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Correspondance sur la grève de infirmières de 1999

 

J'ai pris connaissance de votre article (La grève des infirmières étranglée par les syndicats)
avec un an de retard (je ne suis pas un assidu d'Internet).

Avant tout, afin de dissiper tout malentendu, laissez-moi me présenter. Je suis un militant syndical de gauche (j'ai milité aussi quelques années dans un groupe d'extrême-gauche) qui a travaillé activement dans un syndicat local de 2000 membres comme secrétaire du syndicat, responsable à l'information, responsable à la mobilisation. Mon syndicat, le Syndicat des travailleuses et des travailleurs de Louis-H.-Lafontaine et de Gouin-Rosemont est reconnu pour son militantisme et sa combativité. C'est à partir de notre syndicat que s'est construit le Caucus des syndicats militants la Fédération des Affaires Sociales (CSN), qui regroupa près d'une centaine de délégués de syndicats locaux s'opposant à la direction collaboratrice d'alors en 1989.

Notre syndicat est détesté par plusieurs dirigeants syndicaux, mais nous leur imposons le respect car nous sommes toujours au rendez-vous des luttes et nous avons mené des luttes locales qui avaient des impacts nationaux.

Tout ça pour que vous compreniez que ma position n'est pas celle d'un apparatchik syndical, mais bien d'un militant de la base qui a près de 20 ans de militantisme derrière lui.

Je ne reprendrait pas les éléments que vous avez alors développé (la conjoncture ne prêtant plus à cet exercice), mais plutôt je tenterai de vous présenter une autre perspective du syndicalisme infirmier au Québec, l'ayant côtoyé quotidiennement.

1. La «tradition» syndicale des infirmières du Québec

Jusqu'au milieu des années 1960, les infirmières syndiquées étaient affiliées à des organisations ouvrières. Certains syndicats locaux menèrent des luttes historiques, tel celui de l'hôpital Ste-Justine qui fut le premier à faire grève en 1964 (ce syndicat est toujours affilié à une centrale ouvrière, la CSN).

Mais de plus en plus, le corporatisme prit le dessus sur la solidarité syndicale chez les infirmières. Avec l'amélioration significative de leur salaire, de plus en plus elles en venaient à s'intégrer à la petite-bourgeoisie par leur niveau de vie. Elles se sentirent de moins en moins comprises par les autres travailleurs bas-salariés (dont la majorité étaient pourtant des femmes) alors que les revendications unitaire du Salaire de base minimal déclenchait un débat social au Québec au début des années 1970.

La grande majorité des infirmières se désaffilièrent des centrales ouvrières pour se regrouper dans une fédération professionnelle exclusivement composé d'infirmières. Lors des grandes luttes unitaires des Fronts communs de 1972, 1976 et 1979, les syndicats inifirmiers refusèrent toujours d'embarquer dans ces luttes, restant en retrait et observant ceux et celles qui luttaient, et sans aucune solidarité minimale, elles franchissaient les lignes de piquetage pour aller remplacer les grévistes, en étant payées au taux supplémentaire (nos grèves furent une mine d'or pour ces personnes). Par contre, lorsque des ententes (conventions collectives) étaient conclues entre le gouvernement et les centrales ouvrières, elles sortaient de l'ombre et exigeaient du gouvernement des "clauses remorques" (1).

Bref, de 1964 à 1989, jamais les infirmières n'ont débrayées. Par contre, elles exigeaient toujours les clauses remorques, en démontrant au gouvernement qu'elles avaient été respectueuses des lois et n'avaient pas agi illégalement comme les grévistes.

2. La grève de 1989

Cette année-là est une coupure avec la pratique antérieure. Pour la première fois en 25 ans, les infirmières (environ 40,000) changeaient de stratégie d'action. Elles décidaient de prendre des votes de grève.

