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Le marxisme, le Comité International, et la science des perspectives: une analyse historique de la crise de l'impérialisme américain

Troisième partie

Par David North
(Article original paru le 13 janvier 2005)

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Les 8 et 9 janvier derniers, le Socialist Equality Party (SEP) [Parti de l'égalité socialiste, États-Unis] a tenu une réunion nationale de ses membres à Ann Arbor dans le Michigan. Le rapport d'ouverture a été donné par David North, secrétaire national du SEP et président du comité de rédaction du World Socialist Web Site. Le rapport sera publié en trois parties. Voici la troisième partie.[Première et deuxième partie]

Dans sa résolution sur les perspectives adoptée en août 1988, le Comité International de la Quatrième Internationale a identifié les éléments critiques suivants qui menaient à une crise révolutionnaire:

1) L'intégration historiquement sans précédent du marché mondial et l'intégration mondiale du processus de production dont l'entreprise transnationale est l'expression institutionnelle. Ce processus global intensifiait la contradiction fondamentale entre l'économie mondiale et le système des États-nations.

2) La perte par les États-Unis de leur hégémonie économique mondiale. C'était un changement historique qui trouvait son expression critique dans la transformation des États-Unis d'un pays créditeur en un pays débiteur. Le déclin économique abrupt des États-Unis était la cause fondamentale de la détérioration des conditions de vie de larges sections de la classe ouvrière.

3) L'intensification des conflits inter-impérialistes, le Japon et l'Europe défiant directement la position des États-Unis sur le marché mondial.

4) L'expansion rapide des économies de l'Asie pacifique, qui avait conduit à la formation de détachements totalement nouveaux du prolétariat industriel. Des tendances similaires étaient en cours en Afrique et en Amérique Latine. Considéré d'un point de vue mondial, cela signifiait un énorme renforcement du pouvoir potentiel économique et social de la classe ouvrière.

5) L'appauvrissement continu de beaucoup de pays du tiers-monde et l'échec total de la myriade de stratégies de développement des bourgeoisies nationales dans ces pays.

6) La déstabilisation de l'ordre politique de l'après Seconde Guerre Mondiale qui découlait de l'orientation prise par les bureaucraties staliniennes nationales en URSS et en Europe de l'Est vers la mise en place des politiques de restauration capitaliste.

Presque 17 ans se sont écoulés depuis la publication de cette analyse. L'élaboration d'une nouvelle perspective mondiale exige que soit faite une évaluation des perspectives de 1988. Il doit être dit avant tout qu'une perspective n'est pas un billet à ordre. C'est un pronostic, et, comme Trotsky le nota, plus le pronostic est concret, plus il est conditionnel.

Comme dit le dicton, il est difficile de faire des prédictions, spécialement concernant le futur ! Ceux qui veulent que le futur soit prédit avec une exactitude infaillible doivent aller voir l'oracle le plus proche.

Ayant fait cet avertissement, je crois que l'analyse de 1988 a parfaitement résisté. Je souhaite commencer par le dernier des éléments essentiels de la crise mondiale qui furent identifiés par le CIQI en 1988 : les conséquences déstabilisantes et révolutionnaires de l'orientation des bureaucraties staliniennes vers les politiques pro-marché. Permettez-moi de souligner que les avertissements faits dans la résolution sur les perspectives de 1988 (et dans d'autres documents de cette période) que les politiques entreprises par Gorbachev sous la bannière de la glasnost et la perestroika représentaient un changement fondamental dans les politiques contre-révolutionnaires du stalinisme, étaient en complet contraste avec le support enthousiaste que le dernier dirigeant soviétique recevait des théoriciens pablistes.

Ernest Mandel, qui avait été en 1953 le plus proche collaborateur de Michel Pablo et devint le principal théoricien du mouvement révisionniste, salua Gorbachev comme le plus grand homme politique du monde, et dénonça comme absurde l'affirmation que sa politique aboutissait à la restauration du capitalisme. Le protégé de Mandel, Tariq Ali, alla même jusqu'à consacrer un livre à Boris Yelstin. La myopie des révisionnistes peut être, sans doute, au moins quelque peu excusé en notant que la bourgeoisie internationale fut tout sauf clairvoyante. Ils devaient par la suite tous confesser qu'ils avaient été pris totalement par surprise par le soudain effondrement des régimes staliniens en Europe de l'Est et en URSS.

