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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique et Moyen-Orient

Réponse à un courrier sur le génocide au Rwanda

Par Chris Talbot
28 janvier 2011

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Depuis la publication en février 2009 de cet article en anglais, le régime de Kigali a, lors de ses tractations réactionnaires avec Washington, brièvement emprisonné Peter Erlinder, le signataire de l’un des courriers électroniques reçus par le WSWS. L’emprisonnement d’Erlinder était une mesure dictée par la politique du président Kagamé visant à manipuler l’histoire du génocide dans le but de détruire tout candidat se présentant contre lui.

Nous publions ci-dessous la version française de la réponse rédigée à l’époque par Chris Talbot et qui n’a rien perdu de sa pertinence. Pour accéder aux courriers du professeur Peter Erlinder, avocat de la défense au Tribunal pénal international pour le Rwanda, et de M. Christopher Black, avocat en droit criminel international, réfutant la couverture par le World Socialist Web Site du Rwanda et du Tribunal des Nations unies, cliquez sur le lien suivant : (http://www.wsws.org/articles/2009/feb2009/rwle-f13.shtml)

Le World Socialist Web Site a reçu deux lettres réfutant énergiquement notre ligne politique sur le génocide qui s'est produit au Rwanda en 1994 lorsque des centaines de milliers de Rwandais identifiés comme des Tutsis ont été tués par des milices hutu.

Nos correspondants sont le professeur Peter Erlinder du William-Mitchell College of Law qui est depuis 2003 avocat de la défense au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et M. Christopher Black, qui est avocat en droit pénal international à Toronto. M. Black est l’avocat principal du TPIR. Il a été aussi vice-président du Comité international pour la défense de Slobodan Milosevic qui est mort avant la fin de son procès devant le Tribunal pénal international pour l’ancienne Yougoslavie (TPIY) à La Haye. Il avait conseillé l’équipe juridique de Vojislav Seslj du Parti radical serbe qui comparaît présentement en justice devant le TPIY.

Le professeur Erlinder et M. Black avaient réagi à un article dans lequel la journaliste Linda Stallery avait relaté la condamnation de Théoneste Bagosora par le TPIY pour crime de guerre, de génocide et de crime contre l’humanité (Voir : «  Rwanda: Perpetrators of genocide jailed », http://wsws.org/articles/2009/jan2009/rwan-j06.shtml ).

Les deux correspondants nient qu’un génocide a eu lieu au Rwanda. Le professeur Erlinder parle de « la tragédie rwandaise… que d’aucuns qualifient de génocide. » M. Black se réfère « au mythe du génocide. »

M. Black nie toute implication française dans les événements au Rwanda qu’il qualifie « d’histoire fantastique, » en maintenant que « Les Français n’avaient rien à faire avec le ‘génocide.’ » Il n’y avait, affirme-t-il, avant 1990 pas de problème ethnique au Rwanda. Les meurtres qui ont eu lieu en 1994, prétend-il, était la conséquence d’une offensive par le Front patriotique rwandais (FPR) dominé par les Tutsi qui « avait lancé une attaque partout dans le pays en massacrant des centaines de milliers de Hutu et tout Tutsi paraissant non fiable. »

M. Black souligne que les Etats-Unis soutenaient le FPR (qui forma le gouvernement après 1994 au Rwanda) et accuse le WSWS de « propager les mensonges impérialistes qui ont été utilisés pour couvrir le rôle véritable joué par les Etats-Unis » et de « faire fonction de perroquets du gouvernement américain. »

M. Black affirme qu’avant 1994, le Rwanda était « un pays semi-socialiste considéré être un modèle pour l’Afrique. » Le WSWS, affirme-t-il, s’est laissé « duper à condamner les socialistes tout en soutenant les impérialistes. »

Nous aimerions traiter ces questions en examinant le rôle joué par les Nations unies, les puissances impérialiste et la question des divisions ethniques au Rwanda avant d’examiner certaines des preuves d’un génocide et, pour finir, analyser la nature de l’Etat rwandais d’avant 1994.

L’impérialisme et les tribunaux des Nations unies

Les allégations avancées par Erlinder et Black contre le WSWS ne sont absolument pas fondées. Le WSWS cherche continuellement à révéler au grand jour le rôle de l’impérialisme américain au Rwanda et ailleurs en Afrique, comme nous le faisons partout dans le monde. Mais, cela ne signifie pas que nous niions le rôle d’autres puissances impérialistes de moins grande envergure.

