La Coalition avenir Québec (CAQ), un
nouveau parti politique cofondé et dirigé par l’ancien homme
d’affaires« millionnaire et ex-ministre péquiste François Legault en
novembre dernier, a officiellement absorbé l’Action démocratique du
Québec (ADQ), le parti le plus ouvertement à droite dans la province. La
Coalition émerge ainsi comme le troisième parti au Québec et sera un joueur
important dans les prochaines élections qui pourraient avoir lieu aussi tôt que
ce printemps.
En poussant pour la coalition de
Legault, les élites veulent se donner le moyen d’utiliser la désaffection
de masse envers les partis traditionnels pour amener la politique québécoise
encore plus à droite.
D’un côté, le PLQ et le PQ, qui ont formé alternativement le
gouvernement québécois depuis 1970, sont depuis longtemps critiqués de la
droite par la bourgeoisie et les grands médias pour ne pas aller suffisamment
loin et vite pour implanter le programme politique de la grande entreprise. De
l’autre, l’appui populaire envers ces deux partis traditionnels
s’érode précisément parce qu’ils ont attaqué les conditions de vie
de la classe ouvrière, par des compressions budgétaires pour offrir des
réductions d’impôts et de taxes allant principalement aux riches et aux
grandes entreprises.
Les résultats des dernières élections
fédérales au Québec ont convaincu la bourgeoisie que ses partis politiques
étaient en immense et qu’il y avait un grand vide politique. Elle a jugé
qu’il n’y avait pas de temps à perdre pour former un nouveau parti politique
de droite qui défendrait mieux ses intérêts. Rappelons que les Québécois
avaient voté massivement pour le Nouveau Parti démocratique, un parti à peine
connu au Québec, alors que le vote pour les partis traditionnels, dont le Bloc
québécois, parti frère du PQ au niveau fédéral, avait radicalement chuté.
C’est dans ce contexte de profonde
crise des partis politiques traditionnels, résultat de l’intensification
de la lutte des classes, que Legault a reçu un accueil favorable de
l’élite et des médias de la grande entreprise dès son retour sur la scène
politique il y a de cela un an, alors qu’il créait tout juste son
mouvement de réflexion sur l’avenir du Québec.
La réaction des médias à sa tentative de
« repenser » la politique au Québec a attisé ses ambitions politiques.
Comme dans le manifeste des lucides publié en 2005 sous la direction de Lucien Bouchard,
ex-premier ministre péquiste, Legault affirme qu’il faut mettre le débat
entre fédéralistes et souverainistes sur la glace pour se concentrer sur l’assaut
contre tous les acquis de la classe ouvrière. Les élites québécoises sont
enragées de la résistance de la population à ces attaques qu’elles
dénoncent comme étant de « l’immobilisme ».
Dès les premiers jours d’existence
de la CAQ, alors qu’elle n’était qu’une tribune pour faire
entendre les doléances des gens d’affaires, les médias publiaient avec
une certaine frénésie les sondages montrant que Legault prendrait le pouvoir
s’il créait un parti.
Toutefois, si l’appui populaire
envers la coalition a une quelconque importance aujourd’hui, c’est
essentiellement la manifestation que les travailleurs et les gens ordinaires
cherchent désespérément une alternative politique au PQ et au PLQ.
La fusion de la CAQ avec l’ADQ a
été longuement discutée au sein de l’élite et continue de faire couler
beaucoup d’encre dans les médias. Après avoir formés l’opposition
officielle en 2007, les adéquistes ont vu leur rêve de former un gouvernement s’évaporer
en moins d’une année. L’appui populaire dont avait bénéficié ce
parti populiste de droite s’est effondré comme le château de cartes
qu’il était après que la population et les travailleurs eurent pris
connaissance du programme réactionnaire de l’ADQ. Aux élections de 2008,
l’ADQ a subi une retentissante défaite électorale, ne conservant que sept
députés. Depuis, l’appui à l’ADQ s’est encore plus effrité et
la suite des événements n’a été qu’une longue agonie pour
l’ADQ à laquelle ses dirigeants viennent de mettre un terme en sabordant
eux-mêmes leur parti pour poursuivre leurs carrières de politiciens de droite
au sein de la CAQ.
La CAQ tente de cacher sa véritable
nature en se présentant à la fois comme pro-grande entreprise et comme la
« gauche efficace ». Mais le fait qu’elle ait fusionné avec
l’ADQ, un parti ouvertement proche des éléments les plus à droite du
parti conservateur du Canada, démontre clairement son réel caractère.
