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Un enseignant de Toronto examine les attaques portées à l'éducation publique de par le monde.

3 novembre 1999.

Ces commentaires ont été publiés sur le site du wsws.org en novembre 1999. Nous en publions aujourd'hui la traduction en français.

Ces commentaires font suite à un entretien qu'avait eu le wsws avec un enseignant de Détroit publié en octobre 1999 sous le titre, « Un enseignant examine les leçons de la grève de Detroit » .


J'ai lu avec grand intérêt l'entretien concernant la récente grève de l'éducation à Detroit (Un enseignant examine les leçons de la grève de Detroit, 20 Octobre ) .Il est bien évidemment important que les enseignants, les étudiants, le personnel de l'école et les parents de Detroit reconnaissent la gravité de la menace actuelle qui pèse sur leur système scolaire, mais je pense qu'il est encore plus crucial de comprendre que ces évolutions ne sont nullement des faits isolés. Les attaques portées au système scolaire de Detroit font partie d'une attaque à l'échelle mondiale sur l'éducation publique universelle. En tant qu'enseignant dans un grand système public canadien, à seulement quelques centaines de kilomètres de Detroit, j'ai moi-même vécu de nombreuses expériences similaires à celles décrites dans l'entretien et j'ai pensé qu'il serait utile d'apporter un aperçu de la crise de l'éducation au Canada.


Depuis une dizaine d'années, j'enseigne l'anglais et les médias dans une école secondaire de 2000 élèves à quelques minutes du centre de Toronto. L'établissement est situé dans un quartier aisé, de classe moyenne et accueille des élèves issus de la classe moyenne comme de la classe ouvrière. A bien des égards, c'est un établissement relativement privilégié, qui n'a pas été aussi profondément touché par les coupes budgétaires et autres changements structurels que d'autres établissements de la ville ou de la province. Malgré cela, et sachant que les pires coupes programmées dans le financement sont à venir, les conséquences ont été énormes.


Depuis mon arrivée dans l'établissement, le personnel d'entretien a été réduit de deux tiers. Les toilettes sont sales, souvent on n'y trouve même pas de papier toilette ou autres fournitures. Le sol des salles de classe est lavé au plus trois fois par an. Le système de chauffage est si mal entretenu que de nombreuses salles de classe sont soit intolérablement chaudes soit tellement froides que les élèves doivent garder leur manteau en classe. Dans toute l'école, la qualité de l'air est si mauvaise qu'on trouve communément toute une variété de problèmes respiratoires chez les élèves comme chez les enseignants.


La détérioration de l'état de l'établissement est symptomatique de problèmes bien plus profonds. Les services d'orientation et de conseil aux élèves ont été réduits de façon draconienne, et l'établissement ne compte plus d'infirmière, de spécialiste en psychométrie ou de psychologue parmi le personnel. Le service d'aide socio-psychologique basé sur le quartier qui tient une permanence dans l'établissement a vu son financement annulé, et devra fermer à la fin de cette année scolaire. Toute personne travaillant en milieu scolaire sait que l'existence de tels services au sein d'un établissement scolaire est l'unique façon de garantir que les élèves à risque reçoivent bien l'aide dont ils ont besoin. Retirer ces services signifie à coup sûr que des milliers d'élèves auront tôt fait de trouver le chemin soit de la prison soit de la morgue.


Les coupes budgétaires en matière de financement et de services ont aussi gravement affecté les classes. Les budgets alloués aux manuels et fournitures ont été réduits à la portion congrue, et c'est devenu le lot quotidien des enseignants de devoir bricoler des programmes de rechange lorsqu'il n'y a pas suffisamment de manuels et de matériel pédagogique à leur disposition. Les services d'éducation spécialisé ont été réduits de façon draconienne, et les auxiliaires d'enseignement ont quasiment disparu. De mille et une manières, les conditions d'enseignement et d'apprentissage ont déjà tellement dégénéré que de nombreux enseignants reconnaissent que leur rôle se réduit parfois quasiment à celui de «babysitter».


Pour mieux comprendre comment de telles attaques peuvent être portées sur l'éducation à une époque de croissance économique sans précédent, on doit avant tout reconnaître que le démantèlement de l'éducation publique fait partie d'un dessein politique plus important et qui est mis en place à travers le monde. La déclaration faite par la personne que vous avez interviewée selon laquelle « les hommes politiques démocrates et républicains détestent l'école publique » est absolument correcte, mais il serait plus juste de l'étendre à chacun des partis du grand capital de toutes les nations de la terre. Les hommes politiques et leurs maîtres capitalistes dans le monde entier méprisent l'éducation publique et veulent rétablir un système scolaire basé sur les classes sociales et les privilèges.


