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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

The Nation et l’ISO cherchent à canaliser les protestations contre Wall Street derrière le Parti démocrate

Par David Walsh
13 octobre 2011

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Le mouvement « Occupy Wall Street » a trouvé une résonance parmi des millions de gens. Le vaste soutien pour les protestations montre le véritable état de l’opinion publique aux Etats-Unis et ailleurs : l’opposition contre le système de profit s’est intensifiée et élargie considérablement au cours de ces dernières années. « Capitalisme » devient de plus en plus un mot sale synonyme de grande richesse pour une poignée de gens et de conditions intenables pour la grande majorité.

Ce mouvement se développera-t-il en une opposition socialiste consciente contre les fondations de l’ordre actuel en se tournant vers la classe ouvrière comme la seule force capable d’amener un changement révolutionnaire ? Ou bien sera-t-il placé sous le contrôle des institutions et des partis existant aux Etats-Unis, en premier lieu le Parti démocrate, pour devenir un moyen de plus d'adapter la population à sa propre oppression ?

Un grand nombre de jeunes particulièrement sont hostiles à ce qui existe mais, sans qu’ils y soient pour quelque chose, leur connaissance de l’histoire, du processus social et du rôle des différents partis et tendances politiques est limitée. L’expérience fournira l’enseignement le plus décisif et l’une des première choses que bien des gens vont apprendre c’est que tous les « amis » des protestations actuelles ne sont pas vraiment des amis.

Les implications du mouvement anticapitaliste grandissant sont en train de menacer le statu quo. Il est inévitable que toute la ruse et le cynisme de l’élite dirigeante et sa vaste expérience politique, ne soient mis à profit pour tenter d’étouffer ce mouvement et le voir canalisé dans les voies officielles, c’est-à-dire le soutien aux Démocrates et notamment à Obama.

Cette tentative réactionnaire dispose aussi de son visage libéral ou pseudo-gauche sous la forme de publications et d’organisations qui expriment leur sympathie pour les protestations mais qui insistent pour que le mouvement ne rompe pas à tout prix avec le système patronal bipartite et les institutions, dont les syndicats, qui le défendent ardemment. Le magazine The Nation et l’International Socialist Organization (ISO) jouent un rôle proéminent à cet égard.

The Nation est un porte-voix du Parti démocrate, jouissant d’une longue histoire peu honorable. Durant les années 1930, les rédacteurs de l’hebdomadaire, en alliance avec les staliniens du Parti communiste, avaient défendu Franklin D. Roosevelt contre la gauche socialiste en contribuant à maintenir une classe ouvrière insurgée sous la houlette des Démocrates. Il a soutenu et excusé chaque gouvernement démocrate y compris l’actuel. The Nation est édité par des individus riches et complaisants de la classe moyenne supérieure qui possèdent plus qu’une petite part du marché boursier et des sociétés américaines.

Il ne faut pas oublier qu’en novembre 2008, le rédacteur de Nation, l’éditrice et copropriétaire Katrina vanden Heuvel s’était décrite elle et ses collègues de la rédaction ainsi que les journalistes comme étant « tout à fait heureux de l’ère nouvelle pleine d’opportunités qui s’ouvre avec la victoire de Barack Obama, » en affirmant de plus que « l’élection d’Obama marque un grand moment dans l’histoire de notre pays… une victoire pour les forces de l’honnêteté, de la diversité et de la tolérance. » En fait, contrairement aux espoirs et aux vœux de millions de personnes qui ont voté pour Obama, les élections de 2008 se sont révélées être une victoire des forces de la richesse, de la réaction politique et du militarisme.

A présent, The Nation proclame son soutien aux protestations de Wall Street. Manifestants et partisans soyez sur vos gardes ! Dans un éditorial affiché le 5 octobre, le magazine cherche à ramener en toute sécurité le mouvement dans le cadre de la politique respectable rigoureusement dominée par l’establishment.

Après avoir flatté « les jeunes manifestants » d’une manière qui embarrasserait tout participant honnête (« Les jeunes sont formidables !... Oui, ils sont en colère, mais ils sont à la recherche de quelque chose et ils sont optimistes, mais avant tout, ils ont décidé de prendre les choses en main »), les éditeurs de The Nation retroussent les manches pour s'atteler à la tâche.

