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Des milliers de personnes défilent contre le gouvernement « d'union » de la Tunisie

Par Bill Van Auken
22 janvier 2011

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Des milliers de personnes ont de nouveau défilé mercredi dans le centre de Tunis et dans d'autres villes tunisiennes en exigeant la révocation des ministres en poste dans le régime du dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali et la dissolution de son parti toujours au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).

Cinq jours après la fuite de Ben Ali, craignant pour sa vie, vers l'Arabie saoudite, le régime tunisien qu'il a laissé derrière lui reste paralysé et les efforts entrepris pour former un gouvernement « d'union nationale » ont été entravés par l'opposition de masse de la rue.

« Nous voulons un nouveau parlement, une nouvelle constitution, une nouvelle république ! » scandaient les manifestants défilant sur l'avenue Bourguiba dans le centre de Tunis, défiant une interdiction de se rassembler en public et les forces de sécurité qui bordaient la voie en tirant des grenades lacrymogènes sur les manifestants.

« Ce sera comme ça tous les jours jusqu'à ce que nous nous soyons débarrassés du parti dirigeant, » a dit un enseignant, Faydi Boni, à l'agence Reuters. « Nous nous sommes débarrassés du dictateur mais pas de la dictature. Nous voulons écarter ce gouvernement qui nous a enfermés pendant 30 ans. »

Le premier ministre Mohammed Ghannouchi, un fidèle de Ben Ali, qui a tenté de prendre les rênes du gouvernement peu de temps après que le dictateur a fui la Tunisie, a été obligé de reporter la première réunion ministérielle prévue du soi-disant gouvernement d'union nationale.

En raison de la résistance de masse continue, quatre ministres nouvellement nommés ont été obligés de quitter le gouvernement mardi après avoir tout d'abord accepté d'y participer.

L'hostilité populaire contre le nouveau gouvernement a été immédiate et intense du fait qu'il n'a changé ni le premier ministre ni les ministres responsables de tous les autres postes clé, dont les ministres de la Défense, des Affaires étrangères, de l'Intérieur et des Finances.

Mustapha Ben Jaafar, le dirigeant et l'ancien candidat à la présidentielle du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), parti d'opposition bourgeois, a annoncé avant même de prendre ses fonctions qu'il n'occuperait pas le poste de ministre de la Santé.

Trois autres figures de l'opposition qui avaient rejoint le gouvernement - Anouar Ben Gueddour, secrétaire d'Etat aux Transports et à l'Equipement ; Houssine Dimassi, ministre du Travail; et Abdeljelil Bedoui, nommé à un poste nouvellement créé comme « ministre auprès du premier ministre » - ont annoncé qu'ils démissionnaient.

Tous trois sont des représentants de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), la seule fédération syndicale reconnue sous le régime Ben Ali qui s'était servi de sa bureaucratie pour maintenir l'ordre et contribuer à réprimer la classe ouvrière tunisienne.

Le secrétaire général de l'UGTT, Abdessalem Jerad, qui avait en 2009 mobilisé la centrale syndicale pour soutenir Ben Ali lors d'une élection truquée a dit mercredi que l'organisation ne participerait pas à un nouveau gouvernement avec des personnalités issues « de l'ancien régime. »

« Il nous est impossible de participer à un gouvernement qui comprend des symboles de l'ancien régime, » a dit Jera après la réunion avec le premier ministre Ghannouchi.

Le fait que le dirigeant de l'UGTT est lui-même un tel « symbole » n'échappera pas à de nombreux travailleurs tunisiens. Il est évident que le vieil appareil syndical est en train d'ajuster soigneusement ses actions dans le but d'étouffer le mouvement de masse et de stabiliser le régime. L'UGTT a conclu, sur la base de la mobilisation de masse de la rue, qu'une tentative d'ériger un gouvernement d'union nationale n'était pas viable.

