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L’élite dirigeante québécoise donne son appui officiel à l’assassinat de Ben Laden

Par Laurent Lafrance et Louis Girard
24 mai 2011

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Le 10 mai dernier, les députés de l’Assemblée nationale du Québec ont adopté à la quasi-unanimité (92 pour, 1 contre) une motion réactionnaire qui appuyait l’assassinat d’Oussama Ben Laden par l’armée américaine. De plus, elle saluait la présence de militaires québécois en Afghanistan dans le cadre de la mission de l’armée canadienne dans ce pays. Seul Amir Khadir, député du parti soi-disant de gauche Québec Solidaire (QS), a rejeté la motion, déclarant pour expliquer son vote qu’elle adoptait le « langage superficiel et guerrier de l'administration Bush précédente ».

L’adoption de cette motion et le débat qu’elle a suscitée montrent que les principes démocratiques bourgeois les plus fondamentaux ne pèsent pas lourd pour l’élite dirigeante québécoise lorsque ses profits et ses intérêts stratégiques sont en jeu.

Le meurtre de Ben Laden par l’État transgresse de manière flagrante sur deux points la loi internationale et les principes fondamentaux démocratiques défendus par la bourgeoisie elle-même depuis des centaines d’années.

Premièrement : Ben Laden a été exécuté sans procès. Il était désarmé et 80 soldats hautement entraînés et équipés n’ont rencontré qu’une résistance limitée de sa part ou de son entourage immédiat. Les États-Unis auraient très bien pu capturer Ben Laden et le juger devant un tribunal, si telle avait été leur intention. Or, un tel procès aurait ramené à l’avant-scène de l’actualité des questions que les États-Unis cherchent à dissimuler à tout prix : tout d’abord le fait que Ben Laden a été formé et armé dans les années 1980 par les États-Unis comme partie de leurs manœuvres pour entraîner l’Union soviétique dans une guérilla en Afghanistan ; et ensuite, toutes les questions irrésolues sur l’échec des agences de sécurité américaines dans les attentats du 11-Septembre.

Deuxièmement : la mission de l’armée américaine pour assassiner Ben Laden a été menée dans un pays, le Pakistan, avec lequel les États-Unis ne sont pas en guerre. En entrant clandestinement au Pakistan, l’armée américaine a violé la souveraineté pakistanaise et ses gestes auraient pu être légitimement considérés comme un acte de guerre par le Pakistan. Ce fait a été considéré très sérieusement par l’administration Obama et l’état-major américain, mais pas pour empêcher la mission. Plutôt, les Américains avaient des troupes sur pied d’alerte prête à intervenir au Pakistan dans le cas où l’armée pakistanaise avait voulu intercepter le raid contre Ben Laden.

Le texte de la motion finalement adoptée par l’Assemblée nationale a été le résultat de discussions intensives entre tous les partis présents à l’Assemblée. La première version a été présentée par le chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ), Gérard Deltell alors que le gouvernement et les médias américains étaient au beau milieu d’une célébration sordide du militarisme américain suite à l’assassinat de Ben Laden.

Dans cette première mouture de la motion, on pouvait lire : « Que l'Assemblée nationale souligne l'importante victoire pour la lutte contre le terrorisme international que constitue la mort d'Oussama ben Laden, qui a orchestré les attentats du 11 septembre 2001.» Et « qu'elle appelle les forces de l'OTAN — dont les militaires québécois présentement déployés en Afghanistan — à poursuivre leurs efforts de lutte contre le terrorisme et à demeurer vigilantes devant la menace toujours présente d’al-Qaïda. »

L’ADQ est un parti populiste très à droite qui s’est fait connaître, entre autres, par son discours anti-immigrant et antiminorités religieuses. Il prône la privatisation des services publics et utilise un langage antisyndical virulent. Après avoir obtenu une certaine popularité lors des élections provinciales de mars 2007, l’ADQ a été rejetée par la population québécoise lors des élections de décembre 2008, après que son programme de droite a été plus généralement connu. L’ADQ bénéficie d’un soutien solide dans les médias bourgeois québécois qui veulent continuer à l’utiliser pour pousser le débat politique vers la droite même si ce parti n’a plus maintenant qu’une poignée de députés.

