La brève visite du président Barack Obama à « Ground Zero » à New York
fait partie d'une campagne qui vise à exploiter l'assassinat d'Oussama ben
Laden à des fins des plus réactionnaires.
Tandis qu'il apparaît de plus en plus clairement que l'opération des Navy
Seals et la de CIA au Pakistan était l'exécution extrajudiciaire d'un homme
non armé, il semble que des considérations politiques aux États-Unis ont
joué un rôle majeur dans toute l'affaire.
Dans un contexte où les États-Unis sont engagés indéfiniment dans des
guerres désastreuses et font face à une longue crise économique, et où les
conditions sociales des travailleurs américains se détériorent immensément,
la colère gagne la population et une grande partie de cette colère va à
l'administration Obama. Une considération importante dans la décision de
tuer Ben Laden était qu'une opération réussie pouvait être exploitée pour
consolider la position politique d'Obama et détourner cette colère dans les
avenues du chauvinisme et du militarisme.
Ce n'est pas qu'une simple coïncidence si les « célébrations » d'Obama
sur l'assassinat de Ben Laden se déroulent à peine une semaine après le
spectacle humiliant du président américain rendant public son acte de
naissance « intégral ». Dans les deux cas, comme pour tant de politiques de
son gouvernement, Obama vise à accommoder la droite républicaine et à mettre
en œuvres ses politiques.
Obama avait d'abord tenté de faire de sa visite à Ground Zero un
événement bipartite en invitant George Bush, qui avait exploité le
11-Septembre pour lancer des guerres d'agression et une attaque frontale sur
les droits démocratiques, que son successeur démocrate a maintenues et
intensifiées.
Après le refus de Bush, Obama a trouvé un républicain qui incarne
possiblement encore plus grotesquement la réaction politique : l'ancien
maire de New York Rudolph Giuliani, qui a accompagné Obama dans sa tournée
d'une caserne de pompiers, d'un poste de police et de Ground Zero.
Dans ses remarques au poste de police, Obama a souligné que la présence
de Giuliani « démontre que nous pouvons avoir nos différends, politiquement,
en temps normal, mais quand vient le temps de défendre la sécurité de ce
pays, nous sommes, d'abord et avant tout, Américains ».
Quelles absurdités! Avec les paroles les plus acerbes, Giuliani dénonce
Obama depuis son élection, l'accusant d'être mou sur la question du
terrorisme et de ne pas savoir comment mener la guerre en Afghanistan. La
décision d'assassiner Ben Laden de sang-froid était motivée en grande partie
par le désir d'Obama de contrer ce genre de critiques en adoptant les
méthodes exigées par la droite.
Obama, avocat de droit constitutionnel et ancien président de la revue
Harvard Law Review, intensifie l'attaque du gouvernement américain sur le
droit international et les principes constitutionnels. L'affaire Oussama ben
Laden est marquée de toute une série de précédents qui montrent à quel point
les affirmations de l'administration des États-Unis selon lesquelles son
assassinat représente l'application de la « justice » sont politiquement
répugnantes.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement des États-Unis
avait insisté pour qu'il n'y ait pas d'exécution sommaire de criminels de
guerre nazis. Selon les fausses affirmations du département de la Justice
d'Obama quant à l'assassinat de Ben Laden – qu'il était un combattant de
guerre et qu'il pouvait donc être abattu – eux aussi auraient pu être tués
sans subir de procès.
Mais en considérant le cas d'individus qui partageait la responsabilité
de la mort de millions de personnes, le gouvernement des États-Unis a
demandé qu'ils subissent un procès à Nuremberg pour exposer et réparer les
crimes commis par le régime de Hitler.
Le procès d'Adolf Eichmann, qui était basé sur les principes de
Nuremberg, avait établi un précédent semblable. Les agents israéliens qui
avaient capturé Eichmann en Argentine ne l'ont pas exécuté, mais l'ont
capturé pour qu'il puisse subir un procès.
Il est clair que Ben Laden aurait pu être capturé vivant, mais la
Maison-Blanche a donné l'ordre qu'il soit exécuté sur-le-champ.
L'administration Obama ne souhaitait aucunement faire le procès du chef
d'Al-Qaïda sous des accusations de terrorisme et de meurtre, dans un
tribunal.
