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WSWS : Histoire et culture

Au Globe Theater de Londres

A New World : La vie de Thomas Paine, une pièce de Trevor Griffiths

Par Ann Talbot
15 décembre 2009

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A New World : A Life of Thomas Paine, de Trevor Griffiths, met en scène une personnalité du XVIIIe siècle qui a contribué significativement aux révolutions américaines et françaises, et dont les écrits ont continué à influencer les mouvements révolutionnaires depuis lors. La pièce de Griffiths fera découvrir Thomas Paine à des milliers de gens. Cet homme avait écrit Rights of Man pour défendre la Révolution française et Common Sense, dont un extrait, The American Crisis, a été lu aux troupes de Washington à la veille de la bataille de Trenton qui marqua un tournant de la Guerre d'indépendance.

Alix Riemer dans le rôle de Carnet et John Light dans celui de Thomas Paine dans A New World : A Life of Thomas Paine (Photo : John Haynes)

La pièce suit Paine sur une période de 30 ans, Griffiths nous emmène de son émigration vers les États-Unis en 1774 à sa mort en 1809. C'est une longue période pour une soirée et elle recouvre des événements qui ont défini une nouvelle époque, mais Griffiths tisse adroitement la trame de la pièce qui mêle la biographie à l'histoire, stimulant à la fois l'intelligence et les émotions de son public. Cette pièce prend son sujet et son public au sérieux.

Paine est souvent décrit comme l'« Anglais oublié », mais il était également citoyen des États-Unis et de France, il serait plus juste de le considérer comme un citoyen du monde. Certains sont oubliés parce que leurs idées ont perdu de l'importance ou que leur célébrité était un trait superficiel d'une période déterminée, mais les idées de Paine n'ont pas sombré dans un oubli qui serait naturel et mérité. Son passage sous silence est un phénomène bien plus délibéré qui indique parfaitement à quel point Paine est un personnage qui divise toujours, à une période où la plupart des inégalités sociales et des méthodes d'oppression qu'il décrivait existent toujours, parfois sous une forme différente.

Paine naquit à Thetford, dans le Norfolk, en 1737. Il quitta l'école à 12 ans pour devenir apprenti corsetier puis il travailla pour le fisc à Lewes, dans le Sussex. Lorsqu'il embarqua pour l'Amérique, il était ruiné, n'avait aucune promesse d'emploi et apparemment aucun projet. Ce qui fit de cet homme sans-le-sou le Thomas Paine que nous connaissons, ce fut la crise révolutionnaire qui atteignait son pic lorsqu'il débarquait. C'est à ce moment-là que Thomas Paine entra dans l'histoire et, comme nous le montre Griffiths, c'est aussi le moment où il acquit son nom, un imprimeur lui ajoutant un e dans son premier article publié.

Les imprimeries sont très présentes dans A New World. Il y a celle du Pennsylvannia Magasine, puis on voit Paine dans l'imprimerie parisienne du journal révolutionnaire La Bouche de Fer. Ce ne sont pas simplement des décors ; elles font partie du personnage de Paine. En arrivant en Pennsylvanie, c'est un travailleur, suffisamment confiant dans ses capacités à se trouver un emploi dans ce nouveau Monde. À Paris, on voit les efforts physiques que demande la publication d'un journal trois fois par semaine dans l'épuisement physique des révolutionnaires dormants à côté de leur presse. Griffiths nous fait sentir l'importance des journaux, pamphlets et magazines pour ces premières révolutions modernes ainsi que du rôle joué par Paine comme auteur donnant la parole à des couches sociales qui étaient normalement exclues de la vie politique.

La pièce de Griffiths est une adaptation d'un scénario qu'il a écrit pour Richard Attenborough, lequel avait longtemps voulu filmer la vie de Paine. Griffiths l'avait publié sous le titre These are the Times : a Life of Thomas Paine en 2005 lorsqu'il lui semblait que le film ne serait jamais réalisé. Depuis lors, il  a été adapté en une pièce pour la radio à la BBC, et maintenant pour la scène. Les changements que Griffiths a faits pour la scène sont bien plus importants que pour la radio. Notamment, et ce n'est pas le moindre, il a dû retrancher une heure et demie de texte. Et pourtant, Paine l'écrivain émerge de ce processus en plus haute définition. Dans le scénario, Paine a en permanence un crayon dans la poche de son veston pour indiquer sa profession. Dans la pièce, la présence physiquement imposante de la presse sur scène reprend ce rôle.

Pour un homme qui a passé tant de temps au cœur d'une activité souvent frénétique, il y a une certaine solitude, un isolement, autour de Paine. C'est en partie le résultat de données historiques fragmentaires et fortement biaisées, mais probablement aussi l'expression d'un des aspects de la personnalité de Paine en tant qu'auteur. Il y a des moments où l'auteur Paine et l'auteur Griffiths semblent se refléter l'un dans l'autre. Tous les écrivains doivent inévitablement se servir d'eux-mêmes, de leur propre expérience, comme fondement des personnages qu'ils créent, mais le portrait de Paine que réalise Griffiths prend la tournure d'un examen en profondeur de la relation entre l'écrivain et, ce qui est également le thème dominant des travaux de Griffiths, la révolution.

John Light dans le rôle de Thomas Paine fait passer cette passion contenue avec grand talent. Il révèle beaucoup sur les sentiments intérieurs de son personnage et ses interactions avec le personnage de l'enfant Lotte, jouée par Julia Reinstein, ainsi que Will (Daniel Anthony), et les trois femmes qui ont compté dans la vie de Paine, Philly (Jade Williams), Marthe (Laura Rogers) et Carnet jouée par Alix Riemer.