Reprenant l'analyse faite par le CIQI de la crise des régimes staliniens, il peut être avancé sans crainte de réfutation qu'elle anticipa les bouleversements de 1989-1991, qui comprennent la rébellion massive des étudiants et des travailleurs en Chine qui aboutit au massacre de la place Tiananmen. Ce qui ne pouvait être prédit c'était le résultat politique immédiat de la crise des régimes staliniens. Au cours de cette crise, il devint clair que des décennies de répression stalinienne, dirigée surtout contre les tendances socialistes dans la classe ouvrière et l'intelligentsia, avaient laissé de profondes cicatrices dans la conscience des masses. Peu demeurait de la perspective socialiste qui avait autrefois inspiré de larges sections de la classe ouvrière. Avec l'encouragement des bureaucraties, les protestations de masse en Europe de l'Est puis en URSS étaient canalisées sur des voies pro-capitalistes. Ainsi, le résultat initial des rebellions anti-staliniennes fut l'établissement de régimes restaurationnistes.

Mais cela n'invalide pas la perspective qui avait été avancée par le CIQI, spécialement quand on considère les plus larges ramifications historiques des événements de 1989 à 1991. Qu'est-ce-qui, en dernière analyse, conduisit à la soudaine dissolution des régimes staliniens en Europe de l'Est et en URSS ? Paradoxalement, ces régimes se révélaient être les plus mal adaptés à l'impact des tendances mêmes que le Comité International avait identifiées dans son analyse de la crise de l'économie mondiale, principalement l'accélération de la mondialisation de l'économie. Ce n'était pas l'état arriéré des économies de Europe de l'Est et de URSS, mais plutôt leur complexité croissante, qui rendait le cadre de l'autarcie nationale de plus en plus impraticable. Ainsi plus ces économies cherchaient, sous la pression de la nécessité, à gagner l'accès aux ressources du marché mondial, en augmentant le commerce, en encourageant les investissements internationaux et la quête de crédit, plus elles exposaient leurs entreprises nationalisées artificiellement protégées à la merci des pressions de l'économie mondiale pour lesquelles elles n'étaient pas du tout préparées.

La réaction première de la classe ouvrière soviétique aux politiques pro-marché de Gorbachev a été une série de grèves hautement militantes, particulièrement celle des mineurs. De pus en plus inquiète d'un mouvement vers la gauche de la classe ouvrière, les bureaucraties staliniennes firent tout ce qu'elles purent pour assurer que la chute de leurs régimes décrépits place le pouvoir dans les mains des éléments pro-capitalistes. Et en tout cela elles réussirent. Mais le résultat politique des bouleversements n'altère pas le fait que leur origine économique repose dans les processus économiques explosifs mis en branle par la mondialisation.

La question de la forme politique n'est pas insignifiante. Nous ne sommes pas indifférents aux conséquences politiques de l'effondrement des régimes staliniens. La restauration du capitalisme en Europe de l'Est, dans l'ancienne URSS et en Chine a eu un impact colossal sur le développement de la politique mondiale, et nous devons ajouter, sur l'économie mondiale dans les années 1990 et la première décennie du XXIème siècle. Pour apprécier l'ampleur des conséquences de la restauration du capitalisme, nous devons seulement nous poser la question de savoir à quoi ressemblerait le monde aujourd'hui si les événements en Europe de l'Est, en URSS, et en Chine avaient abouti à des révolutions politiques ayant mis au pouvoir des régimes ouvriers démocratiques et socialistes. Au moins je doute beaucoup que nous aurions assisté à l'exubérance spéculative qui alimenta le marché des actions à Wall Street et ailleurs durant les années 1990. Il n'y aucun doute que l'effondrement de l'URSS augmenta, au moins temporairement, la confiance de la bourgeoisie américaine et internationale. Surtout que pour les États-Unis, la disparition de l'Union Soviétique ouvrait de nouvelles et vastes possibilités pour l'exercice de sa puissance militaire.

Mais si nous considérons l'état du capitalisme mondial et la position des États-Unis dans le cadre des autres éléments de la crise internationale identifiés dans le document de 1988, et à l'intérieur du contexte encore plus large de la situation de l'après Bretton Woods prise dans son ensemble, une image plus réaliste émerge. Tous les éléments de crise que le CIQI a indiqués en 1988 persistent en 2005. À vrai dire, ils ont augmenté en intensité.

