Quatre cent soixante-cinq travailleurs de l'usine
Electro-Motive à London, en Ontario, en sont à la troisième semaine d'un
lock-out imposé par la transnationale Caterpillar inc., manufacturier
d'équipement lourd. Les travailleurs, qui fabriquent des locomotives de pointe,
résistent avec ténacité aux demandes de concessions sans précédent qu'exige la
société et qui incluent une baisse de salaire de 55 pour cent, l'élimination du
régime de retraite et des réductions massives au niveau des avantages sociaux.
Depuis le début du conflit le 1er janvier, les pages des
journaux de la grande entreprise ont été remplies de commentaires de
chroniqueurs et d'analystes de l'industrie laissant entendre que, à toutes fins
utiles, la courageuse lutte des travailleurs de London avait peu, sinon aucune,
chance de réussite.
Un article du chroniqueur affaires David Olive, du Toronto
Star, représente bien cette position. « Ce n'est qu'un conflit en
apparence », écrit Olive. « C'est en fait une bagarre que l'employeur
de 43 milliards $ (ventes en 2010) a déjà remportée. Même les détaillants
Wal-Mart ne peuvent se mesurer à la détermination de Caterpillar pour imposer
ses conditions aux travailleurs. Cette société est douée pour faire prolonger
un arrêt de travail aussi longtemps que nécessaire, jusqu'à ce que les
travailleurs retournent à leurs postes, la mine basse, en franchissant leurs
propres piquets de grève. »
Olive poursuit son explication : « Cat est si
déterminée à devenir un compétiteur encore plus acharné que General Electric
Co., son principal concurrent dans le domaine des locomotives, qu'elle a déjà
construit pas moins de trois nouvelles usines d'assemblage de locomotives dans
la dernière année. Elles se trouvent à Muncie (Indiana) et dans deux pays à
plus bas salaires, au Mexique et au Brésil. Chacune de ces usines est prête est
remplir les commandes que London ne pourrait exécuter advenant un long arrêt de
travail des syndiqués. »
Pour Olive et les gens de son espèce, les grandes sociétés
ont tous les atouts. La mondialisation capitaliste est omnipotente. Les
travailleurs peuvent bien résister – comment ne le pourraient-ils pas,
étant donné les terribles menaces faites à l'endroit de leurs conditions de
vie, de leurs familles et de leur communauté – mais tout est décidé. Leur
sort est déjà scellé. Soit qu'ils finissent par céder en acceptant des salaires
de misère, soit qu'ils continuent en vain à braver le froid jusqu'à ce que
leurs emplois soient transférés ailleurs, dans des ateliers de misère.
Dans son article, Olive ne mentionne pas, et ne fait pas
plus référence, au rôle des syndicats en général, ou au syndicat des
Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA) en particulier, dans ce scénario
dur et inévitable. Ce serait mettre le doigt sur l'aspect fondamental de la
question. Ayant intitulé sa chronique « Pourquoi Caterpillar a l'avantage
dans le lock-out de London » (« Why Caterpillar has the upper hand in
London plant lockout »), Olive se montre incapable de répondre à sa propre
question.
Même si des sociétés comme Caterpillar profitent de
l'appui des tribunaux, de la police et des politiciens pour imposer concession
par-dessus concession, ce sont les syndicats et le Nouveau Parti démocratique
(NPD) social-démocrate qui servent de cinquième colonne pour la grande
entreprise. Durant le dernier quart de siècle, ces organisations nationalistes
et procapitalistes ont étouffé la lutte des classes, systématiquement isolé les
luttes ouvrières et suivi une politique corporatiste de collaboration avec les
patrons et d'austérité capitaliste.
À chaque lieu de travail en lock-out, que ce soit à Rio
Tinto à Alma, au Journal de Montréal, à U.S. Steel à Hamilton ou à London,
l’histoire est la même : les travailleurs rejettent un contrat
rempli de concessions, l'employeur réplique en les mettant en lock-out et en
introduisant ou en menaçant d’introduire des briseurs de grève, et
ensuite les syndicats isolent les travailleurs, leur disant d’obéir aux
injonctions pro-employeur de la cour, puis de faire de futiles demandes aux
gouvernements réactionnaires afin qu’ils interviennent en leur nom.
Pendant ce temps, en arrière scène, les dirigeants syndicaux tentent de
conclure des ententes pourries qui incluent la plupart, sinon toutes, les exigences
de la compagnie.
À London, à l’usine
d’Electro-Motive, le syndicat des TCA espère faire adopter un tel contrat
tandis que les travailleurs bravent la neige depuis des semaines ou des mois,
avec seulement un salaire de misère comme indemnité de grève à ramener à leurs
familles. Déjà, Bob Orr, assistant du président des TCA Ken Lewenza, a annoncé
que le syndicat a approché Caterpillar pour offrir des concessions si la
direction acceptait de retourner à la table de négociation. La compagnie a
répondu en soutenant que toute entente devait respecter leur exigence initiale
qui consiste à réduire la masse salariale de 30 millions de dollars par année.
Depuis plusieurs années maintenant, la bureaucratie des
TCA a agi à titre de filiale des sociétés à l’intérieur des lieux de
travail. Ces représentants bien payés ont fait cause commune avec le gouvernement
fédéral et le gouvernement libéral de l'Ontario, ont accepté de former un
syndicat d'entreprise renonçant au droit de grève chez Magna International, un
géant de pièces automobiles, ont mis fin aux occupations d’usine et
autres luttes militantes ouvrières, y compris à Brampton Caterpillar en 1991,
et ont sans cesse imposé des ententes de concessions. Lors des derniers
contrats négociés avec les trois grands constructeurs automobiles de Détroit,
le syndicat des TCA a consenti à des fermetures d’usine, la
multiplication des emplois à deux vitesses et a cédé globalement 19 dollars de
l’heure par travailleur en coûts de travail.
