Le parti social-démocrate du Canada, les
néo-démocrates (NPD), a choisi Thomas Mulcair pour succéder à Jack Layton,
maintenant décédé, en tant que chef de parti et de l'opposition officielle
au niveau fédéral. Ancien ministre du cabinet libéral au Québec, Mulcair
s'est joint au NPD il y a seulement cinq ans, après avoir sérieusement
considéré l'offre du premier ministre Stephen Harper de devenir haut
conseiller pour le gouvernement conservateur.
Durant les sept mois qu'a duré la course à la
direction, Mulcair s'est présenté comme le candidat le mieux placé pour
« élargir » l'appui électoral du NPD en lançant un appel aux
« progressistes » de tous les partis. Même si le NPD s'est débarrassé depuis
longtemps de son programme réformiste, en accueillant la « responsabilité
financière » et les baisses d'impôt aux grandes entreprises, ainsi qu'en
appuyant la participation du Canada dans les guerres impérialistes menées
par les États-Unis, Mulcair a soutenu durant la majorité de la campagne que
le NPD devait se diriger vers le « centre » et a critiqué les « vieilles
idées » des politiques et de la rhétorique du NPD.
Sans fournir trop de détails, Mulcair n'a pas
hésité à répéter la rengaine habituelle des médias capitalistes que le NPD
manque de crédibilité sur les questions économiques. En tant que ministre du
Parti libéral au Québec, Mulcair a donné son appui à toute une série de
mesures de droite, dont la modification du code du travail provincial pour
faciliter la sous-traitance, une législation donnant le « droit » à
l'existence de cliniques de santé privées et une loi imposant de nombreuses
concessions aux contrats de travail d'un demi-million de travailleurs du
secteur public.
Mulcair a eu besoin de quatre tours de votes de la
part des membres du parti pour l'emporter sur ses six rivaux, mais il a
maintenu une avance importante durant tous les tours. Lors du dernier vote,
il a récolté presque 15 points d'avance sur son plus proche rival, soit 57
pour cent du total, comparativement à 43 pour cent pour l'ancien président
du parti Brian Topp. Avant la tenue du vote final, plus de la moitié des
députés du NPD avaient publiquement donné leur appui à Mulcair.
Mulcair n'a pas caché son désir de distancer le
NPD des syndicats. En septembre dernier, il est intervenu vigoureusement
pour s'opposer à la tentative de réintroduire la participation de syndicats
affiliés dans le choix du chef du NPD. Malgré tout, Mulcair a obtenu un
appui considérable de la part de la bureaucratie syndicale, dont un appui
officiel de la part de deux des plus importants syndicats du secteur privé
au pays, les TUAC et le SEIU. Après que Peggy Nash, ancienne officielle des
TCA et députée pour Toronto, a été obligée de retirer sa candidature samedi,
Paul Moist, le président du SCFP (Syndicat canadien de la fonction
publique), le plus grand syndicat au pays, a donné son appui à Mulcair.
Un proche collaborateur de Jack Layton, Topp, le
candidat ayant fini en deuxième place, a bénéficié du soutien de sections
importantes de la bureaucratie syndicale et de la bureaucratie du NPD, dont
l'ancien premier ministre de la Saskatchewan, Roy Romanow, dont les coupes
dans les dépenses sociales et les budgets équilibrés ont été présentés à
maintes reprises par Topp comme un modèle pour le NPD. Topp a été l'un des
architectes de l'entente avortée pour une coalition en 2008 en vertu de
laquelle le NPD acceptait de servir en tant que partenaire junior dans un
gouvernement dirigé par les libéraux et était voué à mettre en œuvre le plan
libéral-conservateur de réduction d'impôt des entreprises de 50 milliards de
dollars et de poursuite de la guerre en Afghanistan jusqu'en 2011.
Pendant la course à la direction, Topp s’est
lui-même proclamé le champion des valeurs « traditionnelles » néo-démocrates
et a averti à plusieurs reprises que Mulcair effacerait toute distinction
entre les sociaux-démocrates et les libéraux, le parti préféré de la grande
entreprise canadienne pendant la majeure partie du vingtième siècle.
