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Les chefs syndicaux canadiens de l'automobile isolent la lutte contre le démantèlement de syndicat chez Navistar

 

par Jerry Isaacs and Walter Gilberti
6 juillet 2002

Une dure grève des travailleurs de production affiliés au local 127 des Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA) chez Navistar à Chatham en Ontario, une petite ville ouvrière de 40.000 habitants, entre dans son deuxième mois.

Avec cette grève, Navistar teste la loi anti-syndicale, votée en 1995 par le gouvernement conservateur ontarien, qui permet aux entreprises d'embaucher des briseurs de grève durant un conflit de travail. C'est la première fois depuis près de cinquante ans qu'une direction d'une importante usine de l'industrie automobile menace de faire appel à des briseurs de grève.

Navistar a temporairement suspendu ses tentatives d'introduire des briseurs de grève dans son usine après que, le 24 juin, un employé de l'agence de sécurité spéciale embauchée pour la grève ait lancé son camion contre un groupe de travailleurs venus appuyer les grévistes de Chatham, en blessant un gravement. Ce dernier est toujours à l'hôpital.

Les représentants de Navistar, toutefois, ont refusé de reprendre les négociations et n'ont pas retiré leurs menaces de faire appel à des briseurs de grève et de fermer définitivement l'usine si les travailleurs n'acceptaient pas des diminutions de salaire qui peuvent atteindre dix dollars de l'heure et d'autres concessions importantes.

Le travailleur hospitalisé, Don Milner, 38 ans, père de deux enfants est toujours dans un état critique après deux chirurgies d'une durée de huit heures pour reconstruire son bassin, sa vessie et son épaule, écrasés lors de l'assaut. Un représentant du local 444 a dit que Milner était dans un coma induit médicalement pour assurer son immobilité lors des opérations délicates. Au moment où cet article était écrit, il n'avait toujours pas repris conscience. Deux autres travailleurs blessés moins sérieusement ont pu quitter l'hôpital peu de temps après l'incident.

Devant cette attaque sans précédent, la direction des TCA - même si leur président Buzz Hargrove a menacé de déclencher une grève de tous les travailleurs de l'auto de la province - a laissé les travailleurs affronter de façon isolée le manufacturier de camion dont la maison-mère est aux États-Unis. Après qu'ils aient respecté les piquets de grève la première journée de la grève, les travailleurs de bureau de l'usine, syndiqués avec le local 35 des TCA, ont reçu l'ordre de leurs représentants syndicaux de cesser de le faire et de se rendre au travail. Les membres des TCA de l'entrepôt des pièces de Navistar à Burlington en Ontario se sont aussi fait dire par leur syndicat de continuer à travailler.

Les TCA n'ont rien fait pour mobiliser les travailleurs de Navistar aux États-Unis ou au Mexique dans des actions syndicales de solidarité avec leurs frères et soeurs du Canada. Quant aux United Auto Workers (Travailleurs unis de l'automobile, UAW) des États-Unis, dont l'ancien directeur régional Paul C. Korman est incidemment membre du conseil d'administration de Navistar en conséquence d'une entente corporatiste avec cette compagnie, ils ont refusé d'organiser tout geste de solidarité malgré le fait que le manufacturier de camion prépare ouvertement des attaques semblables en Ohio, en Illinois en Indiana et dans d'autres usines lorsque le contrat de milliers de travailleurs aux États-Unis viendra à terme ce septembre.

Depuis le début de la grève le premier juin, les 645 grévistes de Chatham ont dû affronter des entreprises spécialisées pour briser les grèves, des injonctions anti-syndicales, la répression policière et une entreprise avec les ressources suffisantes pour supporter une longue grève. Les cours ont émis des injonctions à la demande de Navistar pour limiter le nombre des piqueteurs à cinquante, pour interdire à toute personne qui ne serait pas membre du local 127 de se joindre au piquet de grève et pour interdire aux travailleurs de bloquer un véhicule plus de trois minutes. Tout ceci alors qu'une loi anti-syndicale permet à Navistar de faire venir des briseurs de grève et des fiers-à-bras comme agents de sécurité de partout à travers le Canada et les États-Unis.

