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La grève à Abitibi-Consolidated à un point tournant

Par François Legros
6 octobre 1998

Après le retour au travail des 500 employés de Trois-Rivières, la grève de 4500 travailleurs de la compagnie Abitibi-Consolidated, qui dure depuis maintenant 17 semaines, vient de subir un recul encore plus important. Le syndicat canadien des Communications, de l'Énergie et du Papier (SCEP), a renoncé le 17 septembre au principe d'une convention unique pour tous les travailleurs, ce qui n'est qu'à un pas de la capitulation complète.

Selon la plupart des analystes, Abitibi-Consolidated a provoqué le conflit en exigeant la négociation usine par usine. Son but était d'imposer les concessions nécessaires à la réorganisation de ses affaires et à la réduction du stock de papier jugé trop élevé.

Au début des années 90, de nouveaux géants de l'industrie des pâtes et papier sont apparus dans certains pays asiatiques, tels que l'Indonésie, la Corée du Sud et la Chine. Armés d'une technologie de pointe, ils ont forcé les compagnies canadiennes et américaines à procéder à une profonde restructuration : de nouveaux procédés de fabrication ont été introduits, la cadence de travail a été accélérée et près de la moitié des emplois éliminée.

L'an passé, les deux principales compagnies canadiennes de pâtes et papier, Abitibi-Price et Stone-Consolidated, ont fusionné leurs opérations et donné naissance à Abitibi-Consolidated, le plus important producteur de papier journal au monde. La nouvelle transnationale fournit 16% de la production mondiale avec 18 usines réparties au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. Ses ventes annuelles dans 50 pays s'élévent à 4,2 milliards de dollars canadiens.

Ces changements, combinés à la chute des exportations, ont provoqué une surproduction et maintenu le prix de la tonne de papier à un niveau jugé trop bas par les producteurs. Une nouvelle rationalisation était à l'ordre du jour et la crise asiatique a fourni l'occasion pour le faire. Selon Michael Medline, vice-président d'Abiti-Consolidated : « Nous avons adopté une stratégie internationale depuis la fusion d'Abiti-Price avec la Consolidated. Il y a de bonnes opportunités d'affaires en Asie ».

Quelques semaines après le début de la grève, Abitibi-Consolidated a annoncé une association avec la Norske Skogindustrier ASA, une compagnie de papier norvégienne, pour prendre le contrôle de Hansol Paper Co., la plus grande compagnie sud-coréenne de pâtes et papier (45% du marché sud-coréen), qui faisait face à de graves problèmes financiers suite à l'effondrement des marchés asiatiques.

Grâce aux immenses resources qu'elles concentrent, les transnationales ont rompu avec les limites frontalières et politiques de l'État-Nation et peuvent déplacer leurs capitaux d'une région à l'autre du globe à la recherche du plus haut taux de profit. Une vague de fusions durant la récente période, comme celle de Chrysler et Daimler-Benz dans l'industrie de l'automobile, a donné naissance à des compagnies dont les chiffres d'affaires dépassent le budget de certains pays.

Dans le conflit l'opposant à ses employés, Abitibi-Consolidated a insisté pour briser le principe de la convention unique en faveur de conventions séparées, afin de monter une usine contre une autre dans ses efforts pour imposer un régime de travail encore plus oppressif.

Elle a consciemment adopté dès le début une stratégie basée sur cette réalité économique mondiale. « La concurrence internationale ne nous permet plus », a déclaré le représentant de la compagnie, « à être la seule compagnie en Amérique du Nord à négocier des contrats de travail applicables à l'industrie dans son ensemble. Il faut être en mesure d'évaluer la situation particulière de chaque usine pour maximiser la productivité. De plus en plus, chaque usine doit justifier sa présence dans le portfolio des usines opérationnelles à l'échelle du globe. ». Par opposition, les syndicats, de par leur nature même, maintiennent un point de vue nationaliste borné qui les rend totalement impotents face à cet assaut global de la grande entreprise.

