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WSWS : Histoire et culture

La lutte contre le centrisme et la fondation de la Quatrième Internationale

Première partie

Par Bill Van Auken
29 mai 2009

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Ci-dessous la première partie d'une conférence donnée à l'école d'été du Parti de l’égalité socialiste qui s'est tenue à Ann Arbor, dans le Michigan, en août 2007. La seconde et la troisième partie seront postées dans les jours prochains.

Camarades, l'année prochaine marquera le 70e anniversaire de la fondation de la Quatrième Internationale, le parti mondial de la révolution socialiste, qui est aujourd'hui incarnée et conduite par notre mouvement mondial, le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI).

Personne ne niera que d'immenses changements sont intervenus durant les sept dernières décennies, qui ont connu une guerre mondiale de même que des guerres régionales innombrables, l'extension de la bureaucratie stalinienne en Europe de l'Est, puis son auto-liquidation, la montée et la dégénérescence ultérieure des mouvements anticoloniaux et l’anéantissement du mouvement ouvrier officiel, pays après pays.

Malgré tout, les questions essentielles que la fondation de la Quatrième Internationale devait affronter et qui furent posées de façon si intransigeante par Léon Trotsky dans les années et les mois précédant son assassinat, n’ont rien perdu de leur acuité. C'est-à-dire que l'époque historique dans laquelle nous vivons demeure celle de la révolution socialiste mondiale, qui a sa source dans les contradictions sociales et économiques inconciliables du capitalisme mondial. Le problème politique essentiel posé à l'humanité par cette époque — celui de résoudre la crise de la direction au sein de la classe ouvrière par l'intermédiaire du développement d'un parti mondial armé d'une stratégie internationale de révolution socialiste — n'a jamais été posé avec plus d'intensité.

En 1992, à la suite de la dissolution de l'Union soviétique, le Comité international dressa un bilan de cet événement ainsi que d’expériences précédentes et arriva à la conclusion que, du fait des décennies de trahisons de la part des vieilles directions bureaucratiques et de leur impact sur la conscience de la classe ouvrière, il était nécessaire de surmonter non seulement une crise de direction dans la classe ouvrière, mais aussi une crise de perspective. Notre tâche consistait à combattre pour un renouveau de la culture socialiste dans la classe ouvrière, une tâche à laquelle s’est voué le World Socialist Web Site et de même cette école.

Dans des conditions où une radicalisation croissante de la classe ouvrière devient évidente partout dans le monde, une étude sérieuse de l’histoire de la Quatrième Internationale est une préparation décisive pour les luttes à venir. C’est seulement ce parti qui a su assimiler consciemment les expériences stratégiques de la classe ouvrière au cours des luttes capitales et souvent tragiques du vingtième siècle.

Ainsi que nous l’avons étudié dans des conférences précédentes, la décision de fonder la Quatrième Internationale a été prise en 1933 en réponse à la catastrophe ayant eu lieu en Allemagne. L’arrivée au pouvoir de Hitler, sans aucune résistance organisée de la classe ouvrière, et l’absence de toute discussion subséquente au sein de l’Internationale communiste sur les implications et les causes de cette défaite sans précédent, prouva de façon définitive que la Troisième Internationale était morte pour tout ce qui concernait les objectifs révolutionnaires, ayant été transformée en une agence de la bureaucratie du Kremlin et un organisateur de défaites pour la classe ouvrière.

La décision de Trotsky d’appeler à la construction d’une nouvelle Internationale ne fut de toute évidence pas prise à la légère. Au cours de la décennie précédente, il avait insisté sur le fait que, en dépit des crimes de la direction stalinienne, la lutte pour réformer l’Internationale communiste et ramener ses sections au programme révolutionnaire de ses quatre premiers congrès ne pouvait pas être prématurément abandonnée.

Toutefois, la victoire de Hitler fut, pour la Troisième Internationale ce que fut le vote des crédits de guerre pour la Seconde : la preuve certaine qu’elle était finie en tant qu’organisation révolutionnaire. Un nouveau parti révolutionnaire mondial était nécessaire.

Pour Trotsky, l’appel à la construction d’une nouvelle Internationale n’était pas — comme beaucoup de ses opposants centristes le concevaient — seulement une question tactique ou organisationnelle, mais plutôt une nécessité historique qui ne pouvait être différée.

