Réponse à un courrier sur le génocide au Rwanda
Par Chris Talbot
28 janvier 2011
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Depuis la publication en février 2009 de cet article en anglais, le régime
de Kigali a, lors de ses tractations réactionnaires avec Washington,
brièvement emprisonné Peter Erlinder, le signataire de l’un des courriers
électroniques reçus par le WSWS. L’emprisonnement d’Erlinder était une
mesure dictée par la politique du président Kagamé visant à manipuler
l’histoire du génocide dans le but de détruire tout candidat se présentant
contre lui.
Nous publions ci-dessous la version française de la réponse rédigée à
l’époque par Chris Talbot et qui n’a rien perdu de sa pertinence. Pour
accéder aux courriers du professeur Peter Erlinder, avocat de la défense au
Tribunal pénal international pour le Rwanda, et de M. Christopher Black,
avocat en droit criminel international, réfutant la couverture par le World
Socialist Web Site du Rwanda et du Tribunal des Nations unies, cliquez sur
le lien suivant : (http://www.wsws.org/articles/2009/feb2009/rwle-f13.shtml)
Le World Socialist Web Site a reçu deux lettres réfutant énergiquement
notre ligne politique sur le génocide qui s'est produit au Rwanda en 1994
lorsque des centaines de milliers de Rwandais identifiés comme des Tutsis
ont été tués par des milices hutu.
Nos correspondants sont le professeur Peter Erlinder du William-Mitchell
College of Law qui est depuis 2003 avocat de la défense au Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR) et M. Christopher Black, qui est avocat
en droit pénal international à Toronto. M. Black est l’avocat principal du
TPIR. Il a été aussi vice-président du Comité international pour la défense
de Slobodan Milosevic qui est mort avant la fin de son procès devant le
Tribunal pénal international pour l’ancienne Yougoslavie (TPIY) à La Haye.
Il avait conseillé l’équipe juridique de Vojislav Seslj du Parti radical
serbe qui comparaît présentement en justice devant le TPIY.
Le professeur Erlinder et M. Black avaient réagi à un article dans lequel
la journaliste Linda Stallery avait relaté la condamnation de Théoneste
Bagosora par le TPIY pour crime de guerre, de génocide et de crime contre
l’humanité (Voir : « Rwanda: Perpetrators of genocide jailed »,
http://wsws.org/articles/2009/jan2009/rwan-j06.shtml ).
Les deux correspondants nient qu’un génocide a eu lieu au Rwanda. Le
professeur Erlinder parle de « la tragédie rwandaise… que d’aucuns
qualifient de génocide. » M. Black se réfère « au mythe du génocide. »
M. Black nie toute implication française dans les événements au Rwanda
qu’il qualifie « d’histoire fantastique, » en maintenant que « Les Français
n’avaient rien à faire avec le ‘génocide.’ » Il n’y avait, affirme-t-il,
avant 1990 pas de problème ethnique au Rwanda. Les meurtres qui ont eu lieu
en 1994, prétend-il, était la conséquence d’une offensive par le Front
patriotique rwandais (FPR) dominé par les Tutsi qui « avait lancé une
attaque partout dans le pays en massacrant des centaines de milliers de Hutu
et tout Tutsi paraissant non fiable. »
M. Black souligne que les Etats-Unis soutenaient le FPR (qui forma le
gouvernement après 1994 au Rwanda) et accuse le WSWS de « propager les
mensonges impérialistes qui ont été utilisés pour couvrir le rôle véritable
joué par les Etats-Unis » et de « faire fonction de perroquets du
gouvernement américain. »
M. Black affirme qu’avant 1994, le Rwanda était « un pays semi-socialiste
considéré être un modèle pour l’Afrique. » Le WSWS, affirme-t-il, s’est
laissé « duper à condamner les socialistes tout en soutenant les
impérialistes. »
Nous aimerions traiter ces questions en examinant le rôle joué par les
Nations unies, les puissances impérialiste et la question des divisions
ethniques au Rwanda avant d’examiner certaines des preuves d’un génocide et,
pour finir, analyser la nature de l’Etat rwandais d’avant 1994.
