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Correspondance sur le «socialisme et la nature humaine»

16 juin 2001

Je suis déçu par la réponse, [ un échange sur le socialisme et la nature humaine ] elle ne semble pas répondre à l'énoncé du titre «le socialisme et la nature humaine». Sur le socialisme, étant moi-même pour, je partage largement vos positions. C'est sur la nature humaine que je trouve votre position déficiente. Le socialisme est un choix d'organisation de la société qui relève de la socialisation croissante après le communisme primitif, de l'activité humaine. Vous parlez amplement de la réflexion d'hommes illustres sur la propriété, ce qu'ils en jugeaient de nécessaire ou pas, mais vous ne parlez pas de la nature humaine.

Le seul passage où cette question est abordée, est à propos de Rousseau, qui relève qu'à l'état naturel le droit de propriété n'existe pas, puis vous passez à l'appréciation que la propriété privée est à la source de l'inégalité, des crimes, des guerres et du meurtre. Mais c'est justement à cela qu'il faudrait répondre. Le passage de la non propriété à celle de l'appropriation et en conséquence de l'organisation sociale pour la préservation de la propriété privée acquise, résulte-t-elle de la nature humaine ou pas? Quand je regarde un petit enfant qui défend âprement ses jouets, je m'interroge. Et encore plus quand il veut s'emparer de ceux du copain à qui il refuse les «siens».

Amicalement

R. P.

Monsieur R. P,

Merci pour votre courriel sur le socialisme et la nature humaine qui nous offre une occasion pour traiter un peu plus profondément cette question.

Un argument que les défenseurs du «libre marché» et de la propriété capitaliste des moyens de production avance contre le socialisme est que ce dernier n'est pas «naturel» et, en conséquence, condamné à l'échec parce qu'il viole la pulsion qu'ont les êtres humains à la propriété exclusive. Votre exemple des enfants et de leurs jouets, sur lequel je reviendrai plus tard, indique que vous acceptez, ou au moins êtes influencé par cette position.

Dans le premier chapitre du Capital, où il faisait l'analyse du «fétichisme de la marchandise», Marx a expliqué que l'un des plus grands obstacles lorsque l'on tente de comprendre la société est qu'elle a déjà connu un développement considérable avant même que commence l'analyse.

«La réflexion sur les formes de la vie sociale, et, par conséquent, leur analyse scientifique, suit une route complètement opposée au mouvement réel. Elle commence, après coup, avec des données déjà tout établies, avec les résultats du développement.»

En d'autres mots, l'analyse commence en utilisant les catégories et les formes de pensée qui sont courantes et alors que les processus historiques qui ont donné naissance à ces formes ne sont plus directement apparents. Dès lors, ces formes de pensées ne sont plus comprises comme un processus qui prend place dans l'histoire, mais semblent plutôt venir de la «nature profonde» de l'humain lui-même.

Prenons la question de l'intérêt. Rien ne semble plus «naturel» qu'il doive y avoir des frais ou des intérêts payés pour l'usage de l'argent. Il semble pas «naturel» de penser le contraire. Pourtant, pendant des centaines d'années, les intérêts ont été considérés comme de l'usure et exposaient à de lourdes peines celui qui s'avisait d'en demander.

Il serait beaucoup trop long d'entrer ici dans toutes les questions que soulèvent l'émergence du capitalisme par la crise et l'effondrement de l'ordre féodal. Aussi je me limiterai à en indiquer les principaux points.

Depuis la disparition du « communisme primitif », la société humaine fut divisée en classes. Les rapports sociaux les plus importants pour toutes les sociétés de classes, et la clé pour comprendre leurs anatomies, est de considérer la façon par laquelle les classes dominantes s'approprient le surtravail des classes exploitées.

Dans la société féodale, l'appropriation du surtravail prend place par des moyens politiques : un système de lois, appuyé par la force et sanctionné par l'autorité de l'Église (elle-même une partie de la classe dominante). Le paysan ou le serf doit donner au seigneur une quantité définie de travail, soit directement, soit indirectement en nature.

La société féodale, toutefois, n'imposait pas seulement une série de devoirs envers les propriétaires des terres et l'Église. Les classes exploitées avaient obtenu un certain nombre de terres communes pour la culture et pour le pâturage. De plus, les paysans ou les serfs possédaient les moyens de production nécessaires à leur subsistance.

Dans la société capitaliste, l'extraction du surtravail ne prend pas place par des moyens politiques, mais par des moyens économiques. Alors que dans la société féodale il y avait une myriade de lois qui décrivaient les obligations du paysan, il n'existe pas de telles lois dans le système capitaliste. Il n'y a pas un article de la loi qui oblige le travailleur à vendre sa force de travail au propriétaire du capital. Il ou elle est obligé de le faire à cause des pressions de la nécessité économique. Et cette obligation vient du fait que, contrairement au paysan ou à l'artisan de la société féodale, le travailleur dans la société capitaliste a été complètement séparé de la propriété des moyens de production.

Aussi, ce qui est important dans la transition du féodalisme au capitalisme est la façon par laquelle elle a pu se faire. Plus précisément, comment la classe des travailleurs salariés libres est née (libre à la fois des obligations féodales et de la propriété des moyens de production) avec rien d'autre à vendre que sa force de travail.