Pourtant, au même moment les 350,000 travailleurs du secteur public eux-aussi prenaient des vote de grève, mais de façon unitaire, car ils s'étaient entendus sur des revendications communes. Une des composante de ce Front commun, la Fédération des Affaires Sociales, regroupant 100,000 travailleurs, votait la grève générale illimitée (à noter que notre syndicat local fut celui qui organisait le Caucus depuis 3 ans et fut le proposeur de la grève générale illimitée).

Des appels constants d'unité d'action avaient lancé au syndicat des infirmières, mais elles refusèrent toujours. Pourquoi? Pour la simple raison qu'elles évaluaient que la conjoncture était bonne pour elles pour aller chercher le magot avant que les négociations enclenchent pour les autres centrales syndicales. Cyniquement, elles déclenchèrent leur grève une semaine avant la date annoncée des grèves du Front commun (d'ailleurs elles la terminèrent la veille de notre grève).

Cet année-là, leur syndicat se paya une campagne de publicité de plus de 1 millions$ auprès de la plus grosse agence de publicité du Québec. Leur campagne passait le message que les infirmières étaient les seules à fournir des services dans les hôpitaux et qu'elles y mettaient toute leur énergie pour sauver des vies. Pourtant il est bon que vous sachiez que les infirmières ne composent que, au maximum, que 20% des travailleurs des établissements de santé. Les autres 80% ne font rien? Un exemple concret, à l'hôpital psychiatrique Louis-H.-Lafontaine, le syndicat infirmier regroupe au maximum que 400 membres alors que notre syndicat en regroupe 1600 dans cet établissement sur un total de 2500 employés.

Cette année-là, elles allèrent chercher des augmentations salariales supérieures à celles des autres grévistes du Front commun qui eurent, eux, à subir l'application de la loi 160 (la plus brutale jamais adoptée au Parlement).

Nous en gardons une rancur encore aujourd'hui. Je me rappelle très bien d'avoir vu des infirmières rigoler des grévistes lorsqu'ils furent contraints de retourner au travail (dont certaines dirigeantes du syndicat local).

3. La grève de 1999

Encore en 1999, elles reprirent la même stratégie qu'en 1989. Mais elles n'avaient pas réalisé que la conjoncture avait changé, que leur image dans le public (2) n'était plus aussi glorieuse, les autres travailleurs du secteur public avaient continué à mener des luttes pendant ces dix, alors qu'elles avaient été totalement absente de la scène publique.

Les centrales ouvrières leur lancèrent des appels à intégrer le Front commun. Mais elles refusèrent toujours. Elles évaluaient que le gouvernement ne pourrait pas résister à leur grève, qu'il croulerait à cause de l'appui de la population qu'elles étaient certaines d'avoir encore. D'ailleurs, dans leur évaluation initiale, la grève ne durerait que trois jours (cette évaluation circulait chez la grande majorité des déléguées infirmières lors de leur Conseil fédéral il me fut rapporté par certaines d'entre-elles avec qui notre syndicat avait réussi à établir des contacts). La réalité fut toute autre. Le gouvernement tint la ligne dure. C'est seulement à ce moment, qu'elles commencèrent à entrevoir la nécessité de la solidarité avec les autres organisations ouvrières (mais ce courant ne fut jamais majoritaire chez les infirmières, ca il ne faut pas l'oublier).

Leur direction syndicale contribua à renforcer leur corporatisme. Il manoeuvra aussi contre la grève qui leur échappait. Mais les infirmières à la base n'étaient pas beaucoup différentes de leurs dirigeantes. D'ailleurs, il faut que vous sachiez que leur formule de services essentiels, en plus d'une pénurie conjncturelle d'infirmières sur le marché du travail, fit en sorte que les grévistes étaient remplacées par d'autres infirmières payées à taux supplémentaires. Toutes les infirmières firent les services essentiels à taux supplémentaires à tour de rôle (ce qui représentent beaucoup plus d'argent que les amendes personnelles qu'elles eurent).

