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La vente des archives Breton : dispersion du patrimoine surréaliste

Par Paul Mitchell
Le 6 mai 2003

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« Deux mille euros, cinq cent, trois mille, cinq cent, quatre mille, cinq cent... »

Pendant deux semaines des cris de cette sorte ont retenti lors de la vente aux enchères publiques des objets ayant appartenus à André Breton, l'un des individus les plus créateurs du Xxème siècle. Cinq mille lots ­ comprenant 305 manuscrits, 141 livres et 84 oeuvres d'art, créations de Breton lui même - furent vendus pour 50 millions de dollars. Par cette vente le récit le plus unique et complet des origines, de l'évolution et des conflits au sein du mouvement surréaliste a été perdu à jamais.

Après la mort de Breton, en 1966, sa femme Elise et un petit groupe d'artistes surréalistes ont fait tout leur possible pour garder intact cet héritage inestimable, mais l'establishment culturel français, tout comme les partis staliniens ainsi que l'extrême gauche les ont ignorés.

Au fur et à mesure de la vente, on comprenait plus aisément pourquoi ces organisations ne s'étaient pas investies dans la défense de l'héritage de Breton. Breton a été un des rares intellectuels qui a condamné les procès de Moscou contre les anciens dirigeants bolcheviques et il finit par conclure que Staline était « le principal ennemi de la révolution prolétarienne ». Les objets ayant appartenus à Breton et qui étaient mis en vente les uns après les autres ont montré la progression de Breton vers les idées révolutionnaires qui ont atteint leur point culminant avec la collaboration de Breton avec Trotsky à la fin des années trente et la publication du manifeste Pour un art révolutionnaire indépendant.

L'ombre de ces grands hommes planait dans la salle des ventes. Même la frénésie de ventes et d'achats à tout va ne pouvait endormir cette impression de malaise. De temps en temps un représentant de l'état usait de son droit de préemption pour qu'un musée puisse acquérir un objet au prix maximum. Cette tentative ultime et désespérée pour éviter qu'un article ne disparaisse dans une collection privée était applaudie.

Mais dans la plupart des cas, un écran digital affichait des prix simultanément en euros, en dollars, en livres sterling et en yens tandis que les marchands d'art avaient marqué certaines pages de leurs catalogues ou y avaient placés des petits bouts de papier qui indiquaient leurs offres maximales. Les cris de surexcitation se faisaient de plus en plus forts quand les enchères dépassaient les estimations et le public se rassemblaient autour de ceux qui avaient fait ces offres. Parfois, le propriétaire de la maison qui organisait cette vente félicitait en personne l'acquéreur.

Le commissaire-priseur attribuait chaque lot toutes les deux minutes avec un coup de marteau et il criait ensuite : « Le lot suivant est le lot numéro.... »

Ce spectacle laissait une impression d'ensemble triste et sordide.

Il suffit de regarder les photos de Breton par Sabine Weiss en 1965, comme celle du lot 5329 pour comprendre ce qui a été perdu.

Breton est assis derrière son bureau de son appartement à deux pièces du 42, rue Fontaine - son adresse pour la plus grande partie de sa vie d'adulte. On peut appréhender l'atmosphère de l'endroit. L'écrivain Julien Gracq a décrit comment « la profusion d'objets d'art amassés partout contre les murs a réduit au maximum l'espace libre : pour circuler, on utilise des itinéraires très précis créés par l'habitude comme si l'on avançait dans une forêt au milieu des branches et des ronces. » (En lisant en écrivant).

Cinq jours ont été nécessaires pour vendre les livres et les manuscrits de Breton. Ils avaient été répartis en 450 lots et parmi ces lots on peut trouver les documents fondateurs les plus importants du mouvement surréaliste, les discours politiques de Breton ainsi que des premières éditions signées.

Le lot 2026, par exemple, consistait en 500 pages rendant compte des déclarations résultant de séances de sommeil hypnotique en 1922. C'est un des premiers documents surréalistes. Breton a affirmé que « on peut déjà dire en passant que ces rêves et ces catégories d'association allaient constituer le début de presque toute la matière surréaliste ».(Entretiens)

Le Manifeste Surréaliste signé par Breton, par Paul Eluard et par Louis Aragon figurait également au catalogue de la vente. Le lot 2119 était une édition originale de 1928 de Nadja, qui traite des thèmes surréalistes sur la vie, sur l'amour, sur la poésie et sur le hasard. Il a été vendu accompagné de lettres de Nadja, dont Breton était tombé amoureux deux ans auparavant.

En ce qui concerne les livres, c'est le pamphlet de Breton Qu'est-ce-que le Surréalisme ?, publié en 1934 qui a atteint le prix le plus élevé de 250 000 $ (Lot 148). Il comprenait les dessins et la correspondance entre Breton et René Magritte, dont un célèbre dessin orne la couverture.