L'histoire nous enseigne que cette transformation n'a pas été l'expression d'une quelconque nature humaine innée, mais qu'elle fut le résultat de nouvelles formes d'organisation sociale basées sur le marché. Ceux qui maintiennent que l'émergence du capitalisme est le résultat d'une pulsion à posséder la propriété privée ne peuvent jamais expliquer pourquoi le capitalisme n'a pu prendre place qu'entre le seizième et le dix-huitième siècle. Si tout cela n'était qu'une question de nature humaine, pourquoi pas avant, ou pourquoi pas plus tard ?

Une des plus importantes batailles dans le développement du capitalisme a été l'établissement des droits de propriété exclusifs, surtout des droits sur la terre, au-dessus des droits de propriété communs qui avaient eu une place si importante pour la paysannerie sous le féodalisme. Bien loin d'exprimer une caractéristique de la nature humaine, qui se manifesterait dès notre plus jeune âge, cette nouvelle forme de propriété a dû s'établir à l'encontre de la conception que la terre devait être posséder en commun et ses fruits être disponibles pour tous.

Le rôle de John Locke a été de forger les armes idéologiques nécessaires pour que puisse naître cette nouvelle société capitaliste.

Comme le disait le théoricien politique canadien, C.B.Macpherson : «Locke commence par accepter, en tant qu'exigence absolue autant de la raison naturelle que des Écritures, que le sol et ses fruits avaient originellement été donnés à l'humanité dans son entièreté. C'était bien évidemment le point de vue traditionnel, qu'on peut trouver aussi bien dans la théorie médiévale que la théorie puritaine du dix-septième siècle. Mais Locke n'accepte cette position que pour mieux réfuter les conclusions qu'on avait pu en tirer, qui faisait de la propriété un peu moins qu'un droit naturel de l'individu. »

«"Mais ceci [que le sol ait été donné à l'humanité dans son entièreté] étant considéré comme donné", Locke a-t-il écrit, "il semble qu'il soit très difficile pour certaines personnes d'arriver à concevoir que quoique que ce soit devienne propriété ... Je m'efforcerai de montrer comment l'Homme peut en venir à avoir la propriété dans plusieurs parties de ce que Dieu à donner en partage à l'humanité, et ceci sans l'accord exprès des paysans. "» [C. B. Macpherson, The Political Theory of Possessive Individualism pp. 199-200]

En d'autres termes, les formes de la propriété basées sur l'exclusion, que l'on considère comme émanant de la nature humaine aujourd'hui, étaient autrefois considérées tellement peu «naturelles» qu'il fallait développer une argumentation pour les défendre.

L'exemple que vous citez d'un jeune enfant défendant ses jouets et essayant de s'accaparer de ceux de son camarade ne démontre la nature innée du désir pour la propriété privée. Plutôt, cela montrerait combien rapidement, et à combien tôt dans la vie les moeurs d'une société donnée commencent à déterminer le comportement.

Le comportement que vous mentionnez appartient à des enfants qui grandissent dans une société particulière. Dans d'autres formes de société, les enfants partagent leurs possessions tout aussi naturellement. Ou plutôt, rien n'est perçu comme une possession personnelle et tout est pour l'usage et la satisfaction commune.

En tout cas, la question de la propriété et de la possession personnelle n'a rien à voir avec l'établissement du socialisme.

«Ce qui caractérise le communisme, a écrit Marx dans le Manifeste du Parti communiste, ce n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise. »

«Le capital, a-t-il continué, est un produit collectif : il ne peut être mis en mouvement que par l'activité en commun de beaucoup d'individus, et même, en dernière analyse, que par l'activité en commun de tous les individus, de toute la société. » Si les remarques de Marx avait plutôt un caractère anticipatif en 1848, elles sont par contre entièrement exactes à l'ère des immenses transnationales dont la propriété ne va pas à des individus mais plutôt à une vaste accumulation de ressources sur une échelle mondiale.

L'établissement d'une société socialiste ne résoudra pas instantanément tous les problèmes qui confrontent l'humanité. Mais il établira l'unique cadre social qui permettra de les résoudre.

Ce qui a fait de la société féodale, avec ces devoirs d'un côté et les droits de propriétés collectifs de l'autre, une société dépassée c'était qu'elle devenait un obstacle à la continuation du développement des forces productives, car cela exigeait de nouvelles formes de propriété. Aujourd'hui, les nouvelles formes de technologie sont incompatibles avec l'appropriation privée de la richesse. La science demande l'échange libre de l'information et du savoir. Mais le capital cherche à l'assujettir aux copyrights et aux brevets (même la connaissance de la structure génétique de l'humain lui-même).

L'apparition de nouvelles formes de communication basées sur l'internet dépend de l'échange d'information pour le bénéfice mutuel de tous. La musique et autres ressources des arts et spectacles qui sont disponibles sur le web profitent à l'individu en proportion de leur diffusion. Les programmes sont améliorés et développés dans la mesure où ils peuvent être partagés et adaptés. Le capital, toutefois, cherche à bloquer de tels processus, non pas en vertu d'une caractéristique innée de la nature humaine, mais parce que les profits dépendent des droits de propriété.

Dans la future société socialiste où les ressources productives seront possédées en commun et démocratiquement, le savoir sera partagé parce que c'est la façon d'accroître la richesse. Et autant les conceptions sur le droit à la propriété semblent «naturelles» aujourd'hui, autant elles seront alors considérées comme étant complètement anachroniques.

Cordialement

Nick Beams


 

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