Storm Canada, une entreprise de Windsor en Ontario, procure à Navistar ses briseurs de grève. Des fiers-à-bras en uniforme noir de London Protection International (LPI) ont été engagés par Navistar pour assurer la protection des briseurs de grève et pour provoquer les incidents qui seront utilisés en cour pour incriminer les travailleurs et pour imposer d'autres interdits judiciaires. LPI a été impliqué dans la dure grève de 1997 chez Accuride Canada à London en Ontario, dans la grève de 1999 chez Calgary Herald, et dans la grève de 2001 chez ADM Agri Industries à Windsor.

Navistar a aussi fait appel à la tristement célèbre entreprise de briseurs de grève, Vance International. Cette entreprise dont la maison-mère est aux États-Unis, a été montée par d'anciens agents des services secrets américains. Elle recrute des mercenaires et des petits criminels avec des petites annonces dans des revues comme Soldier of Fortune et est bien connue aux États-Unis pour son implication dans de nombreuses opérations anti-syndicales dans les années 1980 et 1990 comme celles de Greyhound, de Pittston Coal, d'International Paper et des quotidiens de Détroit.

Les demandes de la compagnie ont été choisies avec soin pour provoquer une grève. Navistar veut un contrat de sept ans qui représenterait une diminution des coûts de 43 millions de dollars canadiens, y compris 21 millions en diminutions de salaire, diminutions des bénéfices marginaux et diverses autres mesures. Les salaires seraient diminués de six dollars l'heure pour les travailleurs de production, de quatre dollars l'heure pour les travailleurs spécialisés et de dix dollars l'heure pour certaines catégories de travailleurs, comme les balayeurs.

La direction de Navistar veut aussi imposer la semaine de travail de 56 heures. Elle pense établir des journées de travail de dix heures et de ne payer des heures supplémentaires qu'après une semaine de 40 heures de travail plutôt qu'après une journée de huit heures comme présentement. Navistar veut aussi éliminer le temps payé pour les repas et avoir la possibilité, à sa convenance, d'imposer du temps supplémentaire, de faire appel à des travailleurs temporaires et à la sous-traitance ainsi que d'introduire des règles et des heures de travail « flexibles ».

Comme un membre du local 127 le disait: « La plupart des concessions que la compagnie a exigées lors de sa demande initiale avaient pour but de nous amener à la grève ». Étant donné le fait que Navistar avait consacré pas mal d'énergie à transférer sa production des usines syndiqués du Canada et des États-Unis vers les usines à bas salaires du Mexique et les usines non-syndiquées du sud des États-Unis, le but principal de la société pourra bien être la fermeture de son usine à Chatham.

Jim, un gréviste qui travaille depuis presque trente ans chez Navistar, a parlé des soupçons qu'il entretenait sur les intentions de cette entreprise. « Plusieurs travailleurs sont proches de la retraite. Plus du tiers de la main-d'oeuvre pourrait prendre sa retraite d'ici un an et demi. Nous avons déjà eu une compagnie à Chatham qui s'appelait Motorwheel. Les travailleurs se sont fait dire qu'il fallait que la compagnie coupe les salaires, sinon elle fermerait. Les travailleurs ont accepté la diminution et la compagnie a changé son fusil d'épaule et fermé l'usine de toute façon. À cause de cela, les travailleurs ont reçu une plus petite prime de départ. »

On trouve la raison de ces demandes draconiennes chez les Big Three, les trois grands manufacturiers de l'industrie automobile aux États-Unis qui jouent un rôle prédominant dans la fabrication des camions depuis quelques années, ainsi que chez les grands investisseurs de Wall Street et de Bay Street (la rue des grands financiers à Toronto) qui exigent que Navistar entreprenne un programme de restructuration pour redresser la situation après les pertes de 60 millions depuis les derniers six mois.

