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Allemagne: Manroland démantelé avec l’aide des syndicats

Par Ulrich Rippert
26 janvier 2012

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On a rarement vu le syndicat de la métallurgie IG Metall s'aligner avec la direction contre les travailleurs et ses propres membres, de manière aussi flagrante, que dans le cas du fabricant de machines d’imprimerie Manroland.

Mercredi soir, l’administrateur de l’insolvabilité, Werner Schneider, a annoncé qu’un comité de créanciers avait décidé unanimement d’accepter l’offre de L. Possehl & Co. MbH de Lübeck. Ceci signifie que les représentants syndicaux et les membres du comité d’entreprise siégeant au comité de créanciers ont voté en faveur du démantèlement de l’entreprise en imposant une perte massive d’emplois.

A Augsbourg, 1.500 postes doivent être supprimés sur un effectif total de 2.200, un millier de travailleurs perdront leur emploi à Offenbach et seuls 290 emplois sur 680 doivent être préservés à Plauen. Ces chiffres pourraient bien être encore revus à la baisse.

Selon le journal Süddeutsche Zeitung, le patron de Possehl, Uwe Lüders, siège au conseil d’administration de Heidelberger Druckmaschinen AG qui s’efforce depuis longtemps de devancer son rival Manroland. En effet, la fermeture complète de toutes les usines Manroland pourrait bien, dans un avenir proche, succéder à la suppression massive d’emplois. Néanmoins, Jürgen Kerner, membre exécutif du directoire de l’IG Metall et vice-président du conseil d’administration de Manroland a qualifié le récent accord de succès en indiquant la volonté d’IG Metall de le soutenir.

Dès le tout début, Jürgen Kerner et l’IG Metall ont joué un rôle clé dans la casse de Manroland. La collaboration entre l’administrateur de l’insolvabilité, Werner Schneider, le patron de Possehl, Lüders et le membre exécutif du directoire de l’IGM, Kerner, a initialement débuté l’automne dernier lorsque Possehl a pris le contrôle de Bowe Systec, entreprise d’Augsbourg devenue insolvable.

Bowe Systec, spécialiste du tri et de la mise sous pli de lettres, a été restructurée par Possehl et près d’un tiers des 600 salariés de l’entreprise ont été licenciés. A cette époque déjà, l’administrateur de l’insolvabilité, Schneider avait été en mesure de grassement profiter de sa collaboration avec Kerner et Lüders. A cette occasion aussi, l’IG Metall avait mis en garde contre un deuxième soumissionnaire – un investisseur financier suisse qui se retira à court terme – pour céder le passage à Possehl.

Puis, en novembre dernier, lorsque les propriétaires de Manroland, MAN et Allianz Capital Partners (ACP), ont coupé le flux d’argent à l’entreprise en accélérant ainsi la faillite, le trio Kerner-Schneider-Lüders est repassé à l’action. Lors d’une réunion du conseil de direction mi novembre, ils ont convenu de garder le silence pour éviter tout soupçon de collusion et surprendre ainsi les travailleurs avec la requête de faillite fin novembre.

Depuis lors, tout s'est déroulé comme dans le cas de Bowe. L’IG Metall a mis en garde contre un dépeçage de l’entreprise par l’investisseur financier américain Platinum Equity tout en refusant catégoriquement d’organiser la moindre action conjointe pour défendre les emplois.

En coulisses, des bureaucrates syndicaux influents ont collaboré avec Possehl pour « sauver » une partie de l’usine d’Augsbourg, c’est-à-dire en consentant à l’éclatement et à la destruction de l’ensemble du groupe. Selon des articles de presse, Schneider a déclaré mercredi que l’IG Metall avait conclu un contrat de restructuration avec Possehl. Il n’a pas précisé quand ce contrat avait été élaboré, étant donné que le comité de créanciers n’a apparemment pris sa décision que mercredi soir.

Vendredi dernier, l’IG Metall a annulé une manifestation conjointe des travailleurs des trois usines qui devait avoir lieu à Munich au siège des propriétaires de l’entreprise, MAN et Allianz. Lorsque les travailleurs ont alors exigé des manifestations régionales sur les sites respectifs, l’IG Metall a annulé la manifestation à Augsbourg. Le syndicat était déjà en pourparlers avec Possehl et ne voulait pas exercer de pression sur le futur propriétaire de l’entreprise.

