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Le procès pour corruption de l’ancien président français Chirac ajourné

Par Antoine Lerougetel
14 mars 2011

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Mardi, le tribunal correctionnel de Paris a ajourné le procès pour corruption de Jacques Chirac qui a été président de la République française entre 1995 et 2007.

Chirac a été maire de Paris (1977-1995) pour le RPR (Rassemblement pour la République) gaulliste, qui est actuellement l’UMP du président Nicolas Sarkozy. Le 30 octobre 2007, la juge d’instruction Xavière Simeoni avait mis en examen Chirac pour avoir détourné 4,5 millions d’euros de fonds de la ville de Paris pour des emplois fictifs financés par la mairie de la ville. Les employés concernés étaient payés non pas pour travailler officiellement pour la ville de Paris mais pour préparer les campagnes politiques et présidentielles de Chirac. Les procédures judiciaires sur cette affaire traînent depuis 1999 .

Deux volets différents concernant les emplois fictifs, l’un instruit à Nanterre et l’autre à Paris, ont été réunis mardi en un seul procès. L’avocat de la défense de l’un des co-prévenus de Chirac dans l’affaire de Paris a affirmé que l’inculpation clé était prescrite et qu’il était inconstitutionnel de réunir deux volets en un seul procès.

Le juge Dominique Pauthe a renvoyé le procès au mois de juin en demandant à la plus haute juridiction de France, la cour de cassation, de statuer sur la question. La cour de cassation pourra se tourner vers le Conseil constitutionnel, organe formé de personnalités politiques désignées, qui contrôle la constitutionnalité des lois françaises.

Chirac, en tant qu’ancien président, est membre du Conseil constitutionnel qui se prononcera sur la recevabilité de son procès. Chirac a dit qu’il n'assistera pas aux délibérations concernant son procès.

Des commentateurs sont sceptiques quant à la reprise du procès en juin, entre autres, parce que la campagne des élections présidentielles de 2012 battra son plein.

Alain Juppé, ancien premier ministre et maire adjoint de Paris sous Chirac, et qui est actuellement le ministre des Affaires étrangère de Sarkozy, avait été condamné en 2004 pour ces mêmes délits à une peine d’un an d’inéligibilité et à une amende. Chirac avait échappé au jugement à cette époque grâce à une loi accordant l’immunité aux présidents dans l’exercice de leurs fonctions. (Voir « France : Alain Juppé condamné pour corruption . ») Depuis la fin de son mandat présidentiel en 2007, ses avocats, tout en affirmant que Chirac souhaite être jugé afin de pouvoir prouver son innocence, ont recouru à des tactiques dilatoires pour l’empêcher de comparaître.

Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, du Parti socialiste a parlé d’un « système de détournement de fonds publics au profit d’un clan. » Toutefois, un accord a été conclu entre Delanoë et les avocats de Chirac, validé le 27 septembre 2010 par le Conseil de Paris, dans sa grande majorité des membres du Parti socialiste, par lequel la ville retire ses accusations en échange du remboursement de 2,2 millions d’euros dont elle dit qu’ils ont été détournés. L’UMP a payé 1,65 millions d’euros et Chirac les 550.000 euros restant.

Il faut bien préciser que le détournement des fonds de la ville de Paris  n’est certainement pas le plus grand délit commis par Chirac en tant que président. C’était sous la présidence de Chirac qu’avaient été supprimées les preuves du soutien français au régime du groupe ethnique Hutu qui avait organisé en 1994 le génocide rwandais, que les interventions impérialistes dans des pays africains, dont la Côte d’Ivoire et le Congo, avaient été réalisées et que la France avait participé à l’invasion de l’Afghanistan aux côtés des Etats-Unis. Sur le plan national, les coupes sociales de Chirac, figurant dans le plan Juppé, avaient provoqué la grève massive menée par les cheminots en 1995, et qui fut suivie en 2003 par le mouvement national de grève contre la réduction des droits à la retraite.

Néanmoins, la décision illustre la manière dont le système juridique et politique de la France peut être manipulé pour défendre des individus politiquement apparentés.

La décision d’ajourner le procès de Chirac reflète aussi la fébrilité de l’élite politique française devant la perte de crédibilité de ses institutions d’Etat et de l’UMP (Union pour un mouvement populaire), le parti conservateur au pouvoir. Toutes deux sont d’ores et déjà profondément enlisées dans une série de scandales politico-financiers, impliquant souvent des rivalités amères entre des figures dirigeantes de l’UMP.

