Le Guardian et Edward Snowden

Le journal britannique The Guardian a déclaré à plusieurs reprises qu'il est partisan de la mise en accusation d'Edward Snowden aux États-Unis.

Snowden, ex-agent de la National Security Agency (NSA), a travaillé avec le Guardian pour révéler l'existence de réseaux d'espionnage gigantesques et sans précédent aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays. Ce journal se décrit comme « la voix libérale de référence dans le monde » et il est bien reconnu comme le porte-parole du libéralisme en Grande-Bretagne, avec des générations de sections des classes moyennes d'esprit progressiste consultant ses pages pour des informations et des commentaires bien informés.

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, s'était également tourné vers ce journal, qui avait publié et édité une sélection des communications diplomatiques publiées par WikiLeaks qui témoignaient des crimes de guerre et des conspirations des États-Unis contre la population mondiale. Cependant, peu après avoir publié ces révélations que WikiLeaks lui avait fournies, le journal s'était brutalement retourné contre Assange et avait été à la pointe des tentatives de noircir son nom, en demandant son retour en Suède sur la base d'accusations de violences sexuelles fabriquées de toutes pièces [lire en anglais : The Guardian’s hatchet job on Julian Assange].

Comme pour Assange, le Guardian se révèle n'être d'aucun secours pour Snowden et a clairement indiqué son refus de s'opposer à sa persécution. Le 25 juin, par exemple, le Guardian a publié un éditorial sur Snowden affirmant, « Cela ne devrait pas le surprendre d'entendre les clameurs qui veulent le voir emprisonné à vie, ou de se voir qualifié de traître. » Il était « tout à fait prévisible que Snowden serait accusé de crimes, même s'il y a quelque chose de choquant dans le recours à la loi sur l'espionnage datant de 1917, » poursuivait-il.

Dans le contexte de la chasse à l'homme mondiale lancée par les Etats-Unis pour s'emparer de Snowden, le Guardian minimise les risques sérieux qui pèsent sur la vie de ce jeune homme, faisant remarquer avec légèreté que, « le président [Barack] Obama a bien accueilli le débat sur les usages, les limites et les omissions de surveillance – et il y a maintenant une discussion vigoureuse qui émerge en Amérique et en Europe, même si elle reste moindre dans une Grande-Bretagne trop complaisante. »

Le journal conclut que Daniel Elsberg, le lanceur d'alerte qui avait révélé les Pentagon Papers en 1971, montrant les aspects sales et sanglants de l'implication américaine au Vietnam de 1945 à 1967, « avait été diffamé et dénoncé à l'époque. Son procès commencé en 1973 s'était terminé, la même année, en un fiasco pour le gouvernement. L'Histoire sera plus tendre envers lui et très probablement envers Sowden. »

Le verdict de l'Histoire n'est cité que parce que le Guardian aura entre-temps approuvé le verdict des autorités judiciaires américaines. L'idée qu'il y aurait un débat « bienvenu » soutenu par Obama n'est qu'un mensonge délibéré de plus. Le Guardian n'a rien à dire sur les préparatifs de l'arrestation et du procès de Snowden pour espionnage en application d'une loi qu'il a pourtant décrite par ailleurs comme « formulée d'une manière si générale qu'elle ne laissera au lanceur d'alerte de la NSA que bien peu de marge pour se défendre. »

Un autre éditorial du Guardian daté du 2 juillet diffame Snowden en s'appuyant sur le fait qu'il s'est enfui en Russie, au départ de Hong-Kong. Il implique que Snowden est compromis du fait qu'il est en Russie, dont le gouvernement commet des atteintes aux droits de l'Homme.

