En campagne électorale, le Parti conservateur de Stephen Harper a cherché
à limiter les dégâts cette semaine après une fuite d'un rapport préliminaire
de Sheila Fraser, la vérificatrice générale du Canada.
Le rapport porte sur l’usage d’un milliard de dollars en fonds fédéraux
ayant servi à l'organisation du sommet du G8 en Ontario et la conférence du
G20 à Toronto l’année dernière. La sortie du rapport final a été constamment
reportée par le gouvernement conservateur tandis qu’il se préparait à entrer
en campagne électorale fédérale, maintenant en cours.
Le rapport critique le gouvernement pour avoir utilisé 50 millions d’un
fonds de 83 millions destiné à réduire la congestion le long de la frontière
canado-américaine pour 32 projets électoralistes dans la circonscription du
centre de l’Ontario d’un ministre du cabinet conservateur. Non seulement les
dépenses n’avaient rien avoir avec le problème de congestion à la frontière
(qui se trouve à plusieurs centaines de kilomètres de là), elles n’avaient
en fait rien à voir avec les préparations du sommet du G8 lui-même.
Au contraire, les enquêtes préliminaires suggèrent que les projets
choisis avaient pour but d’améliorer les perspectives électorales des
conservateurs dans la région. Des améliorations en aménagement paysager, un
belvédère de 100 000 dollars, des toilettes publiques et des améliorations
dans le district central des affaires situés jusqu’à cent kilomètres du site
du sommet, ont été critiquées dans le rapport.
En détournant les fonds de l'infrastructure frontalière et en dissimulant
leur véritable affectation au parlement, le gouvernement « a créé un manque
de transparence sur l’objectif de la demande de financement, et à notre
avis, le Parlement n’a pas eu une explication claire de la nature de
l'approbation recherchée », a écrit Fraser. « Ce problème, poursuit la
vérificatrice générale, soulève des questions juridiques plus larges liées à
l'utilisation de fonds alloués par le gouvernement... À notre avis, le
Parlement a été mal informé ».
En outre, Fraser a remis en cause le processus par lequel les projets ont
été sélectionnés. Elle n’a pu trouver aucune recommandation de la part des
divers ministères sur les projets à être financés, et a découvert
qu'« comité local de liaison et de mise en oeuvre du G8 », composée du
député de la région et ministre de l’Industrie Tony Clement, du maire de
Huntsville et du directeur général du centre qui a accueilli le sommet, a
choisi les projets avant même de faire parvenir les recommandations au
ministre des Transports conservateur John Baird pour l’approbation finale.
Lundi, Harper a été placé encore plus sur la défensive lorsqu’une lettre
écrite aux conservateurs par Fraser les fustigeait pour avoir malhonnêtement
utilisé une déclaration qu’elle a faite. Alors qu’elle félicitait le
précédent gouvernement libéral pour la façon dont il avait répondu aux
problèmes de la frontière après les attaques du 11 septembre 2001, la lettre
a été utilisée pour montrer qu’elle félicitait les gestes des conservateurs
lors du sommet du G8 de l’année dernière.
Les partis de l’opposition, le Parti libéral, le Nouveau Parti démocrate
et le Bloc québécois ont immédiatement condamné le gouvernement, citant le
rapport de financement divulgué comme un autre exemple de toute une série de
pratiques antidémocratiques du gouvernement Harper. Le gouvernement Harper
a, entre autres, persécuté des fonctionnaires qui ont soulevé des questions
sur des politiques spécifiques, a caché le véritable coût de dépenses
majeures comme l’avion de chasse F-15 et a modifié d'importants documents
après leur approbation officielle.
En fait, c’est un vote de défiance des partis de l’opposition portant sur
le refus du gouvernement de répondre à la demande du parlement, qui
souhaitait obtenir les chiffres concernant le coût de multiples mesures de
type loi et ordre, qui a précipité l’élection actuelle. Par ce vote, pour la
première fois dans l’histoire du Canada, un gouvernement a été coupable
d'« outrage au Parlement ».
