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Des protestations en Tunisie saluent le premier anniversaire du renversement de Ben Ali

Par Alex Lantier
20 janvier 2012

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Samedi a marqué le premier anniversaire de la fuite ignominieuse de Tunisie du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali pour s’exiler en Arabie saoudite. Ben Ali avait fui le pays un mois après les protestations qui s’étaient propagées dans toute la Tunisie suite à l’immolation par le feu du vendeur de fruits et légumes, Mohammed Bouazizi à Sidi Bouzid, près de Gafsa.

Bouazizi s’était immolé par le feu le 17 décembre 2010 et sa mort, le 4 janvier 2011, avait trouvé un écho parmi de vastes couches de la classe ouvrière en Tunisie. Des grèves, des protestations et des confrontations entre des travailleurs et des bandes de policiers sanguinaires s’étaient propagées à partir de la région minière défavorisée de Gafsa – qui avait connu en 2008 une grève acharnée contre le chômage – vers le Nord et sur la côte. Lorsque l’armée tunisienne avait refusé à Tunis de tirer sur les manifestants, Ben Ali avait décidé de partir.

Le soudain effondrement du régime Ben Ali, un allié de longue date de l’impérialisme américain et français, sidéra les classes dirigeantes sur le plan international. La vague d’enthousiasme de masse initiale que cet événement provoqua internationalement entraîna une multitude de protestations à Bahreïn, au Yémen, en Irak et au-delà, en culminant le 11 février 2011, dans le renversement du dictateur égyptien, le président Hosni Moubarak.

Le gouffre séparant les revendications et les aspirations de la classe ouvrière au Moyen-Orient des résultats obtenus jusqu'ici de ces luttes a été tragiquement symbolisé à Gafsa par l’immolation par le feu d’Ammar Gharsallah, un père de famille de trois enfants, âgé de 42 ans. Après avoir organisé un sit-in pour protester contre sa situation de chômeur devant les bureaux du gouvernement à Gafsa, il s’est immolé par le feu le 5 janvier. Il est mort trois jours plus tard.

Le nombre de Tunisiens sans emploi a bondi de 600.000 à 850.000. L’économie stagne, le tourisme s’est effondré et – dans ce qui est l’un des signes les plus évidents du niveau sans précédent des antagonismes de classe à l’époque du capitalisme mondialisé – quelques 120 sociétés internationales en Tunisie ont réagi aux grèves et aux appels en faveur d’une hausse des salaires en mettant tout simplement fin à leurs activités dans le pays.

Alors que la Tunisie a connu des vagues successives de grèves et de manifestations l’année dernière, les problèmes sociaux et politiques auxquels la classe ouvrière est confrontée se posent de façon encore plus aigües aujourd'hui qu’au début de la révolution. Dans la Libye voisine, les Etats-Unis et l’OTAN ont mis en place un régime islamiste fantoche par le biais d’une guerre qui a coûté au moins 50.000 vies alors que Washington et ses alliés attisent les confrontations avec la Syrie et l’Iran et qui menace de déclencher une guerre régionale ou mondiale. En Tunisie même, la « gauche » bourgeoise soutient un régime droitier basé sur le parti islamiste Ennadha et financé par les émirats du Golfe persique.

Dans ces conditions et en dépit d’un soutien populaire considérable pour la révolution, les célébrations officielles organisées par des agences gouvernementales, des entreprises et des associations dans toutes les villes du pays, ont sonné creux. Un défilé à Tunis a rassemblé des délégations de membres du parti Ennadha, du Hizb al-Tahrir salafiste (islamiste d’extrême droite), et du Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT) maoïste.

Un manifestant à Tunis a remarqué : « Quand je suis passé près de l’avenue Bourguiba et que j’ai vu tous ces drapeaux et ces affiches annonçant que ce ministère, ce bureau et cette banque étaient en train de célébrer le 14 janvier, j’ai pensé aux festivals de l’ancien régime célébrant le ‘changement’ [c’est-à-dire, l’arrivée au pouvoir de Ben Ali en novembre 1987]. »

La police a dispersé une manifestation à Tunis qui était dirigée contre la visite de l’émir du Qatar Hamad bin Khalifa al-Thani. Lors d’une autre marche appelant au « travail, [à la] liberté et [à la] dignité » les manifestants ont scandé des slogans tels « Vous, bandes d’hypocrites, le travail est un droit social, » « Tunisiens, restez debout, » et « Nous sommes fidèles au sang des martyrs. »

A Gafsa, le taux de chômage se situe à 24 pour cent. La Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) a réduit radicalement son effectif en le faisant passer de 14.000 à 4.800 au cours de ces 20 dernières années bien que l’entreprise ait fait l’année dernière un profit de plus de 200 millions de dinars. Un travailleur au chômage à Gafsa a dit à des journalistes sur place : « Non seulement l’Etat veut que nous, les jeunes de Gafsa, fassions face à des maladies liées à l’exploitation du phosphate pour obtenir des devises étrangères, alors que la CPG n’emploie plus personne, mais il veut que nous remboursions les dettes de Ben Ali. C’est fou. »

Le problème majeur auquel est confrontée la classe ouvrière en Tunisie est un problème de perspective politique et de direction. Les organisations petites bourgeoises de « gauche » jouent un rôle traître en soutenant l’alliance entre les Islamistes et les éléments restant du régime de Ben Ali. Parmi eux on compte la bureaucratie de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), un partisan de longue date du régime de Ben Ali et qui n’avait commencé par réclamer des grèves contre le régime que dans les tout derniers jours avant la fuite de Ben Ali.

