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WSWS : Nouvelles et analyses : Amérique latine

La lutte des étudiants chiliens et l'héritage de 1973

Par Luis Arce et Rafael Azul
26 septembre 2011

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Le 11 septembre, des travailleurs et des jeunes ont manifesté à Santiago au Chili pour marquer le 38e anniversaire du coup d'État soutenu par la CIA, qui a renversé le gouvernement de Salvador Allende et ouvert la voie à 17 années de dictature militaire brutale dirigée par le général Augusto Pinochet.

La grande marche à travers la capitale chilienne a été marquée par des affrontements répétés entre les manifestants et les carabiniers paramilitaires : 21 personnes ont été arrêtées et plusieurs blessées. Afin d'intimider la foule, la police a déployé des unités montées, des canons à eau et des gaz lacrymogènes.

La manifestation a fait suite à trois mois de manifestation par des lycéens et étudiants universitaires qui revendiquaient la fin de l'éducation à but lucratif et une éducation supérieure gratuite pour tous les Chiliens. Le mouvement a progressivement escaladé en une confrontation avec le gouvernement de droite du président Sebastian Piñera et exige la réécriture de la constitution approuvée sous la dictature de Pinochet.

La constitution est née du coup d'État militaire chilien de 1973, l'une des défaites les plus sanglantes et tragiques subies par la classe ouvrière internationale. Elle a institué une série de contre-réformes capitalistes afin de renverser les mesures réformistes mises en ouvre sous le gouvernement Unité populaire d'Allende et pointait dans la direction d'un nouvel ordre, dont l'éducation et les soins de santé subordonnés au profit, les pensions privatisées, etc.

La Confédération étudiante chilienne (Confech) a organisé des manifestations à Santiago, Valparaíso et Concepción le 13 et 14 septembre en solidarité avec la grève de 48 heures de quelque 25 000 travailleurs du secteur de santé municipal. Les travailleurs de la santé ont débrayé pour exiger l'amélioration des salaires, des conditions de travail et des infrastructures, puis contre le refus du ministère de la Santé de respecter l'entente négociée en novembre dernier. Comme dans la lutte des étudiants, il se trouve à la racine du conflit dans le secteur de la santé le financement inadéquat du gouvernement et la privatisation.

Précédemment, les lycéens et les étudiants universitaires se sont joints à une grève de deux jours, le 24 et 25 août, organisée par la principale fédération syndicale du Chili, la CUT (Central Unitaria de Trabajadores, Centrale unitaire des travailleurs). Moins de 13 pour cent de la main-d'ouvre chilienne est syndiquée.

Des sections des médias ont tracé des parallèles entre les manifestations de masse et les grèves au Chili et les mouvements populaires qui ont balayé le Moyen-Orient tôt cette année, référant à « l'hiver chilien » (l'hiver prend maintenant fin dans l'hémisphère sud) de la même manière que « le printemps arabe ». Il y a un fort parallèle entre ces luttes distantes dans l'absence d'un programme clairement défini et d'une direction révolutionnaire consciente.

Les luttes étudiantes de masse ont pris la forme d'une confrontation non seulement avec l'administration de droite de Piñera, mais aussi avec la coalition Concertación de « centre-gauche », dirigée par les partis socialiste et démocrate-chrétien, qui est responsable d'avoir poursuivi les politiques en éducation de l'époque de Pinochet.

Toutefois, les directions étudiantes et syndicales actuelles, dominées par le Parti communiste stalinien chilien (PCCh), sont déterminées à maintenir les mouvements de masse explosifs à l'intérieur du cadre politique bourgeois chilien et à limiter leurs revendications à des réformes acceptables aux yeux de l'élite dirigeante du pays.

Telle est la politique menée tant par la direction de la CUT, qui est entre les mains du Parti socialiste et du PCCh, que par la Confédération des étudiants du Chili (Fech), dont la représentante la mieux connue, Camila Vallejo, est membre du Mouvement jeunes communistes. La direction dans laquelle ils tentent de mener le mouvement étudiant est celle des négociations avec le gouvernement Piñera, qui laisserait intacte la constitution de Pinochet.

La réémergence de luttes ouvrières et étudiantes au Chili a été accompagnée par la promotion d'illusion dans la période d'Allende et du gouvernement Unité populaire qu'il dirigeait. Toute une gamme de nouvelles organisations a fait surface avec des noms tels que Partido del Socialismo Allendista, Movimiento Amplio Allendista el Frente Estudiantil Allendista,and Socialistas como Allende.

