wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Les questions politiques essentielles soulevées par le mouvement "Occupons Wall Street"

Par Nick Beams
29 octobre 2011

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

De nombreuses questions politiques importantes sont soulevées par le mouvement Occupons Wall Street (OWS) qui se développe. L'ampleur internationale du mouvement, sa dénonciation des opérations du capital financier et son insistance sur le besoin d'une véritable égalité sociale résonnent dans de larges couches de travailleurs de tous les pays.

Ces manifestations annoncent un grand mouvement politique de la classe ouvrière. Il est significatif que ce mouvement ne se soit pas développé autour de revendications syndicales, mais sur des questions politiques tournant autour du besoin d'une réorganisation fondamentale de l'économie et de la société dans son ensemble.

Il y a un élan fondamentalement anticapitaliste dans ces manifestations. Il reflète l'émergence de la compréhension que les principaux problèmes  auxquels sont confrontés de grandes masses de gens - les « 99 pour cent » - ne peuvent se résoudre par quelques réformes éparses.

Une autre caractéristique significative de ce mouvement, aux États-Unis du moins, est qu'il s'est développé largement en dehors du contrôle des divers groupes pseudo-gauche, qui ont tous passé les trente dernières années à faire la promotion de diverses sortes de politiques orientées sur des questions sexuelles et identitaires, faisant une croix sur le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Craignant ce que signifie l'émergence de ce mouvement, et l'accent qu'il met sur la question de classe de l'égalité sociale et sa coloration anticapitaliste, ces forces cherchent maintenant à en reprendre le contrôle.

C'est le but d'un article récent intitulé « Zone autonome sur Wall Street ? » écrit par Doug Singsen et affiché le 11 octobre sur le site Socialist Worker, appartenant à l'International Socialist Organisation aux États-Unis. Ayant rejeté il y a longtemps le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière et la lutte pour le développement de son indépendance politique, l'ISO joue un rôle essentiel comme soutien de « gauche » du Parti démocrate.

Prétendant établir les bases de la construction d'un parti révolutionnaire aux États-Unis, l'article ne parvient même pas à mentionner la question politique centrale à laquelle est confronté le mouvement socialiste dans le pays depuis plus d'un siècle, à savoir l'attitude envers le Parti démocrate.

La rupture avec le Parti démocrate est le point de départ du développement d'un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière. Sans une telle orientation, les dénonciations du capitalisme et l'insistance sur le besoin d'une perspective révolutionnaire ne sont le plus souvent que de l'agitation vaine visant à détourner les étudiants et les jeunes d'une lutte dans la classe ouvrière et à les ramener sous l'aile du Parti démocrate.

La cible avouée de l'article de Singsen est un groupe qu'il appelle les « préfigurationnistes, » qui affirment qu'un mouvement révolutionnaire devrait en quelque sorte « préfigurer » une société post-capitaliste et créer dans le présent un modèle pour l'avenir. Mais au lieu de se pencher sur cette tendance du point de vue marxiste, qui a analysé, il y a déjà longtemps ce genre de perspectives du socialisme utopique, Singsen les attaque par la droite. De toute façon, ceux-ci ne sont pas sa véritable cible. Singsen se sert de ces tendances pour diriger son tir contre le développement d'une perspective révolutionnaire.

Singsen insiste sur le fait que le mouvement ne pourrait aller de l'avant que s'il commence à présenter une série de réformes qui répondraient aux inquiétudes immédiates de larges couches de la population et les attirerait vers la lutte révolutionnaire.

Le mouvement socialiste révolutionnaire a toujours mis en avant la revendication de réformes, mais il se bat pour ces revendications du point de vue de la lutte, par la classe ouvrière, pour prendre le pouvoir politique en lien avec des revendications explicitement socialistes.

Ce n'est pas la perspective de Singsen. Il n'explique nulle part que même les demandes de réformes les plus limitées - comme des taxes supplémentaires sur Wall Street et l'élite patronale - exigeraient une lutte politique de grande ampleur contre le Parti démocrate et la bureaucratie syndicale.