Cette conception était étayée par son analyse du régime soviétique dans le sillage de la catastrophe allemande et qui a été examinée dans une conférence précédente sur La Révolution trahie. Les intérêts matériels de la bureaucratie qui avait usurpé à la fois le pouvoir politique en Union soviétique et la direction de la Troisième Internationale étaient opposés de façon inconciliable à ceux de la classe ouvrière. Cet appareil bureaucratique contre-révolutionnaire ne pouvait être réformé, mais devait être renversé par les moyens d’une révolution politique.

La fondation de ce nouveau parti international fut préparée par la lutte conduite par Trotsky et l’Opposition de gauche entre 1923 et 1933, une décennie où Trotsky et ses partisans combattirent le développement de la bureaucratie stalinienne et soumirent ses zigzags programmatiques à une critique impitoyable. Au cours de cette lutte, les questions fondamentales de la stratégie et des tactiques marxistes furent défendues et positivement développées, avec parmi les plus importants apports, la perspective et le programme de l’internationalisme révolutionnaire s’opposant à l’orientation nationaliste réformiste de la bureaucratie de Moscou. 

Des forces furent rassemblées autour de l’Opposition de gauche internationale sur la base d’un accord sur les expériences stratégiques fondamentales de la classe ouvrière, comprenant les trahisons de la grève générale en Angleterre et celle de la Révolution chinoise ainsi qu’une défense de la perspective de la révolution permanente contre la théorie stalinienne du socialisme dans un seul pays.

Trotsky était plus conscient que quiconque de l’impact des défaites subies par la classe ouvrière du fait des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie, et il était très conscient de la taille relativement modeste des forces adhérant au programme de l’Opposition internationale de gauche. Cependant, son pronostic historique était fondé sur un optimisme scientifiquement fondé disant que la crise du capitalisme était insoluble et qu’un programme politique correct ouvrirait un passage à la classe ouvrière. Celle-ci, en dépit de ces trahisons, restait une classe révolutionnaire qui entrait dans de nombreux pays dans des luttes de masse d’un caractère objectivement révolutionnaire.

Le bureau de Londres

Les cinq années qui séparèrent l’appel de Trotsky en faveur de la Quatrième Internationale en 1933 de la tenue d’une conférence fondatrice en 1938 furent marquées par une lutte continuelle contre un vaste éventail d’organisations politiquement centristes, actives durant cette période, en particulier en Europe, qui pour beaucoup d’entre elles manifestaient de la sympathie avec la perspective de Trotsky et dont certaines se déclarèrent en faveur de la Quatrième Internationale.

La lutte contre le centrisme et la nécessité pour le mouvement trotskyste d'intervenir dans ce milieu fut posée de façon aiguë au cours de l'été 1933, quand l'ILP britannique (Independent Labour Party) convoqua une conférence ouverte à toutes les organisations ne faisant pas partie de la Seconde ou de la Troisième Internationale pour tirer les leçons de la crise qu'affrontait le mouvement ouvrier international face à la victoire nazie. Le mouvement trotskyste décida de participer à cette conférence afin de lutter pour ses positions et de tenter de gagner les meilleurs éléments présents à la lutte en faveur de la Quatrième Internationale.

Cette intervention fut formalisée dans la « Déclaration des quatre », un document signé par l'Opposition de gauche internationale, le SAP allemand (Sozialistische Arbeiterpartei —Parti socialiste des travailleurs) et deux organisations néerlandaises qui devaient par la suite fusionner sous la direction de Henricus Sneevliet.

Le but primordial énoncé dans cette déclaration était celui de la formation de la Quatrième Internationale dans les meilleurs délais possibles :

« Tout en étant près à coopérer avec toutes les organisations, groupes et factions qui se développent réellement depuis le réformisme ou le centrisme bureaucratique (stalinisme) en direction d'une politique marxiste révolutionnaire, les soussignés, en même temps, déclarent que la nouvelle Internationale ne peut tolérer aucune conciliation en direction du réformisme ou du centrisme. L'unité nécessaire du mouvement de la classe ouvrière peut être atteinte non pas en brouillant les conceptions réformistes et révolutionnaires, ni en s’adaptant à la politique stalinienne, mais uniquement en combattant les politiques des deux Internationales en faillite. Pour demeurer en accord avec sa mission, la nouvelle Internationale ne doit autoriser aucune déviation des principes révolutionnaires sur les questions de l'insurrection, de la dictature du prolétariat, de la forme soviétique de l'Etat, etc. » (1)

Cette déclaration établissait l'attitude de principe que la Quatrième Internationale naissante prit envers ces partis centristes, qui à ce moment allaient nettement à gauche. Le mouvement trotskyste était obligé de conduire cette intervention à la fois pour clarifier les questions politiques qui le séparait du centrisme et pour gagner à sa cause les meilleurs éléments qui, autrement, auraient pu se retrouver piégés dans ce milieu.

