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Les États-Unis, la France et l'Angleterre lancent une guerre d'agression contre la Libye

Par Patrick Martin
22 mars 2011

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Les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont commencé les frappes aériennes et les attaques de missiles sur des cibles libyennes samedi, amorçant une guerre d'agression qui menace de déstabiliser l'Afrique du Nord et l'ensemble du Moyen-Orient. Les deux premiers jours de bombardements ont déjà fait de nombreuses victimes parmi la population libyenne, que les puissances impérialistes prétendent faussement de protéger.

La guerre est la première étape d'une campagne menée par Washington et ses partenaires dans leur riposte criminelle contre les mouvements populaires qui ont renversé les régimes fantoches des États-Unis en Tunisie et en Égypte et qui menacent les monarchies proaméricaines et les dictatures à Bahreïn, à Oman, au Yémen et en Arabie saoudite.

Les comptes rendus de presse depuis Benghazi, le quartier général des forces rebelles dans l'est de la Libye, suggèrent que des centaines de personnes ont déjà été tuées dans les attaques aériennes et de missiles. Il y avait des rapports que sept à dix carcasses de chars fumantes se trouvaient sur une route à l'extérieur de la ville. Les troupes de l'armée libyenne sont pratiquement sans défense contre les attaques d'armes de haute technologie, y compris des missiles de croisière et des bombes intelligentes.

Des avions de combat français auraient frappé en premier avec 20 chasseurs Mirage et Rafale, attaquant les forces armées libyennes à l'extérieur de Benghazi. La Royal Air Force a déployé des jets Tornado GR4, qui ont parcouru 4800 kilomètres de l'Angleterre à la Libye aller-retour, l'attaque aérienne britannique la plus grande en distance depuis la guerre des Malouines en 1982.

Les attaques américaines comprenaient des missiles de croisière tirés par deux contre-torpilleurs lance-missiles et trois sous-marins, ainsi que des bombes larguées par des bombardiers furtifs B2, qui ont fait un aller-retour de 36 heures en partant de la base Whiteman Air Force au Missouri pour attaquer les aérodromes libyens.

Dimanche, il a été signalé que les US Air Force F-15 et F-16 ont attaqué des troupes libyennes concentrées dans les villes côtières qui ont fait l'objet de récents combats avec les forces rebelles, dont Ras Lanuf, Adjibiya et Brega, ainsi qu'autour de Misurata, la troisième plus grande ville de Libye.

Des forces militaires du Canada, de l'Italie, des Pays-Bas et de la Norvège seraient également en action.

Les assertions du président Obama, de la secrétaire d'État Clinton et d'autres porte-parole des États-Unis que l'intervention militaire ne durera que « des jours, plutôt que des semaines » n'ont aucune crédibilité. La portée des attaques contre la Libye s'est considérablement accrue au cours des 48 premières heures d'action militaire.

Il y a une logique à l'action militaire, et le bombardement initial conduit inexorablement à l'envoi de « conseillers » pour les forces rebelles libyennes, puis au déploiement des troupes impérialistes afin occuper l'ancienne colonie italienne.

L'amiral Michael Mullen, chef d'état-major interarmées et plus haut conseiller militaire d'Obama, a été présent à cinq émissions d'entrevue des réseaux télévisés dimanche matin pour donner l'évaluation du Pentagone du bombardement initial.

Sur Fox News dimanche, il a confirmé que les frappes aériennes et de missiles étaient allées bien au-delà de ce qui était requis pour l'application d'une zone d'exclusion aérienne sur le régime de Mouammar Kadhafi. « Nous avons atteint beaucoup de cibles, a-t-il dit, nous nous sommes concentrés sur son commandement et sa direction, concentrés sur sa défense antiaérienne, et nous avons attaqué certaines de ses forces sur le terrain à proximité de Benghazi ».

Sur plusieurs programmes télévisés, il fut demandé à Mullen d'expliquer l'attitude deux poids deux mesures de l'administration Obama, qui prétend attaquer la Libye dans le but d'empêcher que Kadhafi « massacre ses propres citoyens », tout en soutenant les autres régimes du Moyen-Orient qui mènent tout autant une répression sanglante, les plus notoires étant le Bahreïn et le Yémen.

« Tous ces pays sont, je pense, différents », a dit Mullen à NBC, mettant l'accent sur les intérêts stratégiques de l'impérialisme, et non sur la duperie humanitaire utilisée pour tromper l'opinion publique américaine. « Nous avons eu une belle relation avec le Bahreïn pendant plusieurs, plusieurs décennies. Nous avons une de nos principales bases navales là-bas. »

Lors de l'émission Meet the Press de NBC, Mullen a exhumé un des stratagèmes les plus vieux et les plus discrédités de la propagande, prétendant que toutes morts causées par les attaques des États-Unis et des alliés étaient la faute du chef libyen. Il a dit : « Ce que Kadhafi a fait - il s'est servi de boucliers humains dans certains cas, et aussi. a dit que nous avons causé des morts et des blessés civils. »

Les porte-parole du gouvernement américain ont mis de l'avant de telles affirmations après chaque atrocité commise par les bombes et les missiles américains au cours du dernier quart de siècle. La seule nouveauté est que le plus haut responsable de l'armée américaine est en train d'annoncer, par anticipation, que lorsque des centaines de personnes mourront des suites des gestes militaires américains, le blâme devra être jeté sur les victimes.

Mullen a aussi suggéré que les frappes aériennes américaines ne seraient pas uniquement destinées à des cibles ouvertement militaires, mais aussi aux lignes d'approvisionnement de Kadhafi et à ses capacités logistiques. Cela veut dire que les ressources économiques de la Libye - à l'exception de l'industrie pétrolière, que les puissances impérialistes souhaitent conserver intacte - sont des cibles probables pour les bombes et les missiles.