Le siège de l’UMP a été perquisitionné lundi par la police dans le cadre de l’affaire Woerth-Bettencourt et d’allégations de financement illégal de la campagne du président Nicolas Sarkozy ainsi que de trafic d’influence. Jeudi, l’agence d’information libyenne Jana a annoncé, en réaction à la reconnaissance par la France du gouvernement d’opposition de Benghazi, qu’elle avait en sa possession des informations secrètes liées au financement de sa campagne électorale qui pourrait « faire chuter Sarkozy. »

La révolution tunisienne a révélé au grand jour les relations corrompues de la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie qui a passé Noël avec sa famille aux frais d’un proche collaborateur du dictateur Ben Ali. Elle avait autorisé l’exportation d’équipement anti-émeute fabriqué en France et proposé une aide policière contre le soulèvement populaire jusqu’au moment même de la fuite de Ben Ali, le 14 février.

Le discrédit ainsi jeté sur elle et la politique étrangère française ne lui permettant plus de rester en fonctions, Sarkozy a été contraint de la remplacer par Alain Juppé. Mais, Juppé est un détourneur de fonds publics précédemment condamné.

Le premier ministre François Fillon a également été démasqué pour ses vacances de Noël de 2010 en qualité d’invité du dictateur égyptien, Hosni Moubarak, quelques semaines seulement avant le déclenchement de la révolution égyptienne. Lui a pourtant réussi à s’accrocher à son poste.

D’intenses conflits au sein de l’UMP impliquant de lourdes sanctions légales menacent de faire imploser le parti. Celui-ci est déchiré par le conflit concernant l’affaire Clearstream entre l’ancien premier ministre Dominique de Villepin (un protégé de Chirac) et Sarkozy ; l’affaire des pots-de-vin pour la vente de sous-marins au Pakistan, le Karachigate concernant des financements par l’ancien premier ministre Edouard Balladur et son associé, Sarkozy. Tous deux sont impliqués dans des rivalités de longue date entre les camps dirigés aujourd’hui par Chirac et Sarkozy au sein de la droite française.

Deux réunions qui se sont tenues à l’Elysée au cours de ces deux dernières semaines entre Sarkozy et Villepin sont manifestement une tentative de réparer les pots cassés. Villepin s’est positionné comme rival de Sarkozy aux élections présidentielles de 2012 en se présentant comme un gaulliste social et un défenseur des intérêts impérialistes de la France à l’étranger.

Une condamnation de Chirac discréditerait considérablement la présidence. Il encourt une peine de dix ans d’emprisonnement. De nombreux commentateurs ont signalé que les deux derniers chefs d’Etat français à avoir été jugés étaient Louis XVI, durant la révolution française en 1792, et Philippe Pétain en 1945 pour avoir collaboré à la tête du régime collaborationniste de Vichy avec l’occupation nazie.

Le dilemme est que si Chirac ne comparaissait pas ou s’il était acquitté, alors même que Juppé, son étroit collaborateur avait été condamné pour les mêmes délits, le haut niveau d’impunité concédé par le système judiciaire français serait encore davantage démasqué.

Il y a aussi des signes que le parti d’opposition, le PS, ne souhaite pas regarder de trop près l’affaire de détournement de fonds de Chirac. C’est pour cela que la direction du PS continue d’émettre des sons conciliants, en apparence en contradiction avec le groupe PS à la mairie de Paris, dans le but de ne pas avoir l’air de laisser Chirac s’en tirer à si bon compte.

Arnaud Montebourg, qui avait précédemment lancé des appels stridents pour que Chirac passe en justice et qui agit actuellement en dénonciateur d’abus de corruption massive au sein de la bureaucratie social-démocrate à Marseille, a été cité dans Le Monde du 8 mars disant : « Cela n’a plus de sens de le juger aujourd’hui. Il a une retraite bien méritée. »

En 2000, l’actuel directeur du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, favori présidentiel du PS pour les élections de 2012, avait été lui-même démasqué pour son implication dans ce « clan ». La confession vidéo de Jean-Claude Méry, promoteur immobilier, avait révélé un système de pots-de-vin politiques pour des travaux commandés en sous-traitance par la municipalité. Strauss-Kahn avait gardé la cassette pendant deux ans sans en révéler le contenu.

Pendant deux ans, Strauss-Kahn avait été ministre des Finances dans le gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin, jusqu’en novembre 1999 lorsqu’il fut obligé de démissionner pour avoir reçu des honoraires frauduleux de la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF). (Voir: « La démission du ministre de l'Économie et des Finances français » http://www.wsws.org/francais/News/1999/novembre99/10nov99_Kahn.shtml)

Il passe à présent comme le meilleur candidat PS susceptible d’être désigné pour l’élection présidentielle de 2012.

 

(Article original paru le 12 mars 2011)

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