Au cours des dernières semaines, des membres influents du
NPD et de la Fédération du travail d’Ontario se sont frayé un chemin
jusqu’au piquet dans l’ouest de London. Accompagnés de Lewenza, ils
ordonnent aux travailleurs de concentrer leur énergie vers des appels aux
gouvernements fédéral conservateur et libéral d’Ontario, alors
qu’en réalité ces gouvernements soutiennent complètement Caterpillar et
se préparent à effectuer des coupes sociales massives dans leurs prochains budgets.
Les bureaucrates syndicaux font appel au gouvernement
conservateur de Harper pour qu’il examine l’achat de l’usine
de London par Caterpillar en 2010 sous la Loi sur Investissement Canada et font
appel encore une fois au gouvernement libéral de Dalton McGuinty pour
qu’il mette en œuvre une législation anti briseurs de grève.
La bureaucratie masque ses démarches auprès de Harper et
de McGuinty à l'aide des couleurs du drapeau canadien. Parmi les bureaucrates
syndicaux canadiens, les dirigeants des TCA ont été les premiers à détourner la
colère des travailleurs envers l’asservissement des syndicats aux
corporations vers un appel aux gouvernements de la grande entreprise pour
qu’ils défendent les emplois « canadiens » et adoptent des
mesures protectionnistes pour soutenir les entreprises
« canadiennes ». Cette perspective nationaliste et procapitaliste
sert à bloquer toute action unie des travailleurs en Amérique du Nord et
internationalement contre les géants multinationaux de l’industrie
mondiale qui cherchent sans cesse à intensifier l’exploitation de tous
les travailleurs, indépendamment de leur nationalité.
En 1985, la direction des TCA a justifié sa scission de
l’UAW en pointant du doigt les politiques réactionnaires et propatronales
de la direction syndicale. Mais, loin de constituer un véritable défi face aux
concessions, la scission dans l’appareil syndical a servi à renforcer la
direction de droite de l’UAW, tout en enlevant les contraintes
organisationnelles placées sur la bureaucratie syndicale canadienne quant à son
propre programme de droite.
La base de cette stratégie était d’exploiter les
avantages de coût de la main-d’œuvre (qui sont maintenant caduques)
dont le « Big Three » de l’automobile pouvait profiter au
Canada en raison de la valeur moins élevée du dollar canadien et du système
d’assurance-maladie financé par le gouvernement canadien. Cette stratégie
a rapidement poussé les TCA à faire des appels ouverts aux fabricants de
l’automobile afin de rejeter le fardeau des vagues de
« restructurations » successives sur leurs usines américaines
« moins productives ».
Les entreprises ont accueilli la scission, car cela
facilitait leurs efforts d'opposer les travailleurs les uns aux autres et ainsi
d’abaisser les salaires et de couper dans les conditions de travail de
tous. Vingt-cinq ans plus tard, les travailleurs de l’automobile au
Canada et aux États-Unis sont aux prises avec des organisations bureaucratiques
rivales qui poursuivent la même trajectoire propatronale en imposant des
concessions et en supprimant l’opposition des travailleurs, tout en
empêchant systématiquement toute lutte conjointe des travailleurs
nord-américains contre les coupes dans les emplois et les salaires.
Malgré l’insistance des chroniqueurs
d’affaires comme Olive, il n’y a rien d’inévitable dans le
résultat de la lutte acharnée chez Electro-Motive.
La classe ouvrière détient un énorme poids social. Son
travail fait fonctionner la société moderne et, de plus, c’est une classe
internationale qui est unie au-delà des frontières par le processus de
production et par ses intérêts communs. Mais pour que ce pouvoir soit mobilisé,
les travailleurs doivent s'opposer à tous ceux qui, comme le syndicat des TCA
et le NPD, défendent la domination de la grande entreprise sur la vie
économique et insistent pour dire que les besoins des travailleurs doivent être
subordonnés aux profits des investisseurs tout en divisant les travailleurs sur
des bases nationales.
Les travailleurs d’Electro-Motive doivent former des
comités de la base menés par les travailleurs militants les plus fiables afin
d’organiser leurs luttes indépendamment du syndicat des TCA et de
coordonner des actions conjointes, comme des manifestations, des grèves et des
occupations, avec les travailleurs à travers l’Amérique du Nord dont les
emplois, les retraites et les conditions de vie sont menacés par les demandes
de concessions des employeurs et par les programmes d’austérité qui sont
mis de l’avant par les gouvernements de toutes les tendances politiques.
Des actions militantes et industrielles de la sorte, même
si elles sont essentielles pour développer une contre-offensive de la classe
ouvrière, vont amener des gains durables seulement si elles sont conçues comme
une lutte politique contre les partis, les gouvernements et tout
l’appareil d’État qui défendent l’exploitation capitaliste et
l’inégalité sociale. Pour défaire la grande entreprise, les travailleurs
ont besoin de leur propre parti politique qui vise l’établissement
d’un gouvernement ouvrier et la nationalisation des entreprises comme
Caterpillar afin de les transformer en services publics contrôlés démocratiquement
par la classe ouvrière et dirigés dans l’intérêt de la société dans son
ensemble.