L'empressement des puissances européennes à se joindre presque toutes à
la guerre impérialiste contre la Libye est un événement qui fera date dans
la vie politique du continent.
Le 20 janvier 2003, le ministre français des Affaires étrangères,
Dominique de Villepin avait dit à propos de l'Irak : « Nous croyons que
l'intervention militaire serait la pire des solutions. » Paris avait voté
contre la guerre au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Comme en Allemagne qui s'était aussi opposée à la guerre, on avait
assisté, en France, au spectacle affligeant de soi-disant meneurs du
mouvement contre la guerre, parmi les groupes de "gauche" et les
socio-démocrates de gauche, saluant l'Europe comme un contrepoids au
militarisme américain, et allant même jusqu'à scander des « Vive la France !
»
Dans la course à la guerre contre la Libye, la France a été l'un des
premiers pays à demander une intervention militaire ; le gouvernement de
Sarkozy s'est aligné sur la Grande-Bretagne et Washington, abandonnant son
alliée de longue date, l'Allemagne, dont il a dénoncé publiquement la
réticence à soutenir la guerre. Avec le soutien des USA, la France a fait
accepter la Résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU autorisant
l'attaque de la Libye. Le 10 mars 2011 la France a été le premier pays au
monde à reconnaître le Conseil national de transition comme le gouvernement
de la Libye. Elle a conduit la première frappe aérienne le 19 mars.
L'inimitié particulière de la France vis-à-vis de Kadhafi remonte à la
guerre civile du Tchad et s'est intensifiée avec l'explosion d'une bombe
dans les soutes du vol 772 de la compagnie française UTA en 1989 - moins
d'une année après la destruction du vol 103 de la Pan Am au-dessus de
Lockerbie. Cela a pu jouer un rôle dans la décision de la France d'attaquer
la Libye.
Mais la raison qui permet de vraiment expliquer cette décision est plus
profonde et plus large : il s'agit d'éliminer un régime que la France
considère comme un obstacle à ses ambitions impérialistes historiques en
Afrique. À Paris comme à Washington, le mouvement de masse contre les
dictatures soutenues par l'Occident en Égypte et en Tunisie a été vécu comme
une grave menace à l'influence impérialiste en Afrique du Nord. La guerre
contre la Libye offre l'occasion d'installer un régime fantoche et de
transformer la Libye en une base d'opérations contre la menace de
révolutions socialistes dans toute la région.
La Libye est aussi l'occasion de créer un précédent à des interventions
militaires ultérieures comme l'a affirmé le président Nicolas Sarkozy le 24
mars en disant que la « responsabilité de protéger » donnerait peut-être
lieu à d'autres interventions en Afrique et au Moyen Orient - à commencer
par la Côte d'Ivoire. Hier, des forces françaises et des forces de l'ONU ont
ouvert le feu à partir d'hélicoptères sur des camps militaires du président
sortant de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo. Paris a maintenant envoyé près
de 500 hommes de troupe supplémentaires pour renforcer sa présence militaire
composée de 1500 hommes dans son ancienne colonie afin d'assurer la victoire
de son pantin désigné, Alassane Ouattara.
Des considérations similaires animent d'autres puissances européennes qui
soutiennent la guerre en Libye.
Washington, grâce à l'influence militaire et politique qu'il a sur
l'opposition libyenne, a l'intention de relever le défi que la Chine et
l'Europe lancent à sa domination. Avant la guerre l'influence des USA en
Libye était minime. L'Italie était le partenaire commercial principal de
Tripoli suivi de l'Allemagne et de la Chine.
Après la guerre, le Conseil national de transition sera appelé à mettre
en place un nouvel équilibre. Mais la plupart des puissances européennes ont
cependant accepté de faire campagne sous commandement américain dans
l'espoir de ne pas être exclu du partage du butin et parce que, comme la
France, elles ont un intérêt vital à ce que soit créé un précédent
permettant de futures interventions coloniales de ce type.
L'exception de l'Allemagne ne s'explique pas seulement par le désir de
maintenir sa position de 2003. Depuis cette date, Berlin cherche clairement
à se créer de nouvelles alliances pour renforcer sa position contre les
États-Unis.
L'Allemagne s'est abstenue sur la Résolution 1973 du Conseil de Sécurité
de l'ONU avec le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine - qu'on appelle les
BRIC - et contre ses alliés de l'OTAN. Depuis des années, en fait,
l'Allemagne, cherche à se rapprocher de la Russie dont elle dépend pour son
approvisionnement en gaz. La balance commerciale de l'Allemagne avec la
Chine est excédentaire de 100 milliards de dollars par an.
Berlin pense peut-être qu'avoir de l'influence économique en Afrique du
Nord et au Moyen-Orient, serait le meilleur moyen d'avancer les intérêts de
son pays sur le plan international, mais, comme ses homologues européens,
elle ne peut que constater le fossé qu'il y a entre de telles ambitions et
son manque de moyens militaires dans la mesure où elle se refuse à s'aligner
sur les États-Unis. Comme dans les années 1930, les tensions géopolitiques
croissantes conduisent inévitablement au réarmement de l'Europe.
Quelle est la raison de cette nouvelle campagne de domination
impérialiste ?
Le crash financier de 2008, qui a effacé des centaines de
milliards d'actifs financiers, s'est révélé être un tournant décisif du
capitalisme mondial en intensifiant à nouveau les antagonismes entre les
principales puissances.