Nous avons clairement montré dans nombre d’articles que le TPIR et le TPIY sont des tribunaux qui n’ont aucune légitimité. Ces tribunaux sont présidés par des pouvoirs impérialistes qui étaient complices des crimes qu’ils prétendent juger dans l’ancienne Yougoslavie et au Rwanda. La définition que l'on donne du crime de guerre et de ceux qui devraient en répondre dépend entièrement des intérêts géopolitiques et économiques des principales puissances occidentales.

Dans le cas du Rwanda, nous avons à plusieurs reprises souligné le rôle du gouvernement américain soutenant le FPR et des Nations unies laissant se produire ce massacre. Dans un article du 23 mars 2000, [1] Linda Slattery avait soulevé la question d’une éventuelle implication des Etats-Unis dans les tirs provoquant la chute de l’avion transportant les présidents du Rwanda et du Burundi, événement qui avait déclenché le génocide. En discutant l’élection de Paul Kagamé, dirigeant du FPR, remportée en 2003 avec 95 pour cent des voix, le WSWS avait expliqué que Kagamé « avait été formé militairement et obtenu un entraînement stratégique au Fort Leavenworth au Kansas, Etats-Unis. » [2] Nous avions expliqué qu’il était arrivé au pouvoir avec le soutien des Etats-Unis, du Royaume-Uni et des forces ougandaises appuyées par les Etats-Unis. Nous n’avons jamais accordé de soutien au gouvernement Kagamé ni à ses partisans.

« Des centaines de milliers de Hutu ont fui le pays, » poursuivait l’article, « nombre d’entre eux étaient dépistés et abattus par les forces du FPR. L’ampleur des massacres du FPR demeure une question fortement contestée – les évaluations vont de ‘plusieurs milliers’ à 30.000 voire même 200.000 tués – et Kagamé lui-même a reconnu que les responsables du FPR ‘avaient commis des violations du droit international humanitaire.’ »

Au moment du dixième anniversaire du génocide en 2004, le WSWS avait expliqué le rôle joué par les Etats-Unis dans son soutien à la prise du pouvoir par le FPR et de la France dans son soutien au gouvernement avant 1994 et au chauvinisme Hutu. Linda Slattery avait écrit qu’« il n’y a pas de doute que la France et les Etats-Unis étaient les véritables éminences grises décidant que près d’un million de personnes allaient mourir. » [3]

Notre bilan concernant le génocide rwandais reflète entièrement une position de principe fondée sur l’internationalisme socialiste. Il est en cohérence avec notre reportage du rôle des différentes puissances impérialistes dans d’autres parties de l’Afrique. Nous avons abondamment écrit sur l’agression américaine au Cap Horn, sur l’implication de l’Allemagne dans la République démocratique du Congo, sur l’invasion de la Grande-Bretagne au Sierra Leone, sur les desseins impérialistes au Zimbabwe et l’hypocrisie des projets d’aide de Tony Blair à l’Afrique.

Le rôle de la France dans le génocide

Le professeur Erlinder se réfère aux « intérêts français et à d’autres intérêts continentaux néocoloniaux » en Afrique, mais il pense qu’ils ont été remplacés il y 30 ans par ceux des Etats-Unis et du Royaume Uni. C'est faux. La France conserve des intérêts considérables en Afrique – elle dispose de troupes d’occupation en Côte d’Ivoire, en République centre africaine et au Tchad, et elle compte des bases militaires au Gabon, à Djibouti et au Sénégal. Elle maintient de forts intérêts économiques en Afrique en obtenant par exemple son uranium du Niger.