Nous, lorsque nous faisons la grève, nous ne sommes pas payés à taux supplémentaires. Nos amendes sont payées par notre fonds de grève que nous accumulons entre les moments de lutte. Les infirmières refusèrent toujours de se constituer une fonds de grève, étant certaines que le gouvernement ne pourrait leur résister, tellement elles sont indispensables! (j'avoue que je suis un peu sarcastique).

4. Conclusion

Le ton de votre article est faux. Il présuppose que parce que les infirmières ont déclenché la grève, qu'elles devenaient le fer de lance de luttes à venir. C'est complètement erroné et superficiel. Vous profitez de l'orientation collaborationniste des dirigeants des organisations ouvrières pour faire croire à une vertu combative aux infirmières (ce qu'elles n'ont pas dans la pratique). C'est bêtement manichéen.

La grève est un moyen précieux. Mais il est l'aboutissement de débat sur des revendications communes, des alliances entre travailleurs pour arriver à des actions unitaires. C'est ce que la pratique de mon militantisme de la base m'a appris.

SP.

__________________
(1)clauses remorques: pratique des syndicats jaunes, sans s'impliquer activement, à l'effet de bénéficier des avantages des conventions collectives obtenus par les syndicat combatif qui ont fait grève.

(2) N'oubliez pas que les Front communs regroupaient 350,000 travailleurs. Et ceux-ci font partie de "l'opinion publique". 350,000 personnes qui ont de la parenté, des familles, des amis bref sur une population de 6 millions d'habitants, leur influence est large.

 

Cher SP,

Votre lettre soulève beaucoup de questions qui ne pourront pas être toutes abordées dans cette réplique. Je vais tenter de répondre à ce qui me semble le plus fondamental dans votre position et reprendre certains arguments que vous présentez et qui me semblent faux ou découler d'une très mauvaise compréhension de notre article.

Votre position se résume de la manière suivante :

Les infirmières sont responsables de leur propre défaite, isolées et mal perçues dans l'opinion publique, elles n'ont pas saisi la main tendue par la direction des trois centrales syndicales pour joindre le front commun.

La lutte des infirmières ne représentait en aucun cas le fer de lance de lutte à venir, la grève révélait le caractère corporatiste, égoïste et prétentieux des infirmières. Et si elles ont perdu, c'est bien tant pis pour elles.

Essentiellement, vous nous reprochez d'exagérer la signification de la grève des infirmières et de « profiter de l'orientation collaborationniste des dirigeants des organisations ouvrières pour faire croire à une vertu combative aux infirmières. »

Nous n'avons jamais glorifié les infirmières. Nous avons bien sûr accueilli leur mouvement et nous les avons encouragés à poursuivre leur lutte mais d'un point de vue bien précis : qu'elles dépassent le cadre de la lutte syndicale et transforment leur mobilisation en lutte politique pour mobiliser toute la population travailleuse en défense des programmes sociaux et des services publics.

Nous avons vivement critiqué, avant, pendant et après la grève, la stratégie mise de l'avant par la direction de la FIIQ, de présenter la cause des infirmières comme un « cas spécial ». Nous avons écrit et publié sur notre site plusieurs articles dans lesquels nous développons notre position et notre mise en garde sur les conséquences éventuellement désastreuses de cette stratégie et que je vous encourage à lire.

Le « cas spécial » a été le moyen utilisé par la direction de la FIIQ pour imposer sa stratégie qui était d'isoler les infirmières du reste du secteur public et de la classe ouvrière en faisant de la grève une lutte syndicale étroitement limitée à des demandes spécifiques. Les bureaucrates de la FIIQ croyaient pouvoir convaincre le gouvernement de s'appuyer sur cet argument pour justifier des concessions plus importantes aux infirmières que ce qu'il était disposé à concéder au reste des travailleurs du secteur public qui négociaient leur contrat eux aussi. Il était sous-entendu dans l'offre des dirigeants de la FIIQ au gouvernement qu'ils s'assureraient que les infirmières resteraient au travail dans le cas où les autres travailleurs du secteur public iraient en grève quelques mois plus tard. Nous savons que le gouvernement a refusé de parier sur cette stratégie. Finalement, les dirigeants de la FIIQ ont volé au secours du gouvernement en torpillant la grève et en acceptant les offres du gouvernement qui avaient été à maintes fois rejetées par les infirmières et qui le furent cette fois encore.

