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Espagne : Encore des coupes dans la santé et l'éducation

Par Alejandro López
18 avril 2012

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L'IBEX (le principal marché boursier espagnol) a atteint son point le plus bas depuis trois ans, lundi matin à l'ouverture, en chute de 35 points. Au même moment, le coût de l'assurance sur la dette espagnole a atteint un sommet.

Lyn Graham-Taylor, stratège des taux d'intérêt à la Rabobank, a été citée pour avoir dit que l'Europe était « à nouveau en mode crise complète, » avec l'Espagne en première ligne. Cela intervient alors que la Banque centrale européenne (BCE) a injecté 1000 milliards d'euros dans le système financier européen en décembre dernier. Cela avait empêché un effondrement financier immédiat en fournissant aux banques une source lucrative d'argent à très bas prix, qui a ensuite été utilisée pour acheter des dettes espagnoles.

Bruxelles a envoyé une délégation en Espagne pour « analyser » ses comptes. Ils présenteront leurs résultats à la fin du mois de juin à un sommet des ministres de l'économie européens, lequel décidera si l'Espagne fait suffisamment d'efforts pour honorer ses dettes publiques et privées.

La baisse des marchés est intervenue après que le gouvernement a donné des détails sur des coupes dans les dépenses s'élevant à 10 milliards d'euros. Elles viennent s'ajouter aux 27,3 milliards de coupes du budget de 2012 (soit 2,5 pour cent du PIB), aux 15 milliards de coupes annoncées en décembre et aux 16,5 milliards supprimés par le précédent gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).

Même ainsi, il est de plus en plus douteux que l'Espagne parvienne à respecter les objectifs fixés par la Commission européenne, la BCE et le Fonds monétaire international et qu'elle avait acceptés, il y a deux ans. Ceux-ci imposent de réduire le déficit de 9,2 pour cent du PIB en 2010 à 4,4 cette année et 3 pour 2013.

Le Premier ministre Mariano Rajoy avait déjà dit que le pays n'atteindrait pas l'objectif de cette année, après quoi l'objectif a été relevé par Bruxelles à 5,3 pour cent pour cette année et 3 pour cent en 2013.

Ces dernières coupes en date visent à pousser les 17 gouvernements régionaux à faire des coupes significatives dans leurs dépenses. Les régions représentent quatre dixièmes des dépenses publiques espagnoles. Elles ont en charge la santé et l'éducation, qui représentent 80 pour cent de leur budget.

Pas une des régions n'a atteint l'objectif de 1,3 pour cent l'année dernière. Leur déficit combiné s'est établi à 2,9 pour cent du PIB, forçant le pays à emprunter quelque 17 milliards d'euros de plus que prévu.

En décembre dernier, Valence n'a pas pu rembourser un emprunt de 1,8 milliard d'euros et a dû être renfloué par le gouvernement central. Maintenant toute l'attention se concentre sur l'Andalousie dans le sud du pays.

Antonio Beteta, Secrétaire d'Etat aux régions, s'est plaint « l'Andalousie ne pratique pas la transparence [c] Il y a un problème à la fois de transparence et de crédibilité. » Le ministre des Finances Cristobal Montoro a parlé de « trou noir » des comptes andalous.

C'est une des rares régions à ne pas être contrôlée par le Parti populaire (PP) au pouvoir. On s'attend à ce qu'un gouvernement de coalition entre le PSOE et Izquierda unida (Gauche unie), dirigée par les staliniens, soit formé, et c'est à eux qu'il reviendra d'imposer des coupes dans la santé et l'éducation.

Les autres régions se sont engagées à respecter l'objectif d'une réduction de 1,5 pour cent du déficit. Selon une loi passée jeudi dernier, le gouvernement central peut prendre le contrôle de toute région en défaut de paiement.

Un communiqué de presse sur les dernières coupes a qualifié les plans de privatisation, de « réforme » de l'éducation et de la santé, et d'« élimination des redondances » dans les grands services publics.