L’impérialisme et les tribunaux des Nations unies
Les allégations avancées par Erlinder et Black contre le WSWS ne sont
absolument pas fondées. Le WSWS cherche continuellement à révéler au grand
jour le rôle de l’impérialisme américain au Rwanda et ailleurs en Afrique,
comme nous le faisons partout dans le monde. Mais, cela ne signifie pas que
nous niions le rôle d’autres puissances impérialistes de moins grande
envergure.
Nous avons clairement montré dans nombre d’articles que le TPIR et le
TPIY sont des tribunaux qui n’ont aucune légitimité. Ces tribunaux sont
présidés par des pouvoirs impérialistes qui étaient complices des crimes
qu’ils prétendent juger dans l’ancienne Yougoslavie et au Rwanda. La
définition que l'on donne du crime de guerre et de ceux qui devraient en
répondre dépend entièrement des intérêts géopolitiques et économiques des
principales puissances occidentales.
Dans le cas du Rwanda, nous avons à plusieurs reprises souligné le rôle
du gouvernement américain soutenant le FPR et des Nations unies laissant se
produire ce massacre. Dans un article du 23 mars 2000, [1] Linda Slattery
avait soulevé la question d’une éventuelle implication des Etats-Unis dans
les tirs provoquant la chute de l’avion transportant les présidents du
Rwanda et du Burundi, événement qui avait déclenché le génocide. En
discutant l’élection de Paul Kagamé, dirigeant du FPR, remportée en 2003
avec 95 pour cent des voix, le WSWS avait expliqué que Kagamé « avait été
formé militairement et obtenu un entraînement stratégique au Fort
Leavenworth au Kansas, Etats-Unis. » [2] Nous avions expliqué qu’il était
arrivé au pouvoir avec le soutien des Etats-Unis, du Royaume-Uni et des
forces ougandaises appuyées par les Etats-Unis. Nous n’avons jamais accordé
de soutien au gouvernement Kagamé ni à ses partisans.
« Des centaines de milliers de Hutu ont fui le pays, » poursuivait
l’article, « nombre d’entre eux étaient dépistés et abattus par les forces
du FPR. L’ampleur des massacres du FPR demeure une question fortement
contestée – les évaluations vont de ‘plusieurs milliers’ à 30.000 voire même
200.000 tués – et Kagamé lui-même a reconnu que les responsables du FPR
‘avaient commis des violations du droit international humanitaire.’ »
Au moment du dixième anniversaire du génocide en 2004, le WSWS avait
expliqué le rôle joué par les Etats-Unis dans son soutien à la prise du
pouvoir par le FPR et de la France dans son soutien au gouvernement avant
1994 et au chauvinisme Hutu. Linda Slattery avait écrit qu’« il n’y a pas de
doute que la France et les Etats-Unis étaient les véritables éminences
grises décidant que près d’un million de personnes allaient mourir. » [3]
Notre bilan concernant le génocide rwandais reflète entièrement une
position de principe fondée sur l’internationalisme socialiste. Il est en
cohérence avec notre reportage du rôle des différentes puissances
impérialistes dans d’autres parties de l’Afrique. Nous avons abondamment
écrit sur l’agression américaine au Cap Horn, sur l’implication de
l’Allemagne dans la République démocratique du Congo, sur l’invasion de la
Grande-Bretagne au Sierra Leone, sur les desseins impérialistes au Zimbabwe
et l’hypocrisie des projets d’aide de Tony Blair à l’Afrique.
