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Le marxisme, le Comité International, et la science des perspectives: une analyse historique de la crise de l'impérialisme américain

Deuxième partie

Par David North
(Article original paru le 12 janvier 2005)

Les 8 et 9 janvier derniers, le Socialist Equality Party (SEP) [Parti de l'égalité socialiste, États-Unis] a tenu une réunion nationale des ses membres à Ann Arbor dans le Michigan. Le rapport d'ouverture a été donné par David North, secrétaire national du SEP et président du comité de rédaction du World Socialist Web Site. Le rapport sera publié en trois parties. Voici la seconde partie.

Il y exactement 20 ans cette semaine, en janvier 1985, des délégués de diverses sections du Comité International de la Quatrième International (CIQI) partaient en Angleterre pour assister au 10me congrès du Comité International. Celui-ci s'avéra être le dernier congrès présidé par le Workers Revolutionnary Party de Grande-Bretagne (WRP) dirigé par Gerry Healy, Cliff Slaughter et Michael Banda.

À ce moment, une crise politique montait à l'intérieur du mouvement international depuis plus d'une décennie. Dans les trois années précédentes, une tentative de discuter et d'examiner des conceptions philosophiques incorrectes et de sérieuses erreurs dans la ligne politique du Comité International avait été étouffée par la direction du WRP. Au moment où le CIQI se réunissait en janvier 1985, la totalité du mouvement mondial était dangereusement désorientée, et le WRP était dans le pire état. L'ébauche de la résolution de perspectives préparée par Slaughter cherchait à masquer le vide de ses analyses avec une rhétorique grandiloquente. Un passage typique proclamait: «Les lois objectives du déclin capitaliste opèrent maintenant sans obstacle. Elles s'expriment de par elles-mêmes.» Si c'était vrai, cela aurait signifié qu'une situation se présentait non seulement d'une manière inédite dans l'histoire du capitalisme, mais qu'elle était de celle que Marx lui-même aurait considérée théoriquement et pratiquement impossible.

Affirmer que les lois du déclin capitaliste opéraient sans obstacle pouvait seulement signifier 1) que toute résistance subjective au déclin de la part de la bourgeoisie elle-même avait cessé; et que 2) même les tendances compensatrices qui émergent naturellement du sein du capitalisme pour atténuer, sinon renverser, le déclin étaient devenues inopérantes. En d'autres mots, la dialectique socio-économique du capitalisme en tant que système mondial historique avait simplement cessé.

Un autre passage proclamait que «le fait est que les batailles révolutionnaires décisives sont déjà engagées». Alors même que ces mots coulaient de la plume de Cliff Slaughter, il y avait des signes indubitables que la classe ouvrière se repliait partout dans le monde. S'il était vrai que «les batailles révolutionnaires décisives» étaient en cours, alors on aurait été obligé de reconnaître qu'elles avaient été perdues.

Dans le même ordre d'idées, Slaughter, intoxiqué par sa propre rhétorique, déclarait que «le prolétariat des États-Unis, invaincu, s'engageait dans des luttes d'une nature révolutionnaire en même temps que ceux du reste du monde». En réalité, la classe ouvrière aux États-Unis avait subi depuis l'arrivée de Reagan à la Maison Blanche 4 ans plus tôt une série continue de défaites majeures. Elle se sentait trahie et découragée, le taux de grève atteignant son plus bas niveau depuis des décennies.

Le fait que de tels passages aient pu être présentés comme une contribution sérieuse à l'élaboration de perspectives révolutionnaires témoignait de la confusion théorique et de la faillite politique des dirigeants du Workers Revolutionnary Party.

Étant donnée l'extraordinaire histoire politique des dirigeants du WRP, particulièrement celle de Gerry Healy, la situation à laquelle ils étaient arrivés était profondément tragique. La participation personnelle de Gery Healy dans le mouvement révolutionnaire socialiste a duré plus d'un demi-siècle. Il joua un rôle important en soutenant James P. Cannon dans la lutte internationale contre le révisionnisme de Pablo qui conduisit à la fondation du CIQI en 1953. Durant les décennies qui suivirent, Healy résista à la dérive théorique et politique du Socialist Workers Party (SWP) aux États-Unis et s'opposa aux tractactions de ce dernier vers une réunification sans principe avec le mouvement pabliste. La survie du Comité International, qui était confronté à des conditions politiques extrêmement défavorables, fut largement due à la défense inlassable par Healy des principes de base du trotskysme. Sans le combat qu'il mena, la Workers League (le prédécesseur du Socialist Equality Party) ne serait jamais née.

