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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Le Sénat américain approuve la détention militaire de citoyens américains

Par Bill Van Auken
9 décembre 2011

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Le Sénat américain a voté jeudi soir en faveur d’un projet de loi de financement de l’armée qui institutionnalise les pratiques criminelles d’État entreprises sous Bush, et poursuivies par Obama, au nom de la « lutte mondiale contre le terrorisme ».

Il autorise explicitement la détention militaire indéfinie et sans procès des citoyens américains et autorise que tous les non-citoyens accusés de terrorisme, incluant ceux arrêtés en sol américain, soient détenus de manière indéfinie par l’armée plutôt que jugés par un tribunal civil.

La législation fait partie de la National Defense Authorization Act, qui fournit 662 milliards de dollars pour financer la machine de guerre américaine et toutes ses guerres à l’étranger. Le projet de loi a passé le Sénat, contrôlé par le Parti démocrate, par une majorité écrasante de 93 contre 7, soulignant une fois de plus qu’il n’existe pas de représentants sérieux pour la défense des droits démocratiques dans l’une ou l’autre des sections de l’élite dirigeante américaine ou ses deux partis de la grande entreprise.

Cette législation jette aux orties le droit, garanti sous le sixième amendement de la Constitution pour tous ceux accusés d’une offense criminelle, à « être jugé promptement et publiquement par un jury impartial  », ainsi que la clause centrale du cinquième amendement qui stipule qu’aucune personne ne doit être privée de sa liberté « sans procédure légale régulière ». Elle légalise l’abrogation en pratique lors de la dernière décennie du principe de base de l’habeas corpus, qui requiert que l’État amène chaque détenu devant un tribunal indépendant et prouve qu’il y a matière à emprisonnement.

Le projet de loi interdit également l’utilisation de fonds autorisés par le Pentagone qui serviraient à fermer l'infâme prison de Guantanamo Bay, à Cuba, et circonscrit la libération de ceux qui sont actuellement détenus là-bas. Conséquemment, ce projet de loi inscrit de manière permanente dans la loi américaine une institution qui a fait des États-Unis une nation de paria à travers le monde.

Finalement, plus d’une décennie après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 sur les villes de New York et de Washington, il renouvelle la Authorization of the Use of Military Force (Autorisation d'usage de la force militaire, AUMF), passée par le Congrès immédiatement après ces attaques, tout en garantissant encore plus de pouvoirs à la branche exécutive que ce qui était inscrit dans la loi originale.

De manière spécifique, l’AUMF, votée en septembre 2001, autorise l’utilisation de la force contre « ces nations, organisations ou personnes », désignées par le président américain, qui auraient « planifié, autorisé, commis ou facilité » les attaques du 11 septembre 2001 ou qui auraient accordé l'asile aux responsables.

Les mesures enchâssées dans le projet de loi sur les dépenses du Pentagone vont beaucoup plus loin. Elles autorisent l'utilisation de la force et le recours à l'emprisonnement extraconstitutionnel contre quiconque « fait partie d'Al-Qaïda, des talibans ou de forces qui leur sont associées et qui prennent part à des hostilités contre les États-Unis ou ses partenaires de coalition, ou quiconque a appuyé de manière substantielle ces organisations ».

Il s'agit ici de la sanction légale de ce que George W. Bush avait qualifié de « guerres du 21e siècle », c'est-à-dire des actes sans fin d'agression militaire menés sous le mot d'ordre d'une perpétuelle « guerre contre le terrorisme » dans laquelle la planète entière, y compris le territoire des États-Unis, est vue comme un champ de bataille.

Quelles sont les « forces qui leur sont associées » que l'on mentionne et qui sont les « partenaires de coalition » de Washington dont on tait le nom ? Ces termes sont peu définis et volontairement imprécis afin de servir de feuille de vigne légale pour les guerres américaines en Somalie, au Yémen et ailleurs. L'expérience a démontré que l'on décide de qualifier certains groupes de forces « associées » à Al-Qaïda et au terrorisme uniquement en fonction des intérêts géostratégiques des États-Unis. Ainsi, d'anciens alliés d'Al-Qaïda sont louangés, présentés comme des « combattants de la liberté » et utilisés pour effectuer un changement de régime en Libye, tandis qu'ailleurs, des groupes n'entretenant aucun lien substantiel avec le réseau terroriste sont diabolisés et attaqués.

Et que veut dire « appuyer de manière substantielle » Al-Qaïda ou les talibans ? Est-ce que cela comprend l'écriture d'articles, des déclarations publiques ou l'organisation de manifestations contre les guerres des États-Unis déclenchées sous le prétexte de combattre ces forces ?

