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Rabbit Proof Fence traduit en français

Par notre correspondant
3 septembre 2003

Follow the Rabbit Proof Fence, l'un des livres les plus populaires à avoir été écrit par un auteur aborigène australien, est maintenant traduit et publié en France. Écrit par Doris Pilkington en 1996, et subséquemment transposé au cinéma par le réalisateur Phillip Noyce, le livre raconte l'histoire de la déportation forcée de trois jeunes filles métisses aborigènes, enlevées à leur famille par les fonctionnaires du gouvernement au début des années '30. Des milliers d'enfants aborigènes furent victimes de cette politique gouvernementale cruelle durant les 70 premières années du 20e siècle.

L'édition française est publiée par la maison d'édition Autrement basée à Paris et intitulée Le chemin de la liberté : l'odyssée de trois jeunes aborigènes (ISBN :2-7467-0311-4). Traduit par Cécile Deniard, il contient une postface de Richard Phillips écrivain au World Socialist Web Site. La publication de l'édition française de 157 pages coïncide avec la sortie de la version française du film de Noyce.

 

Le Chemin de la liberté de Doris Pilkington

Postface de Richard Phillips

Le Chemin de la liberté de Doris Pilkington fait partie des nombreux récits passionnants qu'on commence aujourd'hui à publier sur la « génération volée » ­ ces quelque 30 000 enfants métis aborigènes que les autorités australiennes enlevèrent à leurs familles entre 1900 et 1971.

Ce livre, écrit en 1996, raconte comment trois petites filles, Molly Kelly, quatorze ans (la mère de l'auteur), et ses cousines Daisy Kadibil (huit ans) et Gracie Cross (dix ans) furent retirées de force à leurs parents par la police et l'administration au cours de l'hiver 1931, et comment elles s'évadèrent courageusement d'un camp gouvernemental.

Comme le découvrira le lecteur, Molly, Daisy et Gracie durent quitter la communauté aborigène de Jigalong au bord du Little Sandy Desert, au nord-ouest de l'Australie, pour être emmenées à des milliers de kilomètres plus au sud dans le fameux camp pour Aborigènes de Moore River, près de Perth, capitale de l'Australie-Occidentale.

A leur arrivée, elle apprirent qu'il leur était interdit de parler mardujara, la langue de leur tribu, et qu'elles devraient oublier leurs mères afin de commencer une nouvelle vie. Les fillettes n'avaient aucune intention d'obéir. Entraînées par Molly, elles s'enfuirent du camp et, au cours des trois mois suivants, parcoururent deux mille kilomètres à pied à travers champs, brousse épaisse ou paysages semi-désertiques pour rejoindre leur communauté à l'extrême nord de l'Etat.

Elles accomplirent ce voyage épique en longeant une grande clôture qui coupait l'Australie-Occidentale en deux, du nord au sud. Construite par le gouvernement en 1907, cette clôture était censée empêcher les lapins des Etats de l'Est d'envahir les pâturages de l'Australie-Occidentale. Dans cet environnement hostile, elle fournit aux fillettes un repère qu'elles devaient suivre pour rentrer chez elles.

Leur évasion de Moore River et la détermination avec laquelle elles réalisèrent leur difficile périple constituaient un défi à ce que le gouvernement désignait sous le nom de « programme d'assimilation » ­ une série de mesures appliquées dans toute l'Australie du début des années 1900 jusqu'aux années 1970, qui visaient à anéantir la population aborigène du pays et participaient à la guerre que les colons et l'administration britanniques firent aux peuples indigènes australiens pendant tout le dix-neuvième et la majeure partie du vingtième siècles.

Avant la colonisation européenne de la fin du dix-huitième siècle, les Aborigènes australiens menaient une vie relativement simple et paisible de chasseurs-cueilleurs ; ils possédaient peu de choses et la notion de propriété foncière individuelle ou de propriété privée n'existait pas. Les cérémonies religieuses et la vie sociale suivaient le rythme des saisons et de l'environnement naturel où elles prenaient leur source. Même si les chiffres varient beaucoup, on estime que 750 000 Aborigènes, répartis en centaines de petites tribus, vivaient sur ce vaste continent au début de la colonisation.

Leur mode de vie, qui avait perduré des dizaines de milliers d'années, ne put cependant pas coexister avec les nouvelles formes d'organisation sociale (la propriété privée de la terre et le système capitaliste) instaurées à l'arrivée des colons britanniques.

Aux yeux de l'administration coloniale et des fermiers, les Aborigènes et leur vie communautaire représentaient un obstacle aux profits qui pourraient être réalisés en exportant de la laine et du blé ; il fallait donc les faire partir de toutes les zones où l'on pouvait produire ces marchandises. En les trompant, on amena les Aborigènes à signer des renonciations à leurs territoires de chasse traditionnels ou bien on les chassa physiquement des terres qu'ils occupaient depuis des milliers d'années. Ceux qui résistaient étaient traqués et tués comme des bêtes sauvages. Les femmes étaient violées, la nourriture et les trous d'eau, empoisonnés, les anciens des tribus, exilés ou emprisonnés par le nouveau pouvoir dont les fusils écrasaient sans difficulté les armes primitives des Aborigènes.

