Les meurtres du plus jeune fils et de trois petits-enfants du chef libyen
Mouammar Kadhafi sont des assassinats politiques. Le premier ministre
britannique David Cameron, le président français Nicolas Sarkozy, le premier
ministre italien Silvio Berlusconi et le président américain Barack Obama en
sont directement responsables. Ils ont autorisé un tir de missile sur une
résidence privée où s'étaient réunis Kadhafi et des membres de sa famille
samedi soir. Saif al-Arab Kadhafi, 29 ans, était le plus jeune fils du chef
libyen et n'était pas considéré comme un membre du gouvernement libyen. Des
amis de la famille Kadhafi ont rapporté que les enfants qui ont été tués
étaient âgés de 1 à 4 ans.
Suivant la frappe aérienne, le commandant canadien des opérations
militaires de l'OTAN en Libye, le lieutenant-général Charles Bouchard a fait
une déclaration aussi sommaire que malhonnête : « Nous regrettons toute
perte de vie, surtout quand il s'agit de civils innocents qui subissent les
conséquences du conflit. »
Dans une déclaration tout aussi mensongère, Cameron a tenté de maintenir
l'illusion politique que l'attaque sur la résidence était permise sous les
conditions de la résolution 1973 de l'ONU. La frappe aérienne, a-t-il dit,
visait à « empêcher les pertes de vies humaines en ciblant la machine de
guerre de Kadhafi. Celle-ci est évidemment constituée de chars, de fusils et
de lance-roquettes, mais aussi du commandement et de la direction. »
Cameron, suivant les conseils de ses avocats, a fait référence à la
résidence privée en tant que centre de « commande et de direction » afin de
ne pas avoir à faire face à l'accusation que Mouammar Kadhafi avait été la
cible de la frappe aérienne. La prise d'un individu en particulier comme
objectif est un assassinat et, même dans une guerre, peut être qualifiée
d'acte criminel. La tentative d'assassinat de Kadhafi prend toutefois place
dans un contexte où les États-Unis et les puissances européennes n'ont même
pas déclaré la guerre à la Libye et où l'administration Obama n'a pas
invoqué les dispositions de la Loi sur les pouvoirs de guerre.
Il y a 35 ans, le rapport Church aux États-Unis reniait les pratiques
d'assassinat et ranimait la position de longue date du gouvernement des
États-Unis, provenant de la Révolution américaine, qui affirmait que ces
pratiques étaient non seulement criminelles et barbares, mais aussi
imprudentes, et qu'elles viendraient légitimer les actes de tout
gouvernement cherchant à assassiner la direction politique de ses rivaux.
Après presque deux décennies de guerre quasi ininterrompue pour contrer le
déclin économique et politique de l'impérialisme américain, toutes ces
contraintes et ces réserves ont été abandonnées.
Les dirigeants politiques américains, méprisant les aspects juridiques de
la question, ont appelé de manière effrontée pour le meurtre du chef libyen.
Lors d’une entrevue à Fox News dimanche matin, le sénateur de la Caroline du
Sud, Lindsey Graham, a déclaré à nouveau: « Peu importe où va Kadhafi, il
est une cible militaire légitime ». Avec cette déclaration, le sénateur
américain consacre l’assassinat comme politique officielle d'État.
À peine sept heures avant l'attentat qui a tué le fils et les
petits-enfants de Kadhafi, des avions de l'OTAN avaient pilonné des cibles à
Tripoli, où ils pensaient que le dirigeant libyen faisait un discours
télévisé en direct pour appeler à un cessez-le-feu. Le 24 avril, une
enceinte où les services de renseignement de l'OTAN croyaient manifestement
trouver Kadhafi a été réduite en ruines, tuant trois civils.