D'un point de vue historique, la chute de l'URSS ne guérit pas les maladies internes profondes du système capitaliste mondial et ne crée pas de nouvelles perspectives pour un développement progressiste. Elle ouvre plutôt de nouvelles zones pour l'expansion de sa malignité fatale. Loin de voir une diminution des répercussions de la dissolution de l'URSS, les 15 dernières années ont vu une énorme intensification de la contradiction entre les processus irrésistibles de la mondialisation économique et les impératifs du système archaïque des États-nations. Quant aux conflits historiques entre les grandes puissances impérialistes, ils ont été exacerbés par la chute de l'URSS, dont l'existence avait été un des facteurs qui, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, avait freiné la tendance au conflit entre les états capitalistes. Les 15 dernières années ont également vu la croissance en taille et en pouvoir de la classe ouvrière de l'Asie.

Le document de 1988 mettait l'accent sur le déclin économique des États-Unis et les pertes qui s'ensuivaient en ce qui concerne sa position hégémonique. Ce processus n'a pas été renversé durant les 17 dernières années, sans tenir compte de la tentative des États-Unis de parvenir à un tel renversement au moyen de la force militaire. En effet, son recours de plus en plus téméraire à la violence pour réaliser ses objectifs mondiaux reflète non seulement le déclin de la puissance économique, mais aussi la profonde désorientation, de l'élite dirigeante américaine avide d'argent.

Je me référais plus haut à l'effondrement du système de Bretton Woods. Cela, expliquais-je, fut un point crucial dans le destin du capitalisme d'après guerre. La fin d'un système basé sur une convertibilité or-dollar révélait les limites du pouvoir économique mondial du capitalisme américain et enclenchait un processus prolongé de déclin économique. Une étude de la position économique actuelle du capitalisme américain, qui se concentre sur la taille des déficits et de l'endettement américains plutôt que sur la force de frappe de son arsenal militaire, indique clairement que nous sommes maintenant à une étape très avancée de la crise qui s'ouvrit avec la chute du système de Bretton Woods en août 1971.

Les indices économiques objectifs du déclin des États-Unis

Durant l'année passée, une inquiétude croissante s'est exprimée dans les cercles financiers internationaux à propos de l'état de l'économie américaine, en particulier, la taille énorme de ses déficits au niveau des investissements nets internationaux et des comptes courants, et l'impact de ces déficits sur la valeur du dollar américain. Le sérieux de ces inquiétudes soulevé par ces déficits et le déclin du dollar reflètent l'admission qu'il ne s'agit pas simplement de problèmes américains. Ce sont des problèmes mondiaux.

Même après presque 35 ans, la bourgeoisie mondiale n'a pas été capable de trouver une alternative stable à Bretton Woods. Le système de change flottant n'a jamais été plus qu'une série d'arrangements ad hoc, toujours vulnérables aux graves turbulences du marché monétaire mondial. Avant 1971, le dollar américain garantissait une stabilité financière mondiale. Depuis lors, il a été le principal instrument de l'instabilité financière mondiale. Cette dangereuse situation découle du fait que le dollar reste, malgré les perpétuelles fluctuations de sa valeur sur les marchés monétaires mondiaux, la principale monnaie de réserve mondiale. Relativement à ce fait, plusieurs observations doivent être faites.

D'abord, la signification ultime des désordres monétaires est qu'ils expriment les déséquilibres fondamentaux à l'intérieur d'une économie mondiale qui est fracturée par la persistance des états nationaux. L'organisation économique rationnelle de l'économie mondiale serait largement stimulée par une monnaie mondiale unique, universellement reconnue et stable. Cela fut reconnu dès les années 1940 par les plus perspicaces représentants de la bourgeoisie. Franklin Delano Roosevelt caressa l'idée de proposer l'établissement d'une monnaie mondiale, qu'il proposait d'appeler unitas, et interrogea son conseiller économique le plus socialisant, Harry Dexter White, pour élaborer des plans pour sa réalisation. Mais Roosevelt, toujours réaliste, compris que cette expression particulière de son penchant à l'altruisme social n'était pas compatible avec les intérêts du capitalisme américain. La proposition ne vit jamais le jour. Significativement, au même moment, l'économiste britannique John Maynard Keynes était en train de développer son propre projet de monnaie mondiale, qu'il appelait bancor. Mais sans soutien américain, ce fut ce que les Britanniques appellent un non starter ou projet mort-né. Sous le capitalisme, la monnaie nationale fonctionne comme émissaire de la bourgeoisie de l'État dont elle est issue. Toute correspondance entre la politique monétaire nationale exprimée par cette monnaie et le plus grand bien de l'économie mondiale est certainement bienvenue, mais en dernière analyse, n'est pas garantie.