La première version de la motion a été rejetée par le Parti québécois (PQ), qui forme l’opposition officielle, affirmant qu’elle était « guerrière » et « trop Rambo », ainsi que par le parti au pouvoir, le Parti libéral du Québec (PLQ) de Jean Charest, qui a demandé plus de temps pour y réfléchir. Les deux partis ayant formé alternativement le gouvernement québécois depuis 40 ans désiraient toutefois adopter une telle motion si elle était modifiée et ont convenu de reporter son adoption à la semaine suivante.

Une semaine plus tard, Deltell présentait sa deuxième version, qui se lit comme suit : L’Assemblée nationale « salue la persévérance et la détermination des États-Unis et de ses alliés dans la recherche d'une plus grande sécurité à l'échelle mondiale » et rappelle que « le Québec a été et continuera d'être un allié de l'ensemble de la communauté internationale en matière de sécurité et plus particulièrement face à la menace terroriste ». La motion fait également référence à « la contribution des Québécois déployés en Afghanistan, notamment dans la lutte continue contre le terrorisme ».

Les deux versions de l’ADQ n’ont finalement aucune différence substantielle. Mais les interventions impérialistes au Moyen-Orient et en Asie centrale sont très impopulaires au Canada, particulièrement au Québec. Aussi, le PQ et le PLQ ont cru bon d’utiliser un langage moins « guerrier » uniquement pour cacher hypocritement leur appui entier et ouvert à ces interventions et à la soi-disant « guerre au terrorisme » déclenchée par les États-Unis au lendemain du 11 septembre 2001.  Cette dernière n’est que le prétexte officiel pour la politique américaine de contrecarrer son déclin économique en utilisant sa puissance militaire.

Expliquant devant l’Assemblée nationale pourquoi le gouvernement allait voter en faveur de la motion, la ministre libérale des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay, a insisté sur sa collaboration étroite avec les autorités américaines « afin de contrer d'éventuelles menaces à la sécurité continentale », donnant entre autres exemples, les « ententes de coopération en matière de sécurité et d'échange d'information destinées à l'exécution de la loi avec chacun des quatre États limitrophes ». Elle a continué en saluant le travail des « milliers d'hommes et de femmes du Québec oeuvrant au sein des divers corps de police ou dans les forces armées » dans la guerre au terrorisme.

En plus d’endosser la frauduleuse « guerre au terrorisme », la récente adoption de la motion de l’ADQ reflète l’appui de l’élite dirigeante québécoise pour la guerre en Afghanistan, qui constitue une composante centrale du tournant agressif de la politique étrangère canadienne.

En effet, la bourgeoisie canadienne a joué un rôle central dans la guerre en Afghanistan, jugeant que cela défendait le mieux ses intérêts économiques et géopolitiques à court et long terme. D’un côté, les élites canadiennes veulent profiter de la situation géographique privilégiée du Canada en resserrant ses liens militaires et économiques avec le géant américain. De l’autre, le Canada a joué du coude pour être aux premiers rangs dans la course de l’Occident pour contrôler les ressources pétrolières et énergétiques des anciennes républiques soviétiques de l’Asie centrale.

En adoptant la motion, l’élite dirigeante québécoise tente également de justifier la guerre en Afghanistan, comme si la mort de Ben Laden pouvait justifier tous les crimes et la barbarie commis pendant cette guerre : la mort de milliers de civils et de soldats, la dévastation économique et sociale, la torture ou les attaques par drones sur le Pakistan.

En plus du rôle militaire important qu’il joue en Afghanistan, le Canada tente également de se démarquer dans une autre intervention impérialiste, celle qui se déroule en Libye.

Depuis le début de l’invasion de ce pays par l’OTAN, le Canada a envoyé notamment une frégate, sept chasseurs CF-18 et plus de 500 membres du personnel des Forces armées canadiennes. Le commandant en chef des opérations de l’OTAN en Libye est le général canadien Charles Bouchard. Le tournant orchestré par la bourgeoisie canadienne dans sa politique étrangère a fait grimper le budget militaire, qui n’a jamais été aussi élevé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale qu’en ce moment.

Quant à Amir Khadir, l’unique député élu de QS et un des deux porte-parole de Québec solidaire (l’autre étant Françoise David), son vote contre la motion ne découle pas d’une opposition de principe à l’impérialisme canadien ou à son adoption du militarisme agressif. Son vote a plutôt contribué à semer l’illusion que QS représente une opposition « de gauche » face aux visées réactionnaires du PLQ, du PQ et de l’ADQ ou du capital en général.

