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WSWS : Nouvelles et analyses : Australie

Le Parti travailliste australien à l'agonie

Par Richard Phillips
10 mars 2011

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Cent vingt ans après sa création en 1891, le Parti travailliste australien (Australian Labor Party, ALP), premier parti politique national du pays, compte si peu d’adhérents qu’il est au bord de l’effondrement organisationnel. Telle est la conclusion d’un rapport national d’enquête spécial de 2010, partiellement publié la semaine passée, et rédigé par l’ancien sénateur travailliste John Faulkner et les anciens premiers ministres Bob Carr et Steve Bracks, membres du bureau national.

L’étude a été initiée après les élections législatives de l’année dernière, afin d’enquêter sur la baisse rapide du nombre d’adhérents de l’organisation, en grande partie des inscrits sur le papier, sur le recul historique du nombre de voix recueillies dans les résultats préliminaires des élections législatives de l’année dernière ainsi que sur les raisons de la perte de la majorité parlementaire du gouvernement travailliste de la première ministre Julia Gillard, le premier gouvernement à avoir enduré, durant son premier mandat, une telle perte depuis 1931.

Bien qu'en septembre 2010, Gillard ait finalement rabiboché une minorité gouvernementale avec le soutien des Verts et de trois indépendants, le rapport révèle que le parti n’est qu’une carcasse pourrie ne disposant d’aucune base authentique et incapable de collecter des fonds auprès de la classe ouvrière. L’exode de masse des adhérents qui quittent l’organisation a été tellement rapide – un quart d’entre eux, soit plus de 13.000 ont quitté l’organisation depuis 2007 – que Faulkner, Carr et Bracks reconnaissent que le parti est au bord de l’extinction.

La crise est si importante que le parti ne publiera pas l’ensemble des trois parties de l’enquête. Les deux premières parties qui traitent du gouvernement de l’ancien premier ministre Kevin Rudd, de la fin de 2007 à 2008, et de la campagne électorale désastreuse de Gillard, ne peuvent être consultées que par les 25 membres du bureau national du parti. Elles ne seront pas distribuées aux membres ordinaires du parti.

La troisième partie de l’étude, qui est disponible au public, donne une certaine idée de l’ampleur de la décrépitude du parti et de la profonde hostilité du restant de ses membres à l’égard des carriéristes et des fonctionnaires politiques qui dirigent son appareil profondément antidémocratique. C’est ce que révèle en partie une poignée de commentaires faits par des membres et publiés dans l’étude.

Un membre de la Nouvelle-Galles du Sud a déclaré : « Si les résolutions des fédérations sont ignorées, si les statuts du parti sont ignorés, si les sélections préliminaires [des candidats aux sièges parlementaires] sont déterminées par la direction, et pas par les comités électoraux… pourquoi les gens adhéreraient-ils à une fédération, pourquoi les gens rejoindraient-ils notre parti, pourquoi les gens voteraient-ils pour nous ? »

Ces questions, auxquelles le Parti travailliste est incapable de répondre de manière pertinente, ont déjà reçu une réponse de la part de centaines de milliers de travailleurs à travers le pays et qui refusent à présent de soutenir l’organisation de quelque manière que ce soit – et encore moins d’y adhérer – en préférant mettre un bulletin blanc ou un bulletin nul dans l’urne ou soutenir les Verts ou d’autres partis tiers ou autres candidats. L’hostilité de la population à l’égard du parti, qui est à juste titre considéré comme un appareil servant le patronat et les riches, est largement répandue et palpable.

Selon le rapport, numériquement le nombre des membres du Labor ne représente actuellement que 0,002 pour cent de la population australienne, et les membres du parti des Verts et des soi-disant partis tiers représentent ensemble « dix fois la taille du Parti travailliste. »

Le nombre official des adhérents du Labor est naturellement gonflé par le « branch-stacking » [le recrutement des membre pour arriver à influencer les résultats internes] et autres techniques bureaucratiques mais, même ces chiffres douteux, ne peuvent cacher le fait que le parti est une coquille vide. Le chiffre actuel des membres s’élève à seulement 37.000 – soit son plus bas niveau historique. Lors de récentes élections, l’organisation n’a pas été capable de trouver suffisamment d’adhérents pour former des équipes d’observateurs afin de surveiller le décompte des bulletins de vote, et 100 fédérations, soit 10 pour cent de l’ensemble du parti, ont disparu au cours de ces trois dernières années.

Le niveau des adhérents syndiqués a aussi chuté de plus de 100.000 au cours de même période – passant de plus de 1,2 millions à moins de 1,1 million. Mais, ces chiffres ont bien peu à voir avec la réalité parce que seul un infime pourcentage des travailleurs, dont les syndicats sont affiliés au ALP, appartiennent au parti. En 2009, par exemple, seuls 2.400 militants syndicalistes de Nouvelle-Galles du Sud étaient des adhérents de la fédération de cet Etat sur un total de 384.000 syndicalistes affiliés à l’AFP. Et, comme le reconnaît le rapport, il est « improbable que d’autres syndicats rejoignent le parti à l’avenir. »

Maurie O’Neil, membre de la fédération Southern Highlands a dit cette semaine à la radio ABC que l’ALP « allait vers l’extinction ». L’organisation, a-t-il déclaré, était « dominée par les familles, les parents par alliances, les beaux-parents et les collaborateurs » des bureaucrates haut placés « qui sont incapables d’éprouver de l’empathie pour les gens de la vraie société… Nous nous orientons vers une rencontre avec les dinosaures. »

Des réflexions similaires ont été faites dans la plupart des commentaires cités dans le rapport. « Les gens dans le parti sont profondément en colère et fâchés de voir l’état dans lequel se trouve le parti. Ce serait juste de dire que le moral est au plus bas, » a précisé un membre.