Les populations indigènes payèrent un très lourd tribut à cette guerre brutale et non déclarée, ainsi qu'aux diverses maladies importées par les Européens. A cette époque, on tenait assez peu le compte du nombre d'Aborigènes tués par la police, les groupes d'autodéfense et les colons, mais en cent vingt ans de colonisation, la population aborigène était passée de 750 000 à la fin du dix-huitième siècle à 31 000 dans les années 1900.

En s'appuyant sur des documents historiques, Le Chemin de la liberté fournit des informations intéressantes sur cette sombre période à travers une série de vignettes mettant en scène les tribus nyungars, qui vivaient dans le sud-ouest de l'Australie-Occidentale. De façon romancée, Doris Pilkington décrit leur vie avant la colonisation et les conséquences des premiers contacts avec les chasseurs de baleine, les administrateurs coloniaux et les fermiers qui commencèrent à arriver dans cette région au début des années 1800.

Elle retrace aussi brièvement comment ses propres ancêtres quittèrent les territoires traditionnels mardus dans le nord-ouest de l'Etat pour gagner les postes gouvernementaux et les ranchs près de Jigalong, où certains furent employés comme ouvriers agricoles ou domestiques. Molly, la mère de l'auteur, fut la première enfant métisse à naître dans cette région. Son père était employé à la maintenance de la clôture contre les lapins.

A la fin du dix-neuvième siècle, après avoir chassé les Aborigènes des terres les plus fertiles, le gouvernement commença à créer des réserves où l'on parqua les survivants. En échange de petites quantités de thé, de farine, de tabac et parfois de viande, les Aborigènes furent placés sous la tutelle du gouvernement ou des missions religieuses. Cette politique fut qualifiée de « protection » et des fonctionnaires furent nommés « protecteurs » pour régir et contrôler la vie et la localisation de ces tribus autrefois nomades.

Les législateurs, considérant les Aborigènes comme une « race en voie d'extinction », lancèrent les tristement célèbres programmes d'« assimilation » ou d'« éducation ». Ces mesures devaient achever la dispersion et la destruction des populations indigènes et il n'était pas rare que des administrateurs gouvernementaux réclament la stérilisation des Aborigènes.
Selon les directives officielles, les Aborigènes de sang pur devaient être confinés dans ces réserves où régnait la pauvreté et où on les laisserait s'éteindre peu à peu, cependant qu'on enlevait les enfants métis à leurs mères. Des fonctionnaires des services sociaux entraient dans les campements aborigènes et rassemblaient les enfants à la peau claire comme du bétail tandis que la police retenait les parents qui essayaient de les en empêcher.

Une fois capturées et envoyées dans des camps, les fratries étaient le plus souvent séparées afin d'effacer tout souvenir de leur vie antérieure. Les conditions de vie étaient pénibles et carcérales, punitions corporelles et sévices sexuels étant fréquents. Ceux qui y survivaient étaient marqués à vie. Seuls une poignée reprirent contact avec leurs parents et leurs frères et surs.

D'après A. O. Neville, protecteur en chef des Aborigènes en Australie-Occidentale, cette politique d'« assimilation » visait à « les intégrer dans la communauté blanche jusqu'à ce qu'on oublie qu'il y ait même jamais eu des Aborigènes en Australie. »

Molly, Daisy et Gracie n'avaient aucune idée des raisons de leur enlèvement, ni du temps qu'il devait durer ; et jamais on ne leur dit. Mais leur refus obstiné de l'accepter représenta une résistance profonde à ce que, scientifiquement, on ne peut qualifier que de génocide ­ la tentative délibérée d'exterminer une race.

Le Chemin de la liberté de Doris Pilkington n'est pas le premier livre sur la « génération volée ». Depuis deux décennies, un nombre croissant de récits vécus, de romans, de poèmes, de pièces de théâtre et de chansons soulignent les conséquences désastreuses de ces mesures pour les Aborigènes australiens. Le Chemin de la liberté présente cependant l'intérêt unique de mettre en lumière le courage et la détermination de trois fillettes s'opposant à cette politique et aux fonctionnaires qui essayaient de la mettre en oeuvre.

L'étude complète et détaillée des massacres génocides et autres crimes commis contre les Aborigènes reste à faire, mais Le Chemin de la liberté participe de manière décisive au combat actuel pour que soit dénoncé ce qui est indéniablement un des secrets les plus honteux du capitalisme australien. Sa traduction en français contribue à faire connaître à un public plus large cette période de l'histoire jusqu'ici passée sous silence.


 

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