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Le régime tunisien crée une commission électorale au milieu de grèves de masse

Par Kumaran Ira
19 mai 2011

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Lundi dernier, le gouvernement intérimaire tunisien a annoncé la formation d’un comité électoral indépendant supervisant, le 24 juillet, l’élection d’une assemblée constituante qui aura pour tâche de superviser l’élaboration d’une nouvelle constitution.

Cette situation est survenue après que le régime a réprimé des protestations anti-gouvernementales provoquées par des rapports faisant état d’une menace de coup d’Etat militaire au cas où le parti islamiste Ennahda viendrait au pouvoir. Après que des protestations antigouvernementales ont éclaté le 5 mai, le régime a imposé un couvre-feu qui est encore en vigueur. Un jeune homme de 25 ans aurait été tué par les soldats le 8 mai et 600 personnes au moins auraient été arrêtées durant les quatre jours de protestations.

Le comité électoral a été élu par la Haute commission pour la réalisation des objectifs de la révolution et de la transition démocratique (Commission sur la réforme politique) du gouvernement intérimaire tunisien présidée par le professeur Yadh Ben Achour. Cette organisation a approuvé la création du comité en avril. Le comité électoral est composé de 13 membres dont des avocats, des universitaires et d’autres membres des professions libérales.

La semaine passée, le premier ministre Béji Caïd Essebsi a dit que l’élection pourrait être reportée en raison de difficultés techniques. S’exprimant à la télévision publique, il a dit, « Si le comité des réformes dit qu’il y aurait des difficultés techniques, ce serait une autre éventualité à considérer. » Il a aussi dit à l’AFP que les élections pourraient être reportées si leur « crédibilité » l’exigeait.

Que les élections aient lieu ou non, les masses tunisiennes ne peuvent rien en attendre. Après le renversement du président Zine El Abidine Ben Ali, les événements ont révélé le caractère frauduleux du régime intérimaire et de son gouvernement de réforme. Leur rôle est d’appliquer la politique exigée par l’élite dirigeante tunisienne en association avec les banques mondiales et les puissances impérialistes occidentales.

Les projets du régime de retarder peut-être l’élection sont partagés par les marchés financiers qui craignent les possibles conséquences d’une telle élection si la vague de grèves et de sit-in devait se poursuivre jusqu’en juillet. Richard Segal du groupe bancaire Jefferies a dit à Reuters : « Les marchés seraient toutefois plus compréhensifs devant un petit retard de la date des élections et pourraient même en être satisfaits. » Il a ajouté, « Le pays ne se donne pas beaucoup de temps pour organiser ces nouvelles élections, aussi un retard d’ordre technique serait-il compréhensible. »

La Tunisie a connu une explosion de grèves et de protestations ouvrières ces dernières semaines, alors que les travailleurs continuent de revendiquer des emplois et de meilleurs salaires. Le quotidien traditionnel tunisien Le Temps a écrit : « La période de transition démocratique est marquée par des mouvements incontrôlés de revendications souvent excessives, de sit-in et de manifestations de contestations parfois houleuses, de pillages et d’insubordination, mouvements qui mettent à mal l’autorité de l’Etat, dissuadent les investisseurs, menacent la cohésion sociale, fragilisent l’économie nationale, qu’ils risquent de mettre à genoux. »

Dernièrement, British Gas Tunisia (BG), premier producteur de gaz naturel en Tunisie, a menacé de fermer son usine après une semaine de protestations des habitants de la région réclamant des emplois et bloquant le déroulement des opérations de l’usine. La semaine dernière, il a été rapporté que des manifestants avaient bloqué pendant 48 heures les employés de BG avant d’être évacués.

Le personnel de la société Tunisie Catering, une filiale de Tunisair, a débrayé pour revendiquer leur réintégration dans la société mère, Tunisair. La semaine passée, le personnel a organisé des arrêts de travail et des sit-in à l’aéroport de Tunis. La grève avait duré près d’un mois à l’aéroport de Monastir.

La situation sociales du pays est en train de s’aggraver alors que le chômage est endémique et que la pauvreté explose parce que le capital nécessaire est contrôlé par les Tunisiens riches et les grandes banques internationales terrifiées par les luttes révolutionnaires contre la dictature.

Le journal Le Temps cite le professeur Nouri Mzid: « Nous sommes confrontés à une crise profonde qui affecte le marché du travail et le statut des gens qui sont au chômage… Depuis plus de 20 ans, la Tunisie n’a pas pu faire baisser son taux de chômage officiel, resté autour d’une moyenne de 13 à 15 pour cent. » Dans de nombreuses provinces tunisiennes, le taux de chômage est même plus élevé.

Selon Le Temps, « Pour la catégorie des titulaires d’un diplôme universitaire, le taux de chômage est de l’ordre de 36 pour cent au Kef, à Siliana, à Kairouan et à Kasserine, de 42,4 pour cent à Jendouba, de 44,4 pour cent à Sidi Bouzid, de 44,8 pour cent à Gafsa et de 47 pour cent à Kébili. »

L’objectif du capital financier et de la machine d’Etat tunisienne est de donner assez de temps aux syndicats et aux divers partis petits bourgeois jadis de « gauche » pour réprimer les luttes des travailleurs et de procurer une caution pseudo constitutionnelle afin de couvrir le fonctionnement de la machine d’Etat de Ben Ali.