Ainsi, devant l'intransigeance patronale, le SCEP s'est vu forcer d'appeler une grève des 4500 travailleurs d'Abitibi-Consolidated qu'il représente officiellement. Mais pas un instant n'a-t-il songé à faire appel aux autres travailleurs de la transnationale, encore moins à lier cette grève à une campagne internationale pour la défense de tous les emplois.

La direction syndicale a été entièrement prise au dépourvu par la réponse de la compagnie. Passant outre les structures syndicales, la direction d'Abitibi-Consolidated s'est adressée directement aux travailleurs de son usine de Wayagamack à Trois-Rivières pour leur lancer un brutal avertissement : à moins d'un retour au travail dans les plus brefs délais, l'usine, qualifiée de désuette, serait fermée.

Le SCEP s'étant révélé incapable de tracer la moindre voie de lutte, et la menace de fermeture se faisant plus intense, le local 222 (qui regroupe 170 travailleurs de l'usine de Wayagamack) mettait au vote le 13 juillet une proposition de retour au travail. Le même jour, les 450 membres du local 216, le second de l'usine, refusaient par un vote à main levée de se prononcer sur la question. Par solidarité, le local 222 s'est ensuite abstenu de dévoiler le résultat de son scrutin. Cet épisode a clairement révélé que la grève, dépourvue de la moindre perspective, s'enfonçait dans un cul-de-sac. Mais la réaction du SCEP a été typique de la bureaucratie syndicale : la direction nationale du syndicat a dénoncé le local 222 pour avoir rompu la « solidarité syndicale ». Et à titre de sanction, les délégués du local 222 ont été bannis de toutes négociations futures et les membres du local ont vu leur allocation de grève réduite.

Ce manque total de responsabilité, pour ne pas dire ce mépris, envers les membres de la base, a été associé à la plus grande lâcheté envers les médias et les gouvernements pro-patronaux. Ces derniers n'ont eu qu'à lancer une campagne hypocryte au nom de la « démocratie » exigeant la tenue d'un second vote, c'est-à-dire la capitulation aux demandes de Abitibi-Consolidated, pour que la direction nationale du SCEP se mette immédiatement au pas. Le 27 juillet, dans un virage à 180 degrés, elle tenait ce second vote : le local 216 a voté majoritairement pour le retour au travail et le dépouillement du vote tenu le 13 juillet par le local 222 a révélé un vote dans le même sens. Six semaines plus tard, le SCEP cédait à l'exigence centrale de la compagnie et acceptait de négocier des conventions séparées.

Tout au long du conflit d'ailleurs, la direction syndicale a cédé aux interventions de l'état, en la personne d'abord de tribunaux du travail de l'Ontario et de Terre-Neuve, puis du ministère du travail québécois, lesquels insistaient pour la tenue de négociations locales.

Les leçons de la grève à Abitibi-Consolidated doivent être tirées. La classe ouvrière a besoin d'une nouvelle perspective et d'une nouvelle organisation politique capable d'exprimer ses intérêts objectifs. Les grèves et autres formes d'action syndicale sont des armes nécessaires dans l'arsenal de la lutte de classe. Mais en elles-mêmes, elle sont insuffisantes pour stopper l'assaut mené contre les emplois et le niveau de vie. Elles doivent être combinées à une lutte politique, menée par la classe ouvrière, non seulement contre tel ou tel employeur mais contre le système de profit en son ensemble. Les travailleurs à travers le monde doivent opposer leur propre perspective, à savoir le développement des forces productives d'une manière rationnelle et socialement progressive, à la politique socialement destructive et égoïste de l'élite financière.

Voir aussi:
Le géant des pâtes et papier menace de fermer deux de ses usines en grève. [4 juillet 1998]
Conflit dans l'industrie des pâtes et papiers. [19 juin 1998]

 

 

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