettoyage de l’hôtel, de sortir. »

Trois jours plus tard, Vance déclarait, « Le grand jury, entité indépendante composée de jurés impartiaux, a examiné le dossier présenté par les procureur de mon service et l’a estimé suffisant pour enregistrer un acte d’accusation. Selon la loi américaine, ces accusations sont extrêmement graves, et sont fondées sur la détermination du Grand Jury que les preuves soutiennent l'accusation d'actes sexuels non-consentis et forcés. »

L’on a le sentiment d’être en droit de demander, quels « documents » et quel « dossier », mis à part les affirmations non vérifiées de la victime présumée ? Que l’action engagée contre Strauss-Kahn soit politiquement motivée ou non, ou ait pris ce caractère une fois lancée, la conduite procédurale de cette affaire a été scandaleuse. Elle aide à mettre en lumière la manière dont le « système judiciaire » américain opère au quotidien, en violation flagrante des principes démocratiques fondamentaux.

Diverses voix, avisées après coup, suggèrent à présent plutôt timidement que le bureau de Vance a agi incorrectement. Ecrivant dans le New Yorker, Jeffrey Toobin, avocat et analyste juridique remarque, « Il apparaît clairement, rétrospectivement, que les procureurs se sont empressés d’inculper Strauss-Kahn alors qu’ils auraient dû prendre plus de temps pour enquêter beaucoup plus minutieusement sur les faits. »

Le New York Times écrivait mardi, « Certaines personnes ont critiqué le bureau de M. Vance pour avoir trop rapidement inculpé M. Strauss-Kahn, au lieu d’arranger une liberté sous caution qui aurait permis aux procureurs de disposer de plus de temps pour enquêter avant de décider de la marche à suivre.

« Alors qu’un cours plus délibératif aurait pu avoir le même résultat final, il aurait pu contribuer à éviter les déclarations hâtives de l’accusation selon lesquelles le dossier était solide, Mme Diallo crédible et qu'elle avait donné une version « inébranlable ».

Comme Toobin le déplore à présent, il s’est avéré que Mme Diallo « a menti à maintes reprises – sur les faits du dossier Strauss-Kahn, sur son passé, sur sa situation financière, sur à peu près tout. »

Dans son argumentaire communiqué le 22 août, le bureau du procureur de Manhattan reconnaît qu’alors qu’une « relation sexuelle hâtive » a eu lieu le 14 mai au Sofitel, il n’y a pas de preuve qu’elle « ait été imposée » ou qu’elle ait été non consentie, mis à part le témoignage de la plaignante. « Le dossier ne peut reposer que sur le témoignage de la plaignante lors d’un procès, » poursuit-il. Cherchant à dissimuler leur propre conduite, les auteurs de la déclaration affirment, « Au moment de l’inculpation, toutes les preuves disponibles nous ont laissé penser que la plaignante était fiable. » Avec quel degré de détermination les procureurs ont-ils examiné la question de sa fiabilité ?

Comme le souligne le document, Diallo peut difficilement être tenue pour un « modèle » de fiabilité. « Au contraire, nous sommes confrontés à une situation dans laquelle est apparu de plus en plus clairement que la crédibilité de la plaignante ne résistait même pas à l’évaluation la plus rudimentaire. » Le document poursuit de manière dévastatrice en disant : « Au cours pratiquement de chaque entretien important avec les procureurs et en dépit de suppliques de dire tout simplement la vérité, elle n'a pas dit la vérité, que ce soit sur des détails ou sur des faits importants, sur beaucoup de choses se référant à son passé et certaines choses concernant les circonstances même de l’incident. »

Diallo a, par exemple, donné trois versions différentes de ses faits et gestes après l’agression présumée. Dans la version initiale, elle a affirmé s’être enfuie de la chambre de Strauss-Kahn pour aller au bout du couloir de l’hôtel où elle a rencontré son supérieur. Le 28 juin, elle a reconnu « avoir fait aux procureurs pour la première fois une fausse déclaration sur des questions clé et avoir menti lors de son témoignage [sous serment] devant le grand jury. » A présent, elle affirme être allée directement dans une autre chambre finir de la nettoyer. Toutefois, une vérification des cartes électroniques de nettoyage remet en question ce compte rendu, étant donné qu’elle est restée moins d’une minute dans l’autre chambre.