En outre, l'attention soigneuse portée par le Comité International, particulièrement après la scission avec le SWP en 1963, aux signes d'une crise montante au sein du capitalisme mondial fut largement due aux efforts de Healy. A la différence des pablistes dont la politique opportuniste reflétait leur foi croissante dans la stabilité du capitalisme de l'après Seconde Guerre Mondiale, le CIQI suivit de très près les signes grandissants que les fondations financières et monétaires du capitalisme mondial, mises en place à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, commençaient à être sérieusement ébranlées. Le Comité International fut par conséquent en position de comprendre l'ampleur des implications économiques et politiques de la décision prise par l'administration Nixon en 1971, qui apporta une fin abrupte à l'âge d'or du capitalisme de l'après Seconde Guerre Mondiale.

Le samedi soir du 15 août 1971, le président Richard M. Nixon annonça à la télévision qu'il allait prendre une série de mesures économiques en réponse à la forte détérioration des balances commerciale et des paiements des États-Unis, ainsi qu'aux signes de pression inflationniste qui montaient. Il annonça que les États-Unis n'honoreraient plus ses obligations, selon les règles du système monétaire international qui avaient été établies à la suite de la conférence de Breton Woods de juillet 1944, de convertir en or sur demande les dollars détenus par ses partenaires commerciaux internationaux. Ce développement fut largement ignoré par les pablistes. Pour le Comité International, cependant, il représentait le développement le plus significatif depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et créait les conditions pour un immense accroissement de la crise économique mondiale et une intensification des conflits de classe à l'échelle internationale. Au coeur même de cette crise était la détérioration de la position du capitalisme américain dans le monde.

Dans son analyse de ce développement, le CIQI examina l'importance du système économique international dont les fondations furent posées à la conférence de Bretton Woods en 1944, dans les derniers stades de la Seconde Guerre mondiale. En dehors des États-Unis, les anciennes puissances bourgeoises de l'Europe étaient en ruines. La bourgeoisie française était politiquement discréditée et son système financier avait été détruit. Le régime d'Hitler avait plongé le capitalisme allemand dans les abysses et le pays était en flammes. Le coût de la Seconde Guerre Mondiale, qui avait suivi la première après un intervalle de seulement 20 ans, avait mis en faillite la Grande-Bretagne. Partout en Europe, la classe ouvrière s'était soulevée contre le fascisme et la barbarie impérialiste. Le sentiment populaire révolutionnaire était prédominant. La situation était similaire au Japon où la guerre avait rapidement atteint son dénouement horrible. Partout en Asie, au Moyen-Orient, et en Afrique, la marée des luttes anti-impérialistes et anti-coloniales était en train de monter.

Dans le chaos de la guerre, les États-Unis restaient le grand bastion du capitalisme. La guerre avait détruit tous ses compétiteurs capitalistes internationaux, et il était en position de dicter à ses rivaux prostrés les termes de l'ordre économique mondial qui émergerait des cendres de la guerre. La classe dirigeante américaine, cependant, comprit très bien que son propre destin dépendait de la survie du capitalisme en Europe. Si la vague révolutionnaire d'après-guerre devait balayer le continent européen, établissant le pouvoir de la classe ouvrière partout dans les vieux centres du capitalisme, le sort ultime d'un capitalisme américain isolé serait scellé. Par conséquent, par une série de décisions perspicaces, la classe dirigeante américaine se résolut à mobiliser ses immenses ressources industrielles et financières pour stabiliser et reconstruire le système capitaliste mondial. Le fondement de ce plan économique impliquait la création d'un nouveau système monétaire international, qui fournirait les ressources nécessaires au rétablissement du commerce mondial après une interruption de dix ans causée par la dépression et la guerre, ainsi que la reconstruction de l'Europe et du Japon.