M. Black n’accepte apparemment pas une quelconque responsabilité de la France dans la situation au Rwanda et cite le secrétaire général de l’ONU pro français, Boutros Boutros-Ghali. L’affirmation de M. Black selon laquelle les Français avaient été chassés du Rwanda, « obligés par le FPR de partir durant les négociations sur les accords d’Arusha en 1993, » est absurde. L’historien français Gérard Prunier rapporte dans son livre « Rwanda, le génocide » que tandis qu’avaient lieu les atrocités du FPR contre les civils en février 1993, celles-ci étaient très médiatisées en France et « Trois cents nouvelles troupes furent expédiées au Rwanda et une quantité énorme de munitions fut livrée pour l’artillerie de la FAR [Force armée rwandaise]. » [4] Il n’existe aucune base factuelle à l’affirmation de M. Black selon laquelle le FPR a tué plus de plus 40.000 personnes en deux semaines. (retraduit de l'anglais)

La France a, par la suite, retiré la plupart de ces troupes en République de centre Afrique, mais seulement après qu’un cessez-le-feu eut été accepté et que l'on pensait que le régime Habyarimana était sûr. Le président français François Mitterrand considérait Habyarimana comme un ami personnel. Et pourtant, Prunier note, « Entre quarante et soixante-dix conseillers militaires français étaient restés discrètement après le retrait en décembre 1993 des forces françaises pour assister le FAR en cas de besoin. » [5] (retraduit de l'anglais)

En fait, la France avait accordé, pendant toute cette période, son plein soutien au gouvernement, en envoyant des troupes après la première invasion désastreuse du FPR en 1990, en augmentant massivement les approvisionnements d’armes, l’entraînement des élites de la garde présidentielle et en finançant une expansion de l’armée la faisant passer de 9.000 soldats en 1991 à 28.000 en 1992. Avec le soutien français, un montant évalué à 100 millions de dollars – détournés d’un programme d’ajustement structurel du FMI – avait été dépensé en armes, ce qui représente une somme énorme pour un pays aussi petit.

Durant les premiers jours du génocide (le 9 avril), les parachutistes français membres de l’« opération Amaryllis » avaient évacué les notables du régime Habyarimana dont l’épouse du président et les extrémistes hutu faisant partie de sa clique. Les Tutsi qui tentaient de s’échapper furent assassinés devant les yeux des soldats français. En juin, le président Mitterrand avait organisé, sous les auspices de l’ONU, l’« opération Turquoise » ostensiblement pour protéger la population mais dans l’intention de protéger le « gouvernement intérimaire » des extrémistes hutu qui était en train d’organiser un exode de masse hutu vers le Congo. Au fur et à mesure que l’envergure des atrocités apparaissait au grand jour, les Français durent abandonner leurs projets et permettre au FPR de prendre la relève. Les soldats français impliqués dans « Opération Turquoise » eurent le sentiment que leur propre gouvernement les avait trompés. On leur avait dit que seuls des Hutu étaient tués. Un soldat avait remarqué, « Nous n’avons pas un seul Hutu blessé ici, que des Tutsi massacrés. » [6]

Etant donné ce contexte, dire que la France n’avait rien à voir avec le génocide de 1994 est absurde. Comme nous l’avons souligné dans l’article, Bagosora était une créature des Français et il serait naïf à l’extrême de croire que son implication dans le génocide n’était pas connue des officiers de renseignement français.

Après avoir souligné l’implication de la France, nous ne minimisons en aucun cas l’implication des Etats-Unis. Nous avons expliqué dans nos articles la raison pour laquelle les Etats-Unis avaient insisté pour que les soldats de maintien de la paix de l’ONU soient retirés en 1994 en dépit de la demande d’intervenir du commandant de l’ONU Romeo Dallaire: C'était parce que les Etats-Unis voulaient donner au FPR le champ libre pour chasser le régime pro-français.

Erlinder et Black font tous deux grand cas des interventions américaines pour stopper les poursuites engagées par le TPIR contre le régime Kagamé au sujet des massacres qu’il avait commis ou pour son soi-disant rôle dans l’attentat contre l’avion transportant le président Habyarimana juste avant le génocide. Il ne fait pas de doute que les Etats-Unis ont protégé l’actuel régime rwandais à la fois à l’ONU et au TPIR. Mais cela ne peut être élargi à une théorie globale du complot dans laquelle les preuves sont déformées ou niées.

Le colonialisme et les divisions ethniques au Rwanda

Selon M. Black, le Rwanda ne connaissait pas de problèmes ethniques avant 1990. Il maintient que les questions ethniques avaient seulement été créées par l’invasion du FPR en 1990 qui « avait massacré des dizaines de milliers de Hutu. »

Cela défie les preuves historiques. Les gouvernements coloniaux attisaient les divisions tribales partout en Afrique de façon à pouvoir garder le pouvoir selon la stratégie du diviser pour mieux régner. La Belgique avait développé des divisions tribales intenses entre les Hutu et les Tutsi au Rwanda et au Burundi voisin en dépit du fait qu’ils parlaient la même langue, qu’ils partageaient la même culture et se mariaient fréquemment entre eux. Les postes clé étaient attribués aux Tutsi ce qui produisit une rivalité entre les deux groupes qui se poursuivit après l’indépendance.