Le rôle de la France dans le génocide
Le professeur Erlinder se réfère aux « intérêts français et à d’autres
intérêts continentaux néocoloniaux » en Afrique, mais il pense qu’ils ont
été remplacés il y 30 ans par ceux des Etats-Unis et du Royaume Uni. C'est
faux. La France conserve des intérêts considérables en Afrique – elle
dispose de troupes d’occupation en Côte d’Ivoire, en République centre
africaine et au Tchad, et elle compte des bases militaires au Gabon, à
Djibouti et au Sénégal. Elle maintient de forts intérêts économiques en
Afrique en obtenant par exemple son uranium du Niger.
M. Black n’accepte apparemment pas une quelconque responsabilité de la
France dans la situation au Rwanda et cite le secrétaire général de l’ONU
pro français, Boutros Boutros-Ghali. L’affirmation de M. Black selon
laquelle les Français avaient été chassés du Rwanda, « obligés par le FPR de
partir durant les négociations sur les accords d’Arusha en 1993, » est
absurde. L’historien français Gérard Prunier rapporte dans son livre
« Rwanda, le génocide » que tandis qu’avaient lieu les atrocités du FPR
contre les civils en février 1993, celles-ci étaient très médiatisées en
France et « Trois cents nouvelles troupes furent expédiées au Rwanda et une
quantité énorme de munitions fut livrée pour l’artillerie de la FAR [Force
armée rwandaise]. » [4] Il n’existe aucune base factuelle à l’affirmation de
M. Black selon laquelle le FPR a tué plus de plus 40.000 personnes en deux
semaines. (retraduit de l'anglais)
La France a, par la suite, retiré la plupart de ces troupes en République
de centre Afrique, mais seulement après qu’un cessez-le-feu eut été accepté
et que l'on pensait que le régime Habyarimana était sûr. Le président
français François Mitterrand considérait Habyarimana comme un ami personnel.
Et pourtant, Prunier note, « Entre quarante et soixante-dix conseillers
militaires français étaient restés discrètement après le retrait en décembre
1993 des forces françaises pour assister le FAR en cas de besoin. » [5]
(retraduit de l'anglais)
En fait, la France avait accordé, pendant toute cette période, son plein
soutien au gouvernement, en envoyant des troupes après la première invasion
désastreuse du FPR en 1990, en augmentant massivement les approvisionnements
d’armes, l’entraînement des élites de la garde présidentielle et en
finançant une expansion de l’armée la faisant passer de 9.000 soldats en
1991 à 28.000 en 1992. Avec le soutien français, un montant évalué à 100
millions de dollars – détournés d’un programme d’ajustement structurel du
FMI – avait été dépensé en armes, ce qui représente une somme énorme pour un
pays aussi petit.
Durant les premiers jours du génocide (le 9 avril), les parachutistes
français membres de l’« opération Amaryllis » avaient évacué les notables du
régime Habyarimana dont l’épouse du président et les extrémistes hutu
faisant partie de sa clique. Les Tutsi qui tentaient de s’échapper furent
assassinés devant les yeux des soldats français. En juin, le président
Mitterrand avait organisé, sous les auspices de l’ONU, l’« opération
Turquoise » ostensiblement pour protéger la population mais dans l’intention
de protéger le « gouvernement intérimaire » des extrémistes hutu qui était
en train d’organiser un exode de masse hutu vers le Congo. Au fur et à
mesure que l’envergure des atrocités apparaissait au grand jour, les
Français durent abandonner leurs projets et permettre au FPR de prendre la
relève. Les soldats français impliqués dans « Opération Turquoise » eurent
le sentiment que leur propre gouvernement les avait trompés. On leur avait
dit que seuls des Hutu étaient tués. Un soldat avait remarqué, « Nous
n’avons pas un seul Hutu blessé ici, que des Tutsi massacrés. » [6]
Etant donné ce contexte, dire que la France n’avait rien à voir avec le
génocide de 1994 est absurde. Comme nous l’avons souligné dans l’article,
Bagosora était une créature des Français et il serait naïf à l’extrême de
croire que son implication dans le génocide n’était pas connue des officiers
de renseignement français.