Avec les enfants, l'innocence presque enfantine du personnage de Paine arrive à la surface. Leur curiosité de tout est la sienne. Will, un jeune esclave, accompagne Paine dans les rues de Philadelphie comme un jeune égal portant son globe d'un quartier à l'autre.

À l'un des moments les plus poignants de la pièce, Paine revient à Philadelphie et découvre que Will a été pendu par les Britanniques. L'effet dramatique est d'autant plus intense que cela se déroule parmi les spectateurs debout dans l'enceinte du théâtre. Le Globe est une reconstruction du Globe de Shakespeare et il semble avoir donné à Griffiths des possibilités d'adaptation du scénario à la scène qu'un théâtre moderne plus conventionnel n'aurait pu lui apporter. Les acteurs se frayent un chemin à travers les spectateurs comme si ces derniers faisaient partie de la scène.

Les personnages féminins ont tous leur propre histoire. Griffiths a créé trois femmes entières, dont les luttes dépeignent durement les effets de la société de classes sur ceux qu'elle opprime. Paine considère chacune d'elles comme une égale et chacune y répond à sa manière. Philly, la prostituée maltraitée, lui sauve la vie quand il est débarqué du navire à Philadelphie, malade et fiévreux. Marthe imprime des exemplaires de Common Sense, mais ne peut accepter une relation qui ne soit pas validée par la société. Des trois, seule Carnet peut répondre librement à Paine. La représentation qu'en donne Riemer illumine la scène.

L'une des meilleures scènes voit le révolutionnaire français Danton, joué d'une manière très vivante par James Garnon, faire un discours au Club des cordeliers – en français – pendant que Carnet, légèrement déguisée en homme, en fait la traduction simultanée pour Paine. Cette scène transmet en quelques secondes le caractère fondamental d'une révolution. Ce qu'un film aurait dépeint à grands renforts de scènes de foule, Griffiths et le metteur en scène Dominic Dromgoole l'ont montré avec une bien plus grande sobriété.


Trevor Griffiths (Photo : Jo Clauweart)

L'habileté de Griffiths à créer des personnages ancrés dans l'histoire de cette période, tout en étant psychologiquement crédibles et émouvants pour un public moderne, est d'une importance cruciale dans la réussite de cette pièce. Il est capable d'emmener le public dans les complexités de cette période sans être didactique parce que les questions qui se posent alors sont des questions que se posent les personnages eux-mêmes. Paine et Jefferson (Jamie Parker) discutent de la rédaction de la déclaration d'indépendance devant des enfants qui se chamaillent. Paine et Danton discutent de la nature de la révolution pendant que ce grand orateur s'habille et se met du Kohl sur les yeux pour donner plus d'effet au discours qu'il va faire. On sent que ces personnages appréhendent ces grandes questions de l'histoire moderne pour la première fois. Avec Griffiths, l'Histoire n'est pas quelque chose qui s'est passé et au sujet de laquelle il va nous faire une conférence. C'est quelque chose qui se déroule sous nos yeux chaque soir au Globe.

Ce qu'il a accompli en adaptant pour la scène une œuvre écrite pour un médium hautement naturaliste (le cinéma) est considérable. Il le fait avec une maîtrise de son art qui cache la complexité de la tâche. Il a utilisé les chansons – la musique est de Steven Warbeck – et développé le rôle de Benjamin Franklin, magnifiquement joué par Keith Bartlett, comme narrateur. Aucune de ces techniques ne semble forcée. Ils font pénétrer les spectateurs dans une expérience théâtrale envoûtante.

Cette année marque le bicentenaire de la mort de Paine et ce A New World : A Life of Thomas Paine  de Griffiths a déjà une importance pour cette seule raison. Mais il a aussi une résonance contemporaine plus profonde en raison de son thème. Paine écrivait sur une société caractérisée par des inégalités sociales grandissantes. Une riche oligarchie de magnats urbains et d'aristocrates possédant les terres s'était retranchée en Grande-Bretagne au moment où le premier Empire britannique atteignait son apogée avec la défaite de la France dans la Guerre de sept ans. En France, l'aristocratie avait saisi l'opportunité qui se présentait avec l'affaiblissement du pouvoir royal pour renforcer ses propres positions et étendre leur contrôle sur la paysannerie. Ce sont les forces de classes contre lesquelles Paine s'élevait dans ses écrits.

Paine lui-même apparaît dans cette pièce comme un modeste travailleur. Il n'y a rien de la théâtralité narcissique d'un Danton chez lui. Ce sont les écrits de Paine, dont de puissants extraits sont prononcés durant la pièce, qui représentent son for intérieur, l'essence de l'existence de Paine en tant que révolutionnaire. Ils sont toujours d'actualité et en les présentant comme il le fait, Griffiths fait preuve d'une fidélité à ses principes dans notre période de réaction politique qui est digne de Paine lui-même.

Au cours des années à venir, ceux qui ont vu A New World : A Life of Thomas Paine  de Griffiths s'en souviendront comme d'un événement dont l'importance dépasse de loin les limites du théâtre. Il est possible que les historiens fassent remarquer qu'au moment où les effets de la récession se font sentir de l'autre côté de la Tamise, dans la City de Londres, on rediscute sérieusement de la signification de la question de la révolution . C'est une pièce de théâtre courageuse et d'une grande portée qui fait le lien avec les événements et les inquiétudes de notre époque aussi bien qu'elle évoque l'histoire des luttes révolutionnaires du XVIIIe siècle.

À lire également :

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L'auteur et la révolution : un entretien entre David Walsh, directeur artistique du WSWS, et Trevor Griffiths - Première partie [21 mai 2009]

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(Article original paru le 18 septembre 2009)


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