Nous avons déjà, dans deux précédentes conférences, examiné les trajectoires politiques de deux des plus importants de ces partis — le POUM espagnol et le SAP allemand.

Il est important de faire un bref exposé à propos de certaines autres organisations du camp centriste durant la même période. Parmi les plus connues se trouvait l'ILP anglais, une organisation qui avait précédé le Labour Party, auquel il avait été longtemps affilié. Imprégné de pacifisme et même de croyances chrétiennes, il s'était opposé à la Première Guerre mondiale, ce qui avait entraîné l'incarcération de ses principaux dirigeants, dont Fenner Brockway.

En 1920, il se désaffiliait de la Deuxième Internationale et montrait de la sympathie pour l'Union soviétique. Ses hésitations centristes entre le réformisme et la révolution trouvèrent leur expression singulière dans sa requête d'être admis dans la Troisième Internationale avec une dispense spéciale l'autorisant à désavouer le soutien à l'insurrection armée. Inutile de dire que sa candidature fut refusée. Au début des années 1920, il se joignit avec d'autres groupes socialistes de gauche dans un groupement qui fut connu sous le nom d'Internationale deux et demie.

L'appel de l'ILP pour la conférence internationale de 1933 vint moins d'une année après qu'il se soit désaffilié du Parti travailliste et qu'il ait commencé son virage à gauche.

Un autre parti, le PSOP français (Parti socialiste ouvrier et paysan) était dirigé par Marceau Pivert, qui avait rejoint le Parti socialiste français (SFIO) en 1919 et resta constamment dans l'aile gauche de ce parti. Il était membre de la tendance « Bataille socialiste », qui refusait de soutenir un gouvernement bourgeois et en 1935 il fonda la faction de la « Gauche révolutionnaire ». En sus de son rôle strictement politique, Pivert était également engagé dans la production d'un certain nombre de films politiques et sous le Front populaire, on lui donna la responsabilité du secteur des médias français [en tant que « responsable du contrôle de l’information » auprès de Blum, ndt], qui comprenait la presse, la radio et le cinéma.

Pivert accueillit favorablement les grèves de masse et les occupations d'usine, publiant l'article de 1936 « Tout est possible », dans lequel il appelait à l'action révolutionnaire. (Le Parti communiste stalinien français publia une réponse, « Non ! Tout n’est pas possible ! » défendant la politique pro-capitaliste du gouvernement du Front populaire).

Pivert fut exclu de la SFIO du fait de ses opinions de gauche et il fonda alors le PSOP. Toutefois, chez Pivert, la politique de gauche coexistait avec l’adhésion à la franc-maçonnerie, une organisation dominée par une moralité et une hypocrisie petite-bourgeoise qui dissimulait délibérément la nature des divisions de classes. Son PSOP se désagrégea avec le déclenchement de la guerre, et après la guerre, il revint en France pour rejoindre la SFIO.

Ensuite, il y avait le groupe néerlandais dirigé par Henricus Sneevliet. En tant que jeune travailleur des chemins de fer, Sneevliet avait mené un certain nombre de luttes militantes, y compris un mouvement d'envergure nationale en soutien aux marins en grève. Désabusé par l'incapacité du conservatisme syndical et des bureaucraties sociales-démocrates à soutenir ces actions, il quitta la Hollande pour les Indes orientales néerlandaises, l'ancienne colonie qui correspond à peu près à l'Indonésie actuelle. Là, il organisa à la fois un syndicat du rail et une société socialiste qui regroupa les travailleurs hollandais et indonésiens dans une organisation commune. Avec la guerre et la Révolution russe, son travail politique rencontra un succès grandissant, y compris parmi les troupes néerlandaises, ce qui conduisit à son expulsion par les autorités coloniales.

L'Internationale communiste lui confia des responsabilités de premier plan, y compris comme son représentant en Chine où il devint l'un des fondateurs du Parti communiste chinois. Il se heurta rapidement à la direction stalinienne du parti néerlandais, rompant avec lui en 1927. En 1933, il fut emprisonné pour avoir soutenu publiquement une mutinerie par des marins sur un navire de guerre au large des Indes néerlandaises, l'appelant le coup d'envoi de la révolution coloniale. Il ne fut libéré que suite à son élection au parlement.