Après avoir souligné l’implication de la France, nous ne minimisons en
aucun cas l’implication des Etats-Unis. Nous avons expliqué dans nos
articles la raison pour laquelle les Etats-Unis avaient insisté pour que les
soldats de maintien de la paix de l’ONU soient retirés en 1994 en dépit de
la demande d’intervenir du commandant de l’ONU Romeo Dallaire: C'était parce
que les Etats-Unis voulaient donner au FPR le champ libre pour chasser le
régime pro-français.
Erlinder et Black font tous deux grand cas des interventions américaines
pour stopper les poursuites engagées par le TPIR contre le régime Kagamé au
sujet des massacres qu’il avait commis ou pour son soi-disant rôle dans
l’attentat contre l’avion transportant le président Habyarimana juste avant
le génocide. Il ne fait pas de doute que les Etats-Unis ont protégé l’actuel
régime rwandais à la fois à l’ONU et au TPIR. Mais cela ne peut être élargi
à une théorie globale du complot dans laquelle les preuves sont déformées ou
niées.
Le colonialisme et les divisions ethniques au Rwanda
Selon M. Black, le Rwanda ne connaissait pas de problèmes ethniques avant
1990. Il maintient que les questions ethniques avaient seulement été créées
par l’invasion du FPR en 1990 qui « avait massacré des dizaines de milliers
de Hutu. »
Cela défie les preuves historiques. Les gouvernements coloniaux
attisaient les divisions tribales partout en Afrique de façon à pouvoir
garder le pouvoir selon la stratégie du diviser pour mieux régner. La
Belgique avait développé des divisions tribales intenses entre les Hutu et
les Tutsi au Rwanda et au Burundi voisin en dépit du fait qu’ils parlaient
la même langue, qu’ils partageaient la même culture et se mariaient
fréquemment entre eux. Les postes clé étaient attribués aux Tutsi ce qui
produisit une rivalité entre les deux groupes qui se poursuivit après
l’indépendance.
En 1962, le régime hutu instable recourut à une campagne anti-tutsi pour
aider à la sauvegarde de son régime et lors de laquelle au moins 10.000
Tutsi furent tués et des dizaines de milliers s’enfuirent en prenant le
chemin de l’exil. En 1973, le président Juvénal Habyarimana prit le pouvoir
après un coup d’Etat en imposant un régime autoritaire de parti unique
dominé par les Hutu.
A partir des années 1970, un système de quotas fut institué en vertu
duquel 9 pour cent des emplois allaient à des Tutsi même là où ils étaient
bien plus nombreux. De plus en plus de Tutsi quittèrent le pays. Cette
situation se poursuivit jusque dans les années 1990 lorsque le régime devint
une fois encore de plus de plus en plus instable.
Comme la plupart des pays africains, le Rwanda accepta dans les années
1980 la politique de la Banque mondiale et du FMI et fut en conséquence
précipité dans la pauvreté. Ses revenus tirés des exportations chutèrent de
50 pour cent entre 1987 et 1991 et l'adoption d'une dépendance capitaliste
des cultures commerciales – instauré par le régime Habyarimana – fut
catastrophique et, comme l’a expliqué le professeur Michel Chossoudovsky,
fut la toile de fond de la résurgence d’une politique ethnique [7]. Il avait
été pratique pour les extrémistes hutu de l’élite rwandaise d’imputer la
faute au FPR mais la véritable raison de l’instabilité du régime et du
retour à une politique ouvertement tribale était la situation économique
désespérée.