Les désastres financiers survenus après la Première Guerre Mondiale avaient convaincu les États-Unis que l'expansion du commerce international et la reconstruction du capitalisme mondial étaient incompatibles avec le régime de crédit restreint du vieux système de l'étalon-or. Mais qu'est-ce qui pouvait remplacer l'or comme premier instrument de crédit et de commerce La réponse simple était le billet vert américain.

Selon les règles établies par le nouveau Fonds Monétaire International, qui fut créé en 1947, le dollar américain servirait de monnaie de réserve mondiale principale, c'est-à-dire de monnaie par laquelle la grande masse du commerce international s'effectuerait. Toutes les monnaies auraient leur valeur calculée en dollars. En ce qui concerne le dollar, sa valeur serait définie en relation avec l'or, ou plus précisément, au taux de 35 dollars pour une once d'or.

Cet arrangement reposait sur deux faits importants. D'abord une portion très substantielle des réserves mondiales en or était détenue dans les chambres fortes de Fort Knox, dans le Kentucky. Deuxièmement et surtout, la suprématie industrielle massive des États-Unis après la Seconde Guerre Mondiale garantissait que ses balances commerciales enregistreraient de gros surplus. Les dollars investis ou transférés outremer seraient finalement rapatriés dès lors que les pays étrangers achetaient des biens et services américains.

Ainsi, le système monétaire d'après-guerre, basé sur le dollar ancré à l'or, était une expression de la suprématie mondiale des États-Unis dans les affaires du capitalisme international. Dans la mesure où on peut parler d'une ère d'hégémonie américaine, ce fut la période définie par le fonctionnement du système monétaire mondial basé sur le dollar de Breton Woods.

Cependant le système de Breton Woods comportait en son sein une contradiction fatale. Le bon fonctionnement du système reposait sur la capacité des Étas-Unis à maintenir des soldes commerciales et de paiements positifs même si les Étas-Unis fournissaient l'Europe et le Japon en capital pour rebâtir leur industrie et constituaient un marché pour leurs exportations. Il était inévitable que la renaissance des industries européennes et japonaises minerait la suprématie jusqu'ici inégalée des États-Unis sur les marchés mondiaux et aurait un impact sur ses balances commerciales et de paiements. L'accumulation de dollars outremer, qui finirait par dépasser la valeur des réserves d'or des États-Unis, mettrait en fin de compte en question la validité de système de Bretton Woods. Un économiste européen, Robert Triffin, attira l'attention sur cette contradiction à la fin des années 50. Au milieu des années 60, il était apparent que les tensions s'exerçant sur le système allaient en s'accroissant. La crise fut exacerbée par l'augmentation de la pression financière sur le budget américain causée par le coût de la guerre du Vietnam et le financement de nouveaux programmes sociaux qui avaient été concédés par une classe dirigeante américaine confrontée à des luttes de masse.

Comme le CIQI l'avait prévu, la chute du système de Bretton Woods eut de grandes conséquences économiques, politiques et sociales. Les relations économiques internationales furent déstabilisées jusqu'à un degré inconnu depuis les années 1930. L'ancien système de change à taux fixe s'effondra en un nouveau et imprévisible système basé sur des monnaies flottantes, la valeur de chaque monnaie nationale étant déterminée par le marché. En ce qui concerne le dollar, qui n'était plus convertible en or à un prix fixe, il entra dans un processus de déclin prolongé. La dévaluation du dollar conduisit presque immédiatement à une éruption de l'inflation mondiale et à une chute des valeurs sur le marché des actions. En 1973, le capitalisme mondial faisait face à la plus dangereuse combinaison de crises politiques et économiques depuis les années 30.

Ces développements établissaient le bien fondé des analyses que le Comité International avait faites de la crise mondiale du capitalisme. Les années 1970 furent une décennie qui vit une vague révolutionnaire de la classe ouvrière. En réponse à l'inflation, la classe ouvrière passa à l'offensive. La grève des mineurs britanniques à l'hiver 1973-1974 força à la démission le gouvernement conservateur. En avril 1974, la dictature fasciste s'écroula au Portugal, et en juillet c'était la fin de la dictature militaire de Papadopulos en Grèce. Un mois plus tard, en août 1974, Richard Nixon démissionnait de son poste. Moins d'un an plus tard, en avril-mai 1975, la guerre impérialiste au Vietnam et au Cambodge arrivait à une conclusion humiliante.