Même s’il a voté contre la motion, Khadir a tenu à déclarer aux journalistes qu’il soutenait le meurtre du leader d’al-Qaïda. « L'important est que ben Laden ait été neutralisé » a-t-il dit, ajoutant que si son assassinat était « illégal », il est sans doute « légitime » en situation de guerre.

Par ces propos, Khadir se range derrière la classe dirigeante québécoise et son appui à la politique étrangère américaine en capitulant entièrement sur la question de la flagrante illégalité de l’assassinat de Ben Laden et son caractère hautement réactionnaire.

Et lors du vote sur la motion, Khadir s’est politiquement encore plus écrasé devant la droite, se limitant à critiquer la motion pour avoir adopté le langage « de l'époque de Bush », plutôt que celui d’Obama dans son discours au Caire, « un discours d'ouverture » « qui tend à résoudre les conflits dans le monde arabe » selon Khadir.

En disant cela, Khadir indique sa véritable attitude envers l’impérialisme dont QS critique certains aspects, mais pas la substance. Khadir contribue à semer la confusion sur le caractère réel de la politique américaine sous Obama. Il y a une nette distinction entre le discours démagogique du président américain et les décisions réelles que prend son administration. L’administration Obama a non seulement poursuivi les politiques adoptées sous Bush, elle a intensifié l’intervention militaire en Afghanistan et au Pakistan causant la mort de milliers de civils. Depuis l’élection de Bush, pas un seul tortionnaire américain n’a été inquiété, encore moins les tortionnaires en chef tels George W. Bush et Donald Rumsfeld et la torture continue à être utilisée dans les camps de détention militaires. L’administration Obama a lancé une nouvelle intervention militaire en Libye dans une tentative de renforcer la position des États-Unis en Afrique du Nord et au Moyen-Orient pour contrer les risques que posent pour ses intérêts le mouvement révolutionnaire en Égypte, en Tunisie et dans les autres pays de cette région du monde. Sur toutes ces questions, Khadir préfère rester silencieux.

La position de QS sur l’assassinat de Ben Laden et sur Obama est tout à fait en ligne avec son appui aux bombardements à la participation canadienne en Libye, Khadir soutenant que le peuple libyen avait demandé une intervention militaire étrangère. Khadir parle ici du Conseil national libyen, le gouvernement libyen alternatif autoproclamé créé, avec l'aide des puissances impérialistes, par d'anciens responsables haut placés du régime dictatorial de Kadhafi et leurs nouveaux copains parmi les opposants islamistes de longue date de Kadhafi.

En tant qu’organisation politique, QS a des liens étroits avec le PQ, un parti de la grande entreprise dans l’objectif est de gagner l’appui bienveillant de Washington dans le cas où le Québec deviendrait indépendant.

Depuis longtemps, le PQ ne rate pas une occasion de faire valoir à Washington qu’un Québec indépendant fera partie de l’OTAN et de NORAD, le commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord élaboré conjointement par les États-Unis et le Canada. Lors de son voyage à Washington l’automne dernier, Gilles Duceppe, l’ex-chef du parti frère du PQ au parlement canadien, le Bloc québécois, a tenu à dire clairement qu’un Québec indépendant appuierait la guerre en Afghanistan. Le Bloc québécois, qui a récemment été rejeté par les électeurs québécois, avait d’ailleurs été le seul parti à appuyer Harper pour l’achat d’une série d’avions F-35.

Lors du dernier congrès de QS, sa direction, y compris Khadir et David, a fait pression pour que QS puisse former des alliances électorales avec le PQ. QS collabore déjà étroitement avec le PQ au sein du Conseil de la souveraineté, une organisation parapluie fondée et chapeautée par le PQ regroupant les organisations indépendantistes.

Avec son appui pour le meurtre de Ben Laden, Khadir démontre, une fois de plus, qu’il est un allié viable de toute la bourgeoisie et du capitalisme québécois. Avec le mécontentement populaire grandissant face aux partis traditionnels de l’establishment politique, comme le montre la dernière élection fédérale, Khadir et Québec solidaire joueront de plus en plus ouvertement leur véritable rôle : donner un vernis progressiste aux politiques de droite de l’élite dirigeante et empêcher le développement d’un mouvement socialiste et internationaliste de la classe ouvrière, contre le système de profit et toutes les forces politiques qui le défendent.

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