Les infirmières, à cause d'un manque de préparation politique lié à des questions historiques complexes, n'ont pas été capables, au cours de la lutte, de rejeter la perspective des dirigeants de la FIIQ qui a des liens étroits avec le gouvernement péquiste, comme presque tous les autres syndicats au Québec. Les infirmières n'ont pas compris qu'il y avait une contradiction entre d'une part leur volonté de défendre le réseau de la santé et d'autre part les prétentions des dirigeants de la FIIQ qu'elles représentaient un cas spécial.

Malgré toutes ces faiblesses, nous ne leur avons jamais demandé de se subordonner à la bureaucratie syndicale des trois centrales et à leur front commun. Le front commun des dernières négociations n'a jamais été une union des membres de la base, mais ne fut rien d'autre qu'une man'uvre des bureaucraties syndicales. L'expérience des dernières années nous a enseignée que les centrales jouent, plus que jamais, le rôle de gendarme du patronat et du gouvernement.

Sur la base de cette compréhension, nous nous sommes efforcés, dès le début, de présenter une voie alternative.

Il n'est pas exagéré de dire que la grève des infirmières a provoqué une crise politique majeure. Même si les infirmières ne le reconnaissaient pas elles-mêmes, en défiant les lois et les priorités budgétaires, elles remettaient en cause la légitimité du gouvernement à gouverner, comme Bouchard lui-même l'a reconnu au cours de la grève. Bouchard était hanté par la crainte que l'ensemble des travailleurs du secteur public rallient les infirmières.

Les infirmières, malgré elles et les limites évidentes de leurs perspectives, n'en exprimaient pas moins le ras-le-bol généralisé de la population contre les politiques de la grande entreprise mise en oeuvre par Bouchard et compagnie.

C'était le premier mouvement d'opposition à la nouvelle vague de démantèlement du réseau de la santé qui a commencé tout de suite après l'élection du gouvernement péquiste en 1994, amorcé par une vague de fermeture d'hôpitaux à travers le Québec.

Très visiblement, la population se sentait concernée par cette lutte et donnait massivement son appui aux grévistes. Plus le gouvernement durcissait sa position contre les infirmières, et plus l'appui de la population pour la grève croissait. Il y avait dans le mouvement un élément de révolte qui risquait, on pouvait le croire à l'époque, de prendre une ampleur incontrôlable. C'est justement ce qui effrayait l'establishment politique, incluant vos patrons syndicaux.

Les infirmières ont elles-mêmes été prises par surprise par les réactions à leur grève. Elles ne croyaient pas que tout l'establishment politique, les éditorialistes, et leurs dirigeants syndicaux allaient faire front contre elles sur des revendications qu'elles croyaient justifiées, raisonnables et populaires. Elles ne voyaient pas que leurs revendications signifiaient une opposition à toute la politique de la bourgeoisie canadienne et que ce qui était avant tout nécessaire c'était une lutte politique. Elles avaient acceptées le mot d'ordre de la FIIQ qu'il fallait limiter la grève ou toute autre action aux seules infirmières, et donc de ne pas demander d'appui de la population autrement que dans les formes les plus anodines.

L'impact de la défaite de la lutte des infirmières sur l'état d'esprit des différentes couches de la société confirme amplement, par la négative, notre appréciation de la signification de cette lutte. Par la suite, le poids de la défaite des infirmières a pesé lourdement sur le déroulement des négociations dans le secteur public. Les dirigeants des centrales n'en furent que plus à l'aise pour conclure une entente qui est venue entériner la politique de restructuration et de fermeture entreprise par le gouvernement et lui permet de la poursuivre.