Une leçon essentielle à tirer de la grève de Detroit est que le gouvernement et le conseil régional de l'éducation ont réussi à mener à bien leurs attaques grâce à l'entière coopération des syndicats. A cet égard, il est utile de raconter les expériences des enseignants de l'Ontario.


Depuis plus d'une décennie, le système scolaire de l'Ontario fait l'objet d'une série continuelle de coupes et de « réformes » réactionnaires infligées par les régimes successifs de Libéraux, de Néo-Démocrates et de Conservateurs. Les coupes établies par le gouvernement Libéral de David Peterson furent sérieusement intensifiées quand le gouvernement social démocrate du NDP de Bob Rae vint au pouvoir en 1990. Le NDP se mit à exécuter une série d'attaques radicales contre l'éducation, menées sous les mêmes bannières de « réforme » et de « responsabilité financière accrue » que celles rencontrées par les enseignants de Detroit dans le conflit actuel. Bon nombre des mesures les plus réactionnaires que le gouvernement Conservateur de Mike Harris a depuis mises en place étaient en fait des initiatives du NDP, et David Cooke, ancien ministre du gouvernement NDP préside actuellement la Commission pour la Réforme de l'Enseignement de Harris.


Dès leur arrivée au pouvoir en 1995, les Tories firent de l'éducation une cible privilégiée de leur politique économique. Au début de son mandat, Harris lança l'attaque la plus concertée de l'histoire du Canada contre l'éducation publique, en introduisant le Bill 160, Loi pour l'Amélioration de la Qualité de l'Éducation, un document de deux cents pages esquissant les grandes lignes de mesures visant à éliminer programmes et services, à supprimer des milliers de postes, à augmenter la charge de travail des enseignants, à réduire le nombre de conseils régionaux de l'éducation, et à donner quasiment les pleins pouvoirs concernant toutes les décisions importantes au cabinet provincial.


Lorsqu'il devint clair que les Tories n'avaient aucune volonté de négocier, pas même les clauses relativement insignifiantes du Bill 160, les dirigeants des syndicats d'enseignants furent obligés de demander l'approbation des syndiqués pour appeler à un débrayage malgré l'existence de lois antigrève. Le vote reçut un soutien de près de cent pour cent, et une série de rassemblements « contre la loi 160 » attira des dizaines de milliers d'enseignants, de parents et d'élèves venus exprimer leur opposition au projet de loi. Malgré cela, les Conservateurs se montrèrent intraitables, et en Octobre 1997 la plus grande grève de l'éducation de l'histoire de l'Amérique du Nord débuta lorsque 126 000 enseignants débrayèrent.


Dès le début, la grève reçut le soutien écrasant du grand public. Ce soutien alla en grandissant chaque jour, étant donné que la population se mit à considérer notre lutte comme un pôle d'attraction où exprimer leur colère face à des années de coupes budgétaires dans l'éducation, la santé et les autres services sociaux. Presque aussitôt, la grève se transforma de conflit économique en un conflit politique menaçant de faire tomber le gouvernement Conservateur. Incapables de contenir la grève dans les limites étroites de la négociation syndicale, les dirigeants syndicaux agirent sans tarder pour saboter cette grève.


Il n'est pas possible ici de donner dans le menu détail les nombreux moyens utilisés par les bureaucrates des syndicats enseignants et la Fédération du Travail de l'Ontario pour corrompre la grève. Les détails sont exposés minutieusement dans un certain nombre d'articles d'archives du WSWS, en particulier « The betrayal of the Ontario teachers' strike » (trahison de la grève des enseignants de l'Ontario) du 17 Novembre 1997. Je me contenterai de dire qu'à la fin, la grève fut trahie de la manière la plus abjecte que l'on puisse imaginer. Je peux citer le cas d'un dirigeant syndical qui retira son syndicat de la grève, littéralement quelques minutes après avoir donné à une assemblée de plus de 50 000 personnes sa promesse de maintenir son soutien. Non seulement les Conservateurs sont sortis de cette grève avec chacune des clauses majeures du Bill 160 intacte, mais en plus ils ont ajouté un certain nombre de mesures punitives dont la révocation du droit à se syndiquer pour les principaux et leurs adjoints.


Les années qui ont suivi la grève ont vu une rapide détérioration dans tous les aspects du système scolaire. Les contraintes légales du Bill 160 ont pourvu les conseils régionaux de l'éducation d'un cache-sexe leur servant à justifier leur propre programme de réduction des coûts. Les problèmes sont particulièrement aigus dans les grandes villes comme Toronto et Ottawa, en raison de l'imposition par le Bill 160 d'une formule de financement standard pour chaque conseil régional de l'éducation, malgré le coût d'exploitation beaucoup plus élevé dans les centres métropolitains.


