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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Que se cache-t-il derrière l’influence grandissante du Front national en France ?

Par Peter Schwarz
11 mars 2011

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Le Front National (FN) néo-fasciste arrive pour la toute première fois en France en tête dans un sondage sur les intentions de vote pour les élections présidentielles. Ces élections sont prévues l’année prochaine.

Un sondage réalisé par l’Institut Harris pour le journal Le Parisien a interrogé 1618 personnes sur leurs intentions de vote lors des prochaines élections présidentielles en France. Vingt-trois pour cent ont déclaré soutenir la présidente du Front National, Marine Le Pen. L’actuel président de la République, Nicolas Sarkozy, et la dirigeante du Parti socialiste (PS), Martine Aubry, n’ont été crédités chacun que de 21 pour cent.

Le score de Le Pen dépasse de loin les 17 pour cent obtenus par l’ancien président du FN, Jean-Marie Le Pen, lors du second tour des élections présidentielles de 2002. Marine Le Pen a remplacé son père à la tête du parti en janvier de cette année.

L’influence croissante de l’extrême-droite est avant tout un témoignage accablant de la politique des syndicats et des soi-disant partis de « gauche » – le Parti socialiste (PS), le Parti de Gauche (PG), le Parti communiste français (PCF) et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot. Dans des conditions de tensions de classe et de détresse sociale grandissantes, ils ont systématiquement œuvré pour désarmer et désamorcer les luttes de la classe ouvrière. Ils ont de ce fait cédé le langage de la protestation sociale à l’extrême-droite.

La crise économique mondiale a eu un impact dévastateur en France avec des licenciements et des vagues de fermetures d’usines automobile, de textile et d’autres secteurs industriels. Le taux de chômage officiel est proche de 10 pour cent et jusqu’à un quart des jeunes sont sans emploi. La hausse des prix, le stress sur le lieu de travail et les coupes dans la retraite et les prestations sociales se font de plus en plus sentir.

La classe ouvrière a à plusieurs reprises manifesté contre cette situation. Durant ces 15 dernières années, il ne s’est pas passé une année sans que les travailleurs et les jeunes ne soient descendus dans la rue en masse. Ainsi, l’automne dernier, des millions de personnes ont participé à plusieurs mouvements de grève générale de 24 heures contre le relèvement de l’âge de départ à la retraite.

A chaque fois, pourtant, les syndicats et les partis de « gauche » ont insisté pour dire qu’il ne pouvait y avoir d’opposition politique aux attaques contre la classe ouvrière, que cela devait se limiter à permettre aux syndicats de négocier des accords avec des gouvernements anti-classe ouvrière. L’automne dernier, les syndicats avaient appelé à des actions de protestations inoffensives de 24 heures pour contenir la résistance et isoler les puissantes grèves des travailleurs des docks et des raffineries de pétrole. Même lorsque la police a usé de la force contre les grévistes, les syndicats ont refusé de lever le petit doigt pour défendre les travailleurs. Le caractère social bourgeois du PS s'est le plus clairement exprimé dans l’identité de l'homme qui est considéré comme le candidat le plus probable pour l'élection présidentielle de 2012 : Dominique Strauss-Kahn. En tant que directeur du Fonds monétaire international, il est responsable de l’introduction de programmes d’austérité dévastateurs dans des pays d’Europe tels la Grèce et la Hongrie ainsi que dans d’autres pays de par le monde.

Les organisations de « gauche » qui évoluent dans l’orbite du PS ne représentent pas la classe ouvrière mais plutôt une section de la classe moyenne aisée dont les intérêts sociaux sont coupés de ceux des travailleurs. Malgré leurs discours d’apparence parfois radicale, ils défendent la bureaucratie syndicale et le PS contre toute pression exercée par les travailleurs. Ils sont, toutefois, prêts à étendre un tel soutien même à des partis de droite.

