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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les leçons politiques de la Grèce

Par Stefan Steinberg
7 juillet 2011

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Sur fond d’intenses pressions exercées par les banques internationales et l’Union européenne, le parlement grec a approuvé la semaine passée un nouveau plan d’austérité élaboré par le gouvernement PASOK du premier ministre George Papandreou. Cette dernière attaque contre le niveau de vie et les droits sociaux des travailleurs grecs servira de critère mondial et aura des conséquences dévastatrices pour la classe ouvrière européenne et internationale.

L’Etat providence sera réduit à néant dans le but de consolider le bilan des banques européennes et internationales. Une exigence centrale des banques figurant dans le nouveau plan d’austérité est la privatisation des industries et des entreprises publiques. Les services publics de base – le chauffage, l’électricité, les télécommunications – seront liquidés aux entreprises privées pour devenir de nouvelles sources de profits pour ces entreprises.

Les implications profondément réactionnaires de cette politique ont été montrées au cours du week-end par le patron des ministres des Finances de la zone euro, Jean-Claude Juncker. Il a dit au magazine allemand Focus qu’il était nécessaire de retirer le processus de privatisation des mains des Grecs. Il a réclamé la mise en place d’une agence, inspirée du modèle de la Treuhand allemande, pour liquider les actifs publics grecs.

Le plan impliquerait l’envoi sur place d’experts économiques venus d’Europe pour organiser le programme de privatisation le plus efficace (c’est-à-dire le plus rentable). En conséquence, Juncker a dit, « la souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte. »

La Treuhand avait été mise en place par le gouvernement allemand en 1990 pour superviser la désindustrialisation de l’Allemagne de l’Est après l’effondrement des régimes staliniens de l'Europe de l’Est. Cette opération de pillage avait été le premier pas vers la restauration des relations capitalistes de marché.

La Treuhand a organisé de 1990 à 1994 la liquidation – et dans la plupart des cas, la fermeture – de pas moins de 12.000 entreprises est-allemandes. Ces entreprises employaient quatre millions de travailleurs au moment de leur reprise par la Treuhand mais n’en comptaient plus que 1,5 million lorsque la Treuhand cessa ses opérations. Des régions fortement industrialisées de l'Allemagne de l’Est furent ravagées et des centaines de milliers d’Allemands de l’Est furent obligés d’émigrer à l’Ouest pour trouver du travail.

Des gouvernements allemands successifs du pays réunifié se sont servis de la dévastation sociale à l’Est pour rompre les structures contractuelles traditionnelles et faire baisser les salaires en Allemagne de l’Ouest, en exploitant le réservoir de main-d’œuvre bon marché fourni par les travailleurs licenciés de l’Est. Deux décennies plus tard, les anciennes provinces de l’Allemagne de l’Est, en grande partie dépeuplées, connaissent encore un taux de chômage considérablement plus élevé et un niveau de vie plus bas que leurs homologues à l’Ouest du pays.

Dans le contexte de la plus profonde crise économique du capitalisme mondial depuis les années 1930, une politique identique appliquée à la Grèce, pays disposant de moins de ressources économiques, aurait des conséquences encore plus désastreuses.

La proposition de Juncker revient à réduire la Grèce à un statut quasi colonial par des responsables financiers non élus, travaillant en tandem avec la classe dirigeante grecque et n’ayant de compte à rendre qu’aux banques et aux puissances impérialistes. La bourgeoisie grecque est à présent en train de discuter des mesures drastiques qui feraient partie d’une telle politique, parmi lesquelles des projets de changement de la constitution afin de permettre le licenciement de fonctionnaires travaillant à temps plein et la réforme du code grec des impôts au profit des riches.

Une dictature des banques est en train d’être instaurée en Grèce qui servira de modèle à l’ensemble de l’Europe et au-delà. Et cela, en dépit du fait que les luttes combatives n’ont pas manqué de la part des travailleurs grecs au cours de l’année passée.

Comment a-t-il pu être possible de mener à bien cette attaque malgré la vaste opposition du peuple grec ? Quelles leçons doit-on tirer pour permettre à la classe ouvrière de repousser et de vaincre l’offensive contre-révolutionnaire de la bourgeoisie ?