La mort de Kadhafi est devenue l'objectif primordial de la guerre des
États-Unis et de l'OTAN en Libye. La stratégie initiale de l'agression, qui
a débuté le 19 mars, a lamentablement échoué. Les frappes aériennes ont
massacré des centaines de soldats libyens et de civils, mais elles n'ont pas
provoqué l’effondrement du régime de Kadhafi comme cela a été prévu en toute
confiance dans les milieux impérialistes. Sur le terrain, le Conseil
national de transition pro-OTAN basé dans la ville de Benghazi (à l’est)
s'est montré incapable de faire des avancées contre, et encore moins de
vaincre, les forces militaires de Kadhafi.
La frustration, et même le désespoir, des grandes puissances est inscrite
dans la croyance inepte que la mort de Kadhafi mettra fin à toute résistance
et permettra aux soi-disant « rebelles », une collection d’anciens ministres
de Kadhafi, de gens à la solde de la CIA et de fondamentalistes islamiques,
de prendre le pouvoir du pays sans opposition et de servir en tant que
fidèle régime fantoche.
Du côté de l'establishment politique et militaire américain, le désir
sadique de tuer Kadhafi est en ligne avec le traitement qu’il inflige aux
dirigeants de nombreux pays qui sont devenus la cible de l'agression
militaire américaine. Ils ont tous été traités de la façon la plus
vindicative.
L’homme fort du Panama, Manuel Noriega, anciennement à la solde de la
CIA, a été transporté aux États-Unis après l'invasion américaine de 1989,
jugé pour des délits de drogue, emprisonné jusqu'en 2007, puis transféré en
France pour un autre procès et sept ans d'emprisonnement.
Slobodan Milosevic, qui avait eu par le passé du succès auprès des
grandes puissances, a été accusé de crimes de guerre après la guerre de
l’OTAN et des États-Unis en 1999 contre la Yougoslavie et est mort en prison
lorsqu’il subissait son procès à La Haye.
Le vieux chef des talibans, le mollah Omar, avec qui les États-Unis ont
cherché à négocier pendant les années 1990 concernant la construction de
pipelines, est caché et son nom est sur une liste de personnes devant être
assassinées depuis l’invasion de l’Afghanistan en 2001.
Saddam Hussein de l’Irak, que Washington a activement appuyé pendant la
guerre Iran-Irak dans les années 1980, a été mené devant un tribunal
irrégulier et pendu à la manière d'un lynchage. Ses enfants ont été tués et
leurs corps mutilés exhibés comme des trophées.
Kadhafi, lui-même, a vécu une grande partie de sa vie sous la menace
d’être assassiné par les États-Unis ou par des services secrets alliés. Dans
les semaines qui ont suivi le coup d’État militaire qui l’a porté au pouvoir
en 1969, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, a
recommandé de mener des « actions secrètes » pour l’éliminer. Les services
secrets britanniques auraient tenté de le tuer en 1971. L’administration
Reagan a donné l’ordre de bombarder massivement sa résidence personnelle en
1986, un geste qui a eu pour conséquence la mort d’un enfant et de nombreux
civils. L’agence MI6 de la Grande-Bretagne aurait tenté de tuer le chef
libyen en 1996. Il est plus que probable qu’il y a d’autres tentatives qui
n'ont jamais été révélées publiquement.
Les efforts pour tuer Kadhafi ont cessé en 2000 après que son régime a
cherché un rapprochement avec Washington et qu’il a été perçu comme un
instrument économique et un collaborateur politique utile des États-Unis et
de leurs alliés. Comme il est maintenant considéré, une fois de plus, comme
un obstacle à la défense les intérêts des impérialistes en Afrique du Nord
et dans le Moyen-Orient, le vaste appareil de renseignements de Washington a
été déployé pour le pourchasser et le tuer.
Les actions du gouvernement américain ont un fort élément d'imprudence.
Malgré ses prétentions d'être engagé dans une « guerre contre le
terrorisme », les meurtres de masse, la torture, la répression et les
assassinats qu'il supervise ont créé un héritage de haine qui ne sera pas
facilement effacé. C’est précisément ces conditions qui ont créé un terreau
fertile pour des gestes de représailles désespérés et désorientés, qui
pourraient avoir des conséquences imprévisibles et potentiellement
terribles.