En 1918, le chef socialiste Eugene V. Debs fut incarcéré, en contravention de la sévère Loi de sédition, pour avoir prononcé un discours opposant la Première Guerre mondiale et appelant la classe ouvrière à prendre le pouvoir et à entreprendre la transformation socialiste de la société. Cependant, le gouvernement dut tout de même lui accorder un procès devant jury. La loi votée jeudi rend de telles subtilités démocratiques superflues. Maintenant, une telle offense serait punissable de disparition dans un camp de concentration de l'armée.

Le sénateur Lindsey Graham (républicain de la Caroline du Sud), l'un des plus véhéments défenseurs du projet de loi, n'a laissé aucun doute sur sa signification. Il a déclaré : « Si vous êtes citoyen américain et que vous trahissez votre pays, vous serez détenu par l'armée et interrogé sur ce que vous savez, et vous n'aurez pas droit à un avocat si nos intérêts de sécurité nationale l'exigent. »

L'American Civil Liberties et divers groupes libéraux ont louangé la Maison-Blanche pour avoir menacé d'opposer son veto au projet de loi et ont pressé Obama d'agir. En fait, la réalité est que le président démocrate ne s'oppose pas à la loi parce qu'il croit que son contenu est profondément antidémocratique. Au contraire, tout comme l'administration Bush, la Maison-Blanche d'Obama a déjà adopté les pouvoirs de détention militaire inscrits dans la loi.

L'administration actuelle va significativement plus loin que celle qui l'a précédée, exerçant le droit d’assassiner des citoyens américains, le président ordonnant leur mort sans présenter la moindre preuve contre eux. Elle a mis en place ce prétendu « droit » dans le meurtre par missile de drone d’Anwar al-Awlaki, l'imam né au Nouveau-Mexique, et à d'autres occasions durant la dernière année. Si la Maison-Blanche est prête à tuer des citoyens américains sans accusations ou procès, aucun principe ne l'empêche d'accepter la détention militaire et l’incarcération indéfinie.

L’inquiétude de l’administration Obama n’est pas en lien avec les droits constitutionnels, mais plutôt avec la conservation de ses pouvoirs présidentiels extraconstitutionnels, quasi dictatoriaux, dans le but de mener la guerre et la répression sans aucune interférence de la branche législative.

Un communiqué de la Maison-Blanche sur la législation se plaint qu’elle « ferait la microgestion du travail de nos professionnels expérimentés dans la lutte contre le terrorisme, y compris nos commandants militaires, les professionnels du renseignement » et autres « agents dans le domaine ». Elle soutient que ce serait « une erreur du Congrès de contrôler ou limiter la flexibilité tactique des professionnels de la lutte contre le terrorisme de notre nation ».

Comme le sénateur du Michigan, Carl Levin, celui qui a présenté le projet de loi, a précisé lors du débat, l’administration Obama est intervenue dans le processus pour exiger que soit retirée la formulation, dans la version originale du projet de loi, empêchant les citoyens américains et les résidents légaux d’être détenus par l’armée sans accusation. La Maison-Blanche a vu cette restriction comme une limitation inacceptable des pouvoirs qu'elle revendique, incluant celui d’ordonner à l’armée de « faire disparaître » des citoyens américains pour de prétendues offenses qui ne sont jamais rendues publiques.

La législation du Sénat sert uniquement à exposer la structure déjà existante de dictature militaro-policière qui a été érigée derrière la façade en décomposition de la démocratie américaine au cours de la dernière décennie, en plus de l’entière complicité des deux principaux partis dans ce processus.

La violence policière et la répression à l’échelle nationale exercées contre les manifestants d’Occupy Wall Street ont fourni un aperçu du caractère réel d’un gouvernement de riches, par les riches et pour les riches. Dans les conditions d’inégalité sociale, de chômage et de misère sociale sans précédent qui ont déclenché ces manifestations, même les formes les plus rudimentaires de gouvernement démocratique deviennent intenables. Une la répression étatique sans retenue est nécessaire pour imposer les diktats de l’élite financière.

La défense des droits démocratiques aujourd’hui est inséparable de la lutte pour l’égalité sociale, les deux étant en conflit irréconciliable avec l’élite dirigeante américaine et toutes ses institutions, y compris le Parti démocrate et l’administration Obama. Cette lutte ne peut être menée avec succès que par la mobilisation indépendante de la classe ouvrière, la seule force sociale capable de réaliser la transformation socialiste de la société et de mettre fin aux conditions d’inégalité, à la guerre et à la répression engendrées par le capitalisme.

(Article original paru le 3 décembre 2011)