Bien qu'il s'affiliât à la Ligue communiste internationale (le nom adopté par l'Opposition internationale de gauche trotskiste après 1933), il rompit avec elle cinq ans plus tard. Il ne voulait pas subordonner les considérations de tactique nationale concernant son travail syndical en Hollande à la tâche stratégique de construire un nouveau parti révolutionnaire international et s'opposait à la critique par Trotsky du rôle du POUM espagnol. Sneevliet procéda à la dissolution de son parti après l'occupation allemande et fonda un groupe de résistance sous le nom de Front Marx-Lénine-Luxemburg. Capturé par les nazis, il fut fusillé en 1942.

Organisés de façon peu stricte dans le dénommé Bureau de Londres, connu officiellement en tant que Bureau international de l'unité révolutionnaire socialiste, la plupart des ces partis se composaient d'organisations ayant fait sécession soit de la Seconde soit de la Troisième Internationale, mais ayant adopté une position centriste entre ces Internationales et la lutte de Trotsky pour construire la Quatrième.

Le Bureau de Londres était un organisme sans bannière politique claire, certains de ses affiliés faisant mouvement vers la droite, d'autres vers la gauche, certains s'orientant vers la social-démocratie, d'autres vers le stalinisme. Le NAP norvégien et le Parti socialiste suédois, qui figuraient parmi les piliers de l'organisation, finirent par retourner dans le giron de la social-démocratie en tant que participants à des gouvernements capitalistes. A la fin, tous ces groupes, dont certains étaient nettement plus grands que les partis adhérents à la Quatrième Internationale disparurent, confirmant la prédiction de Trotsky à l'égard de ces organisations dans le « Programme de transition » que « L'époque des guerres et des révolutions ne laissera pas d'elles pierre sur pierre ». La trace de toutes ces organisations est en effet à peine discernable après la Deuxième Guerre mondiale.

Les directions de ces groupes disparates n'étaient unies que par leur insistance sur la nécessité d'une organisation internationale « large » et « dépourvue de sectarisme », ce par quoi elles entendaient rester libres de poursuivre leurs propres intérêts et de s'orienter vers diverses parties des directions bureaucratiques existant dans leurs environnements politiques nationaux respectifs.

La croissance du centrisme durant cette période avait des racines politiques objectives profondes. D'un côté, la crise catastrophique et systémique du capitalisme qui caractérisait les années 1930 avait rendu les programmes des partis affiliés à la Deuxième Internationale, qui proposaient l'amélioration graduelle de la condition de la classe ouvrière par le moyen d'une accumulation de réformes successives plutôt que par la révolution sociale, manifestement non viables. De l'autre côté, l'Internationale communiste, qui disposait toujours du soutien de millions de travailleurs dans le monde sur la base de sa fausse identification avec la révolution d'Octobre 1917, se révélait incapable d’organiser la classe ouvrière dans des buts révolutionnaires et y était hostile.

En fin de compte, le centrisme représentait — et continue de représenter — une agence secondaire de l'impérialisme, dont les tâches spécifiques consistent à bloquer le chemin du parti révolutionnaire en direction de la classe ouvrière et à dresser des obstacles idéologiques aux processus de clarification théoriques et politiques à l'œuvre dans la classe ouvrière.

Nombre de ces groupes étaient prêts à se déclarer formellement en faveur de l'internationalisme et à accepter que la bureaucratie stalinienne avait trahi la classe ouvrière et opprimé les authentiques bolcheviks léninistes en Union soviétique. Sur le principe, ils étaient même prêts à accepter la nécessité d'une nouvelle Internationale. Mais en pratique, ils maintenaient que le temps n'était pas arrivé, que l'appel de Trotsky était prématuré et qu'une nouvelle Internationale ne pouvait pas être créée dans une période de défaites.

Trotsky insistait sur la nécessité de distinguer entre le centrisme des ouvriers, qui passent inévitablement par des phases de centrisme et même d'organisations centristes sur leur route vers la révolution, du centrisme professionnel des dirigeants de ces organisations, dont la tâche consiste à contenir le mouvement des travailleurs et à le ramener sur les chemins inoffensifs du réformisme et de la subordination à la bourgeoisie.

Trotsky cherchait patiemment à gagner à la Quatrième Internationale ces couches de travailleurs qui transitaient par ces organisations, tout en menant une lutte implacable contre l'opportunisme, le scepticisme et le pessimisme qui prévalait à l'intérieur des directions de ces groupes.

(1) Writings of Leon Trotsky [1933-44] (New York: Pathfinder Press, 1972), pp. 49-52, traduction de l'anglais.

A suivre.

(Article original publié le 15 avril 2009)


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