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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

David Brooks du New York Times sur « La mort et le budget »

La voix de la classe dirigeant

Par Kate Randall
23 juillet 2011

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Dans un article d’opinion publié vendredi, le chroniqueur au New York Times David Brooks a révélé la pensée véritable de l’aristocratie financière américaine quant aux dépenses publiques consacrées à la santé. Dans des termes à vous glacer le sang il donne libre cours à son amertume sur le « gaspillage » des ressources pour le prolongement de la vie chez les vilains et sur sa détermination à y mettre fin.

La rubrique est ap parue en pleine discussion entre la Maison Blanche et les Démocrates et Républicains du Congrès au sujet d’un plan consensuel pour retirer des milliers de milliards de dollars aux programmes de santé et de retraite des personnes âgées et des pauvres dont les programmes Medicare, Medicaid et la Sécurité sociale. Le gouvernement Obama a pris la tête de cette attaque sans précédent contre des réformes sociales fondamentales qui remontent aux années 1930, insistant pour dire que toute décision de relever le plafond de la dette doit être liée à de massives coupes sociales.

L e message essentiel de la rubrique de Brooks est résumé dans le titre, « La mort et le budget. » Il affirme que, dans le but de résoudre le déficit budgétaire, les gens auront à mourir plus tôt.

« Cette crise fiscale concerne beaucoup de choses, » écrit-il, « mais l’une d’entre elles est notre incapacité à affronter la mort – notre volonté à dépenser pour prolonger la vie de quelques mois de maladie de plus au point de pousser notre pays dans la banqueroute. » C’est le souhait égoïste et ignorant du peuple américain à vivre plus longtemps, et non la cupidité stupide et la richesse extravagante de l’élite dirigeante ou les milliers de milliards dépensés en guerre et dans des plans de sauvetage des banques, qui acculent le pays à la faillite, affirme-t-il.

A la manière typique d’un sophiste, Brooks présente le cas d’un patient souffrant d’une maladie terriblement débilitante et incurable pour plaider contre des traitements « inutiles » concernant des millions d’autres. Brooks cite Dudley Clendinen, un ancien éditorialiste du Times qui souffre de la sclérose latérale amyotropique (ALS), ou bien la maladie de Lou Gehrig, qui a choisi de renoncer à tout traitement supplémentaire.

P arlant de l’état de santé de ceux chez qui l’ALS a été diagnostiqué, Brooks déclare, « La vie ne consiste pas seulement à respirer et à végéter dans une enveloppe de peau. » Là, le ton venimeux est tout aussi évocateur que les mots. Combien de personnes aujourd’hui malades et âgées Brooks et ses pairs relègueraient-ils dans la catégorie de ceux qui « végètent dans une enveloppe de peau ? »

Il y a plus que des relents de fascisme dans ceci. Brooks ne propose pas la solution des nazis pour résoudre le « problème » des personnes physiquement ou mentalement handicapées – l’extermination de masse – mais l’on peut facilement s’imaginer les architectes de telles horreurs recourir à un langage identique pour décrire leurs victimes.

Le genre d ’« analyse coûts-bénéfices » appliquée à la vie humaine que préconise Brooks a été poussée à sa conclusion logique sur une affiche de propagande nazie des années 1930 en faveur de l’euthanasie qui dit que des individus « atteints de maladies héréditaires coûtent 60.000 reichsmark à la collectivité… Camarade du peuple allemand, c’est aussi votre argent. »

Brooks suggère que toute personne chez qui on a diagnostiqué l’ALS devrait accepter de mettre fin prématurément à sa vie. Il méprise les sentiments humains et ignore la contribution que même des personnes gravement malades peuvent faire à la société. Le cas du scientifique Stephen Hawking nous vient immédiatement à l’esprit, un brillant intellectuel qui, grâce aux progrès faits dans le domaine de la médecine moderne pour prolonger la durée de vie, a apporté certaines de ses plus importantes contributions tout en étant gravement handicapé par l’ALS.

Le cas de Clendinen est cyniquement cit é par Brooks afin de plaider en faveur du rationnement des soins de santé. « Nous nourrissons l’illusion qu’en dépensant beaucoup en frais de santé nous améliorons drastiquement la qualité de nos vies, » a-t-il déclaré. Il n’a pas précisé pourquoi ceci est une « illusion ». C’est toutefois un fait que depuis l’introduction en 1965 de Medicare – le programme de sécurité médicale du gouvernement pour les personnes âgées – la pauvreté parmi les personnes âgées en Amérique a nettement diminué et l’espérance de vie a grimpé.

Ce à quoi Brooks veut vraiment en venir – il traduit là le consensus existant au sein de l’élite fortunée aux Etats-Unis – c’est que ces tendances sont malfaisantes et doivent être renversées.

Il é met un jugement hâtif selon quoi nous « sommes loin d’un traitement » pour le cancer et qu’« il n’y a pas de traitement à l’horizon pour les maladies cardiaques. » Ce faisant, il rejette purement et simplement la signification des progrès spectaculaires faits dans le traitement à la fois d’une grande variété de cancers – entre autres du poumon, du sein et de la prostate – et des maladies cardiaques.

