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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Un bombardement intensifié et des « conseillers » miliaires sur le terrain

La Grande-Bretagne et la France intensifient la guerre en Libye

Par Patrick Martin
22 avril 2011

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La Grande-Bretagne et la France, les deux puissances européennes qui sont le fer de lance de la guerre contre la Libye, sont en train de franchir un nouveau pas vers une escalade de l’intervention militaire. William Hague a annoncé mardi que jusqu’à 20 officiers militaires britanniques se rendaient à Benghazi pour diriger les forces luttant contre le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. La France a déployé des capacités aériennes supplémentaires dont le porte-avions Charles de Gaulle.

La décision britannique est la plus fatidique car qu’elle donne un signal clair selon lequel les puissances de l’OTAN, y compris les Etats-Unis, seront en fin de compte obligées d’envoyer des troupes terrestres au cas où la campagne de frappes aériennes et les attaques mal organisées des rebelles ne réussissent pas à évincer Kadhafi.

Il y a eu des rapports contradictoires concernant les conseillers; le journal britannique The Guardian les a décrits comme étant « une équipe militaire franco-britannique conjointe », tandis que d’autres agences d’informations ont dit qu’il s’agissait de Britanniques uniquement. L’équipe franco-britannique conseillera les rebelles sur la collecte de renseignement, de la logistique et des communications. Une indication qui témoigne de la gravité de la décision est que l’équipe sera dirigée à partir d’un quartier général inter-armée… » En d’autres termes, des officiers de l’OTAN, et non pas le groupe croupion d’anciens agents de la CIA, de Kadhafi et d’Al Qaïda, exerceront véritablement le commandement et le contrôle des opérations des soi-disant « rebelles. »

Le ministre britannique des Affaires étrangères, Hague, s’est employé à nier l’évidence – que l’envoi des officiers de l’OTAN était un pas important sur la voie menant logiquement et inexorablement à l’invasion de la Libye par les puissances impérialistes.

Se référant à la nouvelle mission britannique, il a dit, « Ils conseilleront le Conseil national de transition (CNT) sur la manière d’améliorer les structures d’organisation militaires, les communications et la logistique, y compris sur la manière de mieux distribuer l’aide humanitaire et de procurer l’assistance médicale. »

Malgré les références aux fonctions de non combattant, l’arrivée des officiers britanniques signifie une conversion officielle de la force « rebelle » en une opération militaire dirigée par les impérialistes et l’abandon de tout prétention que le conseil sis à Benghazi représente une résistance indigène au régime Kadhafi.

Les « rebelles » ne sont guère plus indépendants des puissances impérialistes que l’Alliance du Nord en Afghanistan qui avait été utilisée en 2001 par le gouvernement Bush pour chasser les Taliban et pour établir un régime fantoche qui a encore à sa tête quelqu’un nommé par les Etats-Unis, le président Hamid Karzaï.

Hague n’a pas expliqué comment les responsabilités de collecte de renseignement – obligatoirement liés à la direction des opérations sur le terrain et au ciblage des frappes aériennes de l’OTAN – pourraient cadrer avec sa présentation de la mission comme étant purement humanitaire.

Il a affirmé, « Ce déploiement est pleinement conforme aux termes de la résolution UNSCR 1973, à la fois en fonction de la protection des civils et aux dispositions excluant expressément une force d’occupation étrangère sur le sol libyen. Conformément à nos obligations en vertu de cette résolution, nos officiers ne seront pas impliqués dans la formation ou l’armement des forces combattantes de l’opposition. Ils ne seront pas non plus impliqués dans la planification ou l’exécution des opérations militaires du CNT ou dans la fourniture de toute autre forme de conseil opérationnel militaire. »

Seuls ceux qui sont désespérément naïfs ou volontairement aveugles peuvent croire de telles sottises évidentes. Les officiers militaires britanniques ne sont pas l’Armée du salut. Leur métier est de planifier et d’exécuter des missions de combat. Ils vont à Benghazi non pas pour tenter de remédier à une crise humanitaire – il n’y en a pas dans cette ville qui est bien pourvue en denrées alimentaires et en fournitures médicales, et qui n’est pas attaquée militairement – mais pour parer à l’incapacité militaire évidente des forces anti-Kadhafi qui ne disposent ni de compétences techniques ni de discipline de combat.

Le régime Kadhafi a rejeté avec mépris la déclaration de Hague. Le vice-ministre libyen des Affaires étrangères, Khaled Kaïm, a dit lors d’une conférence de presse à Tripoli, « S’il y a un quelconque déploiement de quelque personnel armé que ce soit sur le sol libyen, il y aura des combats. Le gouvernement libyen ne considérera pas cela comme une mission humanitaire, mais comme une mission militaire. »

La décision britannique pourrait bien être destinée à provoquer une telle réaction. Au cas où les officiers britanniques seraient visés par les tirs des troupes de Kadhafi, l’OTAN est susceptible de s’en servir comme d'un casus belli (cas de guerre) pour justifier le déploiement de forces terrestres au nom de la « légitime défense » pour la mission « humanitaire. »

L’annonce par Hague du déploiement d’officiers britanniques à Benghazi a suscité un débat dans la presse capitaliste britannique sur la logique de l’escalade.