En dernier analyse la question soulevée par la grève des infirmières et les négociations dans secteur public était la suivante : À qui doit bénéficier les vastes richesses produites collectivement dans la société, et qui doit en décider ? Comment ce fait-il que les gouvernements, partout à travers le globe, répètent qu'il n'y a pas d'argent pour les programmes sociaux, alors qu'il y a des richesses sans précédents qui se crées grâce aux développements fulgurant des moyens de production reliés à la technologie de l'informatique et des communications ?

Dans le régime capitaliste, tout est subordonné au profit. Tous les programmes sociaux sont évalués à travers la lorgnette de la rentabilité. Sous la pression de la compétition globale, les gouvernements de toutes allégeances, se soumettent aux diktats des grandes entreprises et des banques, sabrant dans les dépenses sociales et attaquant le niveau de vie de la classe ouvrière.

Au Canada, tous les gouvernements, qu'ils soient conservateurs, libéraux, néo-démocrates ou péquiste, à tous les paliers, ont sabré dans les dépenses sociales au nom de la lutte au déficit. Ce démantelement des services sociaux et publics se poursuit maintenant pour réduire la dette et baisser les impôts. Malgré une reprise économique, les chiffres indiquent que le pouvoir d'achat de la vaste majorité des travailleurs recule depuis une décennie alors que les profits des grandes entreprises et des banques atteignent des sommets. La politique sociale du gouvernement, qu'elle revête la forme de la lutte au déficit, de la dette ou des taxes, vise à réduire les ponctions fiscales sur les profits des entreprises dédiées aux dépenses sociales pour instaurer « un climat fiscal compétitif ».

Le problème n'est donc pas, comme vous dites, causé par une politique « collaborationniste » de vos dirigeants qui pourrait être contrecarrée par un syndicalisme plus musclé. Aucun analyste au courant de l'évolution des syndicats ne pourra nier le tournant pour le moins marqué vers le corporatisme et le nationalisme de droite des centrales syndicales québécoises au cours des dix dernières années. En fait, partout à travers le monde, le militantisme syndical a pratiquement disparu et les appareils syndicaux se décrivent maintenant ouvertement comme les partenaires du patronat. (Je vous encourage à lire notre analyse sur l'évolution historique des syndicats.)

C'est le système capitaliste même qui doit être remis en question, ce que le syndicalisme est incapable de faire, étant lui-même basé historiquement sur une perspective réformiste et nationaliste acceptant le principe du salariat et de la propriété privée des moyens de production. La lutte des infirmières devait dépasser ce cadre, ce qui signifiait avant tout une lutte pour le développement d'une perspective politique représentant les intérêts indépendants de la classe ouvrière.

En fait, c'est là toute l'importance de la grève des infirmières. Les revendications pour lesquelles les infirmières luttaient étaient très limitées. Cependant, elles ont dû entreprendre ces grèves dans l'illégalité; objectivement, elles heurtaient de plein front l'ordre établi et leur grève commençait à donner forme à l'opposition de la population au programme de compressions du gouvernement. Cette situation a démontré autant le potentiel que la nécéssité de transformer ce mouvement en une immense mobilisation sociale contre les coupures gouvernementales.

C'est dans cet optique que les partisans du World Socialist Web Site ont lancé un appel pour que les infirmières retirent la direction de la grève des mains de Jennie Skene et des autres représentantes de la FIIQ et se tournent ouvertement vers la classe ouvrière, en appelant les autres travailleurs du secteur public, les travailleurs en industrie et toute la population travailleuse à se joindre immédiatement à elles dans un mouvement de grève générale pour défendre le système de santé et annuler toutes les compressions dans les services publics et les programmes sociaux qui ont pris place depuis plusieurs années.

