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Le Parti québécois et la crise du mouvement souverainiste

Par Éric Marquis et Louis Girard
15 septembre 2011

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Quelques mois après la démission de quatre députés importants du Parti québécois (PQ), un parti bourgeois qui prône l'indépendance du Québec, la crise dans ce parti se poursuit. En surface, cela prend la forme de critiques sévères à l'endroit de Pauline Marois, la chef du PQ, qui l'ont forcé à réaffirmer son intention de demeurer à la tête du parti.

Cette crise prend place dans le contexte où la bourgeoisie exige un virage radical vers la droite en termes de politiques économiques et sociales, mais où ses principaux représentants politiques sont complètement discrédités aux yeux des travailleurs. Certaines sections de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie cherchent quant à elles à pousser le PQ à adopter plus clairement un programme pour réaliser la souveraineté. Loin d'offrir une opposition de principe au PQ, ces sections acceptent entièrement le système d'États-nations au sein duquel le capitalisme s'est historiquement développé. Elles cherchent seulement à convaincre la grande entreprise qu'un assaut frontal sur les acquis des travailleurs aurait plus de chances de réussir s'il était enrobé de belles paroles concernant le caractère supposément progressiste d'un éventuel Québec indépendant.

Deux des quatre députés démissionnaires du PQ ont laissé entendre qu'ils pourraient se présenter à la chefferie de ce parti si une course à la direction pour remplacer Marois avait lieu. De plus, Gilles Duceppe, ex-chef du Bloc Québécois (BQ), le parti frère du PQ au niveau fédéral, aurait, selon le quotidien La Presse, eu des discussions avec d'ex-premier ministre du Québec, afin de discuter de la possibilité de remplacer Pauline Marois. Duceppe a été pendant 14 ans le chef du BQ avant de démissionner, après la défaite historique que ce parti a subie lors des élections fédérales de 2011.

Deux députés du PQ, Bernard Drainville et Sylvain Pagé, ont fait des propositions qui vont à l'encontre du programme prôné par la direction du Parti québécois. D'autres critiques envers le PQ ont émané du Nouveau mouvement pour le Québec (NMQ), un mouvement qui bénéficie d'un appui important dans le milieu souverainiste. Le NMQ est composé de plusieurs ex-péquistes qui critiquent le PQ exclusivement sur son attitude vis-à-vis la souveraineté, et non sur les politiques de droite anti-ouvrières que ce parti met de l'avant.

Hormis de nombreuses organisations indépendantistes, des représentants du milieu syndical et quelques députés démissionnaires du PQ, le parti qui représente la gauche officielle au Québec, Québec Solidaire (QS), était présent lors de la première assemblée publique du NMQ, qui s'est tenue le 21 août dernier.

Même si le NMQ est un mouvement de droite lié au PQ, Françoise David, la coporte-parole de Québec Solidaire, s'est enthousiasmée devant cette nouvelle initiative et a parlé de « collaborations possibles ».

Pauline Marois a réagi aux critiques visant son parti. Elle a annoncé quelques mesures dont la plus importante est la tenue d'états généraux sur la souveraineté du Québec, une mesure qui avait été réclamée par plusieurs intervenants lors de la première assemblée du NMQ et qui vise à discuter de l'avenir du mouvement souverainiste et de la souveraineté du Québec.

Toutefois, selon Gérald Larose, ancien président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et maintenant président du Conseil de la souveraineté du Québec (CSQ), qui a été mandaté par le PQ pour définir les paramètres des états généraux, la tenue de ces états généraux demeure incertaine étant donné les désaccords régnant au sein du mouvement souverainiste.

QS, qui fait partie du CSQ, a donné son appui aux états généraux, en précisant qu'ils devraient être « porté[s] par un regroupement de forces souverainistes et populaires » et qu'ils doivent « nous permettent de tracer les contours du Québec dans lequel nous voulons vivre. »

Les forces souverainistes, Québec Solidaire en tête, réagissent à la crise du Parti québécois en cherchant à redonner un vernis plus « démocratique » au mouvement souverainiste. Or, cela sert à masquer un fait fondamental : l'immense crise du système capitaliste vient discréditer tous les partis traditionnels de la classe dirigeante. Québec Solidaire, accompagné par les autres forces souverainistes et les bureaucrates syndicaux, intervient pour redonner du crédit à cette classe dirigeante.