Harper et les conservateurs ont certainement violé les règles
parlementaires et, adoptant des méthodes de gouvernance de plus en plus
autoritaires, ont tenté d’étendre les pouvoirs de l’exécutif. Mais de cela,
les partis de l’opposition sont aussi responsables, car ils ont accepté et
même adopté le tournant abrupt vers la droite sous la gouverne du
gouvernement conservateur. Ils ont choisi de faire du refus des
conservateurs de rendre rapidement certaines estimations de coût une
question majeure. Ils ont fait ce choix pour mieux laisser de côté les deux
sinistres prorogations du Parlement par les conservateurs pour échapper à
des difficultés politiques, leur dissimulation du rôle de l’armée canadienne
dans la torture en Afghanistan ou bien le violent assaut des forces de
sécurité policières lors du sommet du G20 à Toronto en juin dernier.
Maintenant, à mi-chemin dans la campagne électorale fédérale, les partis
de l’opposition tentent de se faire du capital politique à partir des
dernières arnaques parlementaires de Harper, mais ils demeurent silencieux
sur les deux « coups » parlementaires orchestrés par Harper lorsqu’il a
fermé le parlement, un geste jugé illégal par toute une série d’experts en
droit et de spécialistes des questions constitutionnelles.
Ayant l'opportunité d'aborder encore une fois le thème du G8 et du G20,
il ont cependant refusé de soulever la question de l'appui retentissant du
gouvernement pour la répression policière exercée lors des deux sommets en
Ontario l'an dernier. Lorsque les dirigeants participant au sommet ont
quitté leur retraite dans les bois pour se rendre à Toronto, environ 18 000
policiers provenant de l'ensemble du pays avaient déjà « imposé l'ordre » au
centre-ville de Toronto, plusieurs jours avant le début des manifestations.
Des méthodes telles que l'érection de clôtures de fil barbelé,
l'intervention d'unités canines et la pratique agressive de fouilles
aléatoires ont été déployées contre les jeunes et les travailleurs
s'adonnant à leurs activités quotidiennes sans lien avec les manifestations.
Dans la semaine qui a suivi le sommet, 1100 personnes ont été arrêtées,
battues et incarcérées, dans ce qui a été la plus grande rafle de
manifestants (et de simples passants) dans l'histoire du pays.
L'abolition par la police des droits démocratiques dans les rues de
Toronto — facilitée et soutenue à tous les niveaux du gouvernement — a
choqué de larges couches de la population. Des manifestants ont été roués de
coups pieds et de coups de matraque, attaqués au gaz lacrymogène, piétinés
par la police à cheval et atteints par des balles de caoutchouc et de
plastique. Même avant le début des manifestations, des logements ont été
pris d'assaut au milieu de la nuit, sans que des mandats soient présentés,
dans une série d'« arrestations préventives ».
Des journalistes faisant la couverture de ces événements sans précédent
ont été interpellés et brutalisés. Ceux qui ont été arrêtés ont été placés
de force dans des cages primitives et fouillés à nu, et on leur a refusé
l'accès à toute aide juridique. À la suite du sommet, l'administration
municipale de Toronto, dirigée par un maire ayant des liens avec le Nouveau
Parti démocratique et soutenue par des conseillers de toutes les
orientations politiques, a voté à l'unanimité pour applaudir les actions de
la police.
Le refus de tous les partis politiques de soulever les questions les plus
fondamentales dans l'élection actuelle ne se limite pas qu'à ces événements
et il met à nu le caractère hypocrite du langage enflammé employé durant les
débats électoraux. Tandis que le pays est impliqué dans deux guerres, en
Afghanistan et en Libye, l'accord de tous les partis sur les déploiements
militaires fait en sorte que pas un mot n'a été dit sur la question, et ce,
malgré le fait qu'une majorité de la population du Canada s'oppose à
l'intervention militaire dans les deux pays opprimés.
De même, tous les chefs politiques sont tout à fait d'accord que le
budget fédéral doit être « équilibré » et que cela implique d'autres coupes
dans les emplois de la fonction publique et dans les programmes sociaux. Les
énormes baisses d'impôts et les sauvetages accordés aux sociétés et aux
banques au cours de la récente période ne peuvent aucunement être
contestées, si ce n'est qu'avec de belles paroles superficielles.
La tempête actuelle à propos des irrégularités parlementaires joue un
rôle important pour l'establishment politique. Afin de garder les questions
essentielles qui préoccupent les travailleurs en dehors du débat électoral,
tous les partis d'opposition au gouvernement Harper sont plus que contents
dans cette campagne de se ranger derrière le thème de la « confiance ».