Ces organisations, de par leurs négociations avec l’organisation patronale UTICA (Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat) et le régime d’Etat lui-même, sont impliquées dans le contexte de la commission sur la réforme mise en place par le régime intérimaire après que les protestations de masse ont évincé Ben Ali en janvier. La commission comprend l’UTICA, des groupes de droits de l'homme soutenus par l’Union européenne, l’UGTT (Union générale des Travailleurs tunisiens) et les partis d’« opposition » officiels tels le Parti démocratique progressiste (PDP) et l’ex mouvement stalinien Ettajdid.

Bien que le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) maoïste d’Hamma Hammani n'ait pas participé à la commission, il soutient la commission et sa politique.

Le caractère pro Etat de la commission sur la réforme a été présenté par Ben Achour lors d’une interview accordée au Monde en avril. Parlant de la Commission, il a dit : « Un conseil de protection de la révolution, avec des partis et des organisations de la société civile, a été créé et conçu comme une sorte de tuteur du gouvernement, ce qui aurait pu conduire à une crise et à un parallélisme de deux pouvoir, l’un institutionnel, l’autre révolutionnaire. L’instance que je préside est la synthèse de ces deux logiques. »

Mais les syndicats et les partis petits bourgeois n’ont jamais eu l’intention d’opérer comme une alternative révolutionnaire, et ils fonctionnent en étroite collaboration avec l’Etat. La semaine passée, le premier ministre intérimaire, Béji Caïd Essebsi, a rencontré les partis politiques et les responsables syndicaux qui n’ont nullement critiqué la répression du régime à l’égard des manifestants mais ont exprimé leur soutien au comité électoral récemment formé.

Après la réunion avec Essebsi, le secrétaire général de l’UGTT, Abdessalem Jrad – partisan de longue date de Ben Ali – a dit à l’agence d’information officielle tunisienne TAP que « l’objectif ultime » de l’UGTT était « d’aider ce gouvernement à s’acquitter, pleinement, de sa mission difficile. » L’UGTT est elle-même une part importante de l’establishment pro impérialiste pour avoir soutenu les réformes de libre-marché de Ben Ali. Lorsque les protestations de masse avaient éclaté en décembre dernier après l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, un diplômé de l’université tunisien, l’UGTT avait refusé d’appeler à la grève contre la répression policière.

D’importants investisseurs espèrent que l’UGTT et les partis petits bourgeois jadis de « gauche » seront en mesure d’étrangler la classe ouvrière et de rétablir le retour aux profits pour les patrons.

La Tunisie a été invitée à participer les 26-27 mai au prochain G8 à Deauville. En avance sur le sommet, les banquiers internationaux, les institutions financières, les chefs d’entreprises, les universitaires et les responsables de divers secteurs dont le commerce, les télécommunications et l’énergie ont appelé à investir en Tunisie. Ils ont publié conjointement sur leur site Internet (http://investindemocracy.net) un communiqué intitulé « Investir dans la démocratie » et qui devrait paraître avant le sommet dans le New York Times et Le Monde.

Le communiqué dit; « Nous sommes certains que l’instauration d’institutions démocratiques sera le meilleur rempart contre les risques de moyen et long terme. C’est pourquoi nous sommes plus que jamais confiants dans les perspectives de développement économique de la Tunisie. »

Il ajoute: « Les opportunités d’investissement, les restructurations, le niveau de qualification de la main d’oeuvre, la maîtrise des nouvelles technologies et la proximité géographique avec l’Europe, font ainsi [que] la Tunisie… dans les années à venir, sera l’un des centres économiques les plus attractifs de la Méditerranée. »

Depuis que Ben Ali a quitté le pouvoir, le gouvernement intérimaire et sa politique sont soutenus par les principales puissances impérialistes, notamment la France, qui avait soutenu la répression exercée par Ben Ali jusqu’au moment où son régime fut évincé.

Le 14 mai, le conseiller spécial du président français Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a rencontré Essebsi pour préparer la participation de la Tunisie au sommet. Après la réunion avec Essebsi, Guaino a dit à TAP qu’elle a permis de voir « ce que le G8 pourra proposer à la Tunisie » pour l’aider « à affronter les difficultés » auxquelles elle est confrontée et que « la France est disposée à aider la Tunisie par tous les moyens. »

Les entreprises françaises cherchent de plus en plus à développer leurs investissements en Tunisie. Le 27 avril, UTICA a rencontré le Mouvement des entreprises de France (MEDEF). L’UTICA a rapporté que la réunion a été « une occasion pour présenter les caractéristiques de la Tunisie nouvelle après la révolution, et rassurer les investisseurs français ainsi que les inciter à développer davantage leurs investissements en Tunisie. »

(Article original paru le 17 mai 2011)

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