Selon le Centre pour le contr ôle et la prévention des maladies, le nombre de personnes qui sont actuellement décrites comme des « survivants du cancer » est passé de 3 millions en 1971 à 11,7 millions en 2007 – un bond de 290 pour cent. Un dépistage précoce et un traitement offensif ont été à l’origine d’une amélioration considérable.

De la m ême manière, selon des études relatées dans la revue Archives of Internal Medicine, le taux de mortalité à l’hôpital après un infarctus a extrêmement diminué en partie en raison de nouveaux médicaments et de traitements chirurgicaux. Entre 1994 et 2006, le taux de ce genre de décès a chuté de 53.9 pour cent chez les femmes de moins de 55 ans et de 33,3 pour cent chez les hommes du même groupe d’âge.

L a partie la plus sinistre probablement de la rubrique de Brooks concerne le traitement de la maladie d’Alzheimer et ses malades. Brooks déplore le fait qu’une « grande part de nos dépenses de santé est consacrée aux patients malades dans la dernière phase de leur vie. Cette sorte de dépense croît rapidement. »

Pour les annal es, Brooks a aussi ajouté, « Bien sûr, nous ne traiterons jamais les malades d’Alzheimer comme des exclus en les laissant à flanc de coteau. Nous ne laisserons jamais tomber les vieux et les souffrants de façon contraignante. » Ces affirmations du contraire sont étonnamment vagues – et ce, on l’imagine, de façon voulue.

Qu e veut-il dire par « de façon contraignante? » Si, comme beaucoup le proposent dans le camp de Brooks, les sociétés d’assurance, Medicare et Medicaid ne prennent plus en charge les médicaments, les types de traitement et les examens les plus chers, et que des millions de gens découvrent subitement qu’ils ne peuvent plus se payer les médicaments et les traitements dont ils dépendent, cela est-il « contraignant? » Après tout, ils peuvent bien décider de ne plus payer leur loyer ou de manger moins et, s’ils sont riches, ils peuvent continuer à recevoir le meilleur traitement médical possible pour de l’argent.

« Il est difficile de s’imaginer que nous puissions réduire sérieusement l’inflation des soins de santé sans que les gens et leurs familles suivent l’exemple de Clendinen – affronter la mort en honorant leurs obligations vis-à-vis des vivants, » conclut Brooks.

Dans sa rubrique, Brook s se réfère, en l’approuvant, à un récent article paru dans le journal de sensibilité démocrate, le New Republic. Les auteurs, Daniel Callahan et Sherwin Nuland, sont encore plus explicites. Ils citent une étude qui affirme que « les coûts additionnels d’une année supplémentaire de vie » ont atteint 145.000 dollars. « Si cette tendance se poursuit chez les personnes âgées, le rapport coût-rentabilité des soins médicaux continuera de baisser avec la vieillesse, » concluent les auteurs.

Dans l’heureuse éventualité où cette tendance serait inversée, ils écrivent, « Certaines personnes mourront plus tôt que ce n’est le cas maintenant, mais ils auront une meilleure mort. » Ils poursuivent en affirmant que « l’opinion publique doit être persuadée de modérer ses attentes » quant aux soins de santé en partie en « ramenant les paiements directs des frais de soins et les frais déductibles à un niveau suffisamment douloureux pour décourager les gens » de demander des soins médicaux visant à prolonger la vie.

Toutes les sections de l’establishment politique exigent des réductions drastiques des programmes de santé. On doit cependant et en particulier faire remarquer le rôle de premier plan joué dans cette attaque par l’establishment libéral et le Parti démocrate.

Le New York Times a joué un rôle de premier plan dans la campagne de réforme du système de santé du gouvernement Obama. Interminable est la liste des articles et des tribunes parus dans ce journal et qui ont vivement critiqué des dépenses trop élevées pour le dépistage du cancer, les stimulateurs cardiaques, des thérapies aux statines et beaucoup d’autres traitements vitaux importants. En se demandant dans sa rubrique s’il y a une valeur intrinsèque à prolonger la vie des Américains ordinaires, Brooks ne fait qu’exposer explicitement les prémisses qui sont implicites aux arguments visant à rationner le système de santé.

Lorsque la réforme du système de sant é d’Obama avait été débattue en 2009, au milieu d’un concert d’affirmations qu’elle était motivée par le désir de fournir une couverture maladie « universelle », le World Socialist Web Site avait insisté pour dire qu’il ne s’agissait pas d’une réforme progressiste mais bien plutôt d’une « attaque sans précédent contre les soins de santé des travailleurs… un effort pour détruire les acquis sociaux liés à l’introduction de Medicare en 1965. » (Voir : « Obama’s health care counterrevolution. »)

Au cours de ces deux dernières années, c ette évaluation a été pleinement confirmée. Et le fait même qu’une rubrique telle que celle de Brooks puisse être publiée dans un grand quotidien témoigne de la brutalité de l’assaut qui est en train d’être lancé par l’élite patronale et financière américaine.

(Article original paru le 18 juillet 2011)

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