World Socialist Web Site www.wsws.org

WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les protestations sociales se propagent en Europe de l’Est

Par Peter Schwarz
30 janvier 2012

Retour | Ecrivez à l'auteur

La vague de révoltes sociales qui a secoué l’année dernière le Moyen-Orient, les Etats-Unis, la Grèce, l’Espagne et les autres pays atteint à présent l’Europe de l’Est. Les vastes manifestations contre le régime d'Orban en Hongrie, les grèves des cheminots et des mineurs en Bulgarie et les deux semaines de vives protestations en Roumanie en témoignent.

A ce jour, le mouvement a un caractère hétérogène et confus. Mis à part les travailleurs qui luttent pour défendre leur emploi, leur salaire et leurs droits fondamentaux, et des rassemblements pour la démocratie, l’on enregistre des accès de colère d’arrivistes de la classe moyenne dont les espoirs d’avancement dans leur carrière ont été anéantis.

Politiquement, les protestations représentent toutes les couleurs de l’arc en ciel. Certaines sont spontanées alors que d’autres sont organisées par les ailes rivales des élites dirigeantes. Les tendances d’extrême-droite ont également cherché à s’y mêler.

La forces motrice des protestations est la grande fracture sociale qui s’est ouverte dans les vingt années qui se sont écoulées depuis la restauration du capitalisme. Les promesses de démocratie et de prospérité qui ont servi à justifier la restauration du capitalisme en 1989 ont fait la place à un cauchemar social.

Ces vingt dernières années ont été marquées par des conflits politiques entre les anciennes cliques staliniennes et les nouveaux riches qui se sont chamaillés pour le partage du butin. La lutte a souvent pris des formes âpres. Les vieux apparatchiks staliniens – qui avaient « privatisé » pour leur propre compte la propriété socialisée tout en s’appelant « socialistes » – se sont relayés à la tête du gouvernement avec les nouveaux riches qui se disaient « démocrates », « libéraux » ou « conservateurs. »

Les masses ont payé le prix avec la perte de leur emploi, la destruction d’un système éducatif et de santé jadis extensif, l’effondrement du parc de logement et de l’infrastructure.

L’entrée dans l’Union européenne en 2004 et en 2007 n’a pas amélioré la situation mais l’a empirée. Les prix ont grimpé en flèche alors que les salaires stagnaient et le pouvoir d’achat a chuté. Même des usines délocalisées en Europe de l’Est en raison des bas salaires (comme dans le cas de Nokia à Cluj, en Roumanie) sont à présent fermées et la production transférée en Asie et dans l’ancienne Union soviétique où les salaires sont encore plus bas.

La crise financière internationale de 2008 et ses conséquences ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. L’Union européenne et le Fonds monétaire international insistent pour que les pays de l’Europe de l’Est restructurent leurs budgets en démolissant tout ce qui reste des acquis sociaux. Bien que ces pays n’aient pas profité de l’euro, ils doivent maintenant en payer la crise.

La conséquence est une crise sociale de dimension révolutionnaire. Les pays de l’Europe de l’Est figurent parmi les plus inégaux du monde. Alors qu’une petite couche de détenteurs de capitaux, de politiciens et de cadres de partis jouissant de relations avec l’UE se vautrent dans le luxe, la grande majorité des gens lutte pour survivre.

Un ouvrier dans une grande usine de Bulgarie gagne moins de 200 euros pas mois. En Pologne et en Hongrie, le salaire d’un instituteur – même en tenant compte de la différence du pouvoir d’achat – est moins que le tiers du salaire d’un collègue allemand. En Roumanie, un ouvrier spécialisé gagne entre 300 et 500 euros brut par mois et un universitaire en gagne à peine un peu plus. Six mille médecins ont quitté le pays depuis l’adhésion à l’UE.

L’ampleur de la crise sociale et l’absence de perspective d’une éventuelle amélioration font que les manifestations se poursuivront, s’étendront et se radicaliseront. Les intérêts sociaux divergents deviendront plus évidents et les véritables questions de classes émergeront. Mais les problèmes historiques de perspective, de programme et de direction politiques ne se résoudront pas automatiquement.

Quatre décennies de régime stalinien ont laissé des traces. Tandis que les régimes bureaucratiques mis en place en Europe de l’Est après la défaite des armés d’Hitler ont exproprié la propriété privée capitaliste, pour créer ainsi les conditions d’un progrès économique limité, ils étaient organiquement hostiles à la classe ouvrière et à une perspective socialiste authentique.

Les régimes staliniens ont profité de leur mainmise sur le gouvernement et sur l’industrie pour s’assurer leurs propres privilèges et s’opposer implacablement à toute initiative indépendante des travailleurs. A l’image des dirigeants de Moscou, ils ont réprimé et persécuté tout aussi impitoyablement les idées de Trotsky et la Quatrième Internationale qui avait défendu le programme du socialisme international à l’encontre du stalinisme. Leur perspective nationaliste de la « construction du socialisme dans un seul pays » a séparé les travailleurs de leurs frères de classe internationaux et a grandement contribué à l’intensification des problèmes économiques.

Le rôle joué par les staliniens durant l’année cruciale de 1989 n’a fait qu’accroître la confusion politique. Sous la pression des protestations grandissantes, les staliniens s’étaient rapidement mis d’accord avec les dirigeants petits bourgeois de l’opposition « démocratique » pour organiser des « tables rondes » afin de faciliter la transition vers le capitalisme. Profitant de leur contrôle sur l’économie et l’Etat, ils furent les premiers à s’enrichir.

C'est en Hongrie que cela a été le plus marqué car les staliniens avaient déjà brutalement écrasé le soulèvement ouvrier en 1956. En 1989, les staliniens hongrois ont joué un rôle clé dans les changements politiques survenus en Europe de l’Est.

L’ouverture en avril de la frontière vers l’Autriche par le premier ministre Gyula Horn a contribué de façon significative à la déstabilisation de tous les autres régimes d’Europe de l’Est. Horn avait activement participé à la persécution des travailleurs insurgés de Budapest en 1956.

En 2004, Ferenc Gyurcsány, ancien secrétaire stalinien de l’organisation des jeunesses et à présent l’un des hommes les plus riches du pays, est devenu premier ministre. Le cynisme avec lequel le « socialiste » Gyurcsány a appliqué les coupes sociales a directement fait le jeu de l’aile droite. Ce n’est que dans ce contexte que peut s’expliquer le succès électoral de l’aile droite Fidesz et du parti fasciste Jobbik.

La classe ouvrière hongroise, qui a une longue tradition combative, n’a pas dit son premier et encore moins son dernier mot. Le soutien au gouvernement Fidesz de Viktor Orban est en train de diminuer rapidement. En dépit de son discours nationaliste, il se trouve dans une crise profonde et est totalement tributaire du Fonds monétaire international.

L’évolution future en Hongrie – et dans tous les pays d’Europe de l’Est – dépendra de ce que la classe ouvrière trouve une fois de plus accès aux traditions du socialisme authentique. Elle doit tirer les leçons vitales de son expérience historique avec le stalinisme en se familiarisant avec les perspectives de Trotsky et de la Quatrième Internationale.

Elle doit rompre avec toutes les organisations politiques qui cherchent à la mener dans une impasse nationaliste ou à la subordonner aux dictats de l’Union européenne. Son but doit être la mise en place des Etats socialistes unis d’Europe. Ses alliés étant les travailleurs de l’Europe de l’Est tout comme de l’Ouest et du monde entier.

(Article original paru le 27 janvier 2012)