Prenons la demande d'un salaire minimum de subsistance, par exemple, - ce qui n'a rien d'une demande révolutionnaire socialiste. L'application d'une mesure aussi nécessaire impliquerait un conflit ouvert avec toute la bureaucratie syndicale, qui est le principal moyen par lequel le gouvernement Obama applique un régime de bas salaires pour rendre le capitalisme américain « compétitif internationalement, » ce que la situation dans l'industrie automobile révèle bien.

Dans les mains de Singsen, la demande de réformes ne vise pas à élever la conscience des participants au mouvement OWS en leur montrant la nécessité d'une orientation vers la classe ouvrière et la lutte pour le pouvoir politique, mais à renforcer les illusions sur la capacité du mouvement à juguler certains des pires excès des banques et du capital financier s'il parvient à exercer une pression assez forte.

Il n'indique nulle part que toute réglementation significative de l'oligarchie patronale et financière est une impossibilité complète dans le cadre du capitalisme contemporain. Il n'explique pas non plus que dans le contexte de la pire crise de l'économie capitaliste mondiale depuis la Grande dépression des années 1930, toute proposition de réformes sociales réellement progressistes entraîne inexorablement la question de la lutte pour le pouvoir politique.

Le programme de la bourgeoisie dans chaque pays est de détruire tous les gains sociaux faits par la classe ouvrière au cours des 100 dernières années afin de répondre aux exigences de vampires des banques et du capital financier qui veulent des ressources sans cesses plus importantes pour alimenter leurs activités spéculatives, parasitaires et quasi-criminelles sur les marchés financiers.

Singsen n'est que le dernier d'une longue lignée d'opportunistes qui cherchent à séparer les demandes dites immédiates de la lutte pour le pouvoir politique en prétendant qu'il faudrait en quelque sorte mener les travailleurs à travers une série d'étapes avant qu'ils ne parviennent à comprendre le besoin d'une changement fondamental dans l'ordre social.

Mais le mouvement OWS et le soutien très large qu'il a obtenu ont révélé que des millions de gens commencent à être conscients que les problèmes sociaux, économiques et politiques grandissants auxquels ils sont confrontés exigent un changement fondamental de la société dans son ensemble et cherchent les moyens de réaliser cet objectif.

La tâche est de rendre clair le fait qu'on ne peut atteindre ces aspirations par des réformes à la petite semaine et que les tentatives politiques, pour l'instant encore hésitantes, des masses telles qu'elles se reflètent dans le mouvement OWS ne peuvent se développer que dans la mesure où elles sont transformées en une lutte politique consciente pour briser l'emprise de l'oligarchie financière sur les leviers du pouvoir politique.

Le marxisme a traité, il y a longtemps, la question des relations entre la réforme et la révolution, expliquant qu'au lieu de voir l'accumulation des réformes entraîner une révolution, c'est en fait l'inverse qui se produit. Toutes les réformes sérieuses sont toujours le résultat de luttes massives de la classe ouvrière qui mettent en péril l'existence même de l'ordre capitaliste. Et le marxisme a révélé la relation entre les demandes immédiates et la révolution socialiste.

Dans le programme fondateur de la Quatrième Internationale, Leon Trotsky expliquait qu'il « faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. »

Singsen veut construire un pont dans l'autre sens : loin de la conquête du pouvoir politique et de retour dans les confins du Parti démocrate et des syndicats.

Sa véritable cible, ce ne sont pas les utopistes « préfigurationnistes, » mais ceux qui présentent une perspective révolutionnaire et luttent pour transformer les sentiments instinctivement anticapitalistes des participants au mouvement OWS et des centaines de millions de par le monde qui les soutiennent en une lutte politique consciente visant à la prise du pouvoir par la classe ouvrière et à l'établissement du socialisme international.