Mullen a nié que l'attaque visait à assassiner Kadhafi et sa famille. Mais quelques heures après ses entrevues télévisées, les journalistes à Tripoli ont rapporté d'énormes explosions près de l'enceinte où vit la famille de Kadhafi dans la capitale libyenne. Des batteries antiaériennes ont ouvert le feu à travers la ville, répondant à une nouvelle attaque aérienne, encore plus importante.

Bien que l'administration Obama se soit donné beaucoup de mal pour décrire l'assaut sur la Libye comme l'entreprise commune d'une « large coalition », cherchant à se distinguer de la décision unilatérale de l'administration Bush d'aller en guerre contre l'Irak, il n'y a pas de doute que l'impérialisme américain joue le rôle de leader et le rôle décisif.

Un commandant américain, le général Carter Ham, chef du commandement du Pentagone pour l'Afrique (AFRICOM), est responsable des opérations en Libye, donnant des directives aux avions de guerres français et britanniques, aux sous-marins britanniques, aux vaisseaux italiens ainsi qu'à un déploiement d'avions de guerres, de sous-marins et de bombardiers américains.

De plus, malgré les affirmations d'Obama qu'il n'y a « pas de bottes sur le terrain », il y a peu de doute que les forces d'opérations spéciales britanniques, américaines et d'autres pays ainsi que leurs agents secrets sont déjà en action en Libye, aidant à diriger le feu contre des cibles critiques, particulièrement la direction politique libyenne et les commandants d'unité de l'armée libyenne.

Dimanche matin, sur la chaîne de télévision nationale, le dictateur libyen Mouammar Kadhafi a fait le serment qu'il allait résister, qualifiant l'attaque américano-européenne de « agression coloniale de croisade qui pourrait déclencher une autre grande guerre de croisade ». La télévision d'État libyenne a rapporté qu'un hôpital de Tripoli avait été touché par le bombardement, entraînant 48 morts et plus d'une centaine de blessés.

Kadhafi continue pendant ce temps d'implorer les puissances impérialistes de rétablir l'alliance qu'il a forgée avec elles en 2004, lorsqu'il a mis un terme à son programme de recherche nucléaire, cédé le matériel et les installations nucléaires aux États-Unis et accepté de dédommager les victimes de l'attentat terroriste de 1988, l'explosion d'un avion de ligne au-dessus de Lockerbie en Écosse.

Il a déclaré à nouveau que seuls des partisans d'al-Qaïda  faisaient partie des rebelles libyens. Il a d'ailleurs écrit à Obama en s'adressant à lui comme s'il était son « fils » et en offrant sa collaboration dans la lutte des États-Unis contre le terrorisme.

Au même moment, le ministre du Pétrole de la Libye, Choukri Ghanem, a annoncé que les réserves pétrolières du pays pouvaient encore être exploitées par l'Occident et a exhorté les grandes sociétés pétrolières à ramener ses techniciens et son personnel administratif dans le pays. Il a affirmé que malgré la guerre ouverte, la Libye allait remplir ses obligations envers les compagnies étrangères, y compris son plus récent contrat de 900 millions de dollars avec BP.

La férocité des premières attaques aériennes contre la Libye a consterné et mis en colère la population de par l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Des responsables de la Ligue arabe, qui la semaine dernière cédait aux pressions de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis et appelait à l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne en Libye, ont dit dimanche qu'ils reconsidéraient maintenant leur appui.

Cinq pays arabes (le Maroc, l'Irak, la Jordanie, le Qatar et les Émirats arabes unis) ont délégué des représentants à la rencontre samedi à Paris pour ratifier la décision d'employer la force militaire. Seul le Qatar a accepté de participer directement.

L'Union africaine, qui regroupe 53 pays sur le continent, y compris la Libye, l'Égypte et la Tunisie, a condamné publiquement la guerre lors d'une réunion de son comité sur la Libye à Nouakchott, la capitale de la Mauritanie. Trois membres de l'Union africaine - l'Afrique du Sud, le Nigeria et le Gabon - ont voté en faveur de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU jeudi qui donnait le feu vert à une attaque.

D'importantes divisions règnent au sein du camp impérialiste aussi. Cela est démontré par l'abstention de l'Allemagne au vote du Conseil de sécurité onusien, tout comme pour la Russie, la Chine, le Brésil et l'Inde.

Malgré leur engagement militaire commun, des tensions considérables existent entre les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, chacun de ces pays tentant de se réserver un rôle majeur dans une Libye post-Kadhafi et en Afrique du Nord en général.

Selon plusieurs articles, l'administration Obama ne se serait décidée à promouvoir une campagne militaire que le mardi 15 mars, tard le soir. Le Wall Street Journal a écrit : « On dit que de nombreux facteurs ont motivé le changement d'orientation, y compris l'inquiétude de l'administration face au fait d'être en décalage avec les changements qui se répandent à travers le monde arabe et d'être surpassée par le Royaume-Uni, et particulièrement la France . »

Ce qui se cache derrière la guerre contre la Libye n'est pas le front commun de la « civilisation » contre la « barbarie », comme le prétendent les représentants de l'administration Obama. Il s'agit plutôt de la lutte de puissances impérialistes rivales pour la domination d'une des grandes réserves de pétrole du monde et le contrôle d'une zone stratégique clé et d'une base d'opération contre les mouvements de masse qui éclatent à travers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

(Article original paru le 21 mars 2011)

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