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La révolution égyptienne entre dans une nouvelle phase

Par Alex Lantier
16 février 2011
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La démission forcée de Hosni Moubarak, le dictateur égyptien qui a dirigé le pays durant plus de trois décennies, a été une importante victoire pour les travailleurs et les jeunes qui ont participé par millions aux manifestations et aux grèves des dernières semaines. Les événements qui ont suivi ont cependant montré que cette révolution n'en est qu'à ses débuts.

Par une série de communiqués publiés ce week-end, l'armée égyptienne a clairement indiqué quelle est sa réaction aux luttes révolutionnaires. Son but est de détourner et réprimer le mouvement de masse, tout en assurant un transfert tactique du pouvoir en maintenant essentiellement l'ancien régime intact.

L'armée égyptienne veut montrer qu'elle élimine diverses fabrications légales du régime Moubarak – la constitution mise en place par le dictateur et le parlement à sa solde. En conformité avec les mensonges de l'administration Obama que l'armée allait amener une « transition démocratique », le New York Times a fait l'éloge de ces mesures « d'une portée considérable qui ont reflété les revendications des manifestants ».

Cela n'est qu'absurde déformation. L'armée cherche à se maintenir au pouvoir, en n'accordant aucune des revendications fondamentales qui poussent des millions d'Égyptiens à manifester. Le pays est maintenant sous le contrôle d'une junte militaire, qui conserve la police et tous les pouvoirs d'urgence de l'ancien régime, et qui tente de gouverner sur la base d'un réseau de vieux copains de Moubarak tels que le premier ministre Ahmed Shafiq.

Quant à l'administration Obama, après avoir soutenu Moubarak aussi longtemps que possible, elle soutient le régime militaire. Samedi, l'administration a déclaré qu'elle accueillait les mesures prises par les généraux et leur présumé engagement envers la démocratie. Ayant aidé à la formation de nombreux officiers en Égypte, elle vise à les utiliser pour défendre ses intérêts dans ce pays et au Moyen-Orient. Cela signifie non seulement défendre ses intérêts stratégiques et militaires, mais surtout mettre en déroute l'opposition révolutionnaire de la classe ouvrière.

Intimement lié au monde des affaires de l'Égypte, le corps des officiers est hostile à la vague de grèves qui secoue l'Égypte et aux demandes des travailleurs pour de meilleurs salaires et conditions sociales. Bien qu'elle ne se croit pas encore suffisamment en position de force, l'armée indique qu'elle souhaite s'en prendre aux grévistes. Dans une déclaration dénonçant le « chaos et le désordre », le Haut Conseil militaire a affirmé qu'il allait interdire les réunions de syndicats ouvriers ou professionnels, rendant en réalité les grèves illégales.

Dans six mois, ou peut-être plus, l'armée envisage de tenir des élections sur la base d'une constitution qu’elle rédigera seule, sans dissoudre le Parti national démocrate (PND) de Moubarak. Autrement dit, l’armée espère mettre à profit la période de six mois pour essouffler le mouvement de protestation et donner une couverture pseudo-démocratique à un régime pas plus sensible aux demandes de la population que celui qui était contrôlé par le détesté Moubarak.

Ce fait politique fondamental est caractérisé par la personne du maréchal Mohamed Tantawi Hussein, maintenant officiellement le dirigeant d'Égypte, comme décrit par l'ambassadeur américain en Égypte Francis Ricciardone dans les câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks. Décrivant Tantawi en mars 2008 comme étant dévoué envers le traité de 1979 avec Israël et fermement « opposé à des réformes économiques et politiques », Ricciardone résume les politiques de Tantawi ainsi: « Lui et Moubarak se concentrent sur la stabilité du régime et le maintien du statu quo ».

L'affirmation selon laquelle cela correspond aux demandes des manifestants est un mensonge répugnant. Les millions de personnes participant maintenant aux grèves et aux manifestations, et les milliers de personnes qui ont été tuées ou torturées, n'ont pas lutté pour préserver l'ancien régime.

« L’opposition » officielle égyptienne indique néanmoins qu’elle soutient l'armée. Après avoir souligné la nécessité de « la loi et l’ordre » vendredi, Mohammed ElBaradei a déclaré dimanche: « Nous avons confiance en l'armée et nous faisons appel au peuple afin qu’il lui donne la chance de mettre en œuvre ce qu'elle a promis ».

Mohamed el-Katatni, un dirigeant des Frères musulmans, a déclaré: « L'objectif principal de la révolution a été atteint. »

Ces déclarations montrent clairement qu’aucune base n’existe dans la classe capitaliste égyptienne, ou chez ses bailleurs de fonds à Washington ou dans les capitales des autres puissances impérialistes, pour une véritable démocratie. Les demandes élémentaires des travailleurs et des masses opprimées – pour de meilleurs salaires et conditions de vie, pour l’égalité sociale et pour la fin de la domination impérialiste – sèment la crainte parmi toutes les sections de l’establishment politique. Aux prises avec un soulèvement de masse de la classe ouvrière, qui menace leurs intérêts de classe élémentaires, l’ « opposition » pro-capitaliste réagit en appuyant la dictature.

Cela confirme un principe de base de la théorie de la révolution permanente élaborée par Léon Trotsky : la bourgeoisie des pays opprimés ne peut mener une lutte pour la démocratie et pour la fin de la domination impérialiste. Une telle lutte, comme l’écrit Trotsky dans La Révolution permanente, « est inévitablement et très rapidement placée devant des tâches qui la forceront à faire des incursions profondes dans le droit de propriété bourgeois. La révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente.»

La poursuite de la révolution et la lutte pour défendre ses intérêts amènent la classe ouvrière et les masses opprimées dans un conflit encore plus direct avec l’armée, l’opposition officielle et l’impérialisme américain.

Pour que cette lutte aille de l’avant, il est fondamental de construire des organes indépendants de démocratie ouvrière, en opposition à l’État dirigé par l’armée et la police. Ces organes jetteront les bases pour le transfert du pouvoir vers la classe ouvrière. Une lutte pour unifier les travailleurs de l’Égypte avec la classe ouvrière de toute la région, ainsi qu’avec les travailleurs dans les pays capitalistes avancés – d’abord et avant tout ceux aux États-Unis, est aussi nécessaire. Le soulèvement révolutionnaire en Égypte fait partie d’une lutte des travailleurs et des opprimés partout à travers le monde contre l’assaut généralisé du patronat et de l'élite financière.

Cela nécessite surtout la construction d’un nouveau parti dédié à mener ces luttes jusqu’à leur conclusion logique : la révolution socialiste. Le WSWS appelle tous ses lecteurs et ses sympathisants en Égypte et dans le monde entier à se joindre à cette lutte pour construire un tel parti.

(Article original paru le 14 février 2011)

voir aussi :

Notre couverture sur les soulèvements en Afrique du Nord et Moyen-Orient

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