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Comment la valeur est-elle déterminée ?

Échange avec un lecteur par Nick Beams
11 mai 1999

À Nick Beams,

J'ai lu votre article, attentivement, et j'ai un problème avec l'équation de la plus-value. La plus-value est produite par le travail humain, c'est vrai, mais aussi par la technologie, le marketing et par d'autres facteurs imprévisibles comme une bonne critique ou une mode. Quelle quantité de plus-value aura un best-seller, un film, un CD, une peinture, un restaurant, un orchestre ? Un bon vendeur, ou encore de la chance peut rajouter de la valeur... Le prix de vente de la plupart des marchandises n'est pas simplement déterminé par le travail humain nécessaire à sa production. Par exemple, 100% de la production pourrait être faite par des machines. Toute votre argumentation repose sur le concept, un peu simpliste il me semble, de la production de richesse qui a été développé par la théorie économique progressiste du XIXème siècle. Les temps ont bien changé et je ne peux considérer votre concept de plus-value comme étant exact. Et si ce concept était erroné, toute la structure bâtie sur lui s'écroule. N'avez-vous jamais éprouvé même un léger doute ? Est-il possible que vous soyez l'iota d'un grain de poussière dans l'erreur ? Impossible, répondez-vous. Et vous continuez à ordonner et à analyser tous les événements selon la polémique avec laquelle vous donnez un sens à votre vie. J'envie votre foi.

SR


Cher SR,

Avant de résoudre le problème de l'origine de la plus-value, nous allons tout d'abord devoir résoudre le problème de l'origine de la valeur elle-même. Supposons qu'une marchandise donnée se vende 100$.

Et supposons, en plus, qu'il en a coûté pour la produire 50$ de matières premières, 10$ pour l'usure des machines, 20$ pour les salaires des travailleurs impliqués directement dans la production, 10$ pour le travail relié à la vente et la promotion, il restera donc au capitaliste 10$ de profit pour avoir produit cette marchandise.

Mais quelle est donc la valeur de cette marchandise ? Si je devais adopter votre façon de voir, je commencerais par additionner les montants avancés pour les salaires, pour les matières premières, pour la vente et la promotion, pour les coûts d'utilisation de la machinerie, et pour finir j'ajouterais le profit qui revient au capitaliste. Je déduirais finalement que la valeur de la marchandise est 100$. Ainsi que vous pouvez le constater, analyser l'origine de la valeur ainsi ne permet rien d'autre que de retrouver les hypothèses de départ, nous avons tourné en rond.

Avant que nous ne discutions de la technologie, du marketing, de la chance et d'une bonne critique, laissez-moi considérer ce problème crucial: comment est réparti l'ensemble du travail que la société trouve à sa disposition ? En particulier, comment ce travail est-il réparti dans une société constituée de producteurs indépendants possédant les moyens de production, qui n'ont pas soumis par des devoirs féodaux ou personnels, et qui produisent pour satisfaire un marché ? La production dans une telle société, une société marchande, est au même moment privée et sociale. La production est privée parce que chacun des producteurs possède ses moyens de production et décide par lui-même ce qui sera produit. En même temps, la production est sociale puisque chaque producteur ne produit pas pour lui-même (car nous ne considérons pas ici une société où prédomine la production paysanne), mais pour la société dans son ensemble.

Dans une telle société, la distribution du travail social est régulée par la loi de la valeur: les proportions dans lesquelles les marchandises s'échangent entre elles sont déterminées par la quantité de temps nécessaire en moyenne pour les produire. Si, par exemple, le temps moyen nécessaire pour produire une marchandise A diminuait, alors la valeur de la marchandise A diminuera. Parce qu'il devient moins profitable, il y aura moins de travail consacré à la production de la marchandise A, et le travail libéré sera disponible pour la production d'autres marchandises, B, C, D, etc.