L'hostilité de classe organique de Singsen envers une telle perspective et celle de l'entière fraternité pseudo-gauche dont l'ISO et ses partenaires internationaux font partie intégrante est résumée à la fin de l'article : « Finalement, il est important d'être réaliste au sujet des chances de changement aux États-Unis aujourd'hui. Toute personne qui pense qu'une telle transformation fondamentale est possible aux États-Unis dans un avenir immédiat, exagère le nombre, certes croissant mais toujours très petit, de gens engagés dans ce genre de changement et sous-estime aussi la force des puissances politiques, militaires, sociales et économiques rassemblées contre notre lutte. »

Cela rend clair le contenu essentiel de l'argument de Singsen. Puisque nous ne sommes pas dans une situation révolutionnaire aujourd'hui aux États-Unis, il n'est pas permis de lutter pour faire tomber le pouvoir des patrons par une lutte politique contre ses principaux défenseurs et soutiens, y compris le Parti démocrate et les syndicats. La chute du capitalisme peut être soulevée comme une perspective future, un but auquel le mouvement peut aspirer. Mais elle ne doit pas devenir le fondement d'une lutte politique menée dans les conditions présentes parce que ces conditions ne sont pas révolutionnaires.

Il est par conséquent nécessaire de présenter une liste « réaliste » de revendications et de perspectives. L'objectif d'une telle position est clair. Il y a plus de 100 ans de cela, Lénine polémiquait contre le courant économiste en Russie, lequel voulait confiner la classe ouvrière dans des demandes dites immédiates plutôt que de se tourner vers la déposition de l'autocratie tsariste. Comme l'a expliqué Lénine, être « réaliste » d'après ces gens, signifie lutter pour ce qui est possible étant donné les circonstances, et ce qui est possible en fin de compte ce n'est que l'état présent des choses.

Dans le cas de la situation actuelle aux États-Unis, le « réalisme » de l'ISO signifie travailler au sein des syndicats et des abords du Parti démocrate, contre le Tea Party et le Parti républicain en général, et s'embarquer dans la campagne d'Obama pour 2012, présenté comme un « moindre mal » comparé à une victoire républicaine.

L'insistance de Singsen sur le « réalisme » vise à obscurcir les processus économiques et sociaux sous-jacents qui ont créé les conditions objectives nécessaires à l'émergence d'une situation révolutionnaire.

Rappelons l'analyse de Trotsky sur le développement d'une situation révolutionnaire :

« La première et la plus importante prémisse d'une situation révolutionnaire, c'est l'exacerbation intolérable des contradictions entre les forces productives et les formes de la propriété. La nation cesse d'aller de l'avant. L'arrêt dans le développement de la puissance économique et, encore plus, sa régression signifient que le système capitaliste de production s'est définitivement épuisé et doit céder la place au système socialiste.

« La crise actuelle, qui embrasse tous les pays et rejette l'économie des dizaines d'années en arrière, a définitivement poussé le système bourgeois jusqu'à l'absurde. Si à l'aurore du capitalisme des ouvriers affamés et ignorants ont brisé les machines, maintenant ceux qui détruisent les machines et les usines ce sont les capitalistes eux-mêmes. Avec le maintien ultérieur de la propriété privée des moyens de production, l'humanité est menacée de barbarie et de dégénérescence.

« La base de la société, c'est son économie. Cette base est mûre pour le socialisme dans un double sens : la technique moderne a atteint un tel degré qu'elle pourrait assurer un bien-être élevé au peuple et à toute l'humanité ; mais la propriété capitaliste, qui se survit, voue les peuples à une pauvreté et à des souffrances toujours plus grandes. »

Ces lignes ont été écrites il y a près de 80 ans, mais on pourrait difficilement trouver une description plus juste de la situation objective actuelle aux États-Unis et partout ailleurs.