A Toronto, le Conseil régional de l'éducation du District de Toronto récemment unifié s'est servi de sa prétendue incapacité à payer pour exiger des concessions massives dans les négociations de contrats avec les enseignants du secondaire, l'année dernière. La plus grande exigence de toutes fut d'insister pour que les enseignants renoncent à la moitié de leur temps de préparation pour rajouter 75 minutes d'enseignement supplémentaires tous les deux jours. Dans un accord que les dirigeants de la Fédération des Enseignants du Secondaire de l'Ontario (OSSTF) saluèrent comme une demi victoire, on proposa au lieu de cela aux enseignants un contrat dans lequel le temps de préparation serait réinstallé à la seule condition que nous acceptions d'assurer la plupart des tâches qui étaient jusque là le travail des professeurs remplaçants.


Les nombreux changements dont je fais état ici ne font que suggérer la profondeur de la crise actuelle dans l'éducation. En réalité, la nature même de l'enseignement et de l'apprentissage est en train de se transformer rapidement, pour passer d'une activité essentiellement créative et spontanée à un processus mécanique aussi dénué de finalité et déshumanisante que l'utilitarisme du dix-neuvième siècle dont Dickens fit la satire. Les programmes sont de plus en plus basés sur l'accumulation des connaissances, et standardisé à tel point qu'on attend des enseignants du primaire dans l'Ontario qu'ils enseignent et finissent en un an un programme ridiculement chargé de plus de 330 notions spécifiques d'apprentissage. La remarque faite par l'enseignant de Detroit résume bien les pressions auxquelles doivent faire face les enseignants partout :« Les autorités disent que les écoles doivent être administrées comme la General Motors et que nous devrions oublier que nous avons affaire aux complexités du développement humain, et traiter les enfants comme des voitures sur une chaîne de montage ».


En tant que professeur de sciences, la personne que vous avez interviewée a su donner un aperçu utile sur les difficultés croissantes de l'enseignement des sciences dans les conditions actuelles. Ceux d'entre nous qui enseignent d'autres matières ressentent des pressions identiques, dont l'influence pernicieuse de la Droite Croyante dans le contenu des cours. Une conseillère en éducation qui s'occupe de la mise en pratique des programmes au niveau de la province m'a raconté récemment avoir dû avec une collègue mener une véritable bataille pour que Shakespeare ne soit pas retiré du programme d'anglais des établissements secondaires; certains membres du comité, semble-t-il, s'inquiétaient que son uvre ne transmette de « mauvaises valeurs » aux adolescents.


D'une manière générale, dans toutes les matières la créativité, l'expression personnelle, et la pensée critique sont immanquablement dévalorisés. On condamne les activités d'art, de théâtre, de musique et d'autres champs d'expression créative qu'on qualifie de « chichis », et qu'on désigne pour être supprimées. La version préliminaire du nouveau programme d'anglais de l'Ontario pour les 9e (grade 9) précise qu'il ne faut pas passer plus d'un quart de l'horaire à faire de la littérature, celle-ci comprenant « brochures, e-mails, sites internet, et autres textes d'information ».


Inévitablement, le passage à un système basé sur le par cur repose de plus en plus sur des tests de connaissances communs à tous les établissements. La fonction par excellence de tels tests est de procéder à une chasse aux sorcières des établissements qui « ne réussissent pas », (C'est-à-dire dans les quartiers pauvres et à fort taux d'immigrés) afin de justifier les fermetures d'écoles et les attaques à l'encontre des enseignants. Près de deux douzaines d'établissements publiques et catholiques de Toronto sont désignés pour fermeture à l'automne prochain.


La crise dans l'éducation fait donc, sans erreur possible, partie d'une crise sociale plus importante et profondément enracinée. Les expériences des enseignants de l'Ontario, comme celles de nos collègues d'autres pays prouvent que les enseignants, les élèves et le grand public sont plus que prêts à s'engager et faire des sacrifices pour défendre l'éducation publique. Comme le montre sans erreur possible l'expérience de l'Ontario, cependant c'est une lutte qu'on ne peut gagner isolément, mais une lutte qui entraînera une transformation révolutionnaire de la société et l'abolition du marché capitaliste.


Tout travailleur conscient doit reconnaître qu'il s'agit d'une lutte qui nécessite la répudiation à la fois des partis, des syndicats et de ceux du grand capital, quel que soit leur déguisement, militant ou social-démocrate. Une étape fondamentale dans la construction d'une conscience révolutionnaire consiste pour les éducateurs à établir des contacts avec leurs collègues à l'étranger afin de développer des stratégies et des perspectives communes. Je recommande vivement à d'autres enseignants et personnels de l'éducation de suivre le World Socialist Web Site quotidiennement et de faire part de vos expériences.


I.M.
Toronto

Voir aussi:
Un enseignant évoque les leçons à tirer de la grève de Detroit


 

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