En 1962, le régime hutu instable recourut à une campagne anti-tutsi pour aider à la sauvegarde de son régime et lors de laquelle au moins 10.000 Tutsi furent tués et des dizaines de milliers s’enfuirent en prenant le chemin de l’exil. En 1973, le président Juvénal Habyarimana prit le pouvoir après un coup d’Etat en imposant un régime autoritaire de parti unique dominé par les Hutu.

A partir des années 1970, un système de quotas fut institué en vertu duquel 9 pour cent des emplois allaient à des Tutsi même là où ils étaient bien plus nombreux. De plus en plus de Tutsi quittèrent le pays. Cette situation se poursuivit jusque dans les années 1990 lorsque le régime devint une fois encore de plus de plus en plus instable.

Comme la plupart des pays africains, le Rwanda accepta dans les années 1980 la politique de la Banque mondiale et du FMI et fut en conséquence précipité dans la pauvreté. Ses revenus tirés des exportations chutèrent de 50 pour cent entre 1987 et 1991 et l'adoption d'une dépendance capitaliste des cultures commerciales – instauré par le régime Habyarimana – fut catastrophique et, comme l’a expliqué le professeur Michel Chossoudovsky, fut la toile de fond de la résurgence d’une politique ethnique [7]. Il avait été pratique pour les extrémistes hutu de l’élite rwandaise d’imputer la faute au FPR mais la véritable raison de l’instabilité du régime et du retour à une politique ouvertement tribale était la situation économique désespérée.

La suggestion que le FPR a assassiné des dizaines de milliers de Hutu en 1990 n’est pas fondée sur des faits historiques. Après que le FPR, une petite armée de 2,500 hommes, eut enduré de lourdes pertes il dut se retirer en Ouganda. Prunier explique comment le régime Habyarimana avait organisé un faux assaut contre la capitale, Kigali, en affirmant être attaqué et en réclamant le soutien des Français. Près de 10.000 Tutsi et des Hutu modérés furent arrêtés par le gouvernement et détenus dans des conditions terribles où les coups et les viols étaient chose courante. Dans le même temps, plusieurs centaines de Tutsi étaient massacrés par les forces gouvernementales. [8]

Un génocide bien documenté

Black et Erlinder affirment tous deux que le génocide de 1994 tel qu'on le comprend généralement – à savoir le meurtre de masse de Tutsi et de Hutu modérés organisé par des extrémistes hutu du régime Habyarimana – n’a pas eu lieu. Ils soutiennent que tout meurtre qui se produisit fut l’œuvre du FPR. Nous n’avons pas d’informations concernant le FPR, mais, comme nous l’avons déjà dit, le génocide est bien documenté.

Les survivants, les travailleurs humanitaires et les soldas de l’ONU rapportent que quiconque était perçu comme étant d’appartenance ethnique tutsi était massacré par des escadrons de la mort hutu hautement organisés sur l’ensemble du territoire du Rwanda. Le chiffre approximatif de 800.000 Tutsi tués a été avancé par Prunier après un examen minutieux des chiffres du recensement fait avant l’événement et des survivants dans les camps de réfugiés après. [9] Ce chiffre n’a pas été inventé par le FPR, comme l’affirme Black. Il a été dit, non sans raison, qu'un nombre plus important de gens avait été tué plus rapidement que lors de n’importe quelle tuerie de masse recensée dans l’histoire, y compris dans l’Allemagne nazie. Ceci aurait été impossible à faire sans un important travail de planification.

Les renseignements concernant les personnes responsables des tueries ont été communiqués dans des rapports issus de Human Rights Watch et Africa Rights. Prunier donne une liste de 10 individus de différentes tendances politiques qui ont témoigné aux côtés de soldats français et de responsables du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (UNHCR), du Comité international de la Croix Rouge (ICRC) et d’autres ONG [10]. La manière dont les meurtres avaient été planifiés à l'avance a été révélée dans de nombreux témoignages à la presse – Prunier en énumère huit sources [11].