Alors que la demande diminue et la capacité de production est beaucoup trop grande (on estime que la capacité de production est deux fois plus importante que la demande pour les camions), DaimlerChrysler (qui possède Freightliner), GM (qui possède Volvo et les camions Mack) et Ford (qui produit des camions de dimensions moyennes avec Navistar et achète des moteurs diesels chez cette dernière) demandent toutes une réduction draconienne du nombre des emplois et des coûts de production.

Les transnationales, qu'elles soient basées au Canada ou aux États-Unis, sont déterminées à détruire le peu de protection qu'il reste encore aux travailleurs canadiens. Elles veulent imposer les mêmes conditions de « flexibilité » du travail, de longues heures de travail et d'emploi à temps partiel qu'elles ont réussi à imposer à la classe ouvrière américaine après deux décennies où les grèves ont été brisées et les syndicats démantelés, à commencer par la grève des aiguilleurs de l'air syndiqués de PATCO par Reagan en 1981.

Les gestes de provocation de Navistar ont soulevé la colère chez les travailleurs à travers l'Ontario, y compris les 46.000 travailleurs de l'auto des Big Three dont les contrats viendront à terme le 17 septembre. Plusieurs travailleurs syndiqués avec les TCA, qui depuis des années ont vu des fermetures d'usine, des mises à pied et l'érosion de leurs conditions de travail et de leur niveau de vie, considèrent avec raison que la lutte de Navistar sera utilisée comme un précédent pour un nouvel assaut contre tous les travailleurs du secteur automobile.

Le 24 juin, des centaines de travailleurs affiliés au local 444 des TCA implanté dans les usines de DaimlerChrysler de Windsor ont organisé un piquet de masse sur l'autoroute 401 tout près de Chatham, là où les briseurs de grève embarquaient dans un autobus qui devait les emmener à l'usine de Navistar de Chatham. Suite à leurs échecs répétés à faire entrer les briseurs de grève dans l'usine, Navistar a décidé d'avoir recours à la violence.

À 6h30 du matin, un camion transportant des scabs s'est arrêté au milieu de la route devant plusieurs manifestants. Après avoir attendu que plusieurs travailleurs se rassemblent devant son véhicule, le conducteur, identifié comme étant l'employé de LPI Steele Leacock, a accéléré vers le groupe, écrasant le membre du local 444, Don Milner, et heurtant plusieurs autres travailleurs. Des témoins ont signalé qu'après que les pneus avant du camion soient passés sur Milner, le conducteur avait arrêté son véhicule pour ensuite passer sur le travailleur étendu au sol avec ses pneus arrière.

Un membre du local 127 a déclaré au World Socialist Web Site: « Il y avait pas mal d'autos sur les côtés de l'autoroute. Il n'y avait pas de piquets de grève. Les fiers-à-bras du LPI passaient et repassaient sans arrêt. Ils continuaient à nous tourner autour en prenant des photos et en notant le numéro de nos plaques. Ils étaient là seulement pour nous enrager. Nous nous sommes approchés d'un des véhicules et, sans hésitation, son conducteur a enfoncé l'accélérateur, heurtant trois travailleurs. Il n'y a jamais eu de menaces contre le conducteur. »

Plutôt que d'accuser Leacock de tentative de meurtre ou d'un autre crime de ce genre, la police lui a seulement donné trois accusations de conduite dangereuse.

À la suite de l'incident, devant la pression des membres de la base, le président des TCA, Hargrove, a menacé de faire sortir les 135.000 membres des TCA de l'Ontario pour une grève de solidarité et est venu pour la première fois à Chatham depuis le début de la grève. Il a dit aux médias, «C'est la première fois de notre histoire que nous avons mis tous nos membres en état d'alerte pour qu'ils se préparent à déposer leurs outils. Notre problème n'est pas de les faire sortir, notre problème c'est de les faire rester à leurs usines jusqu'à ce que nous leur disions de venir à Chatham. »

Un virage stratégique

Craignant que les gestes de Navistar ne provoquent une vague de grèves et de manifestations de solidarité chez les travailleurs de l'auto à travers la province, plusieurs dirigeants du monde des affaires et du monde politique ont demandé à cette entreprise de changer sa tactique et de donner le temps à la direction des TCA de tempérer le militantisme des travailleurs et de créer les conditions pour que la majorité des demandes de réduction des coûts de la compagnie soient mises en place.