Rajoy a toujours écarté l'idée que l'Espagne aura besoin d'un renflouement comme la Grèce. « L'Espagne ne va pas être sauvée, » a-t-il dit. « Elle n'a pas besoin de l'être. Nous ne voulons pas créer d'inquiétudes sans raisons. Nous demandons la prudence.

Pourtant, les prédictions indiquent que la production de l'économie espagnole baissera de 1,7 pour cent cette année. Les exportations ont baissé de 1,6 pour cent ces trois derniers mois, et les dépenses des consommateurs ont baissé de 1,1 pour cent sur l'année.

Le secteur immobilier, sur lequel l'Espagne s'est lourdement appuyée au cours des dix dernières années, continue à décroître. Le quatrième trimestre de 2011 a vu le prix d'un nouveau logement moyen chuter de 8,5 pour cent comparé à l'an passé, et le prix de l'ancien a baissé de 13,7 pour cent.

Le chômage est à 4,75 millions de personnes, soit près de 23 pour cent de la population, et parmi les jeunes, plus de 50 pour cent sont sans emploi.

Dans le Financial Times, Wolfgang Münchau écrit, « L'Espagne a accepté une mission impossible. » La réduction du déficit de cette année à 5,3 pour cent du PIB exigerait des coupes entre 53 et 64 milliards de dollars, explique-t-il.

« C'est physiquement impossible, » poursuit-il, « donc quelque chose d'autre devra céder. Soit l'Espagne n'atteindra pas son objectif, soit le gouvernement espagnol devra licencier tellement d'infirmières et d'enseignants que le résultat sera une insurrection politique. »

Dans ce contexte, tous les sondages récents montrent un soutien en baisse pour les partis officiels.

Après 100 jours au pouvoir, le PP a perdu près de huit points en mars, d'après une étude pour El Pais – tombant de 46,3 à 38,1 pour cent. Le soutien pour le PSOE continue à baisser, tombant de 24,4 pour cent à 23.

Les sondages indiquent une légère augmentation du soutien aux autres partis, dont la Izquierda Unida (Gauche unie) qui passe de 9,1 à 11,6 pour cent.

Dans ces conditions, certains appellent le PP à former un gouvernement de souveraineté nationale avec le PSOE.

La présidente de droite de la communauté de Madrid, Esperanza Aguirre, a dit que Rajoy devrait forger un « consensus d'Etat » avec le PSOE pour « re-centraliser » l'Espagne – c'est-à-dire, démanteler le système régional du pays.

Un porte-parole du PSOE a répondu « Si Rajoy téléphone à Alfredo Pérez Rubacalba [le dirigeant du PSOE] pour discuter de cette situation d'urgence, bien sûr que nous allons discuter et l'écouter. »

Derrière ces appels, il y a des craintes d'une explosion sociale. Celles-ci ont été posées clairement dans un éditorial d'El Pais.

« Il est inconcevable que des économies de 27 milliards d'euros dans le budget de l'Etat et de 10 autres milliards dans la santé et l'éducation puissent être validées simplement par un vote mécanique rendu possible par la majorité absolue du PP au Parlement, » a reconnu El Pais.

« La question est de savoir si le pays est prêt à accepter tout cela par confiance aveugle, » continue-t-il. Critiquant Rajoy parce qu'il a laissé d'autres ministres annoncer les coupes, il enchaîne, « A un moment où un effort conjoint s'impose dans des secteurs majeurs, contourner les foules dont la colère monte n'est pas le meilleur moyen d'inspirer confiance. On peut difficilement exiger la solidarité et le consensus des pays étrangers si on n'en fait pas preuve chez soi. »

Loin du « consensus », l'establishment politique prépare des mesures qui vont criminaliser ceux qui s'opposent à ses projets.

Ayant déjà proposé que la « violence de rue » soit sanctionnée par une peine maximale de 18 ans de prison, le ministre de l'Intérieur Jorge Fernandez Diaz a annoncé que toute personne qui se servirait d'internet pour organiser des « manifestations qui sont violentes » sera accusée de « participation à une association de malfaiteurs. »

(Article original paru le 17 avril 2012)