Il y a eu aussi les reportages de journalistes présents sur place tels Scott Peterson du Daily Telegraph, qui est maintenant le chef du bureau de Moscou pour le Christian Science Monitor [12] et Lindsey Hilsum du Service international de la BBC, maintenant rédactrice internationale à Channel Four News, UK.

Le professeur Erlinder attache beaucoup d’importance au TPIR déclarant Bagosora non coupable de complot ou d’intention de commettre un génocide. Prunier, toutefois, écrit que Bagosora était responsable de la coordination des sections de l’armée, des milices non officielles telles les tristement célèbres Interahamwe et des responsables locaux qui avaient commis les meurtres [13]. La raison pour laquelle le TPIR n’a pas enquêté davantage était, comme l’expliquait notre article, parce qu’il ne voulait pas révéler le rôle joué par la France.

Les autres affirmations d’Erlinder et de Black peuvent être résumées comme suit :

1. Black affirme que l’avion transportant le président Juvénal Habyarimana et le président du Burundi avait été abattu par les Belges, les Américains et le FPR avec l’accord tacite du général Dallaire des Nations unies – plutôt que par Bagosora et les extrémistes hutu. L’accusation de l’implication du FPR fait l’objet d’un procès du gouvernement français contre les dirigeants rwandais. Maintenir que l'implication dans l'attaque de l’avion signifie une participation au génocide est toutefois illogique – il se pourrait plutôt, comme notre article en fait état, que ce fut un déclencheur des événements du génocide, mais que cette attaque de l'avion ne fut pas perpétré par les extrémistes hutu. Néanmoins, la précipitation avec laquelle le projet de génocide fut effectué laisserait clairement supposer une connaissance préalable du meurtre par Bagosora et Cie, peut-être par des sources du renseignement.

2. Black insiste pour dire que l’ensemble du gouvernement rwandais n’était pas impliqué dans le projet de génocide. Ni nous, ni personne d’autre à notre connaissance, n’a suggéré que l’ensemble de la coalition gouvernementale était impliquée dans le génocide. Mais, il a été dit que le projet avait été organisé par un groupe d’extrémiste hutu de l’entourage de l’épouse d’Habyarimana, dont faisaient partie Bagosora et diverses autres personnes. Black affirme que le docteur Alison Desforges de Human Rights Watch soutient son assertion qu’il n’y avait pas de complot de génocide. Mais, dans un rapport adressé en mai 1998 au sous-comité américain sur les opérations internationales et les droits de l’homme, le docteur Desforges avait clairement fait comprendre qu’elle pensait que le génocide avait été planifié par l’armée et des dirigeants politiques du Rwanda : [14]

Elle y explique: « Indépendamment de qui était responsable de l’assassinat du président rwandais, sa mort n’a servi que de prétexte au lancement d'une campagne de meurtre qui avait été planifiée depuis quelque temps.

« Les organisateurs du génocide n'avaient été au début qu’un petit cercle de militaires et de dirigeants politiques mais ils avaient à leur commandement les trois plus importantes unités de l’élite militaire de Kigali, dont la garde présidentielle et aussi plusieurs milliers de miliciens. Même avec cet avantage, il n’était pas clair qu’ils réussiraient à mobiliser des centaines de milliers de Rwandais pour tuer leurs concitoyens. La propagande massive des mois précédents avait préparé un vaste segment de la population à se méfier et même à haïr les Tutsi et les Hutu modérés, mais des ressources organisationnelles considérables auraient été nécessaires pour les faire passer de ces sentiments là à vraiment leur faire prendre des armes pour tuer des gens.

« Des officiers modérés de l’armée s’étaient tout d’abord opposés aux efforts des extrémistes pour prendre le pouvoir et avaient recherché le soutien de la communauté internationale. Plusieurs officiers gradés avaient contacté des représentants américains, belges et français, soit à Kigali ou dans des capitales étrangères, en cherchant du soutien contre les forces du génocide, mais en vain. Privé de toute aide étrangère, ils ne réussirent pas à organiser un mouvement d’opposition cohérent. Lorsque les extrémistes s’aperçurent de l’hésitation des modérés, ils saisirent l’occasion pour les déloger de leurs postes clé d’où, avec un peu de temps, ils auraient été en mesure d’organiser une résistance efficace contre la campagne de meurtre.