Le syndicat a aussi déplacé la manifestation des travailleurs d'Offenbach à Wiesbaden dans le but de faire pression sur le gouvernement régional pour qu’il finance un plan social pour les licenciements. L’IG Metall savait déjà dès vendredi dernier que Possehl avait remporté l’offre pour l’entreprise et que l’usine d’Offenbach serait en grande partie fermée.

L’argent du contribuable serait alors versé à une « société de transfert » pour les travailleurs licenciés et qui serait supervisée par les responsables syndicaux qui gagneraient un salaire juteux pour leur participation au comité exécutif de la société de transfert. Pour les nombreux travailleurs licenciés, de telles sociétés de transfert n’existent que pour faciliter la transition d’un emploi à plein temps à une alternative à bas salaire.

A cet égard, Augsbourg sert aussi de modèle de référence. Là, les anciens salariés de Bowe Systec ainsi que les anciens travailleurs de Manroland ont été « provisoirement parqués » dans une société de transfert – PTG – dirigée par Tacettin Kececi, ancien président du comité d’entreprise d’une autre entreprise locale.

Il n’existe pas d’information concernant l’indemnité financière du principal représentant à Augsbourg, Jürgen Kerner, pour son travail d’expert-conseil pour Manroland, Possehl et Werner Schneider. Mais, en tant que membre du directoire de l’IGM, Kerner est sûr de toucher un salaire mensuel à cinq chiffres.

De plus, il siège également aux conseils d’administration d’au moins six autres entreprises, dans le cas de quatre d’entre elles en qualité de vice-président – engrangeant à chaque fois une rémunération faramineuse. Le rapport financier annuel de l’une de ces entreprises, KUKA AG à Augsbourg, chiffre la rémunération du vice-président Kerner à 81.000 euros par an pour les exercices 2010 et 2011.

L’« accord relatif à la rémunération » stipule que: « Chaque membre perçoit en plus du remboursement de ses frais, une rémunération fixe de 30.000 euros payable à la clôture de l’exercice. Le président du conseil d’administration reçoit le quadruple, le vice-président le double. » De plus, les membres du conseil d’administration ont droit à une indemnité de présence de 450 euros pour chaque session en plus de leur rémunération pour le travail fait dans les sous-commissions.

Manroland n’a diffusé aucune information sur la rémunération versée au vice-président Kerner. La même chose vaut pour MAN Diesel, Premium Aerotech et Eurocopter. Le rapport financier annuel pour l’exercice 2009 de MAN SE à Munich, où Kerner est un simple membre du conseil d’administration, donne son revenu annuel comme étant de 35.000 euros.

A la société Heidelberger Druckmaschinen AG, le président du comité central d’entreprise, Rainer Wagner, est également le vice-président du conseil de surveillance de l’entreprise. Selon le rapport annuel de l’entreprise, il a empoché l’année dernière 33.000 euros pour ce « travail ». Les huit représentants « salariés » siégeant au conseil de surveillance de Heidelberger Druckmaschine AG ont perçu un total de 200.000 euros. Aucune information n’est disponible sur Manroland, mais la situation y est certainement assez semblable.

Interrogés sur ces versements lucratifs de revenu additionnel – des transferts financiers des entreprises vers les représentants syndicaux – de nombreux responsables syndicaux soulignent qu’ils versent la majorité de ces royalties à la Fondation Hans-Böckler de la Fédération des syndicats ouvriers allemands (Deutscher Gewerkschaftsbund, DGB). En fait, rien dans la loi ne les y oblige.

Les entreprises sont en mesure d’économiser l’argent qu'ils dépenseraient pour rémunérer de coûteux cabinets d’expert-conseil en finançant, à la place, les syndicats qu’ils emploient ensuite comme gestionnaires. Cette transformation des syndicats en organes de gestion pour contrôler et réprimer les travailleurs apparaît clairement dans cette collaboration des syndicats visant à liquider Manroland.

(Article original paru le 21 janvier 2012)