Le 27 juillet, elle a affirmé aux mêmes procureurs qu’elle n’avait en fait pas fait les déclarations du 28 juin, « et a déclaré qu’elles avaient dues être mal traduites par l’interprète ou mal comprises par les procureurs… Mais, ce qui est grave, c’est que son empressement à nier avoir fait de telles déclarations devant les personnes mêmes qui l’ont entendu les faire le 28 juin met en doute sa crédibilité à un niveau fondamental. » Les procureurs regrettent que « les versions divergentes rendent difficiles de déterminer ce qui s’est vraiment passé dans le laps de temps crucial… et nous ne sommes pas certains que la plaignante dirait la vérité si elle devait témoigner au procès. »

L’argumentaire a également qualifié de « fatal » le fait que Diallo ait menti sur un autre viol supposé aux mains d’un groupe de soldats dans son pays d’origine. « En ces deux occasions [lorsque Diallo avait décrit aux procureurs l’incident antérieur présumé], la plaignante avait fait le récit du viol avec beaucoup d’émotion et de conviction. » Elle a par la suite admis avoir menti à ce sujet parce qu’elle l’avait mentionné dans sa demande initiale d’asile politique aux Etats-Unis. « Il est clair que dans un cas où une plaignante accuse un inculpé d’agression sexuelle, le fait qu’elle ait préalablement donné un compte rendu falsifié d’une agression sexuelle différente est extrêmement important… Mais ce qui est le plus significatif, c’est sa capacité à raconter une situation fictive comme s’il s’agissait d'un fait réel avec une totale assurance. »

L’argumentaire continue en énumérant de nombreuses fausses déclarations de Diallo, dont certaines faites sous serment. Il remarque entre autres qu’« en réponse à des questions de routine de la part de procureurs concernant ses sources de revenu, la plaignante a omis de divulguer un certain nombre de dépôts de fonds – totalisant près de 60.000 dollars – qui avaient été faits sur son compte bancaire par d’autres personnes dans quatre Etats différents. » Son fiancé avait été condamné dans l’Arizona pour possession de marijuana dans l’intention de la vendre, après avoir versé à des policiers infiltrés 36.500 dollars pour une grande quantité de drogue.

Il y a également la question de sa conversation téléphonique avec ce fiancé incarcéré durant laquelle « la possibilité de récupérer de l’argent en relation avec l’incident du 14 mai 2011 a été mentionnée. » Dans une remarque en bas de page, l’argumentaire souligne que le 8 août, « la plaignante avait intenté une action au civil contre l’inculpé pour l’obtention de dommages et intérêts. »

En ce qui concerne les preuves matérielles, comme il a été noté précédemment, l’argumentaire constate qu’alors qu’un rapport sexuel a eu lieu le 14 mai, « Cela ne démontre toutefois pas que ce rapport était forcé ou non consenti, et cela ne peut corroborer le récit de la plaignante concernant l’incident. »

Nous fournissons toutes ces précisions pour souligner la minceur du dossier dont dispose le parquet. Cela frise la naïveté de croire que bon nombre de ces faits n’auraient pas pu être rapidement découverts par le bureau du procureur de Manhattan. Vance et ses associés poursuivaient de toute évidence des objectifs politiques.

L’attitude de Diallo et de ses associés n’est pas la question cruciale. Cela s'est tout simplement transformé en une occasion pour une opération politico judiciaire réactionnaire. Les questions liées à l’état de délabrement de la société américaine et des affaires géopolitiques mondiales sont bien plus importantes.

Les événements du 11 septembre ont fourni aux autorités aux Etats-Unis un prétexte pour accélérer de manière spectaculaire les assauts contre les droits démocratiques. L’ensemble de l’establishment politique américain, y compris ses éléments libéraux et même de «gauche » ont viré vers la droite. Il n'y a quasiment pas le moindre souci pour les droits démocratiques dans le discours politique officiel. L’affaire Strauss-Kahn est devenue une occasion de plus de piétiner les normes constitutionnelles élémentaires, sous la forme d’un scandale sexuel médiatisé de façon titillante, voire fabriqué, et qui est, de nos jours, la façon de faire privilégiée.

De plus, bien que Strauss-Kahn soit un politicien bourgeois français conventionnel, pleinement engagé dans la défense du capitalisme, sa politique n’était pas nécessairement dans la logique de celle poursuivie par le gouvernement Obama ou Wall Street. Il a fait l'objet d'un non-lieu plus d’un mois après son remplacement à la tête du FMI par une autre figure politique française, Christine Lagarde, plus alignée sur la politique du président français de droite, Nicolas Sarkozy, et saluée par Washington. Une fois de plus, l’indignation manipulée concernant une inconduite sexuelle supposée a contribué à occulter un processus par lequel des changements significatifs ont pu être apportés à une institution majeure et ayant un impact potentiel pour un grand nombre de personnes.

Le WSWS avait dès le début fait connaître ses inquiétudes quant aux questions soulevées par l’incident Strauss-Kahn. Le 19 mai nous écrivions : « Le World Socialist Web Site insiste sur la présomption d’innocence et d'autres droits démocratiques fondamentaux… Les personnes politiquement à gauche qui croient bêtement que le sort de Strauss-Kahn est une question qui laisse indifférent – voire même qui devrait être accueilli comme un juste châtiment pour sa richesse personnelle et ses péchés politiques – ne comprennent rien à l’importance des droits démocratiques. De plus, il convient de faire remarquer que les convictions socialistes ne se fondent pas sur une vengeance mesquine. »

A voir aussi:

Les questions sérieuses soulevées par l’affaire Dominique Strauss-Kahn [20 mai 2011]

La« gauche »américaine et l’affaire Strauss-Kahn [30 mai 2011]

(Article original paru le 24 août 2011)

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