S’il le faisait, cela risquerait d’exposer les liens intimes et de longue
date entre Ben Laden et les agences de renseignements américaines, qui
remontent à l’insurrection islamiste, appuyée par les États-Unis, en
Afghanistan dans les années 1980. Cela poserait également la menace d’un
forum légal dans lequel les évènements du 11 septembre 2001 pourraient être
soumis à un examen approfondi qui, à son tour, mettrait en danger l’effort
bipartite de camoufler ce qui s’est réellement passé lors des attaques
terroristes et ce que les responsables américains et les différentes
institutions savaient possiblement à l’avance.
De plus, Obama n’a pas du tout le goût de ressusciter le débat concernant
le lieu où les terroristes soupçonnés devraient être jugés : devant un
tribunal civil, où Ben Laden a déjà fait face à des accusations fédérales,
ou devant des commissions militaires. C’est une question qu’il a déjà
concédée aux républicains lorsqu’il a ordonné le retour des tribunaux
militaires à Guantanamo.
Finalement, l’exécution extrajudiciaire fait maintenant partie des
procédures normales pour le gouvernement américain, qui procède
régulièrement à de telles exécutions avec ses attaques par drones Predator
sur le Pakistan et ailleurs.
La justification pseudo-légale de ces gestes pose une menace directe. Des
méthodes utilisées internationalement seront éventuellement employées contre
ceux qui, aux États-Unis mêmes, sont perçus comme des ennemis par l’élite
dirigeante américaine.
En mettant de l’avant cette politique réactionnaire et extralégale, Obama
bénéficie du plein appui des médias, qui se sont donné comme mission la
célébration des meurtres au Pakistan, ainsi que des soi-disant libéraux et
« gauchistes », qui sont enchantés par l’habileté du président démocrate de
s’envelopper du drapeau de la « guerre contre le terrorisme ».
L’éditorial du New York Times déclare : « La décision audacieuse
et risquée d’Obama d’attaquer les bâtiments de Ben Laden au Pakistan a
détruit la notion qu’il ne peut pas prendre de décision difficile ou qu'à
l'étranger il ne se soucie surtout que de l’image du pays. »
De manière similaire, Eric Alterman, du magazine The Nation, a
proclamé que le « comportement et la prise de décision calmes et
décontractés [d’Obama] – jumelés à l’exécution professionnelle et sans égale
de l’opération – ne peuvent qu’impressionner l’opinion mondiale face à la
détermination inébranlable et mature du leadership post-Bush des
États-Unis. »
De tels commentaires expriment le tournant vers la droite d’une couche
sociopolitique entière, composée de sections privilégiées de la classe
moyenne aisée qui se rallient derrière la bannière de l’impérialisme
américain.
La tentative d’Obama, reprise et amplifiée par les médias de la grande
entreprise, de dépeindre le meurtre d’Oussama ben Laden comme une référence
pour l’unité nationale a un contenu profondément réactionnaire. Certaines
personnes ont laissé entendre que l’assassinat pourrait raviver le
sentiment, fortement exagéré, d’unité qui a suivi le 11 septembre 2001,
comme si la mort de Ben Laden pouvait justifier tous les crimes commis au
nom de cette tragédie, incluant les guerres d’agression qui ont tué plus
d’un million de personnes.
Il est important de mentionner que le voyage de célébration d’Obama à
Ground Zero est survenu 50 ans après que la NASA a envoyé le premier
américain, l’astronaute Alan Shepard.dans l’espace. Le vol dans l’espace est
survenu trois semaines après que l’Union soviétique a envoyé le premier
humain dans l’espace – le cosmonaute Youri Gagarine – et que l’impérialisme
américain a subi une défaite humiliante lors de l’invasion ratée de la baie
des Cochons par la CIA.
En dépit de cet épisode de la guerre froide, le lancement dans l’espace a
capté l’imagination du peuple américain. Lorsqu’il a accueilli Shepard à
Washington quelques jours plus tard, le président John F. Kennedy a fait
l’éloge de l’astronaute ainsi que des scientifiques et des ingénieurs de la
NASA pour « une contribution exceptionnelle à l’avancement des connaissances
humaines et de la technologie spatiale et une démonstration des capacités de
l’homme dans un vol spatial sous-orbitaire. »
Un demi-siècle plus tard, la tentative de la part de l’élite dirigeante
américaine d'invoquer la fierté nationale par le sale boulot d’escouades
d'assassinat, plutôt que par des prouesses scientifiques, technologiques et
d’exploration, montre clairement le déclin historique de l’impérialisme
américain et la longue dégénérescence de sa classe dirigeante.