La suggestion que le FPR a assassiné des dizaines de milliers de Hutu en
1990 n’est pas fondée sur des faits historiques. Après que le FPR, une
petite armée de 2,500 hommes, eut enduré de lourdes pertes il dut se retirer
en Ouganda. Prunier explique comment le régime Habyarimana avait organisé un
faux assaut contre la capitale, Kigali, en affirmant être attaqué et en
réclamant le soutien des Français. Près de 10.000 Tutsi et des Hutu modérés
furent arrêtés par le gouvernement et détenus dans des conditions terribles
où les coups et les viols étaient chose courante. Dans le même temps,
plusieurs centaines de Tutsi étaient massacrés par les forces
gouvernementales. [8]
Un génocide bien documenté
Black et Erlinder affirment tous deux que le génocide de 1994 tel qu'on
le comprend généralement – à savoir le meurtre de masse de Tutsi et de Hutu
modérés organisé par des extrémistes hutu du régime Habyarimana – n’a pas eu
lieu. Ils soutiennent que tout meurtre qui se produisit fut l’œuvre du FPR.
Nous n’avons pas d’informations concernant le FPR, mais, comme nous l’avons
déjà dit, le génocide est bien documenté.
Les survivants, les travailleurs humanitaires et les soldas de l’ONU
rapportent que quiconque était perçu comme étant d’appartenance ethnique
tutsi était massacré par des escadrons de la mort hutu hautement organisés
sur l’ensemble du territoire du Rwanda. Le chiffre approximatif de 800.000
Tutsi tués a été avancé par Prunier après un examen minutieux des chiffres
du recensement fait avant l’événement et des survivants dans les camps de
réfugiés après. [9] Ce chiffre n’a pas été inventé par le FPR, comme
l’affirme Black. Il a été dit, non sans raison, qu'un nombre plus important
de gens avait été tué plus rapidement que lors de n’importe quelle tuerie de
masse recensée dans l’histoire, y compris dans l’Allemagne nazie. Ceci
aurait été impossible à faire sans un important travail de planification.
Les renseignements concernant les personnes responsables des tueries ont
été communiqués dans des rapports issus de Human Rights Watch et Africa
Rights. Prunier donne une liste de 10 individus de différentes tendances
politiques qui ont témoigné aux côtés de soldats français et de responsables
du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (UNHCR), du
Comité international de la Croix Rouge (ICRC) et d’autres ONG [10]. La
manière dont les meurtres avaient été planifiés à l'avance a été révélée
dans de nombreux témoignages à la presse – Prunier en énumère huit sources
[11].
Il y a eu aussi les reportages de journalistes présents sur place tels
Scott Peterson du Daily Telegraph, qui est maintenant le chef du bureau de
Moscou pour le Christian Science Monitor [12] et Lindsey Hilsum du Service
international de la BBC, maintenant rédactrice internationale à Channel Four
News, UK.
Le professeur Erlinder attache beaucoup d’importance au TPIR déclarant
Bagosora non coupable de complot ou d’intention de commettre un génocide.
Prunier, toutefois, écrit que Bagosora était responsable de la coordination
des sections de l’armée, des milices non officielles telles les tristement
célèbres Interahamwe et des responsables locaux qui avaient commis les
meurtres [13]. La raison pour laquelle le TPIR n’a pas enquêté davantage
était, comme l’expliquait notre article, parce qu’il ne voulait pas révéler
le rôle joué par la France.
Les autres affirmations d’Erlinder et de Black peuvent être résumées
comme suit :
1. Black affirme que l’avion transportant le président Juvénal
Habyarimana et le président du Burundi avait été abattu par les Belges, les
Américains et le FPR avec l’accord tacite du général Dallaire des Nations
unies – plutôt que par Bagosora et les extrémistes hutu. L’accusation de
l’implication du FPR fait l’objet d’un procès du gouvernement français
contre les dirigeants rwandais. Maintenir que l'implication dans l'attaque
de l’avion signifie une participation au génocide est toutefois illogique –
il se pourrait plutôt, comme notre article en fait état, que ce fut un
déclencheur des événements du génocide, mais que cette attaque de l'avion ne
fut pas perpétré par les extrémistes hutu. Néanmoins, la précipitation avec
laquelle le projet de génocide fut effectué laisserait clairement supposer
une connaissance préalable du meurtre par Bagosora et Cie, peut-être par des
sources du renseignement.