Celui qui est le plus politiquement constant dans la promotion de ces illusions est le Parti communiste chilien. Avec l'aide de différents groupes révisionnistes pablistes, il fait de son mieux pour désorienter une nouvelle génération qui entre en lutte. Il sème la confusion sur les questions touchant à la trahison politique au Chili qui a mené à une défaite stratégique pour la classe ouvrière.

Les travailleurs chiliens ont payé un prix terrible pour cette trahison. Des milliers de personnes ont été tuées et torturées par la dictature militaire et un million de Chiliens ont été forcés de fuir leur pays. La dictature a implanté la destruction en bloc du niveau de vie des travailleurs et de leurs droits démocratiques et sociaux. Cela a créé les fondations pour une poussée de dérégulation et de privatisation radicale qui est devenue connue dans les milieux capitalistes internationaux sous le nom de « miracle chilien ».

L'essentiel de la ligne du PCCh peut être glané à partir d'un document mis en ligne sur son site web : Breve Historia del Partido Comunista Chileno (Brève histoire du Parti communiste chilien)

Le cour du document est une glorification de la politique du Front populaire, introduite par le Comintern stalinien à la suite de la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne. Cette politique cherchait à allier les partis communistes avec des partis purement bourgeois au nom de la lutte contre le fascisme. Le prix de ces alliances était la suppression directe des luttes révolutionnaires de la classe ouvrière, et cela a eu des conséquences des plus tragiques en Espagne.

Il est remarquable que près de deux décennies après la dissolution de l'Union soviétique et la liquidation des anciens partis communistes partout dans le monde, les staliniens chiliens invoquent cet héritage discrédité. C'est parce qu'avec ou sans la bureaucratie stalinienne de Moscou, cela correspond au rôle joué par le PCCh aujourd'hui, qui est de subordonner la classe ouvrière aux partis bourgeois.

Aujourd'hui, comme les staliniens chiliens le disent clairement, cette perspective se traduit en un appui pour le « processus national, populaire et révolutionnaire » qui a porté au pouvoir les régimes bourgeois qui vont de Chavez au Venezuela jusqu'au Parti des travailleurs qui gouverne le Brésil.

L'histoire du PCCh présente le gouvernement Unité populaire comme étant la « plus grande conquête du mouvement ouvrier chilien jusqu'à maintenant ». Le PCCh cite de meilleures conditions économiques pour la classe ouvrière ainsi que la nationalisation ou la « chilianisation », comme on l'appelait, des secteurs miniers et autres. Ces mesures avaient en fait débuté sous le prédécesseur d'Allende, le chrétien démocrate Eduardo Frei.

Allende fut poussé au pouvoir par une vague de militantisme de la classe ouvrière dans les années 1970. La question décisive est de comprendre pourquoi ce mouvement puissant de la classe ouvrière fut défait, entraînant la répression horrible de la dictature de Pinochet seulement trois ans plus tard.

Il est bien connu que la CIA, travaillant en étroite collaboration avec la droite chilienne et l'armée, a implanté un programme pour déstabiliser et renverser le gouvernement Allende. Dans des mots bien connus, Henry Kissinger avait  déclaré : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions regarder sans rien faire un pays devenir communiste, car son propre peuple est irresponsable. »

Mais pourquoi la classe ouvrière n'était-elle pas préparée à défaire ce complot contre-révolutionnaire ? Le PCCh tente de répondre à cette question par un double langage réactionnaire. Il prétend qu'il lui manquait le « développement théorique » et la « vision » pour « aller de l'avant avec la même force qu'elle l'avait fait dans les sphères économiques et sociales pour implanter des changements qui devaient être faits dans la superstructure de la société : l'État, les forces armées, le système judiciaire, etc. »

Cela n'est que mensonge. Le « développement théorique » et la « vision » du Parti communiste chilien furent fondés sur la perspective stalinienne du Front populaire et de la « route parlementaire vers le socialisme », ce qui faisait du PCCh le défenseur le plus déterminé de l'État bourgeois et l'ennemi le plus vicieux de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. Il se positionnait à la droite du gouvernement Unité populaire, utilisant les trois ans entre l'élection et le coup militaire pour désorienter, démoraliser et désarmer - autant littéralement que politiquement - la classe ouvrière chilienne.