Nous avions indiqué que les conditions existaient alors pour mobiliser les travailleurs du secteur public québécois et canadien ainsi que de la vaste majorité de la population pour une lutte au niveau politique appuyée par la grève contre les politiques de droite de l'ensemble de l'appareil politique au Canada. C'est parce qu'ils tentent très consciemment de faire dérailler ce type de mobilisation que les bureaucrates syndicaux sont si utiles à la bourgeoisie.

Vous vous qualifiez de militant dont le « syndicat est détesté par plusieurs dirigeants syndicaux... ». Pourtant vous vous lancez dans une longue diatribe contre les infirmières tout en passant sous silence la décennie de trahison des centrales syndicales. Consciemment ou non, vos positions reprennent presque mot pour mot celles de la bureaucratie syndicale qui tente de justifier les piètres résultats des négociations en disant que la grève des infirmières les a jetté dans une une situation impossible.

Dans votre lettre, vous ne soulevez pas le fait que les dirigeants du front commun n'ont pas lancer d'appel à leurs membres pour qu'ils se joignent les infirmières dans leur grève et utilisent la crise dans laquelle se trouvait le gouvernement pour avancer leurs propres revendications. Cette question se pose d'autant plus qu'eux-mêmes aient dit à plusieurs reprises que le sort de la grève des infirmières pèsera lourdement sur le reste des négociations.

Vous laissez entendre dans votre lettre que le front commun était en quelque sorte le bataillon de l'avant-garde au cours des dernières négociations. Bien au contraire, si, comme vous le proposez, les négociations avaient été laissées aux mains des dirigeants de la CSN, de la CSQ ou de la FTQ, et qu'ils auraient pu les mener à leur gré, sans être " dérangés " par la grève des infirmières, alors, il est absolument certain que les négociations se seraient terminées dans un fiasco au moins aussi important que celui que nous avons connu.

L'histoire des dix dernières années ne laisse aucun doute là-dessus.

Au contraire de ce que vous aimeriez nous faire croire, il n'y a pas de différences fondamentales entre la politique de la FIIQ et celle de la CSN, de la FTQ ou de la CSQ. Toutes acceptent le cadre politique et budgétaire imposé par le gouvernement et la bourgeoisie. Les différences entre ces centrales sont essentiellement liées aux intérêts corporatistes et personnels des différentes directions de la bureaucratie syndicale et des liens qui les relie à telle ou telle autre section de l'appareil étatique et de la grande entreprise. Sur le fond, c'est-à-dire sur la question de la subordination des intérêts de la classe ouvrière à ceux de la bourgeoisie, il n'y a pas de différents.

La grève de 1989 était une révolte contre les coupures massives et les décrets sur les salaires et les conditions de travail imposés par le gouvernement péquiste en 1982. Le mouvement a pu être étranglé avec l'aide des grandes centrales syndicales, non pas en vertu sa faiblesse inhérente, bien au contraire. Monique Simard, qui était à l'époque vice-présidente de la CSN, parlant pour toute la bureaucratie, a déclaré que la paix sociale était mise en danger par la poursuite de la grève illégale. Les dirigeants des centrales ont imposé une trêve, qui fut ensuite prolongée plusieurs fois, dans le but de démobiliser la base. Le gouvernement libéral de Bourassa a pris plusieurs jours pour se resaisir, mais a finalement accepter l'aide que lui offrait les bureaucrates et a étranglé le mouvement en imposant les sévères sanctions prévues à la loi 160.

Le PQ a été élu en 1994 avec l'appui ouvert de certaines sections de la bureaucratie (par exemple la FTQ a appelé pour un vote pour le PQ) et celui tacite du reste de la bureaucratie syndicale (du type « Il faut battre les libéraux »). Par la suite commence une vague de fermeture d'hôpitaux, face à laquelle la direction syndicale a laissé la direction du mouvement d'opposition aux administrateurs d'hôpitaux. Nous avons ainsi assisté au spectacle déplorable d'une lutte entre les hôpitaux pour convaincre le gouvernement de fermer celui du voisin.