À ceux qui avançaient qu'il n'avait pas « prouver » sa théorie, Marx a répondu: « Son bavardage sur la nécessité de démontrer la notion de valeur se fonde uniquement sur l'ignorance la plus complète tant du sujet en question, que de la méthode scientifique. N'importe quel enfant sait que toute nation périrait, qui cesserait le travail, non pas une année, mais seulement quelques semaines. Chaque enfant sait également que les masses de produits correspondant aux différentes quantités de besoin exigent des masses différentes, et quantitativement déterminées, de la totalité du travail social. Il est self evident que la forme déterminée de la production sociale ne supprime nullement cette nécessité de la répartition du travail social en proportions déterminées, mais ne peut que modifier son mode de manifestation. Les lois naturelles ne peuvent jamais être abolies en général. Ce qui peut se modifier, dans des situations historiquement différentes, c'est seulement la forme sous laquelle ces lois se manifestent. Et la forme sous laquelle cette répartition proportionnelle du travail se manifeste, dans un état social où l'ensemble du travail social s'affirme comme échange privé des produits individuels du travail, cette forme c'est précisément la valeur d'échange de ces produits. » [1]

Ajoutons que la répartition du travail social ne peut pas se faire autrement. Les producteurs de marchandises sont des individus privés, qui en général ne communiquent pas entre eux, sauf par leurs échanges sur le marché. Ils ne produisent pas non plus de façon planifiée, mais plutôt selon leur propre estimation de la situation. Comment une telle société arriverait-elle à fonctionner sinon ? Comment arriverait-elle autrement à trouver combien produire de ceci ou de cela ?

Jusqu'à maintenant nous n'avons considéré qu'une société marchande simple. Avec le développement de la société marchande de type capitaliste, il n'y a pas ces simples producteurs de marchandise qui possède leurs moyens de production, mais plutôt une société divisée en classe : d'un côté les capitalistes - les propriétaires des moyens de production - et de l'autre les travailleurs salariés, qui n'ont rien à vendre, sauf leur force de travail, leur capacité de travailler. Bien sûr, comme Marx l'a expliqué, l'humanité n'est pas descendue de l'arbre ainsi divisée. La formation d'une classe de travailleurs salariés se réalise sur toute une période historique.

Il faut maintenant répondre à la question fondamentale : comment est-il possible de faire du profit dans une société dans laquelle l'échange des marchandises est soumise à la loi de la valeur ? Si on échange toujours des marchandises de même valeur, si les marchandises échangées sur le marché contiennent la même quantité de travail, comment est-il possible de faire un profit ? Confronté à ce problème, Adam Smith concluait que si elle prévalait dans une société marchande simple, la loi de la valeur cessait de s'appliquer dans la société capitaliste. La valeur d'une marchandise n'est plus déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa production, mais plutôt par combien il en coûte pour la produire.

Ricardo se rendait bien compte que Smith abandonnait toute analyse scientifique. Il a insisté pour expliquer que la valeur des marchandises est belle et bien déterminée par la quantité de travail qu'elle incorpore. Ceci signifie que le profit provient de la valeur que rajoute le travail aux matières premières et à l'utilisation de la machinerie dans le processus de production.

Mais le problème se trouve repoussé à un autre niveau : si cette théorie est vraie, comment expliquer que le taux de profit à travers toute l'économie capitaliste tend vers un taux unique, le taux moyen de profit ? Si le travail est la source de la valeur, et par conséquent la source du profit, comment diable le taux de profit tend-il à être le même pour toutes les industries, indépendamment de la proportion du travail par rapport au capital ? Ou dit autrement, pourquoi le taux de profit tend-il à être le même pour toutes les industries, malgré le fait qu'une peut demande surtout du travail et une autre surtout du capital ? Comment cela est-il possible si, comme insiste Ricardo, le travail était la source de la valeur ?

C'est à Marx que revient d'avoir résolu toutes les contradictions. Il a montré comment la plus-value peut naître alors qu'on échange toujours des marchandises de même valeur. La plus-value vient de ce que, contrairement au producteur de marchandise qui est propriétaire des moyens de productions, le travailleur ne vend pas au capitaliste les fruits de sa journée de travail, mais plutôt sa capacité de travailler pour un temps donné, sa force de travail. Ce que vaut la capacité de travailler une journée est complètement différent de la valeur qu'un travailleur ajoute en travaillant une journée.

Quelle est la valeur d'une journée de force de travail ? La valeur d'une journée de force de travail est la valeur des marchandises nécessaires pour produire une personne qui peut travailler une journée. Pour les besoins de l'exemple, supposons que la valeur d'une journée de force de travail soit quatre heures de travail. Lorsqu'il l'achète, le capitaliste a le droit d'utiliser la force de travail du travailleur pour huit heures. La différence, le dernier quatre heures de la journée de travail constitue ce qu'on appelle le surtravail dont la valeur est incorporée en tant que plus-value dans les marchandises produites par le travailleur.