«Une fois au contrôle d’une grande partie de l’appareil militaire, les organisateurs du génocide ont utilisé les soldats, les membres de la police nationale, les membres de l’armée de réserve et les soldats à la retraite pour initier et superviser les massacres du génocide aux quatre coins du pays. Pour chaque grand massacre sur lequel Human Rights Watch a enquêté, il y avait un certain nombre de membres de l’armée régulière qui avaient déclenché et dirigé les meurtres commis par des civils. Dans une communauté après l’autre, nous avons trouvé des preuves que les membres des forces armées avaient incité et en fait ordonné aux civils de participer à la campagne de meurtre. »

3. En affirmant que le FPR était responsable des meurtres commis, M. Black proclame que le génocide a eu lieu dans l'autre sens. Il écrit : « les envahisseurs Tutsi venus du Rwanda et soutenus par l’Ouest ont assassiné entre un et demi et deux millions de Hutu durant la période allant du 6 avril et le 4 juillet 1994…une tragédie rendue d’autant plus macabre par l’affirmation des Tutsi que leurs victimes hutu étaient en fait des Tutsi. » [15]

Black a aussi affirmé que le colonel Dallaire « avait travaillé avec le FPR durant son mandat au Rwanda et ce en violation de son mandat de l’ONU, » [16] de telle sorte qu'on ne peut croire à aucune de ses preuves. Il affirme aussi dans sa lettre que Linda Malvern dont le livre a été publié par Verso, une maison d’édition de gauche, fait partie de « l’appareil de propagande FPR-Etats-Unis. »

Mis à par des preuves douteuses d’anciens cadres du FPR, Black fait grand cas des preuves de meurtres commis par le FPR à l’égard de la population hutu et présentées par Robert Gersony de l’agence américaine pour le développement international (USAID) dans un rapport daté de novembre 1994. Mais le chiffre de 30.000 et l’affirmation qu’il s’agissait d’une politique délibérée ont été réfutés par Prunier. [17] Il remarque, et pas de façon déraisonnable, qu’une tuerie d’une telle ampleur dans un pays très petit aurait certainement laissé bien davantage de preuves. Le rapport de Gersony, de plus, se rapporte à des événement qui s’étaient déroulés entre juillet et septembre 1994, après l'arrivée au pouvoir du FPR , et non d’avril à juin quand les milices hutu tuaient des Tutsi.

La nature du régime rwandais

M. Black décrit le Rwanda d’avant 1994, quand le FPR prit le pouvoir, comme « un pays semi-socialiste considéré être un modèle pour l’Afrique. »

Nous n’acceptons pas cette caractérisation. Comme dans le cas de la plupart des Etats d’Afrique après l’indépendance, le Rwanda était un régime nationaliste bourgeois. Son économie était surtout fondée sur une agriculture de subsistance et qui était dirigée par une riche petite élite, servile et tributaire de l’impérialisme français. Tandis que certains régimes africains s’étaient alliés à l’Union soviétique ou à la Chine en se qualifiant de « socialistes », ce ne fut pas le cas du Rwanda. Même ceux parmi les régimes africains qui entretenaient des relations étroites avec l’Union soviétique et la Chine ne pouvaient en aucun cas être définis comme socialistes ou en transition vers le socialisme parce qu’il n'y avait pas eu de révolution prolétarienne. Le pouvoir se trouvait entre les mains d’une section de l’élite coloniale et l'économie de ces pays restait assujettie à l’impérialisme.

De nombreux Etats économiquement attardés, réprimés et appauvris affirmaient être socialistes durant la période d’après-guerre. M. Black qui est un membre influent du Parti communiste canadien, s’était rendu en 2003 en République populaire démocratique de Corée avec une équipe d’avocats américains et selon le site internet NationMaster encyclopedia, « Il a déclaré que la RPDC est un pays progressiste, socialiste méritant le soutien de tous les peuples progressistes de par le monde. » [18]

Le WSWS s’est opposé aux menaces proférées par les Etats-Unis contre la Corée du Nord et d'autres pays qui ont été soumis à un véritable assaut militaire mais nous ne sommes pas prêts à identifier chaque régime qui subit une attaque comme étant anti-impérialiste ou socialiste. Et nous ne sommes certainement pas disposés à accorder au régime rwandais d’avant 1994 un bilan de santé positif ni à dédouaner l’impérialisme français. L’internationalisme socialiste authentique ne consiste pas à glorifier n’importe quel pouvoir bourgeois semi-colonial qui est attaqué ou à s’allier avec l’une ou l’autre puissance impérialiste. L'internationalisme socialiste authentique signifie prendre fait et cause et défendre les intérêts indépendants de la classe ouvrière dans chaque pays en avançant une perspective d’unification de la classe ouvrière dans la lutte contre tous les agissements du militarisme impérialiste et du colonialisme.