Deuxièmement, les États-Unis ont réalisé et continuent de tirer un énorme avantage économique de la position privilégiée du dollar depuis 1947 en tant que principale unité de réserve mondiale. Dans la mesure où le dollar est utilisé comme l'instrument des transactions financières internationales, et est donc volontairement accumulé par les banques centrales partout dans le monde, les États-Unis sont libérés des contraintes financières et budgétaires qui sont imposées à tous les autres pays. Il leur est permis de laisser filer les déficits des comptes courants bien au-delà de ce qui serait considéré comme tolérable par tout autre pays. Cependant, même pour les États-Unis, il arrive un moment où la taille du déficit devient une source de problèmes et même d'inquiétudes. Un billion de dettes ici et un autre là, et soudainement, on parle de vrai argent. Alors les banquiers centraux commencent à transpirer et à passer des nuits sans sommeil à s'inquiéter de la valeur des dollars accumulés dans leurs coffres.

Troisièmement, la crise actuelle du dollar vient à un moment où la souveraineté monétaire mondiale du dollar rencontre un défi historiquement inédit, sous la forme de l'euro. Robert Mundel, prix Nobel d'économie, écrivait récemment que les deux plus importants événements de l'économie mondiale pendant la seconde moitié du siècle était, d'abord, la disparition du système de Bretton Woods en 1971, et, ensuite, le lancement de l'euro. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il existe une monnaie qui est en passe d'être reconnue comme une alternative au dollar en tant qu'unité de réserve mondiale. Déjà, un pourcentage substantiel et grandissant des transactions financières internationales est libellé en euros. Cela augmente la pression financière sur les États-Unis.

Tandis que des maniaques de droite se gorgeant d'illusions tel l'éditorialiste Charles Krauthammer saluent l'émergence d'un monde unipolaire, dominé par les États-Unis, les marchés financiers mondiaux sont devenus, plus nettement, bipolaires. Et si un autre stratège de l'hégémonie américaine, Walter Russell Meade, rejette avec mépris les objections européennes à la guerre en Irak, prédit que les États-Unis régleront le sort des Français obstructionnistes en temps utile, et observe de manière sardonique que «la revanche est un plat qui se mange froid», il oublie de mentionner que les États-Unis peuvent être obligés de payer pour les ingrédients de ce plat en euros.

L'éruption du militarisme américain est profondément liée à ces tendances économiques défavorables. Par l'usage de la force militaire, les États-Unis espèrent gagner un avantage géostratégique qu'ils pourront utiliser pour compenser, sinon renverser, le déclin de leur influence économique. Cependant, le coût de maintenance d'un arsenal militaire massif et le financement des opérations militaires mondiales exacerbent le problème financier sous-jacent. Les déficits budgétaires massifs contribuent à une détérioration du déficit des comptes courants, à la faiblesse continue du dollar, et à l'augmentation de l'attrait de l'euro comme alternative. Pendant les 3 dernières années, le taux de change du dollar vis-à-vis de l'euro a décliné approximativement de 35 pour cent. Ainsi, les États-Unis sont prisonniers d'un dilemme politique dont les ils ne peuvent trouver de sorties rationnelles.

Quant à l'euro, il doit être dit que son attrait est d'un caractère relatif plus qu'absolu. Il a belle allure seulement comparé à son vilain grand frère. Le projet d'unité européenne, dont l'euro est le produit, est déchiré de contradictions internationales.