« Mais que veut ‘Occupy Wall Street’? Que ce soit avec condescendance ou curiosité, telle est la question qui est posée aux jeunes dont l’acte éclatant d’une politique emblématique les a propulsés sous le feu des projecteurs. Sagement, ils prennent le temps de répondre. »

The Nation vante le seul communiqué diffusé par les dirigeants des protestations et qui critique les grands groupes pour avoir placé les profits au-dessus des gens, puis il entame ce tour de passe-passe transparent : « Le fait est, que nous à gauche ne manquons pas d’idées politiques. Nous avons organisé des rassemblements immenses en formulant des revendications précises. Nous avons réclamé une taxe sur les transactions financières et l’abolition des niches d’exonération de la taxe sur les plus-values qui profitent à ceux de Wall Street. Mais nous n’avons pas eu le pouvoir de mettre nos idées en pratique. »

Qui est ce « nous à gauche » qui s’identifie avec cette proposition lamentable et futile de vouloir instaurer une « taxe sur les transactions financières, » soutenue par les milliardaires Warren Buffett, George Soros et Bill Gates, et le président français de droite Nicolas Sarkozy ? Vanden Heuvel et The Nation prétendent que ceux et celles qui participent aux protestations sont aussi lâches et satisfaits par une version légèrement remaniée du capitalisme qu’il le sont eux mêmes.

Il y a beaucoup de confusion au sein du mouvement « Occupy Wall Street » mais un nombre croissant de gens ne s’engagent pas dans des protestations en faisant d’énormes sacrifices juste pour que des milliardaires prédateurs voient leurs richesses diminuer de ce qui équivaut à de la menue monnaie. Les éléments les plus sérieux souhaitent – et de plus en plus se rendront compte de la nécessité d’apporter des changements fondamentaux – la fin complète de la mainmise du patronat par le biais du renversement des relations sociales existantes et de l’établissement d’un socialisme rationnel et démocratiquement organisé.

The Nation défend le concept du « pas de politique » prôné par certains des dirigeants des protestations actuelles. Dans son article affiché le 3 octobre, la journaliste de Nation, Betsy Reed, pose par exemple dans le titre la question « Pourquoi une telle demande d’exigences ? » Reed écrit que « leur incapacité à formuler des exigences est la critique la plus souvent entendue à l’adresse des protestataires d’OWS [Occupy Wall Street], non seulement de la part de la presse grand public mais aussi de militants gauchistes, » comme si elle défendait le mouvement à l’égard de l’impureté et de la corruption.

Ceci est une fraude. Reed et Nation comptent en cela sur l’inexpérience des jeunes forces qu’ils flattent si excessivement. Un dégoût profond à l’égard de la politique existant en Amérique, un dégoût ressenti presque universellement ne devrait pas être mêlé à un rejet de la politique en soi. La politique est la forme par laquelle les grandes questions sociales sont concentrées et discutées, et en premier lieu les questions sur la richesse et les relations de propriété : en d’autres termes, quelle classe dirigera la société ? Aujourd’hui, la politique signifie, aux antipodes, la classe ouvrière et le socialisme à une extrémité, et la richesse capitaliste et ses apologistes, à l’autre extrémité.

Le slogan « pas de politique », est paradoxalement le moyen par lequel la politique et les structures sociales existantes sont défendues. Le rejet d’une politique d’opposition et socialiste signifie en pratique la sauvegarde de la politique existante, la politique du Parti démocrate, la politique pro-capitaliste décrépite. Ainsi, plein d'espoir, l’éditorial de Nation conclut « Peut-être l’indignation exprimée par ‘Occupy Wall Street’ trouvera-elle un jour une issue dans des élections ou dans une loi. » Le vœu le plus pieux de The Nation est de voir le mouvement de protestation contre Wall Street regroupé dans la campagne de soutien pour la réélection d’Obama en 2012, ce qui signifierait la fin ignominieuse de ce mouvement.

L’International Socialist Organizasion (ISO) représente ce flanc du Parti démocrate et de ses annexes qui décore sa politique pro-capitaliste de phrases socialistes. Dans la situation actuelle, l’ISO tente d’étouffer le mouvement de protestation en contribuant à le mettre sous le contrôle de la confédération syndicale AFL-CIO et du reste de l’appareil syndical. Ce qui est une démarche politiquement criminelle. De par leur nationalisme, leur collaboration de classe et leur subordination de la classe ouvrière aux Démocrates, les syndicats sont foncièrement responsables de la situation dans laquelle se trouve maintenant une part importante de la population en Amérique.