Il est nécessaire de dresser un bilan de la politique des syndicats et des partis soi-disant de gauche de la classe moyenne. Ces forces agissent pour défendre le système capitaliste contre la menace d’une révolution de la classe ouvrière.

Au cours de ces dix-huit derniers mois, les syndicats, qui sont en grande partie dirigés par des membres du PASOK, ont organisé de nombreuses actions de protestation. Ils l’ont fait avec le soutien total des organisations bourgeoises jadis de gauche. L’objectif recherché des 15 grèves générales de 24 heures et des autres protestations a été d’exercer une pression sur PASOK pour qu’il change de cap. Toute lutte sociale et politique pour le renversement du gouvernement bourgeois PASOK a été opposée avec véhémence à la fois par les syndicats et les groupes pseudo-socialistes. De cette manière, ces forces se sont consciemment appliquées à épuiser et à démoraliser l’opposition de la classe ouvrière aux coupes sociales.

Des organisations telles SYRIZA et ANTARSYA reflètent la perspective et la politique des forces de la classe moyenne qui, dans les années 1960, ont mené les mouvements de protestations anti-guerre et qui ont, au cours des décennies suivantes, viré à droite. Un grand nombre de leurs dirigeants et de leurs membres ont pris des fonctions bien rémunérées dans les universités, les médias, les syndicats et dans l’Etat. Aujourd’hui, ils représentent les intérêts d’une couche privilégiée de la classe moyenne supérieure. Au fur et à mesure que les travailleurs se radicalisent politiquement, ils mettent à la disposition de la classe dirigeante, dans le but de désorienter la classe ouvrière, leur savoir-faire en tant qu’opposants de longue date au socialisme révolutionnaire.

Après dix-huit mois de coupes sociales pratiquées par Papandreou, il règne une colère grandissante au sein de la classe ouvrière contre à la fois le gouvernement et les syndicats. C’est précisément pour supprimer le développement d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière, en dehors du contrôle des syndicats, que SYRIZA et ANTARSYA se sont fait en Grèce les avocats des soi-disant protestations des « indignés » qui sont basées sur le slogan en faillite de « pas de politique », c’est-à-dire du maintien de la dominations de la politique bourgeoise.

Dans la poursuite de cet objectif réactionnaire, ils ont collaboré aux côtés de forces ouvertement droitières et nationalistes manifestant sur la place Syntagma à Athènes. Ce faisant, ils ont aidé à promouvoir la perspective nationaliste de sortie de la zone euro en faveur d’un rétablissement de la drachme, l’ancienne monnaie de la Grèce. Si la bourgeoisie devait adopter une telle politique, ce ne serait que pour mieux appauvrir les travailleurs par le biais d’une hyperinflation.

La seule réponse progressiste au pillage par la classe dirigeante de l’économie grecque est l’unification de la classe ouvrière de par l’Europe et internationalement dans une lutte contre l’aristocratie financière et fondée sur un programme socialiste. Telle est la stratégie qui est au centre de la perspective des Etats socialistes unis d’Europe.

Le premier pas indispensable à ce combat pour une perspective révolutionnaire est que les travailleurs se débarrassent de la mainmise des syndicats et qu'ils construisent de nouveaux organes démocratiques et populaires pour la lutte de la classe ouvrière – tels des comités d’action dans les usines, sur les lieux de travail et dans le voisinage – pour mobiliser le pouvoir de la classe ouvrière contre le gouvernement et le système capitaliste.

Ce combat requiert une lutte implacable contre les organisations soi-disant de gauche et les tendances staliniennes et pablistes qui les composent. Une telle lutte est essentielle pour le développement de la conscience politique de la classe ouvrière et l’établissement de son indépendance politique par rapport à toutes les sections de la bourgeoisie.

La lutte pour le socialisme en Europe ne peut être menée qu’en alliance avec les travailleurs en Amérique et dans le monde entier. En substance, les coupes réalisées par le gouvernement social-démocrate en Grèce ne diffèrent en rien de celles planifiées par le gouvernement Obama aux Etats-Unis ou celles effectuées par les gouvernements d’Etat, telles les coupes sociales au Wisconsin qui avaient provoqué des protestations de masse l’hiver dernier.

Les développements en Grèce soulignent la nécessité d’étendre l’influence du World Socialist Web Site et de construire des sections du Comité international de la Quatrième Internationale partout en Europe.

(Article original paru le 6 juillet 2011)