Mais cette vague fut paralysée par les politiques contre-révolutionnaires des bureaucraties staliniennes et sociales - démocrates dans le mouvement ouvrier international. Même en Iran, où des grèves des ouvriers du pétrole à la fin 1978 avaient été décisives pour paralyser le régime du Shah (qui avait été mis au pouvoir par la CIA en 1953) les politiques des staliniens empêchèrent la victoire d'une révolution socialiste. En effet, le pouvoir tomba dans les mains des forces religieuses et nationalistes. Les trahisons des luttes de la classe ouvrière fournirent à l'impérialisme le temps pour élaborer sa propre stratégie contre-révolutionnaire et poursuivre l'offensive contre la classe ouvrière.

Alors qu'un reflux politique commençait, le Workers Revolutionnary Party britannique échoua à faire une nouvelle évaluation de la situation et à introduire les changements nécessaires dans ses propres pratiques. Cliff Slaughter avait souvent prévenu les sections du CIQI: «Quand vos perspectives ont été confirmées, c'est le temps de les revoir». Mais le WRP ne parvint pas à suivre ses propres conseils, et fut incapable d'adapter ses pratiques au changement de la situation politique. Alors que les possibilités d'une révolution socialiste s'éloignaient, le Workers Revolutionnary Party chercha à maintenir son élan organisationnel sur les bases de nouvelles relations de type opportuniste avec des sections de la bureaucratie ouvrière et des mouvements nationalistes bourgeois au Moyen-Orient et en Afrique. Tournant le dos aux leçons du long combat du CIQI contre le révisionnisme, le WRP développa une ligne politique qui ressemblait de plus en plus à celle des pablistes. Cependant à cause de l'obsession de Healy sur ce qu'il percevait être les impératifs organisationnels du WRP, la ligne de la section britannique glissa sur une pente de plus en plus nationaliste. Le travail du CIQI en tant que parti international était de plus en plus subordonné à l'activité du WRP en vue de construire un parti national.

La crise qui éclata au sein du WRP à l'été et à l'automne 1985 était le résultat inévitable d'un recul prolongé par rapport aux principes trotskystes et de la désorientation politique qui était une conséquence de cette trahison. Le WRP en était venu à placer une plus grande valeur dans ses alliances variées avec les bureaucraties ouvrières, les nationalistes bourgeois et les radicaux petits-bourgeois que dans ses relations fraternelles avec ses camarades et co-penseurs du CIQI. Même à l'automne 1985, alors qu'ils se tenaient au milieu des débris créés par leurs politiques désastreuses, des membres du WRP se vantaient sans honte de leurs nouveaux liens avec différentes tendances anti-trotskystes. À une réunion publique à Londres, Slaughter tendait ostensiblement la main à Monty Jonhstone, un des plus connus et répugnants représentants du Parti Communiste britannique.

Une évaluation complètement fausse de la situation politique internationale sous-tendait ces actions. Il n'apparut à aucun des dirigeants du WRP que les diverses organisations nationales réformistes et opportunistes qu'ils courtisaient étaient elles-mêmes au bord du désastre. Ayant abandonné tout travail systématique et sérieux sur des perspectives internationales, le WRP avait complètement échoué à prendre en compte les nouvelles tendances de l'économie capitaliste mondiale, sans parler de leurs implications pour le développement de la lutte de classe internationale.

À la suite de la scission avec le Workers Revolutionnary Party en février 1986, le Comité International était confronté à deux tâches critiques et théoriques étroitement liées. La première était de faire une analyse détaillée des racines de la trahison du trotskysme par le WRP et de répondre à ses attaques sur l'histoire de la quatrième internationale. La seconde était de reprendre le travail crucial d'élaboration des perspectives qui avait été abandonné par le WRP. La critique du WRP et la redécouverte de l'histoire de la quatrième internationale permit au Comité International de rétablir son lien historique conscient à l'héritage programmatique complet du mouvement trotskyste, le tout remontant à la fondation de l'Opposition de gauche en 1923. Au même moment, la reprise d'un travail systématique sur les perspectives internationales était nécessaire dans le but de réorienter le travail du CIQI en accord avec les tendances objectives du développement de l'économie capitaliste mondiale.