Conclusion

En résumé, nous insistons pour dire que le génocide rwandais – la tuerie de masse en 1994 de la population tutsi organisée par une section extrémiste hutu de l’élite dirigeante – a bien eu lieu et les preuves en sont irréfutables. Bien que ce soit l’exemple le plus extrême d’un tel massacre à base ethnique de la période récente, il n’est en aucune façon l'unique. Les régimes nationalistes bourgeois d’Afrique – faibles, instables et dépendants de l’impérialisme, notamment lorsqu’ils sont confrontés à une crise économique – ont à maintes reprises attisé les divisions ethniques et religieuses en encourageant les meurtres à grande échelle. L’on peut citer le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Nigéria et bien d’autres. Dans d'autres cas, les divisions nationales et ethniques ont servi à fomenter des guerres entre des régimes rivaux.

La tentative de développer des entités nationales viables dans les régions découpées en Afrique par les anciennes puissances impérialistes s’est révélée être un échec complet comme le prouve la fréquence de tels conflits. Mais un événement tel que le génocide rwandais ne peut pas être traité comme un événement créé simplement par des problèmes africains. Le rôle à la fois de l’impérialisme français et son soutien pour la clique dirigeante au Rwanda, de l’impérialisme américain appuyant l’Ouganda et du FPR ainsi que le pillage économique continu de l’Afrique par les puissances occidentales en général par le biais de la Banque mondiale et du FMI, ont été cruciaux dans la préparation du terrain de cette tragédie.

En tant qu’avocats, le professeur Erlinder et M. Black ont une responsabilité professionnelle envers leurs clients. C’est tout à fait autre chose quand ils choisissent de transformer ceci en une défense politique du régime hutu et de ses crimes.

La tâche du WSWS est de fournir une analyse objective des événements contemporains et de tracer la ligne d’une politique socialiste pour les travailleurs internationalement. En cela nous poursuivons la tradition fixée par Léon Trotsky. Permettez-nous de suggérer, qu'en qualité de dirigeant d’une organisation qui a servilement soutenu tous les crimes de Staline, M. Black, qui proclame être un admirateur de Trotsky, devrait sérieusement réfléchir à sa propre orientation politique avant de dénoncer avec autant de véhémence le WSWS.

Notes:

1. "Suppressed report raises question of US role in Rwandan civil war"

2. "Rwandan crisis deepens as Kagame begins seven-year term"

3. "Rwanda—10 years since the genocide"

4. Gérard Prunier, The Rwanda Crisis, History of a Genocide, Hurst & Company, London, 1995, p 176. (We have cited Prunier as there can be no suggestion that he is pro-US or pro-RPF.)

5. Prunier, p. 214.

6. Martin Meredith, The State of Africa, A History of Fifty Years of Independence, The Free Press, 2005, p. 521.

7. "IMF-World Bank policies and the Rwandan holocaust"

8. Prunier, pp. 102-109.

9. Prunier, pp. 261-65.

10. Prunier, p. 240.

11. Prunier, p. 242.

12. Peterson recalls his experiences in Scott Peterson, Me Against My Brother, Routledge, New York, 2000.

13. Prunier, who was an adviser to President Mitterrand and had inside information in the period before the genocide, states that Bagasora was the "coordinator" of the genocide, p. 163.

14. http://www.ess.uwe.ac.uk/Rwanda/Rwanda2.htm

15. http://globalresistance.com/letters/racism.htm

16. http://www.sandersresearch.com/index.php?option=com_content&task=view&id=38&Itemid=62

17. Prunier, p 323.

18. http://www.nationmaster.com/encyclopedia/Christopher-Black

(Article original paru le 13 février 2009

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