Reconnaissant toutefois l’impopularité
de l’ADQ, la coalition a cherché à se distancer de sa rhétorique
antisyndicale virulente, une de ses marques de commerce.
Le programme de la CAQ, qui se concentre sur cinq priorités, est réactionnaire de droite. En éducation par
exemple, la coalition souhaite instaurer l’évaluation systématique des
enseignants et éliminer la sécurité d’emploi de ces derniers. Elle défend
aussi la hausse des frais de scolarité, alors que l’endettement étudiant
atteint déjà des niveaux sans précédent dans la province.
En éducation et
en santé, la coalition veut éliminer les commissions scolaires et les agences
de santé et de services sociaux. Bien qu’il parle de sabrer dans la
« bureaucratie » pour réinvestir cet argent dans les instances de
premières lignes, il ne fait aucun doute, serviront de cheval de Troie à
d’importantes compressions dans l’ensemble des programmes sociaux.
Legault s’est aussi prononcé en
faveur d’un projet-pilote pour une mixité publique-privée en santé,
présentant cela comme une concession faite à l’ADQ lors de la fusion. Quoique
le gouvernement Charest ait indéniablement mis la table pour la privatisation
en santé, la CAQ est le seul parti au Québec (après l’ADQ) à faire
officiellement place au privé en santé dans son programme politique.
Voulant
se présenter comme un bon gestionnaire, Legault met de l’avant une
« économie de propriétaires » où le marché dominera toute la vie
sociale. Il est écrit dans le programme : « Il faut aussi développer
davantage la culture entrepreneuriale au Québec en misant entre autres sur des
partenariats entre les institutions d’enseignement et les entreprises. La
famille, l’école, l’État et la société doivent promouvoir les
valeurs entrepreneuriales en mettant de l’avant des modèles de réussite
inspirants ».
Legault
souhaite aussi faire entrer davantage d’hommes d’affaires au
gouvernement puis mentionne que l’État doit investir davantage dans les entreprises
et mettre l’accent sur l’élimination de l’endettement public,
ce qui signifie davantage de coupes dans les services publics et programmes
sociaux.
En termes de langue et culture, la position de la
coalition est nationaliste et réactionnaire. Elle souhaite renforcer les lois
pour « protéger la langue française », par une application plus ferme
de la Charte de la langue française et par la mise en place
d’institutions étatiques prévues à cet effet. Aussi, la CAQ veut faire plafonner
le nombre d'immigrants à 45.000 pendant deux ans, pour « redéployer les
politiques d’intégration ».
Enfin, le programme note que les solutions aux problèmes
sont connues, mais que le gouvernement actuel manque de courage pour les mettre
en pratique, signifiant que la CAQ, elle, sera capable d’imposer des
mesures impopulaires depuis longtemps exigées par la bourgeoisie.
Malgré tout, les médias sont généralement critiques
envers le programme de Legault qui n’est pas encore assez à droite pour
l’appétit de l’élite. Ils ont d’ailleurs donné la voix à
nombreux adéquistes qui s’opposent toujours à la fusion des deux partis,
sur la base que l’ADQ perdrait son caractère de
« centre-droite ».
Les idées réactionnaires de la CAQ ont déjà attiré un certain nombre de députés, certains reconnus comme les plus à droite
au Québec. Le caucus de la coalition compte maintenant neuf députés dont deux
indépendants (anciennement de l’ADQ), les adéquistes actuels, deux
ex-péquistes, puis François Rebello, nouvellement transfuge du PQ. À cela
s’ajoute un nombre grandissant de personnalités des affaires qui occupent
des rôles clés dans l’organisation comme Mario Bertrand, ancien homme
d’affaires et directeur du cabinet du premier ministre libéral Robert
Bourassa de 1985 à 1990.
Le fait qu’un nombre grandissant
de péquistes rejoignent les rangs de la CAQ montre aussi le caractère de droite
du PQ. Malgré des différences de programme politique entre le PQ et les droitistes
de l’ADQ sur la question de l’indépendance du Québec et
d’autres questions d’ordre tactique, les deux organisations veulent
défendre les intérêts de la bourgeoisie québécoise.
Si la CAQ peut venir de la droite occuper
le vide politique actuel, c’est parce que la bureaucratie syndicale sabote
la résistance des travailleurs au nom du maintien de la paix sociale. Au cours
des dernières décennies et encore aujourd’hui, la bureaucratie a
subordonné la classe ouvrière au PQ, un parti bourgeois, et au poison du
nationalisme.