Au quatrième plénum du Comité International en juillet 1987, la question suivante fut posée: de quelles tendances dans le développement de l'économie mondiale et dans le conflit de classe international la quatrième internationale est-elle la nécessaire expression? Considéré historiquement, il a existé une relation profonde entre le développement des forces productives du capitalisme sur une échelle mondiale, son impact correspondant sur la croissance de la classe ouvrière en tant que force sociale, et les formes politiques par lesquelles les tendances socio-économiques trouvaient leur expression dans le développement historique du mouvement marxiste international.

La fondation de la Première Internationale dans le milieu des années 1860 était l'anticipation politique de l'émergence d'un prolétariat international sur les bases de l'expansion de l'industrie capitaliste et du commerce sur une échelle mondiale. Les formes encore immatures de l'économie réelle et des processus sociaux étaient insuffisantes pour soutenir les efforts de la Première Internationale, qui cessa toute activité pratique au milieu des années 1870. Cependant en moins de deux décennies, la croissance extraordinairement rapide de l'industrie en Europe occidentale et en Amérique du Nord stimula le développement d'un nouveau prolétariat industriel et son mouvement vers une organisation politique indépendante. Au même moment, l'expansion du système colonial avait jeté des masses partout dans le monde dans le vortex du développement capitaliste international.

La fondation de la Deuxième Internationale en 1889 reflétait cette nouvelle étape dans le développement du capitalisme et la croissance en taille et en importance économique de la nouvelle classe ouvrière industrielle. Durant le quart de siècle suivant, le développement de la Deuxième Internationale était lié à l'expansion de l'industrie capitaliste. Tandis que ce processus était, par essence, international, la forme dominante de son expression était la croissance d'économies industrielles nationales puissantes et l'émergence de puissantes organisations ouvrières nationales. Sans doute, la deuxème internationale maintenait la perspective de la solidarité internationale ouvrière; mais le travail pratique de ses sections était profondément ancré dans les fondations de l'industrie nationale. Alors que la Deuxième Internationale entrait dans la seconde décennie du vingtième siècle, elle échoua à apprécier la mesure avec laquelle la menace grandissante du militarisme impérialiste reflétait l'érosion de la souveraineté des économies nationales sous la pression de l'économie mondiale.

L'éruption de la Première Guerre Mondiale, l'effondrement de la Deuxième Internationale, et l'émergence de la Troisième Internationale exprimaient ce changement fondamental. Comme l'a expliqué Trotsky,«le 4 août 1914, le glas sonnait pour les programmes nationaux pour toujours. Le parti révolutionnaire du prolétariat peut se baser seulement sur un programme international correspondant au caractère de la présente époque, l'époque du plus haut développement et de la chute du capitalisme. Un programme communiste international n'est en aucun cas l'addition de programmes nationaux ou un amalgame de leurs traits communs. Le programme international doit procéder directement d'une analyse des conditions et tendances de l'économie mondiale et du système politique en général dans toutes ses connections et contradictions, c'est-à-dire avec l'interdépendance mutuellement antagoniste de ses éléments séparés. Dans la présente époque, dans une beaucoup plus large mesure que dans le passé, l'orientation nationale du prolétariat doit et peut venir seulement d'une orientation mondiale et non vice versa. Ici repose la différence de base entre l'internationalisme communiste et toutes les variétés de socialisme national. (L'internationale communiste après Lénine)

Quand Trotsky écrivit ces mots en 1928, la conception que l'économie mondiale constituait la fondation sur laquelle la stratégie révolutionnaire devait être développée était déjà attaquée au sein de l'Internationale Communiste. Le programme stalinien du socialisme dans un seul pays était à l'antipode de l'internationalisme qui formait les bases stratégiques de la conquête du pouvoir par le parti bolchévique en octobre 1917. La conception stalinienne selon laquelle le développement de l'économie nationale soviétique serait le déterminant premier et décisif du succès du projet socialiste en URSS représentait un retour à la perspective nationaliste qui avait prévalu dans la Deuxième Internationale. Il vaut la peine de noter que la perspective de Staline trouvait une réponse dans les directions de beaucoup de sections de l'Internationale Communiste, qui partageaient sa conception que les conditions nationales immédiates rencontrées par la classe ouvrière dans chaque pays devaient former le point de départ réel de l'activité pratique.