Tournons-nous vers les chiffres. Le déficit commercial des États-Unis s'élevait à 420 milliards de dollars en 2002. Il dépassait 500 milliards de dollars en 2004. Il est prévu que le déficit sera près de 600 milliards en 2005. La position internationale nette des investissements des États-Unis (NIIP), le stock total des créances étrangères accumulées sur les États-Unis (moins les dettes et les participations) moins le stock des créances américaines sur le reste du monde, s'est élevée de -360 milliards de dollar en 1997 à -2,65 trillions en 2003. Nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs, mais il est prévu que la NIIP sera aux alentours de-3,3 billions de dollars en 2004. Ce chiffre représente 24 pour cent du produit intérieur brut (P.I.B.) des États-Unis. Il faut garder à l'esprit que la NIIP des États-Unis était positive jusqu'en 1989. Dès 1995, la position internationale nette des investissements était seulement de -306 milliards de dollars. Mais à la fin de 1999 elle atteint -1 billion. Il est prévu que l'hémorragie se poursuivra. Les États-Unis continueront à creuser d'énormes déficits des comptes courants, ce qui a exigé l'emprunt de 665 milliards de dollars en 2004. Personne, à l'exception possible de Bush et de son entourage immédiat, ne croit que cette situation peut continuer.

Le déficit des comptes courants est aggravé par l'augmentation stupéfiante du déficit fédéral. Permettez-moi de citer un article co-signé par le Secrétaire au trésor Robert Rubin et les éminents économistes Allen Sinai et Peter Orszag :

«Le budget fédéral des États-Unis est sur un chemin insoutenable. En l'absence de changements politiques importants, il est prévu que les déficits fédéraux s'éleveront à un total d'environ 5 billions de dollar pendant la prochaine décennie. De tels déficits augmentent significativement la part de la dette gouvernementale dans le P.I.B. Les dépenses du Medicare [assurance-maladie], les déficits et l'endettement du gouvernement vont croître plus fortement. L'échelle des déséquilibres budgétaires nationaux anticipés est maintenant si grande que le risque de conséquences très néfastes doit être pris très au sérieux, même s'il est impossible de prévoir quand de telles conséquences surviendront.

Une perte de confiance des investisseurs locaux et étrangers [découlant de ces déficits] pourrait vider les portefeuilles des valeurs libellées en dollars et pousser à la hausse les taux d'intérêts locaux. Ces mêmes forces pourraient amener des investisseurs et des hommes d'affaires à réduire l'usage du dollar comme première monnaie mondiale dans les transactions internationales. Cela, à son tour, pourrait limiter la capacité à financer les déficits des comptes courants par des dettes libellées en dollars et ainsi exposer davantage la nation à des changements substantiels du taux de change.

L'augmentation des taux d'intérêts, la dépréciation du dollar, et le déclin de la confiance des investisseurs dans ce type de scénario réduiraient presque sûrement les prix des actions et la richesse des ménages, et augmenteraient les coûts de financement des affaires. Ces effets pourraient alors s'étendre des marchés financiers à l'économie réelle.»

Une étude publiée par le congressionnal Budget Office (CBO), citée par Rubin, Sinai et Orszag dans leur rapport, présentait le scénario de Jugement Dernier suivant :

«Les investisseurs étrangers pourraient arrêter d'investir dans des valeurs américaines, la valeur d'échange du dollar pourrait plonger, les taux d'intérêts pourraient grimper, les prix pourraient monter en flèche, ou l'économie pourrait se contracter nettement. Avec le déclin des profits anticipés et la hausse des taux d'intérêt, les marchés boursiers pourraient chuter et les consommateurs pourraient soudainement réduire leur consommation. En outre, les problèmes économiques des États-Unis pourraient s'étendre au reste du monde et affaiblir sérieusement les économies des partenaires commerciaux des États-Unis.

Une politique de plus haute inflation pourrait réduire la valeur réelle des dettes du gouvernement, mais l'inflation n'est pas une stratégie praticable à long terme face à des déficits budgétaires persistants. Si le gouvernement continuait à imprimer de la monnaie pour financer le déficit, la situation pourrait conduire finalement à l'hyperinflation (comme cela se produisit en Allemagne dans les années 1920, en Hongrie dans les années 1940, en Argentine dans les années 1980, et en Yougoslavie dans les années 1990). Une fois qu'un gouvernement perd sa crédibilité sur les marchés financiers, il devient difficile de la regagner.»