« Il y a un fosse énorme, un gouffre massif entre la base et la direction qui leur témoigne très peu de respect, » a dit un autre membre. Et un autre encore a remarqué : « Les membres ont baissé les bras. Ils ont le sentiment que le seul rôle qu'ils ont à jouer est de se pointer aux élections et de passer une journée au soleil à distribuer des tracts expliquant comment voter. » Un membre de Sydney s’est plaint de ce que la déconnexion de longue date entre les fédérations locales et la direction s’était « transformée en méfiance. »

L’une des plaintes les plus fréquentes a été l’ingérence de la direction nationale dans les décisions portant sur la présélection de candidats où un collège de 25 personnes met continuellement en minorité les fédérations. Selon un récent article de presse, les décisions locales relatives à la présélection ont été rejetées par la direction nationale plus de 70 fois ces dernières années, et ce surtout depuis 2007.

« Pour le moment, les fédérations du parti disparaissent parce que les travailleurs n’ont pas voix au chapitre dans le parti, » a expliqué un membre de la Nouvelle-Galles du Sud. « Les membres et les fédérations n’ont plus le droit de donner leur avis sur les présélections ou sur la politique. Si on ne renverse pas cette tendance, nous deviendrons un parti dont l'unique objet sera d'ouvrir la voie pour l'entrée au parlement à d’anciens dirigeants syndicaux et d’anciens collaborateurs de politiciens. »

 Le rapport national a « pris note » de ces plaintes, a admis que des interventions continues avaient « provoqué un malaise au niveau local » et a déclaré solennellement qu’à l’avenir les membres disposeraient d’un plus grand pouvoir de contrôle. Mais, il a omis de mentionner que la direction nationale avait rejeté cinq décisions locales de présélection de candidats juste avant les élections locales en Nouvelle-Galles du Sud et, que le mois dernier, elle avait mis en minorité la fédération de Broadmeadows à Melbourne pour imposer Frank McGuire, riche promoteur immobilier, qui n’est même pas membre du parti, pour qu'il figure sur la liste électorale pour les récentes élections partielles.

Confronté à un effondrement organisationnel, les auteurs du rapport national ont fait diverses propositions pour augmenter le nombre des adhérents et développer « un engagement pour la communauté », dont une amnistie pour les membres dont l’adhésion est périmée ou qui ont quitté le parti, et « réinscrire » les sympathisants non membres pour leur donner le droit de voter lors de présélections de candidats pour les élections parlementaires, comme ce qui se fait pour les primaires américaines.

A l’image des nombreux post mortem faits par le parti au cours de ces dernières décennies, ces propositions ne sont que le râle d’agonie d’une organisation moribonde. Rien ne changera au sein de ce parti prééminent du capitalisme australien, pareil à ses homologues internationaux sociaux-démocrates qui ont depuis longtemps largué leur rhétorique social réformiste afin d’opérer comme une agence directe du capital financier, en défendant le « libre marché », l’austérité budgétaire et les attaques continuelles contre la classe ouvrière.

L’une des omissions les plus frappantes de l’enquête de Faulkner, Carr et Bracks est toute référence au coup d’Etat qui a évincé le 23 juin de l’année dernière Rudd en tant que premier ministre ou à ceux qui ont été impliqués dans ce processus antidémocratique.

Alors que des millions d’Australiens ordinaires étaient profondément hostiles au coup et qu’un grand nombre ont refusé, précisément pour cette raison, de soutenir le Labor lors des élections fédérales ultérieures, l’enquête observe là-dessus un silence assourdissant. Un silence absolu est gardé sur les comploteurs factionnels du coup, Mark Arbib, Bill Shorten, Paul Howes, le dirigeant du syndicat Australian Workers Union, ou sur leurs liens aux « trois grands » groupes miniers australiens et à l’ambassade américaine à Canberra, aux intérêts desquels le coup a servi. (Voir : « Australia: WikiLeaks cables reveal secret ties between Rudd coup plotters and US embassy »)

Le sénateur John Faulkner s’était démené la semaine passée pour démentir des articles de presse selon lesquels les parties un et deux du rapport contenaient des commentaires critiquant la direction de Rudd et la promotion de Gillard par la suite.

« Notre rapport », a insisté Faulkner, « n’a pas tenu compte ou porté de jugement sur la décision du groupe parlementaire du Parti travailliste de changer la direction en juin 2010. » En d’autres termes, en ce qui concerne la direction du Labor, la sale manœuvre de coulisses est une affaire classée.

L’enquête a poliment fait remarquer que la directive de 2007 de Rudd selon laquelle le premier ministre, plutôt que le groupe parlementaire, dispose seul du droit de nommer les ministres, était une violation des statuts du parti et a recommandé que cela soit revu lors de la conférence nationale du Labor qui se tiendra à la fin de l’année.

Mais, Gillard, a immédiatement écarté ceci en faisant clairement comprendre au groupe parlementaire qu’il n’y aurait pas de changement des compétences de ses fonctions, y compris son « droit » de choisir les ministres. Elle choisira le gouvernement, lequel « déterminera la politique », a-t-elle souligné. En d’autres termes, même le « rapport national d’enquête spécial » officiellement commandé par le parti sera unilatéralement rejeté – sans qu’une seule voix dissidente se fasse entendre.

(Article original paru le 2 mars 2011)

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