Ce processus a été démontré durant les élections présidentielles de 2002. Lorsque Jean-Marie Le Pen –le dirigeant du FN de l’époque – était resté au second tour des élections contre le gaulliste Jacques Chirac, des millions de personnes à travers toute la France étaient descendues dans la rue pour protester contre les néo-fascistes. Tous les partis de « gauche » s’étaient rassemblés derrière Chirac, en le qualifiant de « moindre mal » et en le saluant même comme le défenseur de la République. Ils avaient catégoriquement rejeté un boycott du second tour des élections par les travailleurs – une initiative proposée par le Comité international de la Quatrième Internationale pour mobiliser la classe ouvrière indépendamment et en opposition à l’ensemble de l’establishment politique.

C’est dans ces conditions que le FN a été en mesure d’exploiter la colère et la désorientation politique de certaines sections affectées par la crise économique. Marine Le Pen a délibérément cherché à traduire l’angoisse sociale en préjugés anti-islamique et anti-immigrés ainsi qu’en chauvinisme national. Elle associe des attaques démagogiques contre le libéralisme économique et l’Union européenne avec un appel pour un Etat national puissant.

En commentant l’arrivée au pouvoir de Hitler et du fascisme allemand en 1933, Léon Trotsky écrivait : « La victoire du parti du désespoir n’a été possible que parce que le socialisme, le parti de l’espoir, s’est révélé incapable de prendre le pouvoir. Le prolétariat allemand était suffisamment fort, tant en nombre qu’en culture, pour atteindre ce but, mais les dirigeants ouvriers se sont révélés incompétents. »

Une perspective socialiste authentique est capable de mobiliser l’énergie des masses pour la construction d’une société meilleure en éveillant leurs meilleurs instincts et en promouvant la solidarité. Le fascisme, par contre, en appelle à l’arriération au sein des masses en cherchant à faire dévier leur colère vers l’abîme de la haine et du chauvinisme ethniques.

La France de 2011 n’est pas l’Allemagne de 1933. Les résultats de sondage en hausse pour le FN ne signifient pas une prise de contrôle fasciste imminente en France. Mais, ils sont une mise en garde claire que, face au défi de la classe ouvrière, la classe dirigeante française n’hésitera pas à défendre son régime par des méthodes autoritaires et fascistes comme elle l’a fait il y a 70 ans durant la Deuxième Guerre mondiale sous le collaborateur Pétain.

Les révolutions en Tunisie et en Egypte ont encore davantage poussé la bourgeoisie française vers des méthodes d’extrême-droite. Ces événements ont surpris la classe dirigeante française qui entretient des liens étroits avec les élites dirigeantes de ces deux pays et craint la propagation des luttes de la classe ouvrière d’Afrique du Nord vers l’Europe. La bourgeoisie française a réagi en promouvant le Front National et en lui accordant une vaste couverture dans les médias.

Le FN, avec sa promotion de la bigoterie antimusulmane, est un instrument particulièrement utile à la classe dirigeante alors qu’elle cherche à diviser les travailleurs nord-africains et européens. Ces dernières années, il y a eu une succession de campagnes anti-islamiques en France, soutenues non seulement par la droite bourgeoise, mais aussi par la « gauche » bourgeoise.

La loi qui interdit le voile islamique – une violation fondamentale du droit à la liberté de religion – avait été parrainée et soutenue par le parti gaulliste au pouvoir, l’UMP, ainsi que par le Parti socialiste et l’organisation d’« extrême-gauche », Lutte ouvrière. Le NPA était partagé sur la question et n’avait pas exprimé d’opposition.

L’absence de toute opposition de la « gauche » à la promotion de la bigoterie antimusulmane a contribué à créer un terreau fertile pour le FN.

Seul un mouvement indépendant de la classe ouvrière peut stopper l’extrême-droite. Ceci requiert l’unification internationale de tous les travailleurs – quelle que soit leur origine ethnique, leur religion ou leur couleur de peau – dans une lutte pour des gouvernements ouvriers et la construction d’une société socialiste. Un tel mouvement de la classe ouvrière sera capable de mobiliser derrière elle toutes les autres sections opprimées de la société.

(Article original paru le 9 mars 2011)

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