En ce qui concerne les manuscrits, c'est Arcane 17, publié en 1944 (lot 2254), qui a atteint le prix le plus élevé (750 000 $). Dans cet ouvrage, Breton essaie de réhabiliter le surréalisme en faisant appel à des thèmes occultes. Cet ouvrage ne possède pas la puissance politique des documents liés à l'ouvrage Le surréalisme au service de la révolution publié plus de dix ans auparavant.

Le lot 2166 consistait en des collages inédits et réalisés en 1931 par Eluard et par Suzanne Muzard et le lot 1133, le dernier projet de Breton pour Le surréalisme au service de la révolution.

Lors de cette vente, ce sont les livres de Breton lui-même qui se sont vendus en grand nombre. Suivis très probablement par les livres de Léon Trotsky ou les livres associés à ce dernier. Trostky a dédicacé plusieurs de ces livres, comme la première édition française datant de 1933 de Histoire de la Révolution Russe (lot 1494). Il écrivit : « A mes amis Jacqueline et André Breton avec tous mes sentiments les plus sincères et les plus dévoués .»

André Breton avait accroché sur les murs de son appartement des tableaux d'artistes influents tels que Picasso, Dali, de Chirico, Max Ernst, Joan Miró, Jean Arp, Marcel Duchamp, Arshile Gorky, Yves Tanguy et André Masson ainsi que des tableaux d'artistes contemporains moins connus et pré-surréalistes. Beaucoup d'entre eux étaient des amis proches d'André Breton, lui-même peintre accompli.

Vingt-trois millions de dollars ­ presque la moitié de la somme totale réalisée à cette vente - provenait de la vente de ces tableaux. Femme un tableau de Arp peint en 1927 (lot 4016) et Le Piège par Miró, peint en 1924 (lot 4040) ont atteint 2.500.000 $ chacun.

Breton collectionnait également de nombreuses oeuvres de peintres pré-surréalistes comme par exemple des peintures mystiques de l'artiste symboliste Gustave Moreau (1826-1898), des tableaux animaliers aux couleurs très vives et détaillés d'Aloys Zotl (1803-1887) et des paysages du post-impressioniste irlandais Roderic O'Conor (1860-1940).

Beaucoup de ces oeuvres d'art figurent dans le livre de Breton Le Surréalisme et la Peinture. Ce livre fut édité pour la première fois en 1928 et il fut mis à jour tout au long de la vie de Breton quand il faisait la chronique des origines, des influences et du développement du surréalisme. Le Surréalisme et la Peinture donne une idée de l'expérience unique qui aurait été préservée si la collection d'art de Breton était restée intacte.

Le surréalisme a subi l'influence importante des arts primitifs et des arts populaires. Au catalogue des enchères figuraient plus d'une centaine d'objets en bois ou en pierre sculptés comme par exemple des poupées indiennes Hopi, des masques Inuit ou des statues africaines (lot 6138).

Parmi la collection de Breton d'art populaire et de pièces son pouvait remarquer plusieurs centaines de bénitiers en porcelaine. Loin de l'environnement iconoclaste de la salle de bains d'André Breton, le bénitier solitaire qui dépérit dans la vitrine d'un collectionneur a perdu beaucoup de son sens (lot 3210).

Il était particulièrement émouvant d'assister à la dispersion de la collection de photographies d'André Breton. Il était ironique d'acquérir une compréhension pleine et merveilleuse d'un homme au moment même où la vie de celui ci était complètement atomisée.

La collection de photographies comprenait des photos de Breton quand il était brigadier infirmier pendant la première guerre mondiale, des « photomatons » représentant des artistes surréalistes importants dans des poses rêveuses; Breton à des fêtes et à des pique-niques - détendu avec des gens qui devaient devenir des figures très connues ; des compositions fantastiques par tous les grands photographes du début du XXème siècle, comme par exemple les mannequins par Man Ray et par Raoul Ubac montrés à l'Exposition internationale du Surréalisme de 1938 et les corps déformés à la fois beaux et effrayants dans la série de Hans Hellmer, La Poupée (lot 5046), plusieurs séries de photos de Fritz Bach représentant Diego Riviera, Trotsky et Breton au Mexique ainsi qu'une série de photographies particulièrement poignante, signées par Natalia Trotsky et datées du 11 mai 1941 à Coyoacan, un an après l'assassinat de son mari (lot 5420).

En 1924, Breton écrivait : « Je crois que toute l'audace, toute la force, tout l'espoir dont je suis capable doivent être voués à mes pensées. Elles me possèdent entièrement, jalousement, et rendent tous les biens matériels complètement dérisoires. »

La préface du catalogue de la vente se termine par cette citation, comme pour justifier la dispersion des biens de Breton. Mais qualifier ces objets comme de simples « biens matériels » ne fait que confirmer une tendance que Breton a remarqué à la fin de sa vie : « une chute vertigineuse des plus élémentaires notions morales accompagné d'un abaissement généralisé de la culture ».


 

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