Bien sûr, les conditions objectives ne déterminent pas à elles seules la transition vers le socialisme. Une révolution a lieu par l'activité consciente des hommes et des femmes qui entrent dans la lutte politique. C'est-à-dire qu'une situation révolutionnaire surgit des actions réciproques de facteurs objectifs et subjectifs.

La conscience politique de la classe ouvrière aux États-Unis et dans les autres pays n'est pas encore révolutionnaire. Mais en disant cela, on n'a pas tout dit. De vastes changements dans la situation économique et les luttes dans lesquelles des masses de gens sont soit déjà engagées soit sur le point d'y être - et dont le mouvement OWS est une des expressions - créent les conditions où le fossé entre la conscience sociale et l'être social peut être comblé.

Combler ce fossé représente le travail du parti révolutionnaire. La question cruciale est l'assimilation par les sections les plus politiquement avancées de la classe ouvrière des conceptions fondamentales du marxisme et des leçons clés des luttes historiques du mouvement social. C'est crucial pour démasquer la « fiction bourgeoise qui empoisonne la conscience des masses. » (Trotsky).

Dans les discussions que Trotsky tenait avec des dirigeants du mouvement trotskyste américain en mai 1938, il expliquait que le programme du parti révolutionnaire devait prendre pour point de départ la crise objective du capitalisme mondial et non le niveau existant de la conscience ouvrière. « Le programme, doit exprimer les tâches objectives de la classe ouvrière plutôt que l'arriération des travailleurs. Il doit refléter la société telle qu'elle est, et non l'arriération de la classe ouvrière. C'est un instrument pour vaincre l'arriération. C'est pourquoi nous devons exprimer dans notre programme toute la gravité de la crise sociale de la société capitaliste, y compris en premier lieu aux États-Unis. Nous ne pouvons remettre à plus tard ou modifier des conditions objectives qui ne dépendent pas de nous. Nous ne pouvons pas garantir que les masses résoudront la crise ; mais nous devons exprimer la situation telle qu'elle est, et c'est là la tâche du programme. »

La description « réaliste » que fait Singsen des États-Unis est caractéristique de ce que Trotsky décrivait comme le mode de pensée métaphysique des petits-bourgeois conservateurs, à savoir : opposer une situation révolutionnaire à une situation non-révolutionnaire.

Pourtant, écrivait-il, « les caractéristiques les plus notables de notre époque de capitalisme en déclin sont intermédiaire et transitoire : situations entre le non-révolutionnaire et le pré-révolutionnaire, entre le pré-révolutionnaire et le révolutionnaire ou. le contre-révolutionnaire. Ce sont précisément ces étapes transitoires qui ont une importance décisive du point de vue de la stratégie politique. »

La situation politique aux États-Unis, et en fait dans tous les pays du monde, est entrée dans une telle étape transitoire. Le développement dynamique trouve ses sources dans des processus économiques et sociaux fondamentaux.

La bourgeoisie dans chaque pays, surtout aux États-Unis, ne peut plus utiliser les vieilles méthodes de domination. Elle n'a aucune solution économique à la crise et doit lancer des attaques de plus en plus profondes contre la classe ouvrière d'une part, tout en se préparant à la guerre contre ses rivaux internationaux d'autre part.

En même temps, la classe ouvrière ne peut pas non plus continuer comme avant, et est poussée à lutter contre le nouvel ordre qui lui est imposé par la bourgeoisie. Cela signifie le déclenchement de luttes politiques et sociales dans lesquelles la lutte pour le pouvoir politique devient la question clé, non pas comme un objectif lointain, mais émergeant de la situation immédiate elle-même.

La victoire de la classe ouvrière dans ces luttes, qui ont déjà commencé, dépend de sa capacité à établir ses propres intérêts indépendants et à construire le parti révolutionnaire par une lutte politique et idéologique incessante contre les organisations petites-bourgeoises telle l'ISO, qui oeuvrent pour l'ancien régime et préparent la voie de la contre-révolution.

(Article original paru le 22 octobre 2011)

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés