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France: Une décision de la Cour de cassation donne aux patrons carte blanche pour licencier massivement

Par Pierre Mabut
12 mai 2012

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Les tribunaux français ont rendu le 3 mai leur verdict qui donne aux patrons carte blanche pour licencier massivement sans motif économique.

La Cour de cassation, a annulé une décision antérieure qui interdisait l'entreprise de logiciels Viveo de licencier 64 de ses 180 travailleurs au motif que la compagnie ne fournissait aucune justification économique pour son projet. Viveo fait partie du groupe suisse Tenemos qui engrange des profits.

Le journal économique Les Echos a exprimé la satisfaction des employeurs: « Le patronat est soulagé, il dénonçait une immixtion de la justice dans la stratégie des entreprises, le Medef invoquant 'le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre. »

Cette décision rendue par la Cour de cassation touche immédiatement  d'autres travailleurs qui ont aussi engagé une procédure judiciaire, cherchant une protection juridique contre les licenciements. Ainsi 52 travailleurs de chez Sodimedical à Reims et 350 travailleurs de Ethicon (du groupe Johnson & Johnson) qui produisent des équipements médicaux à Auneau, sont maintenant menacés de licenciement.

La CGT (Confédération générale du travail) conduite par les staliniens, ainsi que d'autres syndicats, qui prétendaient que les travailleurs pouvaient défendre les emplois devant les tribunaux ont été entièrement démasqués. Des sources de la CGT et de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) estiment que quelque 50 000 emplois sont à présent menacés.

Cette dernière décision de justice met fin à toute ambigüité concernant le pouvoir juridique des entreprises à traiter les travailleurs comme des kleenex. Voici le compte-rendu de la cour: « La procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement..seule l'absence ou l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) entraîne la nullité de la procédure.»

Les avocats de Viveo ont argué que la référence à des « motifs économiques » sortait du cadre du Code du travail et que l'on ne pouvait mettre en question et compenser financièrement les licenciements qu'une fois qu'ils étaient avérés.

Les représentants de la CGT et de la CFDT avaient essayé de rassurer le patronat par rapport à la  décision de la Cour d'appel. Ils avaient fait remarquer que les clauses requérant des entreprises qu'elles présentent « des motifs économiques » pour pouvoir licencier en masse, n'empêcheraient en fait pas la plupart des patrons de licencier les travailleurs. Ceci souligne le caractère cynique et malhonnête de leur tentative de convaincre les travailleurs qu'ils peuvent compter sur les tribunaux, et non la lutte des classes, pour défendre les emplois.

Le dirigeant de la CGT, Bernard Thibault a maintenu que des licenciements sans « motif économique » étaient « un fait relativement rare. » Il a ajouté que le jugement de la Cour d'appel, défendu par la CGT, ne frappera donc « qu'une délinquance sociale manifeste. » Ce commentaire cynique et suffisant refuse de reconnaître le fait que les licenciements de masse, de quelque sorte qu'ils soient, sont en fait de la « délinquance sociale », notamment dans le contexte d'une crise économique mondiale profonde et insoluble.

Le dirigeant de la CFDT, François Chérèque a, pour sa part, souligné que le jugement rendu par la Cour d'appel n'empêcherait pas les entreprises de licencier des travailleurs, du fait qu'il existe des lois permettant les licenciements pour d'autres motifs. Ainsi, a-t-il dit, «La possibilité de licencier en raison de la nécessité de sauvegarde la compétitivité demeurera.»

Hostiles à une lutte pour mobiliser les travailleurs internationalement pour la défense des emplois, les syndicats se fondent sur des décisions juridiques et des négociations avec les « partenaires sociaux » pour isoler les luttes et démoraliser les travailleurs afin qu'ils acceptent les suppressions d'emplois.

Ils ont préféré recourir aux tribunaux de la bourgeoisie ou maintenant au président nouvellement élu, François Hollande. L'avocat de la CGT, Philippe Brun a ainsi réagi devant la décision du tribunal: «Le futur président de la République est invité à clarifier les textes en indiquant qu'en l'absence de cause économique à la procédure de licenciement, cette procédure est nulle et de nul effet. »

Hollande avait déjà fait part de son désaccord en disant: «La  législation actuelle sur le motif économique de licenciement et sur les PSE répondait de façon assez satisfaisante à l'essentiel des situations en cause.» Hollande a dit qu'il introduirait peut-être un projet de loi obligeant les patrons déterminées à fermer leur usine à trouver un acheteur, mais n'a pas mentionné l'obligation pour les nouveaux acquéreurs de conserver tous les emplois.

La décision de la Cour de cassation (qui a débouté les travailleurs de Viveo) a aussi des implications sur le conflit de longue date à l'usine Goodyear Tire d'Amiens où 817 travailleurs mènent une bataille juridique depuis quatre ans pour essayer de stopper la fermeture de l'usine de production de pneus.

L'entreprise a essayé, par le passé, de vendre au groupe américain Titan l'unité de production de pneus agricoles qui emploie 537 travailleurs. Mais Titan voulait, avant de racheter cette unité de production, que les 817 travailleurs du secteur de pneus de tourisme soient licenciés. A chaque fois, le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui consiste en projets de redéploiement, de formation et de départs volontaires, a été contesté dans les tribunaux par la CGT et son avocat Fiodor Rilov.

Le 2 février dernier, Rilov avait dit avec insistance lors d'une assemblée générale des travailleurs de Goodyear qu'une multinationale faisant d'énormes profits ne pouvait légalement licencier sa main d'oeuvre française, sans « motif économique. » Il avait ajouté, «Nous sommes à quelques centimètres d'une victoire, obliger une multinationale à reculer est possible. »

Le 4 mai dernier, le représentant CGT de l'usine, Mickaël Wamen et Rilov ont organisé une assemblée générale, qui a réuni 400 travailleurs, pour faire le bilan des négociations avec le patronat. Ni Wamen ni Rilov n'ont mentionné la décision de la Cour de cassation, qui avait la veille débouté les travailleurs de Viveo, donnant ainsi aux patrons carte blanche pour licencier.

La CGT et Rilov prétendent à présent disposer d'un accord oral qui maintiendrait la totalité des  817 emplois de la production de pneus de tourisme. En échange, les syndicats accepteraient que soient accordées des indemnités de départ volontaire pour les travailleurs qui choisiraient de quitter l'entreprise. Une fois le dernier travailleur redéployé, l'usine de pneumatique fermerait.

Dans les faits, l'entreprise parvient à ses fins par l'usure. Mais un tel accord sur les indemnités de départs volontaires est une défaite pour la population locale et c'est l'entreprise qui sort victorieuse, et elle jouit maintenant du soutien des tribunaux.

Rilov a ensuite fait appel à Hollande pour sauver les emplois. Hollande avait visité le site en octobre dernier lors de sa campagne de la primaire PS pour la présidentielle. Il avait promis de promouvoir une loi interdisant les licenciements dans les entreprises faisant d'énormes profits, comme Goodyear.

Mais il semble que cette promesse de campagne sera l'une des nombreuses promesses que Hollande va rapidement abandonner. Dans une lettre datée du 15 avril adressée à Avosial, syndicat des avocats en droit social, concernant les lois sur les licenciements, Hollande a dit qu'il n'est «pas utile de modifier ce cadre juridique qui est aujourd'hui bien bordé en jurisprudence. »

(Article original publié le 10 mai 2012)

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