En présentant ces chiffres et en citant les opinions des experts, il n'est pas dans notre intention d'affirmer que toutes les possibilités suggérées dans ces citations doivent prendre la forme indiquée dans le rapport du CBO. On doit supposer, même si tout laisse penser le contraire, qu'il existe d'influentes sections de l'élite dirigeante qui ne souhaitent pas suivre l'administration Bush alors que celle-ci s'approche aveuglément de l'abîme. Avant que les déficits des comptes courants n'atteignent 50 ou 75 pour cent du P.I.B., et que la valeur du dollar décline de 30 à 40 pour cent en plus des 35 pour cent qu'il a perdus dans les 3 dernières années, certaines sections puissantes de la bourgeoisie interviendront pour demander un changement du cours des choses. Mais quelles sont les options disponibles? Il importe peu de savoir quelles politiques seront proposées, toutes entraînent de sérieuses conséquences. En outre, toute politique de rechange, sans parler d'une poursuite de la situation actuelle, doit conduire à des attaques plus grandes sur les conditions de vie et les conditions sociales de la classe ouvrière américaine.

Il ne faut jamais oublier que le processus historique sous-jacent dont ces chiffres sont une expression est le déclin continu du capitalisme américain. Le sort du dollar est inextricablement lié à la capacité productive et à la position mondiale de l'industrie américaine. Le répugnant enrichissement de l'élite dirigeante, et c'est ce qui la rend si particulièrement répugnant, est que le mécanisme pour faire de l'argent est devenu de plus en plus indépendant de la capacité productive réelle de l'industrie américaine. Les capitaux américains parcourent le monde à la recherche de sources de main-d'uvre et de matières premières bon marché alors que la base manufacturière se détériore et que les conditions de vie de larges sections de la classe ouvrière stagnent ou empirent.

Quel est donc notre pronostic politique? La classe dirigeante américaine ne peut se sortir de cette crise par des mesures pacifiques, et cela s'applique non seulement à sa politique extérieure mais aussi à sa politique intérieure. Au-delà des frontières des États-Unis, les actions de l'impérialisme américain deviendront même plus téméraires et brutales. Le fait extraordinaire que le gouvernement des États-Unis a proclamé sans vergogne que la guerre est un moyen acceptable et approprié pour atteindre ses objectifs géostratégiques peut seulement être compris comme une expression de la conscience aiguë qu'il n'y pas d'autre voie pour les États-Unis pour compenser la perte de l'hégémonie dont elle a bénéficié dans les décennies qui suivirent la fin de la seconde guerre mondiale.

Si l'Amérique doit maintenir sa position en tant en tant que puissance impérialiste dominante, elle doit sécuriser ses accès aux ressources en pétrole et en gaz naturel au Moyen-Orient et en Asie. Elle doit en outre être en position d'avoir le dernier mot sur la manière dont ces ressources critiques doivent être allouées aux autres grandes puissances, ce qui comprend non seulement l'Europe et le Japon mais aussi la Chine et l'Inde. Et finalement, il faut que le prix du pétrole soit libellé en dollars, non en euros.

Mais l'agenda sanglant de l'impérialisme américain exige la réorientation des ressources financières critiques du secteur social de l'économie vers le secteur militaire de l'économie. Cela ne peut être réalisé sans une sérieuse exacerbation des tensions sociales déjà importantes qui existent aux États-Unis. Que peut faire l'administration Bush? Il n'y a pas de réponse bonne et facile. Mutatis mutandis, prenant en considération les évidentes différences, la situation à laquelle l'administration Bush est confrontée alors qu'elle entre dans sa quatrième année de sa guerre autoproclamée et feinte contre la terreur est sinistrement similaire à celle à laquelle les nazis furent confrontés à la fin des années 1930, à la veille de la Seconde guerre Mondiale. Comme expliquait l'historien Tim Mason (Le nazisme, le fascisme et la classe ouvrière, Cambridge, GB, 1995) :

«Du point de vue des nazis, il ne semblait pas y avoir de problèmes économiques et sociaux en 1938/1939 pour lesquels des solutions sans équivoques n'étaient disponibles. La préparation forcée à la guerre dès 1938 avait mis à l'épreuve la capacité et les réserves de chaque côté. Des difficultés se confondaient en une crise totale du système économique et gouvernemental; au coeur de cela reposait la question de la manière par laquelle le produit social devait être divisé entre les besoins civils et militaires. En d'autre mots, le gouvernement était face au problème politique aigu de déterminer quel sacrifice il pouvait demander au peuple à cause du réarmement et de la guerre.»