Les efforts des travailleurs pour contrer les lockouts réactionnaires des employeurs en mettant sur pied des comités industriels et pour se défendre contre la menace d'un coup d'État fasciste en tentant de bâtir des organisations indépendantes de défense ont été impitoyablement anéantis par le gouvernement Allende et les staliniens. Une loi de contrôle des armes a été promulguée dans le but d'effectuer des fouilles et des saisies d'armes dans les usines et les quartiers ouvriers, tandis que la loi martiale était instaurée dans les zones ouvrières les plus militantes.

Les staliniens exigèrent que la classe ouvrière se subordonne à l'armée, tandis qu'Allende invitait les généraux à faire partie de son cabinet. Quelques mois seulement avant le coup d'État fasciste de l'armée, le secrétaire général du PCCh de l'époque, Luis Corvalán, se portait garant du « caractère entièrement professionnel des institutions armées ».

Cette trahison avait été facilitée par la liquidation antérieure du mouvement trotskyste au Chili. Ayant le plein appui de l'organisation pabliste internationale dirigée par Ernest Mandel, ce mouvement s'est dissout dans le groupe centriste MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), qui propageait des illusions dans le castrisme et la politique de guérilla, tout en adoptant une position opportuniste de « soutien critique » envers le gouvernement Allende. Comme s'intensifiait considérablement la lutte des classes dans les mois précédant le coup d'État, le MIR a même abandonné son opposition électorale au gouvernement de l'Unité populaire, ne présentant ainsi aucune alternative révolutionnaire à la trahison des directions staliniennes et sociales-démocrates qui se préparait.

Les successeurs modernes du pablisme au Chili jouent aujourd'hui un rôle semblable. Deux organisations, le Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT) et le Parti des travailleurs révolutionnaires (PTR), toutes deux successeures du mouvement argentin dirigé par le défunt Nahuel Moreno, ont tenté à leur façon de subordonner le soulèvement de la jeunesse chilienne au stalinisme.

Balançant entre le scepticisme à l'égard du pouvoir révolutionnaire de la classe ouvrière et la vénération de sa spontanéité, le PTR a rendu public le 25 août un document appelant les étudiants et les travailleurs à faire pression sur le Parti communiste, le Parti socialiste et les syndicats afin que ceux-ci abandonnent le réformisme et mènent plutôt la lutte étudiante dans une voie révolutionnaire.

De la même manière, encourageant les masses et demandant que soit reconstruit la CUT, le PRT (qui a aussi servi de meneuse de claques pour l'assaut impérialiste contre la Libye) a, dans une déclaration publiée le 7 août, appelé les travailleurs et les étudiants à forcer la CUT et d'autres organisations de la classe ouvrière [qu'ils n'ont pas nommées] à rompre avec la bourgeoisie et à adopter une stratégie révolutionnaire.

Peu importe les différences qui existent entre eux, le PRT et le PTR entretiennent l'illusion fatale parmi les étudiants et les travailleurs que ces partis historiquement discrédités, responsables d'avoir subordonné la classe ouvrière à l'État capitaliste sous Allende, et ainsi d'avoir pavé la voie à Pinochet, vont devenir des organisations révolutionnaires sous une pression accrue des masses.

Le rôle de la fausse gauche est encore plus ouvertement représenté par l'ISO (International Socialist Organization) aux États-Unis, qui a réagi aux événements au Chili en se joignant aux médias bourgeois pour célébrer la chef étudiante stalinienne Camila Vallejo. Appuyant dans les faits la décision qui fut prise le mois dernier par la direction de la fédération étudiante, dont Vallejo est à la tête, d'entrer dans des négociations avec le gouvernement de droite de Piñera, l'ISO affirme : « Mais le président millionnaire et la chef étudiante communiste auront bien peu en commun. »

Au contraire, la politique stalinienne de subordonner le mouvement de la classe ouvrière à l'État capitaliste offre à  Piñera un outil politique indispensable pour étouffer les protestations de masse.

En acceptant passivement le droit des staliniens à prendre la direction de ce mouvement et en nourrissant l'illusion que ce parti contrerévolutionnaire peut être poussé vers la gauche, cette fausse gauche, dont font partie les pablistes chiliens et l'ISO, ne fait que paver la voie à de nouvelles défaites.

(Article original publié le 16 septembre 2011)

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