L’AFL-CIO ne s’est pas opposée aux attaques contre la classe ouvrière : les fermetures d’usines, la destruction des programmes sociaux, l’assaut contre les droits démocratiques, la politique de guerres sans fin au Moyen-Orient et en Asie centrale. Des responsables syndicaux bien rémunérés de l’industrie automobile et d’ailleurs ont aidé à imposer des réductions brutales des salaires et des prestations sans perdre un centime de leur propre salaire.

L’éditorial de l’ISO/Socialist Worker affiché le 5 octobre et intitulé « Faire cause commune contre Wall Street, » salue le fait que « les travailleurs organisés se rallient aux protestations ‘Occupy Wall Street’… L’entrée des principaux syndicats… indique le potentiel du mouvement de protestation OWS pour approfondir ses racines sociales. » Cette dernière affirmation est entièrement fausse. Les « syndicats » américains sont de nos jours des organisations patronales opérées par des responsables bien payés et qui se consacrent à la défense des entreprises et des riches. Leur participation n’est pas un approfondissement des « racines sociales » du mouvement mais une tentative d’arracher ces racines du sol.

La déclaration de l’ISO célèbre l’AFL-CIO et les syndicats existants. Elle loue les différents syndicats et responsables syndicaux partout aux Etats-Unis pour avoir soutenu les protestations contre Wall Street, y compris Leo Gerard, le président du syndicat des sidérurgistes, un bastion de longue date d’hostilité à la politique de gauche (« red-baiting ») et d’anticommunisme, et une organisation qui a imposé à ses membres au cours de ces 30 dernières années des réductions massives et la destruction des acquis. Lorsque Gerard déclare que la direction de son syndicat « est solidaire et soutient fortement ‘Occupy Wall Street’ » il faut s'attendre à recevoir un grand coup de couteau dans le dos.

De manière étonnante, un article affiché le 6 octobre sur le site de l’ISO socialistworker.org (« Un geste de solidarité avec Wall Street »), cite le discours de Bob Master, du syndicat District 1 Legislative/Political Director of the Communications Workers of America (CWA), tenu presque immédiatement après la trahison cynique et sans précédent de la grève de Verizon, et qui a dit aux manifestants qui l’écoutaient « Regardez autour de vous. Voilà à quoi ressemble la démocratie. »

En août, l’Associated Press citait la manière dont Master défendait la capitulation du syndicat CWA (Communications Workers of America) et la reprise du travail, précisant que les membres du syndicat étaient « extrêmement heureux de reprendre le travail. » Le fait d’imposer la destruction d'acquis et des suppressions d’emplois à l’encontre de membres hostiles, c’est « ce à quoi ressemble la démocratie » chez CWA.

L’ISO s'affaire à fournir une crédibilité de « gauche » et à réhabiliter ces individus discrédités et traîtres.

Les syndicats interviennent dans les protestations contre Wall Street parce qu’ils craignent avant tout l’émergence d’un mouvement de masse indépendant du Parti démocrate et de leurs propres structures moribondes.

Le site internet AFL-CIO contient des articles qui soutiennent les protestations sans mentionner le Parti démocrate, Obama ou le capitalisme. Le président de l’AFL-CIO, Richard Trumka, aurait déclaré, « ‘Occupy Wall Street’ a capturé l’imagination et la passion de millions d’Américains qui ont perdu l’espoir que les décideurs politiques de leur pays parlent en leur nom. Nous soutenons les protestataires dans leur détermination à demander des comptes à Wall Street et à créer de bons emplois. »

Cette déclaration n’engage Trumka à absolument rien. Elle ne représente en aucune manière une rupture avec la politique du syndicat de soutenir Obama et les Démocrates. L’AFL-CIO interprète la lutte de « créer de bons emplois » comme une campagne pour attiser le chauvinisme national contre la Chine et d’autres rivaux du capitalisme américain en surpassant ces rivaux dans l’imposition de salaires les plus bas pour que les emplois « restent en Amérique. »

Distinguer ses véritables alliés et amis des menteurs et des imposteurs est une tâche cruciale et continue de la vie politique. L’intervention de The Nation et de l’ISO dans le mouvement de protestations contre Wall Street vise à en arracher le cœur potentiellement révolutionnaire.

(Article original paru le 7 octobre 2011)