Si cela fut un problème dans un pays où la bourgeoisie était déjà parvenue à amener au pouvoir la plus brutale et la plus impitoyable dictature que le monde n'avait jamais vue, le dilemme politique auquel l'administration Bush est confrontée est même plus accentué. Une large opposition populaire existe déjà à l'administration Bush. Le fait même qu'elle ne peut trouver aucun moyen d'expression au sein des structures politiques existantes communique à cette opposition sociale latente un caractère exceptionnellement explosif.

La tache du Parti de l'Egalité Socialiste doit être de se baser sur la logique de la crise économique mondiale, d'anticiper un renouveau de la lutte sociale aux États-Unis et de s'orienter vers la force révolutionnaire de la société américaine, la classe ouvrière. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec l'histoire des luttes sociales aux États-Unis, de la fin des années 1870 à la fin des années 1980, qui ont grandi et atteint leur maturité dans un environnement social où grèves, batailles avec la police, manifestations de masse et autres formes typiques de la lutte des classes traditionnellement pratiquée aux États-Unis pendant plus d'un siècle, étaient pratiquement inexistantes, il peut sembler utopique et même bizarre d'insister sur le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Mais l'expérience historique démontre que la tranquillité, ou pour utiliser des mots plus appropriés, la torpeur et la stagnation des 15 dernières années, ne suivent pas le modèle de base de l'histoire sociale américaine.

Si l'on étudie les indices les plus fondamentaux de la lutte des classes aux États-Unis, le nombre de grèves par exemple, on est immédiatement frappé par la disparition virtuelle des actions organisées de masse des travailleurs pendant les deux dernières décennies. Le nombre de travailleurs engagés dans les arrêts de travail, le nombre de jours de travail perdus et indice plus important, le pourcentage total du temps de travail perdu à cause de grèves, sont tombés au point d'être pratiquement insignifiants. Ces chiffres sont totalement atypiques du modèle général des rapports sociaux telles qu'ils ont évolué aux États-Unis entre les années 1870 et les années 1980.

Quelle explication doit être donnée à cet étonnant déclin des indices objectifs les plus fondamentaux du conflit social en Amérique? Soit que la classe ouvrière américaine est devenue complètement indifférente au déclin de sa position sociale, et la croissance énorme de l'inégalité sociale pendant les deux dernières décennies s'est réalisée sans contribuer en aucun cas aux tensions sociales et aux fissures de la société américaine; ou bien que la structure politique existante et les formes d'organisation traditionnelles par lesquelles les travailleurs expriment leur mécontentement social fonctionnent pour supprimer toute manifestation de la colère populaire. Cette dernière affirmation est de loin la plus plausible. C'est aussi l'explication correcte.

L'émergence de la classe ouvrière comme force politique indépendante et révolutionnaire n'est pas seulement une question d'organisation, mais de conscience sociale, de perspective politique et de perception théorique des lois de l'histoire et du mode de production capitaliste. Pendant les décennies au cours desquelles il a joui d'une influence substantielle aux États-Unis, le mouvement ouvrier officiel s'est consacré à extirper toute trace de ces éléments intellectuels essentiels de la conscience de classe. De plus, son provincialisme national, combiné à la dévotion servile au parti démocrate, a rendu impossible toute réponse efficace à l'offensive capitaliste des années 1980 et aux nouvelles conditions économiques créées par la mondialisation capitaliste.

Un réveil des intenses conflits sociaux et de classe aux États-Unis et dans le monde est inévitable. Notre tache maintenant est de se préparer à l'inévitable renouveau de la lutte des classes à l'échelle mondiale en élaborant la perspective et le programme internationaux sur lesquels la classe ouvrière doit baser ses luttes, en travaillant énergiquement à étendre l'influence du World Socialist Web Site, en introduisant une nouvelle génération de jeunes, d'étudiants et de travailleurs au socialisme et en les formant comme marxistes sur la base de l'histoire incomparable du Comité International de la Quatrième Internationale.

Fin




 

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