Les syndicats ont participé activement à la campagne référendaire au côté du PQ et sa campagne contre « le vent de droite » de l'Ontario. Un vote pour le oui était présenté comme la solution à tous les problèmes.

L'une des formes que la subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie prend au Québec est le nationalisme. On trouve une grande concentration des plus ardents porte-parole du nationalisme dans le milieu syndical. Le PQ, en vertu de son programme séparatiste, est présenté comme le parti pour lequel les travailleurs doivent voter,. Pour faire une analogie, ils appliquent à l'échelle du Québec, la stratégie du « cas spécial » de la FIIQ. Les problèmes sociaux politique que confrontent les travailleurs ici, sont toujours présentés à travers la lorgnette du débat constitutionnel, occultant les véritables causes et divisant la classe ouvrière québécoise du reste du Canada et du monde en subordonnant ses intérêts à ceux de la bourgeoisie « nationale » québécoise. Après le référendum, les liens entre la bureaucratie syndicale et le gouvernement du PQ se sont resserrés avec les Sommets sociaux économiques sur l'avenir du Québec en 1997-98.

C'est lors d'un de ces sommets que fut élaboré ce qui allait être la politique fondamentale du gouvernement Bouchard pour les prochaines années, l'atteinte du déficit zéro, c'est-à-dire essentiellement la même politique que celle du gouvernment Harris. Par la suite, les syndicats, n'ont jamais dans les faits, remis en question cet objectif, malgré les conséquences désastreuses de cette politique sur l'état des programmes sociaux et du niveau de vie de la population.

C'est justement afin de respecter les objectifs budgétaires qu'ils s'étaient conjointement fixés durant le sommet, que la direction syndicale va proposer au PQ le programme de mise à la retraite pour les employés du secteur public. Une offre qui avait été acceptée avec enthousiasme par Bouchard, parce qu'elle représentait une coupure définitive et récurrente de plusieurs millions. Les travailleurs doivent inscrire en lettres de feu dans leur mémoire que les dirigeants syndicaux ont organisé le démantèlement des services publics et l'éliminations des emplois. C'est cette politique mise de l'avant par la bureaucratie syndicale qui a directement menée au mouvement de grève de 1999.

Le PQ a compté et sait qu'il pourra compter encore sur la dictature organisationnelle et idéologique de la bureaucratie sur la classe ouvrière pour l'aider à imposer ses politiques pro-entreprises. Dans le contexte de l'intensification de la lutte de classes, la bureaucratie syndicale veut préserver ses privilèges et cherche à convaincre les gouvernements et le patronat qu'elle joue un rôle indispensable lorsqu'il s'agit de discipliner la classe ouvrière. D'où sa franche hostilité contre la lutte des infirmières.

Pour conclure, la caractéristique principale de la lutte de classe aujourd'hui, et ce à l'échelle internationale, c'est l'absence presque totale dans le débat politique de la classe ouvrière, de ces besoins et de ses aspirations.

L'héritage laissé par la domination des bureaucraties syndicales et de sa perspective nationaliste et réformiste est l'une des sources de ce problème. Au lieu de chercher à aider les travailleurs à surmonter ces difficultés politiques, l'analyse que vous faites de la grève des infirmières vous place clairement au côté de la direction des centrales et finalement du gouvernement.

Je vous remercie pour l'attention que vous avez portée à notre site et à la peine que vous vous êtes donnée pour nous transmettre votre point de vue. Nous avons apprécié la franchise cordiale avec laquelle vous avez exprimé vos idées et c'est dans ce même esprit que cette réponse a été rédigée. J'espère que cette réponse pourra servir à amorcer d'autres discussions.

Sincèrement

François Legras.
4 octobre 2000

 

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