L’ancien ministre britannique des Affaires étrangères, David Owen, à présent pair libéral, a, en écrivant dans le Times de Londres, réclamé publiquement la création de « zones sûres » selon le modèle d’interventions impérialistes précédentes en Bosnie et dans la région kurde de l’Irak, à commencer par une zone d’exclusion autour de Misrata. « Tout comme Benghazi a été sauvé en l’espace de quelques heures, Misrata doit l’être aussi, » a-t-il écrit. « Nous ne disposons probablement que de quelques jours. »

En écrivant dans le Guardian, le chroniqueur Simon Tisdall a fait remarquer, « En suggérant que Benghazi, sur le point d’être détruit le mois dernier par les forces de Kadhafi, aurait été un nouveau Srebenica sans l’intervention, les alliés doivent à présent, logiquement, proposer le même niveau de protection à Misrata et dans d’autres villes. Ceci ne pourra être obtenu que par une intervention sur le terrain.

Dans une déclaration citée par la presse britannique, Lord Dannatt, ancien chef d’état major des armées britanniques, a décrit l’envoi de conseillers militaires comme étant « une nouvelle démarche entièrement logique pour atteindre des objectifs légitimes. » En réfutant les critiques de certains députés britanniques à l’encontre de la décision, il a ajouté, « Certains diront toujours ‘dérive de mission’, mais [la Grande-Bretagne devrait] interpréter le mandat de l’ONU de façon large pour éviter un effondrement de la mission. »

Eviter « l’effondrement de la mission » est le motif principal de l’intensification du bombardement de la Libye, qu’ont accepté vendredi dernier à Berlin les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN. Selon des rapports de presse, des commandants de l’OTAN ont révélé que le bombardement était élargi. Il ne s'agit plus uniquement des cibles militaires ouvertes tels les chars et l’artillerie, mais on inclut à présent les systèmes de communication et même les échanges téléphoniques, au nom de la frappe contre des installations « de commande et de contrôle. »

Dans cette logique, toute installation qui pourrait être utilisée à des fins de communication entre le gouvernement libyen à Tripoli et ses forces armées n’importe où dans le pays est la cible de bombes et de missiles.

Les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN ont entendu l’appel en faveur d’avions de combat supplémentaires pour compléter ceux mobilisés par la France, la Grande-Bretagne, le Canada, le Danemark, la Norvège et la Belgique, les six pays engagés dans la guerre aérienne en Libye. Les responsables de l’OTAN ont dit à la presse que la France a pris la relève en fournissant des avions de combat supplémentaires, en rapprochant le porte-avions Charles de Gaulle de la côte libyenne et en plaçant ses avions sous le commandement de l’OTAN.

La Grande-Bretagne a renforcé son rôle dans la guerre aérienne avec le sous-marin nucléaire HMS Triumph qui a tiré lundi et mardi des missiles de croisière sur des cibles libyennes. La Grande-Bretagne a aussi fourni du matériel de guerre aux forces anti-Kadhafi, dont 1.000 gilets pare-balles et 100 téléphones par satellite.

Le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, a dit que l’OTAN envisagerait aussi d'envoyer de l’équipement technique tels des radars et des appareils d’interception des communications.

Dans une interview accordée mardi à Al Jazeera (en anglais), la chef de la politique étrangère de l’Union européenne, Catherine Ashton, a confirmé que l’UE avait officiellement proposé de dépêcher 1.000 soldats à Misrata, la troisième plus grande ville de la Libye, qui est détenue par l’opposition mais qui est assiégée par les troupes de Kadhafi. Elle a dit qu'il fallait juste une demande des représentants des Nations-Unies responsables des opérations de secours à Misrata.

Ce n'est pas la même chose qu'un nouveau mandat du Conseil de sécurité de l’ONU où la Russie et la Chine n’autoriseraient vraisemblablement pas le déploiement de troupes terrestres de L’OTAN en Libye. Un conseiller du gouvernement russe, Azhdar Kurtov, de l’Institut russe de la recherche stratégique, a accusé la France d’intensifier la guerre parce qu’elle n’a pas réussi à évincer Kadhafi.

« Kadhafi reste fermement au pouvoir, » a-t-il dit. « Le coût des opérations augmente chaque jour qui passe et ceci pousse Paris à recourir à d’autres méthodes pour mener la guerre anti-Kadhafi. »

Le général de brigade Mark van Uhm, chef des opérations interalliées de l’OTAN, a dit que les frappes aériennes avaient détruit plus de 40 chars et nombre de véhicules blindés de transport de troupes mobilisés par les forces pro-Kadhafi. Il a dit que plus de 30 pour cent des forces de Kadhafi avaient été « éliminées », évaluation qui suggère que le bombardement a tué des milliers sinon des dizaines de milliers de soldats libyens et de membres de la milice – un bilan humain qui éclipse même les affirmations les plus invraisemblables concernant le nombre de victimes civiles provoquées par la guerre civile.

 

(Article original paru le 20 avril 2011)

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