Dans un communiqué publié mercredi, l'UGTT a dit que ce gouvernement « ne se plie pas aux aspirations des travailleurs et du public pour ce qui est de maintenir les forces d'innovation réelle éloignées des pratiques passées, et pour ce qui est de l'équilibre entre le nombre des membres des anciens gouvernements et du parti dirigeant ; en plus de la marginalisation du rôle des représentants de l'UGTT. »

Ni Jerad, ni la déclaration de l'UGTT n'a donné une quelconque explication quant à savoir pourquoi l'appareil syndical a tout d'abord essayé de rejoindre le gouvernement d'union nationale.

Un porte-parole de l'UGTT a aussi précisé qu'alors que l'UGTT réclamait le retrait de toutes les reliques du cabinet du dictateur destitué elle ferait une exception en ce qui concerne le premier ministre Ghannouchi.

Dans une tentative creuse visant à disperser l'opposition de masse, Ghannouchi et le président intérimaire Mebazas ont annoncé mardi qu'ils quittaient le parti RCD de Ben Ali qui a dirigé le pays pendant des décennies.

Alors qu'un tel geste n'aura vraisemblablement aucun effet sur les protestations de masse, le dirigeant de l'opposition, Ben Jaafar a dit mercredi à Reuters qu'il pourrait bien reconsidérer son départ du gouvernement. Un porte-parole de son parti a dit qu'il avait « officiellement » quitté le gouvernement mais était en quête de négociations dans le but de former un gouvernement alternatif.

Un malaise grandissant concernant les événements révolutionnaires se déroulant en Tunisie s'exprime aux Etats-Unis, en Europe et de par le monde arabe.

Al Jazeera a cité mercredi Gordon Gray, l'ambassadeur américain en Tunisie, dans ce qu'il a dit être ses « premières remarques publiques depuis le mois de protestations » qui ont abouti au renversement de Ben Ali.

Gray s'est exprimé avec une précaution extrême , demandant à toutes les parties concernées de faire preuve de « responsabilité ».

« Je pense que ce que nous avons en Tunisie est une situation où.cette expression démocratique est un travail actuellement en cours », a dit Gray au réseau d'information arabe. « C'est un phénomène nouveau et c'est quelque chose que les gens font, sans avoir beaucoup d'expérience. »

Le caractère évasif des remarques de l'ambassadeur reflète l'incertitude de Washington quant à savoir s'ils peuvent sauver les vestiges d'un régime qu'ils ont soutenu pratiquement jusqu'au moment où Ben Ali embarquait dans son avion en direction de l'Arabie saoudite.

Pendant ce temps en Europe, le président du groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates au parlement européen a annoncé mardi que le parti RCD de Ben Ali avait été expulsé de l'Internationale socialiste dans des « conditions exceptionnelles. »

Le RCD en était un membre depuis les années 1970. L'organisation internationale comprend les partis travaillistes britannique et australien, le Parti social-démocrate d'Allemagne, le Parti socialiste français tout comme des partis sociaux-démocrates ainsi que des partis nationalistes bourgeois de par le monde.

Tout comme le gouvernement Obama à Washington, ces partis ont entretenu des liens fraternels avec une organisation qui a systématiquement pillé la Tunisie tandis qu'elle abattait des centaines de manifestants dans les rues. Le groupe social-démocrate a attendu le moment où il était absolument sûr que Ben Ali avait perdu le pouvoir, pour rompre les relations.

A Washington, la Maison Blanche a rapporté que le président Obama avait téléphoné au président égyptien Hosni Moubarak mardi.

« Le président s'est entretenu des derniers développements survenus en Tunisie et a dit au président Moubarak que les Etats-Unis lancent un appel au calme et à la fin des violences, et pour que le gouvernement intérimaire tunisien respecte les droits de l'homme et organise des élections libres et justes qui reflètent les aspirations du peuple tunisien, » a déclaré la Maison Blanche dans un communiqué.