Le jour suivant l'incident du 24 juin, la maire de Chatham, Diane Gagner a rencontré des représentants de la compagnie pour leur demander de cesser leur opération visant à briser le syndicat et de retourner à la table des négociations. Elle a plus tard déclaré: « Même s'ils sont dans leur droit d'amener des scabs, nous leur demandons de ne pas le faire pour l'instant. La situation est très volatile et nous pouvons en perdre le contrôle. Lundi dernier, les représentants syndicaux ont dû contrôler leurs membres à l'usine pour que la situation n'explose pas. Ils ne peuvent plus la contrôler. »

Même le ministre du Travail, Brad Clark, nommé par le premier ministre conservateur Ernie Eves en avril, a « fortement » insisté pour que les deux camps recommencent à négocier.

À la suite d'un appel téléphonique de Hargrove, des représentants de Ford Canada Co. ont fait parvenir une lettre aux dirigeants de Navistar qui disait que Ford avait « une relation positive et estimée avec les TCA au Canada » et qu'elle s'attendait à ce que ses fournisseurs « traitent leurs employés d'une façon juste et équitable ». La lettre continuait : « Nous nous attendons aussi à ce que nos fournisseurs évitent de violer les lois du travail tant du niveau provincial que fédéral et qu'ils respectent la relation de Ford Motor Company of Canada avec les TCA du Canada. »

Le message que voulaient faire passer les dirigeants de Ford à ceux de Navistar ne peut être plus clair : « Fiez-vous à notre expérience. Il bien plus profitable et bien plus efficace de faire appel aux bons services de la bureaucratie syndicale que de se débarrasser des TCA. »

Les TCA ont une longue histoire de collaboration à l'usine de Navistar et c'est ce qui a ouvert la voie aux demandes anti-syndicales actuelles. En 1999, lors des dernières négociations, les TCA ont accepté les demandes de Navistar de ne plus suivre pour cette compagnie le cadre fixé par les contrats avec les Big Three. L'année suivante, Navistar commençait une série de mises à pied qui s'est soldée avec la perte de 1350 emplois depuis mars 2000.

De plus, ce sont les TCA qui ont joué le rôle déterminant pour étouffer politiquement l'opposition de masse au gouvernement conservateur ontarien qui a pris le pouvoir en 1995, lui ouvrant ainsi la voie pour mettre en place les lois qui permettent l'offensive actuelle contre la classe ouvrière. Les TCA, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, auraient pu entreprendre une campagne de mobilisation dans les usines et au niveau politique pour faire tomber le gouvernement conservateur lors des grèves massives en 1995-97 des enseignants ontariens et d'autres travailleurs contre le premier ministre de l'époque, Mike Harris.

Pour que la lutte actuelle à Navistar ne soit pas gardée dans l'isolement ou trahie, ce qui aura des conséquences énormes pour toute la classe ouvrière, les travailleurs de l'auto doivent rejeter la perspective nationaliste et pro-capitaliste des TCA et mobiliser toute leur puissance contre Navistar et leurs supporteurs de la grande entreprise. Il faut lancer un appel ouvert aux travailleurs de Navistar aux États-Unis et au Mexique pour entreprendre une campagne internationale de grèves, de manifestations et d'autres actions pour défendre les emplois et les niveaux de vie de tous les travailleurs de Navistar.

Il ne s'agit pas simplement d'une lutte contre un employeur qui veut briser le syndicat, mais plutôt d'une lutte contre la grande entreprise canadienne et contre les transnationales dans leur ensemble ainsi que contre les partis conservateur, libéral et néo-démocrates qui défendent tous le système de profit. Pour entreprendre une telle lutte, les travailleurs canadiens ont besoin d'un parti indépendant de la classe ouvrière fondé sur le programme du socialisme et de l'internationalisme.


 

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