2. Black insiste pour dire que l’ensemble du gouvernement rwandais
n’était pas impliqué dans le projet de génocide. Ni nous, ni personne
d’autre à notre connaissance, n’a suggéré que l’ensemble de la coalition
gouvernementale était impliquée dans le génocide. Mais, il a été dit que le
projet avait été organisé par un groupe d’extrémiste hutu de l’entourage de
l’épouse d’Habyarimana, dont faisaient partie Bagosora et diverses autres
personnes. Black affirme que le docteur Alison Desforges de Human Rights
Watch soutient son assertion qu’il n’y avait pas de complot de génocide.
Mais, dans un rapport adressé en mai 1998 au sous-comité américain sur les
opérations internationales et les droits de l’homme, le docteur Desforges
avait clairement fait comprendre qu’elle pensait que le génocide avait été
planifié par l’armée et des dirigeants politiques du Rwanda : [14]
Elle y explique: « Indépendamment de qui était responsable de
l’assassinat du président rwandais, sa mort n’a servi que de prétexte au
lancement d'une campagne de meurtre qui avait été planifiée depuis quelque
temps.
« Les organisateurs du génocide n'avaient été au début qu’un petit cercle
de militaires et de dirigeants politiques mais ils avaient à leur
commandement les trois plus importantes unités de l’élite militaire de
Kigali, dont la garde présidentielle et aussi plusieurs milliers de
miliciens. Même avec cet avantage, il n’était pas clair qu’ils réussiraient
à mobiliser des centaines de milliers de Rwandais pour tuer leurs
concitoyens. La propagande massive des mois précédents avait préparé un
vaste segment de la population à se méfier et même à haïr les Tutsi et les
Hutu modérés, mais des ressources organisationnelles considérables auraient
été nécessaires pour les faire passer de ces sentiments là à vraiment leur
faire prendre des armes pour tuer des gens.
« Des officiers modérés de l’armée s’étaient tout d’abord opposés aux
efforts des extrémistes pour prendre le pouvoir et avaient recherché le
soutien de la communauté internationale. Plusieurs officiers gradés avaient
contacté des représentants américains, belges et français, soit à Kigali ou
dans des capitales étrangères, en cherchant du soutien contre les forces du
génocide, mais en vain. Privé de toute aide étrangère, ils ne réussirent pas
à organiser un mouvement d’opposition cohérent. Lorsque les extrémistes
s’aperçurent de l’hésitation des modérés, ils saisirent l’occasion pour les
déloger de leurs postes clé d’où, avec un peu de temps, ils auraient été en
mesure d’organiser une résistance efficace contre la campagne de meurtre.
«Une fois au contrôle d’une grande partie de l’appareil militaire, les
organisateurs du génocide ont utilisé les soldats, les membres de la police
nationale, les membres de l’armée de réserve et les soldats à la retraite
pour initier et superviser les massacres du génocide aux quatre coins du
pays. Pour chaque grand massacre sur lequel Human Rights Watch a enquêté, il
y avait un certain nombre de membres de l’armée régulière qui avaient
déclenché et dirigé les meurtres commis par des civils. Dans une communauté
après l’autre, nous avons trouvé des preuves que les membres des forces
armées avaient incité et en fait ordonné aux civils de participer à la
campagne de meurtre. »