Quelques jours seulement avant la conclusion de la
course à la direction, un partisan éminent de Topp, vétéran politique et
ancien dirigeant fédéral du NPD, Ed Broadbent, a
sollicité de nombreuses entrevues de la part des plus importants médias au
Canada, afin d'émettre un pamphlet politique sans précédent contre Mulcair.
Bien que l'intervention de Broadbent a été sans aucun doute motivée par des
considérations partisanes, à la fois lui et Topp ont à maintes reprises
insisté sur l'importance du mouvement Occupons et de la colère populaire
grandissante envers les inégalités sociales. En outre, Broadbent a à
plusieurs reprises exprimé la crainte que le NPD puisse être dépassé par un
mouvement de gauche, c'est-à-dire que le NPD pourrait être tellement
identifié à l’establishment qu'il deviendrait ainsi inefficace dans
l'accomplissement de son rôle de policier politique de la classe ouvrière au
nom du capitalisme canadien.
Bien que le NPD ait été catapulté au rang
d'opposition officielle lors de la dernière élection fédérale, la base de
son soutien actif demeure très limitée. Seulement 65.000 personnes, soit à
peine la moitié des 130.000 membres du NPD à l’échelle nationale, ont
participé au vote.
Bien qu'il y ait eu des spéculations dans la
presse à propos d’une tentative d’empêcher une victoire de Mulcair, aucun
des autres candidats ne s’est rallié à Topp lorsqu’ils ont été éliminés du
scrutin samedi. Et quand Mulcair a pris la scène pour livrer son discours de
victoire, de manière prévisible, Topp était à ses côtés pour démontrer son
plein appui au nouveau chef du parti.
De manière significative, celui qui est arrivé en
troisième place, le député Nathan Cullen de la Colombie-Britannique, a placé
au centre de sa campagne son appel au NPD pour présenter des candidats
conjointement avec les libéraux et le Parti vert dans les circonscriptions
détenues par les conservateurs lors de la prochaine élection fédérale. Le
coprésident de la campagne de Cullen, l’organisateur de longue date Jamey
Heath, a rapidement proclamé que la part de 24 pour cent du vote obtenu par
Cullen lors du troisième scrutin reflétait le large appui à l’intérieur du
NPD pour la création d’une coalition « progressiste » anti-Harper. « L'appui
que nous avons reçu reflète quelque chose sur l’état des politiques
progressistes » a dit Heath au Toronto Star. « Ce qui se passe ici est que
les néo-démocrates sont certainement prêts à avoir une conversation
respectueuse sur la coopération [avec les libéraux]. Les gens… croient que
le parti devrait avoir cette discussion. »
Lorsque vient le temps de discuter de l’évolution
de partis sociaux-démocrates comme le NPD, les concepts « droite » et
« gauche » ne veulent plus dire grand-chose, vu que ces partis ont tellement
évolué vers la droite au cours des trois dernières décennies. Ils n’ont même
plus la prétention de représenter la classe ouvrière et, au Canada, tout
comme ailleurs dans le monde, ils jouent un rôle majeur dans le
démantèlement des services publics et des politiques sociales qu'ils avaient
eux-mêmes présentés comme une preuve que le capitalisme pouvait être
humanisé par des réformes parlementaires.
Au moment même où les responsables syndicaux
étaient réunis à Toronto pour le congrès à la direction qui accompagnait le
vote électronique provenant des quatre coins du Canada, le NPD de l’Ontario
était impliqué dans des discussions secrètes avec le gouvernement libéral de
l’Ontario au sujet d’un accord pour imposer des baisses de salaires sur les
travailleurs du secteur public.
Cela dit, il ne fait pas de doute que l’élection
de Mulcair représente un tournant encore plus vers la droite. C’est un aveu
public que le NPD est un parti de la grande entreprise, semblable aux
démocrates aux États-Unis ou au Nouveau Parti travailliste en
Grande-Bretagne.
Au moment où la plus grande crise du capitalisme
mondial depuis la Grande Dépression et l’adoption de la guerre et de la
réaction sociale par la bourgeoisie propulsent la classe ouvrière dans des
luttes sociales explosives, les sociaux-démocrates et les bureaucrates
syndicaux sont impatients de prouver à l’élite dirigeante canadienne qu’ils
peuvent servir de parti apparemment de « gauche » du gouvernement, utilisant
des phrases populistes tout en imposant impitoyablement les dictats de la
grande entreprise.