Ce coup de fil est arrivé au moment où Moubarak accueillait la Ligue arabe pour un sommet sur le développement socio-économique se tenant à Charm el-Cheikh.

Dans son discours, prononcé lors du sommet, l'autocrate égyptien n'a pas mentionné les événements en Tunisie, et s'est contenté de souligner que seul l'emploi et le développement économique étaient des questions relevant de « la sécurité nationale arabe. »

L'attention des responsables participant au sommet était fixée sur les soulèvements et reflétait des craintes bien fondées que leur propre régime répressif pourrait subir le même sort.

L'émir dirigeant le Koweït, Cheick Sabah al-Ahmad Al-Sabah, s'est limité à exhorter la Tunisie à « surmonter cette étape particulière et à mettre en place la stabilité et la sécurité. »

L'une des seules voix à exprimer directement ces craintes au sein des élites arabes dirigeantes a été le secrétaire de la Ligue arabe, Amr Moussa qui a dit, « Ce qui se passe en Tunisie en termes de révolution n'est pas une question éloignée des questions de ce sommet qui est le développement économique social. »

Moussa a averti que « le citoyen arabe a atteint un stade de colère qui est sans précédent » et caractérisé les sociétés arabes comme étant « brisées par la pauvreté, le chômage et une baisse générale des indicateurs » et comme étant confrontées à « des problèmes politiques qui n'ont pas été résolus. »

Il a dit que la Tunisie était un avertissement que de « de gros chocs » allaient se produire dans de nombreux pays arabes.

La menace que les événements tunisiens puissent se propager à l'ensemble de la région a été tragiquement soulignée par une série d'incidents lors desquels des travailleurs des pays voisins ont imité le geste de Mohammed Bouazizi, le jeune Tunisien de 26 ans qui s'est immolé par le feu le mois dernier pour protester contre les abus de la police et la confiscation de son chariot à légumes lui servant de gagne-pain.

Le geste de ce jeune travailleur qui, comme d'innombrables autres en Tunisie et partout dans le monde arabe, ne parvenait pas à trouver un emploi stable, a déclenché les protestations qui ont eu un effet de spirale et produit le soulèvement massif qui a renversé Ben Ali.

En Algérie, qui a également connu des protestations contre la hausse des prix et le chômage le mois dernier, trois autres personnes ont tenté de se suicider en s'immolant mercredi, a rapporté l'Agence France Presse.

Dans une quasi répétition des événements qui ont entraîné le geste de Mohammed Bouazizi, Afif Hadri, un jeune travailleur algérien de 37 ans et père de six enfants, s'est aspergé d'essence dans le marché central de la ville d'Oued, dans l'Est du pays, et tenté de s'immoler avant que des gens du quartier ne l'en empêchent. Hadri venait juste d'avoir une confrontation avec la police qui l'avait accusé de vendre illégalement de la nourriture.

Dans une ville proche d'Alger, une femme d'une cinquantaine d'années s'est aspergée d'essence et a tenté de s'immoler après qu'on lui a refusé une aide au logement. Elle a également  été  stoppée avant de passer à l'acte.

Un Algérien de 35 ans a réussi à s'immoler par le feu devant la mairie de Dellys, ville située hors d'Alger. Le personnel de l'hôpital a dit à l'AFP qu'il était dans un état critique et était brûlé à 95 pour cent.

Et mardi un chômeur, père de six enfants, a été hospitalisé après avoir mis le feu à son corps pour protester contre le manque d'emploi et de logement.

Pendant ce temps, en Egypte, un employé de l'entreprise des eaux a essayé de s'immoler par le feu au Caire devant le bureau du gouverneur. C'était le quatrième cas de tentative d'immolation en Egypte en l'espace d'une semaine. Une personne est morte de ses brûlures mardi. Un père de six enfants sans emploi réclamant du travail et un logement a aussi été hospitalisé mardi après s'être immolé par le feu.

(Article original paru le 20 janvier 2011)

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