Le crash a été le point d'orgue d'un long processus au cours
duquel les États-Unis qui étaient la première puissance économique mondiale
et la garantie de la stabilité du capitalisme se sont transformés en la
nation la plus endettée et la source principale d'instabilité économique et
politique de l'arène internationale. Ils n'ont aucun moyen d'empêcher leur
déclin ni de relever les défis des puissances émergentes comme la Chine
notamment, ni de leurs rivaux traditionnels en Europe et au Japon à part
étendre l'offensive initiée en Irak pour maintenir leur hégémonie militaire
sur la planète. La Chine et l'Europe doivent faire de même et le feront.
Cette lutte exacerbée pour les marchés, les profits et les ressources fait
craindre le déclenchement éventuel d'une troisième guerre mondiale.
La crise conduit aussi nécessairement à une escalade constante de la
lutte des classes.
Sauver les banques en vidant les caisses du gouvernement a coûté aux
États-Unis et aux puissances européennes des milliers de milliards. Mais
c'est seulement le début d'une crise économique qui n'a pas eu d'égale
depuis celle de 1930. Les banques sont peut-être tirées d'affaire, mais
maintenant vient le contrecoup macroéconomique - le commencement de la
récession et l'augmentation de la dette de l'Etat à 50 pour cent, 80 pour
cent, 100 pour cent et plus du PIB.
Le seul moyen qu'a la bourgeoisie de récupérer ces profits perdus c'est
de diminuer drastiquement le niveau de vie de la classe ouvrière - une
politique de guerre des classes à l'intérieur pour accompagner
l'impérialisme à l'extérieur. Les gouvernements de toute l'Europe sont
déterminés à imposer un réalignement fondamental des classes sociales au
service des principales multinationales et des super-riches grâce à des
mesures d'austérité sans précédent dans l'histoire qui impliquent des coupes
qui se montent à des milliards d'euros, la réduction drastique des salaires
et l'augmentation brutale de l'exploitation.
Le lien entre la nouvelle explosion de l'impérialisme militaire et le
recours à la guerre des classes se reflète dans l'usage quotidien dans les
médias de la terminologie militaire pour parler des mesures d'austérité qui
sont imposées.
Dans l'édition du 24 mars de l'Economist, il est noté que ce
blitzkrieg (guerre éclair) économique va déjà très loin. Selon ce
journal :
« Les autorités ont appliqué la méthode "choc et terreur" sous la forme
d'incitations monétaires et fiscales. Ils ont empêché l'effondrement complet
du secteur financier - le salaire des banquiers n'a certainement pas
diminué. Les multinationales se portent aussi très bien.... Mais les
bénéfices de la reprise semblent avoir été distribués presque entièrement
aux détenteurs de capital et non aux travailleurs. Aux USA, le montant total
des salaires a augmenté de 168 milliards de dollars depuis le début de la
reprise, mais cela a été largement dépassé par une augmentation des profits
de 528 milliards de dollars. Selon Dhaval Jishi de BCA Research, c'est la
première fois que les profits ont dépassé les salaires en valeur absolue
dans les 50 dernières années.
« En Allemagne, les profits ont augmenté de 113 milliards d'euros (159
milliards de dollars) depuis le début de la reprise et les salaires des
employés n'ont augmenté que de 36 milliards. En Angleterre, la situation des
travailleurs est encore pire, car les profits ont atteint 14 milliards de
livres (22,7 milliards de dollars) mais la totalité des salaires réels a
baissé de 2 milliards de livres... la part du travail a décliné dans l'OCDE
depuis 1980. Le fossé a été particulièrement marqué aux États-Unis : la
productivité a grimpé de 83 pour cent entre 1973 et 2007, mais le salaire
réel moyen des hommes n'a augmenté que de 5 pour cent. »
Et ce n'est que le début de ce que l'élite dirigeante a en tête.
Les attaques portées contre les travailleurs vont s'intensifier, pendant
que des régimes mis à mal par la crise comme celui de Sarkozy en France et
la coalition dirigée par les conservateurs en Angleterre agitent leurs
bannières en Libye pour détourner l'attention de ce qu'ils font à
l'intérieur de leur pays.
La classe ouvrière doit élaborer ses propres réponses à ce bouleversement
politique. De la même manière que la politique intérieure et étrangère de la
bourgeoisie est dictée par les intérêts mondiaux des multinationales et de
l'élite super-riche, les travailleurs doivent aussi élaborer une
stratégie spécifique internationale et unifiée.
L'opposition à la guerre ne peut pas se réduire à des appels pacifiques
aux gouvernements ou aux Nations Unies, une organisation qui a donné son feu
vert à la guerre contre la Libye. On ne peut pas non plus compter sur la
bureaucratie syndicale ou travailliste pour se prononcer contre la guerre.
Tout comme pour défendre les emplois et les services publics, le combat
contre la guerre nécessite que les travailleurseux-mêmesse
mobilisent et entrent dans la lutte.
La seule réponse valable à l'impérialisme est la mobilisation politique
indépendante de la classe laborieuse dans la lutte pour remplacer la loi du
capital par un système fondé sur l'égalité et une authentique
démocratie. Cela signifie que les travailleurs doivent se préparer à prendre
le pouvoir, en associant l'opposition à la guerre à la lutte pour des
emplois décents, des services sociaux, la sécurité sociale et l'éducation
pour tous qui seront financés par la redistribution des richesses de l'élite
dirigeante aux travailleurs - l'expropriation des oligopoles
entrepreneuriales et financières et leur conversion en des entreprises que
le public contrôlera démocratiquement.
Le principe fondamental de tous les travailleurs et de la jeunesse
progressistes doit être l'unité internationale de la classe ouvrière
pour la lutte contre l'ennemi commun : l'impérialisme. La réalisation de
cette unité passera par la mise en place de sections du Comité international
de la Quatrième Internationale en tant que direction révolutionnaire de la
classe ouvrière internationale.