Parmi ceux qui non seulement défendaient l'orientation nationaliste de Staline mais cherchaient aussi à la justifier théoriquement et politiquement figurait Antonio Gramsci. Sans doute, écrivait-il, la ligne de développement va vers l'internationalisme, mais le point de départ est national, et c'est à partir de ce point de départ que l'on doit commencer (Lettres de prison). À la lumière de l'histoire ultérieure du Parti Communiste italien, qui vint au secours de la bourgeoisie et du capitalisme italien après la chute du régime de Mussolini et se transforma en un parti national réformiste par excellence, les implications politiques des positions de Gramsci ont été rendues explicites. Il n'est pas surprenant que les staliniens italiens saluaient la mémoire de Gramsci, qui était mort dans les années 1930 à la suite des mauvais traitements infligés par les fascistes, et l'honoraient comme inspirateur théorique.

La Quatrième Internationale fut fondée par Trotsky en 1938 en réponse à la dégénérescence stalinienne de la Troisième Internationale. L'éruption de la Seconde Guerre mondiale impérialiste démontra de la manière la plus tragique la primauté de l'économie et de la politique mondiales. Cependant, paradoxalement, la restabilisation du capitalisme à la suite de la guerre, sur la base de Bretton Woods, conduisit à un renouveau du programme du réformisme national dans le mouvement ouvrier.

L'expansion renouvelée du commerce mondial, la croissance des P.I.B. des économies capitalistes nationales, et même l'extraordinaire amélioration des conditions de vie en Union Soviétique durant les années 50 et 60 procura aux partis réformistes nationaux, y compris aux organisations staliniennes, une nouvelle vie. Mais si impressionnante qu'ait été l'élévation de la croissance et même des conditions de vie durant cette période, celle-ci s'avéra être rien de moins qu'une sorte d'été indien prolongé du réformisme national. L'effondrement du système de Bretton Woods et la venue d'une crise économique durable caractérisée par des accès récurrents d'inflation, de récession, de chômage en hausse, de chute prolongée de la rentabilité, et le mouvement de la bourgeoisie, plus particulièrement aux États-Unis et en Grande-Bretagne en direction d'une contre-offensive contre la classe ouvrière, mena au complet échec du national réformisme en tant que politique viable.

Ce fut dans ces conditions, à l'été 1987, que le Comité International commença des préparatifs pour l'ébauche de nouvelles perspectives. Pour répondre à la question posée au début de cette discussion au quatrième plénum, le Comité International dirigea son attention sur l'étude des nouvelles formes de la production capitaliste mondiale qui avaient émergé à la fin des années 1970 et au début des années 1980, à la faveur des développements dans la technologie des ordinateurs et la disponibilité de moyens plus rapides et moins chers de communication et de transport. La création d'entreprises transnationales représentait une avancée qualitative dans l'intégration mondiale de la production et de la finance. Ce développement élevait à un niveau de tension sans précédent la contradiction entre l'économie mondiale et le système des états- nations au sein duquel le capitalisme s'est historiquement développé et qui reste l'unité de base de l'organisation politique.

Une solution révolutionnaire à cette crise pouvait être trouvée uniquement sur la base de l'internationalisme socialiste, c'est-à-dire, par l'unification politique et pratique de la classe ouvrière internationale. Aucun des partis et organisations existants de la classe ouvrière basés sur une orientation nationale, qu'il soit stalinien, social-démocrate ou réformiste, ne pouvait résoudre la crise. En effet, les séries ininterrompues de défaites qu'ils avaient subies dans la période récente découlaient inévitablement de la totale impotence de leur orientation nationaliste en face des nouvelles formes de l'organisation internationale du capital. Seul le programme international du Comité International correspondait au défi posé à la classe ouvrière par l'intégration mondiale du capitalisme.

Fin de la deuxième partie







 

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