QS et tout le mouvement souverainiste évacuent les questions de classe. Ils entretiennent l'illusion qu'il est possible de défendre les intérêts de « tous les Québécois » à l'intérieur du système de profit et du système d'États-nations qui se font compétition. Tout ce qu'il faut, selon eux, c'est de faire quelques réformes démocratiques.

En faisant cela, Québec solidaire empêche la classe ouvrière de rompre avec les partis bourgeois traditionnels et de développer sa propre alternative.

Le principal chemin par lequel s'exprime la collaboration de QS avec la classe dirigeante est la participation active de ce parti dans le mouvement souverainiste, un mouvement qui vise la création d'un nouvel État capitaliste indépendant et qui a toujours été dirigé par le Parti québécois.

Le nationalisme québécois, tout comme le nationalisme canadien, représentent un obstacle fondamental à toute solution progressiste à la crise du système capitaliste, qui est mondiale. La crise de l'emploi, la spéculation endémique, l'assaut sur les salaires, la santé et l'éducation sont des problèmes que vivent les travailleurs à travers le monde. Soutenir qu'un Québec « libre » serait plus socialement juste est un mensonge éhonté qui sert à camoufler les divisions de classe.

La crise au parti québécois doit être comprise dans son contexte historique et en tenant compte des profondes contradictions de classe qui traversent la société.

Ce n'est pas seulement le PQ qui est en crise, mais aussi le parti libéral du Québec (PLQ), qui dirige la province depuis 2003. Ces deux partis, qui s'alternent au pouvoir depuis les années 1970, sont depuis longtemps critiqués de la droite par la bourgeoisie et les grands médias pour ne pas aller suffisamment loin et vite pour implanter les politiques de droite pro-entreprises.

Mais de l'autre côté, l'appui populaire envers ces partis traditionnels s'érode continuellement en raison d'années d'attaques sur les conditions de vie de la classe ouvrière, par des compressions budgétaires et la mise en place d'une politique fiscale qui profite aux plus riches. Par exemple, le PQ a perdu 500 000 voix (environ 25 pour cent de son soutien électoral) lors des élections de 2003 et le soutien populaire pour ce parti a été à la baisse depuis ce temps. Cette cuisante défaite était survenue après 10 ans de gouvernement péquiste, où celui-ci avait fermé des hôpitaux, congédié des milliers d'infirmières et sabré massivement dans les dépenses, tout en baissant les impôts pour les plus riches.

Mais, les mesures de droite implantées par le PQ, qui ont ensuite été accentuées par le PLQ, n'ont pas été suffisantes pour la bourgeoisie du Québec. En effet, celle-ci a constamment cherché des moyens pour pousser toute la politique encore plus à droite et cela a eu un effet déstabilisateur sur le PQ. Celui-ci a réagi en cherchant à s'adapter à ces pressions de la bourgeoisie, notamment en mettant l'éloge de la « richesse » au cour de son plus récent programme, tout en s'aliénant encore plus la population. (Voir, Québec : La crise au Parti québécois sfintensifie après la démission de trois députés vedettes )

La Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) de François Legault, un ancien ministre péquiste, est l'un des moyens mis en avant par la bourgeoisie pour imposer des mesures impopulaires que ni le PLQ, ni le PQ, n'ont réussi à mettre en place tellement ils sont discrédités aux yeux de la population. La venue au pouvoir des libéraux de Jean Charest avait été accueillie par une immense vague d'opposition chez les travailleurs et les étudiants qui n'avait pu être contenue que grâce à la trahison des syndicats.

Tout comme les signataires du manifeste Pour un Québec lucide, qui affirmaient que le Québec « ne peut se permettre d'être la république du statu quo », la CAQ défend l'idée que la question constitutionnelle doit être reléguée au second plan afin que l'élite dirigeante, autant son aile souverainiste que fédéraliste, puisse se consacrer à imposer vigoureusement un programme d'austérité sociale.

Le PQ a répondu à cette évaluation de la bourgeoisie québécoise en mettant moins l'accent sur son projet de souveraineté. C'est cela qui est à la base de la création du Nouveau mouvement pour le Québec. Celui-ci est composé de couches plus aisées de la classe moyenne, des sections de la bureaucratie syndicale et du mouvement communautaire qui jugent qu'un « projet de pays » leur servirait de couverture politique et de passerelle pour améliorer leur propre position sociale.

Que dit le manifeste du Nouveau mouvement pour le Québec ?