3. En affirmant que le FPR était responsable des meurtres commis, M.
Black proclame que le génocide a eu lieu dans l'autre sens. Il écrit : « les
envahisseurs Tutsi venus du Rwanda et soutenus par l’Ouest ont assassiné
entre un et demi et deux millions de Hutu durant la période allant du 6
avril et le 4 juillet 1994…une tragédie rendue d’autant plus macabre par
l’affirmation des Tutsi que leurs victimes hutu étaient en fait des Tutsi. »
[15]
Black a aussi affirmé que le colonel Dallaire « avait travaillé avec le
FPR durant son mandat au Rwanda et ce en violation de son mandat de l’ONU, »
[16] de telle sorte qu'on ne peut croire à aucune de ses preuves. Il affirme
aussi dans sa lettre que Linda Malvern dont le livre a été publié par Verso,
une maison d’édition de gauche, fait partie de « l’appareil de propagande
FPR-Etats-Unis. »
Mis à par des preuves douteuses d’anciens cadres du FPR, Black fait grand
cas des preuves de meurtres commis par le FPR à l’égard de la population
hutu et présentées par Robert Gersony de l’agence américaine pour le
développement international (USAID) dans un rapport daté de novembre 1994.
Mais le chiffre de 30.000 et l’affirmation qu’il s’agissait d’une politique
délibérée ont été réfutés par Prunier. [17] Il remarque, et pas de façon
déraisonnable, qu’une tuerie d’une telle ampleur dans un pays très petit
aurait certainement laissé bien davantage de preuves. Le rapport de Gersony,
de plus, se rapporte à des événement qui s’étaient déroulés entre juillet et
septembre 1994, après l'arrivée au pouvoir du FPR , et non d’avril à juin
quand les milices hutu tuaient des Tutsi.
La nature du régime rwandais
M. Black décrit le Rwanda d’avant 1994, quand le FPR prit le pouvoir,
comme « un pays semi-socialiste considéré être un modèle pour l’Afrique. »
Nous n’acceptons pas cette caractérisation. Comme dans le cas de la
plupart des Etats d’Afrique après l’indépendance, le Rwanda était un régime
nationaliste bourgeois. Son économie était surtout fondée sur une
agriculture de subsistance et qui était dirigée par une riche petite élite,
servile et tributaire de l’impérialisme français. Tandis que certains
régimes africains s’étaient alliés à l’Union soviétique ou à la Chine en se
qualifiant de « socialistes », ce ne fut pas le cas du Rwanda. Même ceux
parmi les régimes africains qui entretenaient des relations étroites avec
l’Union soviétique et la Chine ne pouvaient en aucun cas être définis comme
socialistes ou en transition vers le socialisme parce qu’il n'y avait pas eu
de révolution prolétarienne. Le pouvoir se trouvait entre les mains d’une
section de l’élite coloniale et l'économie de ces pays restait assujettie à
l’impérialisme.
De nombreux Etats économiquement attardés, réprimés et appauvris
affirmaient être socialistes durant la période d’après-guerre. M. Black qui
est un membre influent du Parti communiste canadien, s’était rendu en 2003
en République populaire démocratique de Corée avec une équipe d’avocats
américains et selon le site internet NationMaster encyclopedia, « Il a
déclaré que la RPDC est un pays progressiste, socialiste méritant le soutien
de tous les peuples progressistes de par le monde. » [18]
Le WSWS s’est opposé aux menaces proférées par les Etats-Unis contre la
Corée du Nord et d'autres pays qui ont été soumis à un véritable assaut
militaire mais nous ne sommes pas prêts à identifier chaque régime qui subit
une attaque comme étant anti-impérialiste ou socialiste. Et nous ne sommes
certainement pas disposés à accorder au régime rwandais d’avant 1994 un
bilan de santé positif ni à dédouaner l’impérialisme français.
L’internationalisme socialiste authentique ne consiste pas à glorifier
n’importe quel pouvoir bourgeois semi-colonial qui est attaqué ou à s’allier
avec l’une ou l’autre puissance impérialiste. L'internationalisme socialiste
authentique signifie prendre fait et cause et défendre les intérêts
indépendants de la classe ouvrière dans chaque pays en avançant une
perspective d’unification de la classe ouvrière dans la lutte contre tous
les agissements du militarisme impérialiste et du colonialisme.