Dès le début, les partis de la « gauche » petite bourgeoise ont été hostiles au socialisme. Ainsi, peu de temps après la chute de Ben Ali, un porte-parole d’Ettajdid (l’ancien Parti communiste tunisien stalinien) avait dit lors d’une réunion à Paris : « En Tunisie, la révolution prolétarienne, ce n’est pas le cas. On ne peut pas demander de nationaliser les banques et les industries. Mais c’est une transition pour la démocratie. »

En fait, l’année écoulée a révélé qu’en Tunisie, en Egypte et ailleurs aucun problème d’inégalité sociale, de répression et de guerre impérialiste ne peut être résolu, ni qu’une démocratie véritable ne peut être créée sans qu’une lutte internationale soit menée par la classe ouvrière pour la prise du pouvoir et pour l’application d’une politique socialiste. De par son hostilité à l’égard d’une perspective socialiste, la « gauche » officielle a conduit les masses dans une impasse politique en ouvrant la voie à une victoire islamiste lors des élections d’octobre dernier – et ce en dépit du fait que les Islamistes n’ont joué aucun rôle dans les luttes contre Ben Ali.

Ces forces ont promu des illusions dans une Commission pour la réforme politique créée en mars par les responsables de l’ancien régime Ben Ali. Celle-ci comprenait d’influents hommes d’affaires, des responsables officiels, des bureaucrates de l’UGTT et des membres de professions libérales – qui furent rejoints par la suite par des membres de partis de « gauche » tels l’Ettajdid et le Parti démocrate progressiste (PDP) et soutenu par le PCOT. L’objectif de cette commission était d’organiser des élections et d’étouffer les luttes de la classe ouvrière en promouvant la perspective infructueuse consistant à faire pression sur la bourgeoisie afin d’obtenir un changement démocratique.

Après la formation d’un comité commun de courte durée, le PDP, l’Ettajdid et les forces alliées incorporèrent rapidement cette organisation dans la Commission pour la réforme politique qui est dirigée par le professeur en droit public, Yadh Ben Achour. Les commentaires faits par Ben Achour en avril dernier dans Le Monde montrent clairement qu’en rejoignant sa commission leur préoccupation avait été d’empêcher l’émergence d’un centre alternatif de pouvoir politique. Ils craignaient qu’un tel centre de pouvoir ne devienne le centre de l’opposition et éventuellement de revendications pour le renversement de l’Etat bourgeois, ce à quoi ils étaient totalement hostiles.

Ben Achour a dit, « Un conseil de protection de la révolution, avec des partis et des organisations de la société civile, a été créé et conçu comme une sorte de tuteur du gouvernement, ce qui aurait pu conduire à une crise et à un parallélisme de deux pouvoirs, l’un institutionnel, l’autre révolutionnaire. L’instance que je préside est la synthèse de ces deux logiques. »

En fait, la réalité était qu’aucun parti politique – ni le PCOT, ni le PDP et ni l’Ettajdid – ne souhaitait former un centre de pouvoir révolutionnaire et à lutter pour le renversement du régime post-Ben Ali. Parmi les partis politiques, il ne se trouvait aucun révolutionnaire. La commission devint très impopulaire avant les élections et les électeurs punirent le PDP et l’Ettajdid pour leur participation en les privant de toute représentation dans la nouvelle législature.

Le World Socialist Web Site avait soumis une alternative révolutionnaire à la ligne en faillite de l’establishment tunisien de « gauche ». Dans une rubrique publiée peu de temps après le renversement de Ben Ali (voir : « Les manifestations de masses en Tunisie et la perspective de la révolution permanente  », le WSWS écrivait : « Les appels à une prétendue ‘révolution démocratique’ - mis en avant sous diverses formes par des groupes pseudo-gauches européens - sont une impasse. Ils veulent que les travailleurs fassent pression sur le régime pour qu'il accorde plus d'influence aux partis de l'opposition officielle et aux syndicats. Cependant, aucune de ces organisations n'a cherché à monter une lutte contre le régime ou contre sa politique de droite. L'Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui soutenait Ben Ali dans les deux dernières élections présidentielles, a officiellement approuvé ses ‘réformes’ libérales. »

« Le seul programme viable pour la classe ouvrière et les masses opprimées de Tunisie de l'ensemble du Maghreb et du Moyen-Orient est le programme mis en avant par le Comité international de la Quatrième Internationale pour une révolution socialiste. Ce n'est que par la lutte indépendante de la classe ouvrière, conduisant toutes les sections opprimées de la société contre la bourgeoisie locale et l'impérialisme, que les droits démocratiques et sociaux peuvent être gagnés et que l'égalité sociale peut être établie comme fondement de la vie politique. »

Un an après le renversement de Ben Ali, les luttes de la classe ouvrière qui se poursuivent en Tunisie confèrent à ces remarques une urgence politique encore plus grande.

(Article original paru le 16 janvier 2012)

 

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