La valeur totale d'une marchandise consiste donc en la valeur des matières premières et de l'usure de la machinerie auxquels il faut rajouter la valeur correspondant au travail nécessaire à la produire. Par exemple, supposons que les matières premières et les machineries utilisées représentent une valeur de quatre heures de travail. De plus, supposons que la valeur d'une journée de travail, qui dure huit heures, soit de quatre heures. Alors la marchandise de notre exemple vaut douze heures : les quatre heures de matières premières et de machinerie, additionnées des huit de travail qu'il faut au travailleur pour la produire. Avec les douze heures que valent maintenant cette marchandise, le capitaliste peut se repayer pour les quatre heures avancées pour les matières premières et l'usure de la machinerie, les quatre de travail que valent une journée de travail, et garder pour lui les quatre heures de travail supplémentaires.

C'est ainsi que Marx a analysé comment la plus-value se crée sur la base d'un échange entre valeurs équivalentes.

Le problème sur lequel Ricardo a buté, l'égalisation du taux de profit, est résolu dans le troisième tome de « Le Capital » Marx y démontre que chaque capitaliste ne s'approprie pas à lui seul toute la plus-value qu'il a réussie à extraire. Plutôt, la masse totale de plus-value extraite de la classe ouvrière en son entier par le capital en son entier est divisée entre les différentes parties du capital selon la proportion du capital total qu'elles représentent. La masse totale de plus-value est déterminée par la loi de la valeur opérant au niveau de la société considérée dans son ensemble. La division de cette masse de plus-value ne se décide pas de façon organisée, mais plutôt par la compétition. Les prix du marché tendront à fluctuer non pas autour de la valeur des marchandises (déterminée par la quantité de travail nécessaire à leur production), mais plutôt autour du niveau correspondant au taux moyen de profit des entreprises impliquées dans la production de ces marchandises.

Le taux moyen de profit sera déterminé par le rapport entre la masse totale de plus-value produit dans la société dans son ensemble et la somme totale du capital utilisé pour la produire. Passons maintenant aux objections que vous avez soulevées. Plusieurs facteurs interviennent dans la compétition que se livrent sur le marché les entreprises capitalistes pour s'approprier leur part de plus-value: des campagnes publicitaires astucieuses, une bonne critique, de la chance, ou quoi encore. Tous ces facteurs viendront augmenter le profit d'une entreprise en particulier. Mais, aucun de ces facteurs ne créera de plus- value. Ils permettront à une entreprise particulière d'accroître sa part de la plus-value disponible aux dépens de ses rivales capitalistes, mais ils n'auront pas augmenté la masse totale de plus-value.

Même dans le cas limite où des machines effectueraient 100% du travail, l'entreprise ferait des profits au taux moyen. Car, même si elle n'employait personne et que donc, elle ne produisait elle-même aucune plus-value, cette entreprise, toutefois, exigera sa part de la masse totale de plus-value créée par la société dans son ensemble selon la proportion du capital social total qu'elle possède.

Lorsque l'entreprise capitaliste aborde ces questions, la situation réelle semble complètement inversée. Tout capitaliste sait, s'il sait quelque chose, que pour augmenter les profits, il faut diminuer les coûts, et que pour diminuer les coûts, il faut diminuer le travail nécessaire à la production. En conséquence, il semble au capitaliste, et à ses porte-parole, les économistes professionnels, que les facteurs qui déterminant le profit sont innombrables.

Mais, ici comme dans tout autre domaine scientifique, il ne faut pas se fier simplement aux apparences. Après tout, il a longtemps semblé évident que le soleil tourne autour de la Terre. Ce n'est que depuis quatre cents ans que la science a montré le contraire.

Je n'oserais pas affirmer que j'ai réussi à faire ici le tour de la question. Après tout, nous avons affaire aux trois tomes du Capital. Mais j'espère que j'aurai réussi à piquer suffisamment votre curiosité pour que vous continuiez à approfondir cette question par vous-même. « Salaire, prix et profit », ainsi que « Travail salarié et capital » sont deux bons ouvrages de Marx pour commencer, avant de se lancer dans le « Capital »lui-même. Sincèrement,

Nick Beams,
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[1] Karl Marx, Lettres à Kugelmann, éd. Anthropos, Paris, p.100 lettre du 11 juillet 1868.



 

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