Conclusion
En résumé, nous insistons pour dire que le génocide rwandais – la tuerie
de masse en 1994 de la population tutsi organisée par une section extrémiste
hutu de l’élite dirigeante – a bien eu lieu et les preuves en sont
irréfutables. Bien que ce soit l’exemple le plus extrême d’un tel massacre à
base ethnique de la période récente, il n’est en aucune façon l'unique. Les
régimes nationalistes bourgeois d’Afrique – faibles, instables et dépendants
de l’impérialisme, notamment lorsqu’ils sont confrontés à une crise
économique – ont à maintes reprises attisé les divisions ethniques et
religieuses en encourageant les meurtres à grande échelle. L’on peut citer
le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Nigéria et bien d’autres. Dans d'autres cas,
les divisions nationales et ethniques ont servi à fomenter des guerres entre
des régimes rivaux.
La tentative de développer des entités nationales viables dans les
régions découpées en Afrique par les anciennes puissances impérialistes
s’est révélée être un échec complet comme le prouve la fréquence de tels
conflits. Mais un événement tel que le génocide rwandais ne peut pas être
traité comme un événement créé simplement par des problèmes africains. Le
rôle à la fois de l’impérialisme français et son soutien pour la clique
dirigeante au Rwanda, de l’impérialisme américain appuyant l’Ouganda et du
FPR ainsi que le pillage économique continu de l’Afrique par les puissances
occidentales en général par le biais de la Banque mondiale et du FMI, ont
été cruciaux dans la préparation du terrain de cette tragédie.
En tant qu’avocats, le professeur Erlinder et M. Black ont une
responsabilité professionnelle envers leurs clients. C’est tout à fait autre
chose quand ils choisissent de transformer ceci en une défense politique du
régime hutu et de ses crimes.
La tâche du WSWS est de fournir une analyse objective des événements
contemporains et de tracer la ligne d’une politique socialiste pour les
travailleurs internationalement. En cela nous poursuivons la tradition fixée
par Léon Trotsky. Permettez-nous de suggérer, qu'en qualité de dirigeant
d’une organisation qui a servilement soutenu tous les crimes de Staline, M.
Black, qui proclame être un admirateur de Trotsky, devrait sérieusement
réfléchir à sa propre orientation politique avant de dénoncer avec autant de
véhémence le WSWS.
Notes:
1. "Suppressed report raises question of US role in Rwandan civil war"
2. "Rwandan crisis deepens as Kagame begins seven-year term"
3. "Rwanda—10 years since the genocide"
4. Gérard Prunier, The Rwanda Crisis, History of a Genocide, Hurst &
Company, London, 1995, p 176. (We have cited Prunier as there can be no
suggestion that he is pro-US or pro-RPF.)
5. Prunier, p. 214.
6. Martin Meredith, The State of Africa, A History of Fifty Years of
Independence, The Free Press, 2005, p. 521.
7. "IMF-World Bank policies and the Rwandan holocaust"
8. Prunier, pp. 102-109.
9. Prunier, pp. 261-65.
10. Prunier, p. 240.
11. Prunier, p. 242.
12. Peterson recalls his experiences in Scott Peterson, Me Against My
Brother, Routledge, New York, 2000.
13. Prunier, who was an adviser to President Mitterrand and had inside
information in the period before the genocide, states that Bagasora was the
"coordinator" of the genocide, p. 163.
14.
http://www.ess.uwe.ac.uk/Rwanda/Rwanda2.htm
15. http://globalresistance.com/letters/racism.htm
16.
http://www.sandersresearch.com/index.php?option=com_content&task=view&id=38&Itemid=62
17. Prunier, p 323.
18.
http://www.nationmaster.com/encyclopedia/Christopher-Black
(Article original paru le 13 février 2009