Le NMQ critique principalement le PQ parce qu'il « banalise » le projet d'indépendance du Québec : « Pour résumer, en misant sur le rapatriement des pouvoirs et non sur la main-mise de l'ensemble des pouvoirs, le PQ banalise en quelque sorte l'idée d'indépendance et d'émancipation collective. Il la réduit à une formalisation de questions administratives. »

Voilà la principale faute du PQ selon le NMQ : banaliser le projet d'indépendance du Québec, le mettre de côté, le remettre à plus tard, etc.

Le caractère de classe du NMQ est clairement démontré par le fait qu'il ne dit rien sur les politiques de droite que le PQ a menées lors de ses années au pouvoir, des politiques qui ont eu et qui continuent d'avoir des conséquences sociales désastreuses, notamment dans le domaine des soins de santé. Pas une fois dans le manifeste n'apparaissent les mots « pauvreté », « inégalité » ou « privatisation », des mots qui décrivent le quotidien de millions de travailleurs, au Québec ou internationalement.

Alors que le NMQ critique le fait que le mouvement souverainiste soit maintenant un « parti institutionnalisé » [i.e. le Parti québécois], il affiche clairement ses ambitions de participer à des institutions qui sont des piliers des puissances impérialistes : « Plus que jamais, c'est à nous d'être nous-mêmes face au reste du monde. De participer nous aussi à la conduite des affaires mondiales et d'être responsables devant l'ONU, l'OCDE, l'OTAN, l'OMC, le FMI, la Banque mondiale ou l'ALÉNA. »

Apparemment, l'un des principaux souhaits du NMQ est justement de faire partie de ces organisations qui servent à imposer les diktats des grandes banques et institutions financières (OMC, FMI, Banque mondiale), à fournir une justification pseudo légale aux agressions impérialistes (ONU) ou même à mener ces guerres impérialistes (OTAN).

Le fait que Québec solidaire s'associe à ce mouvement de droite révèle une fois de plus son orientation de classe. Selon QS, le NMQ et l'ensemble du mouvement souverainiste, le problème fondamental de la société québécoise est sa subordination à l'État fédéral.

Dans son site web, paysdeprojets.org, QS affirme que les « rêves de justice, d'égalité, de démocratie et d'écologie » sont « pour le moment entravés par le statut provincial du Québec ». On a beau chercher dans tout le site, il ne s'y trouve aucune critique des politiques sociales du PQ, un parti qui, avec les libéraux, a favorisé pleinement l'enrichissement d'une minuscule couche sociale aux dépens de l'écrasante majorité de la population. À la section « QS/PQ », QS ne fait que critiquer la stratégie du PQ pour l'atteinte de la souveraineté tout en proposant « de remettre entre les mains de la population le soin de définir son avenir politique et son projet de société. »

QS fait constamment référence au « peuple », à la « population » ou aux « citoyens » du Québec, mais très rarement aux travailleurs et encore moins à la classe ouvrière. Pour ce parti de la petite-bourgeoisie, les travailleurs et l'élite dirigeante du Québec devraient tous s'allier sous la bannière de l'indépendance.

Le fait que le NMQ soit un mouvement de droite à peine différent du PQ, qu'il ne remet pas en question le système capitaliste et qu'il désire participer à des institutions servant à défendre ce système est, au mieux, secondaire pour QS. Après tout, les « assemblées constituantes », que QS et le NMQ proposent, permettront aux « valeurs québécoises » de venir rendre plus humain un système et des institutions qui sont en train, et avec raison, de soulever la colère de millions de personnes !

En présentant la question nationale comme la question fondamentale, tous les groupes et partis regroupés dans le NMQ étouffent toute discussion sur le caractère de classe de la société, que ce soit celle du Québec, du Canada, ou de tout autre pays. Québec solidaire, le représentant « de gauche » le plus en vue dans cette coalition, tente de redonner vie au programme qui a si bien servi le PQ et la bourgeoisie québécoise durant des décennies.

Le projet d'indépendance du Québec a historiquement servi à diviser les travailleurs du Québec de ceux du reste du Canada pour mieux servir les intérêts du patronat au Québec et au Canada et empêcher qu'un puissant mouvement ouvrier vienne menacer l'ordre établi.

Dans la lutte nécessaire qu'ils doivent mener pour bâtir un parti qui représentera véritablement leurs intérêts, les travailleurs devront inévitablement s'opposer au programme réactionnaire de la souveraineté et lutter contre tous ceux qui en font la promotion. La classe ouvrière québécoise doit se tourner au contraire vers ses véritables alliés : les travailleurs du Canada anglais, des États-Unis et du reste du monde.

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