L'éditorial déclare, « Mais tant qu'il reste dans la Russie de Vladimir Poutine, les véritables questions restent floues. Cela porte atteinte à la cause de M. Snowden. »

« Il devrait donc quitter la Russie dès qu'il lui sera possible de le faire, » ajoute le journal. C'est, de fait, une demande que Snowden se rende aux autorités américaines. « Snowden a toujours accepté qu'il aurait à affronter les conséquences de ce qu'il a fait. Cela devra arriver tôt ou tard, » ajoute-t-il. « C'est un lanceur d'alerte. Il a publié des informations du gouvernement. Et c'est en tant que lanceur d'alerte qu'il devra finalement répondre devant la loi. »

Et le Guardian de conclure, « C'est à un jury civil de décider » de ce qu'il adviendra de Snowden.

Ceci a été suivi d'un article diffamatoire de Peter Beaumont, responsable des affaires étrangères dans l'hebdomadaire lié au Guardian, l'Observer. Snowden y est présenté comme « donnant l'occasion d'un coup de publicité pour [le président russe Vladimir Poutine, » et il a « fourni une couverture à un Etat qui viole les droits de l'Homme de manière répétée et éhontée, » affirme-t-il. « En invoquant l'universalité des valeurs des droits de l'Homme, mais en n'appliquant toutefois sa critique des atteintes aux droits de l'Homme que sélectivement, cette justification se retrouve hélas fragilisée. »

Snowden n'a pris la défense d'aucune des atteintes aux droits de l'Homme commises par le régime de Poutine. Il se trouve en Russie parce que les États-Unis ont lancé une campagne mondiale massive pour empêcher Snowden de chercher asile dans l'un des nombreux pays où il voulait se rendre. La Russie a pour sa part clairement indiqué son hostilité envers les actions du jeune homme, en exigeant qu'il cesse de publier des documents qui pourraient causer du tort à ses « partenaires » américains.

La campagne du Guardian révèle la putréfaction et la mort de tout ce qui pouvait passer, il fut un temps, pour l'aile libérale de la bourgeoisie. Pas une seule fois, le journal n'a demandé la fin des vastes opérations d'espionnage des États-Unis et du Royaume-Uni. Défendant comme il le fait l'ordre social que ces actions ont pour but de préserver, son unique revendication est qu'un débat se tienne sur « l'usage, les limites et les omissions de surveillance. » Ceux qui constituent la direction du Guardian sont totalement incapables de montrer quels sont les intérêts de classe et les forces politiques qui sous-tendent l'espionnage, parce que leur propre existence privilégiée dépend du refus de donner la parole aux millions de gens dont la vie est ruinée par la descente du capitalisme dans la crise et l'adoption par son élite dirigeante de la criminalité parfaitement assumée qui en résulte.

L'affirmation du Guardian selon laquelle Snowden « a toujours accepté qu'il aurait à affronter les conséquences » est un mensonge. Snowden a lutté avec acharnement pour faire respecter ses droits démocratiques et ceux de la population mondiale, défiant les gouvernements qui ont commis des crimes d'une ampleur sans précédent.

Sur ses propres actions, Snowden a déclaré que d'après le principe de Nuremberg, inséré dans le droit international après la Seconde Guerre mondiale, « les individus ont des devoirs internationaux qui dépassent les obligations nationales d'obéissance. Par conséquent chaque citoyen a le devoir de violer les lois nationales pour empêcher les crimes contre la paix et l'humanité de se produire. » (Lire : Snowden dénonce la campagne de menaces et d'agressions menée par les Etats-Unis)

La demande polie du Guardian disant que « ce doit être à un jury civil de décider » du sort de Snowden est une insulte à l'intelligence de ses lecteurs. Nous parlons de l'Amérique de 2013, dont le gouvernement organise des détentions illégales, avec torture et simulation de noyade (« waterboarding ») à Guantanamo et Abu Ghraïb. Washington envisage soit de tuer Snowden, soit de le traiter comme le soldat Bradley Manning, qui a aidé à faire fuiter des milliers de documents confidentiels à WikiLeaks en 2010. Après son arrestation, Manning a été incarcéré dans une prison militaire pendant 1 100 jours. Durant cette période, il a été torturé par l'isolement, la nudité forcée, et les mauvais traitements infligés par les gardes. Il passe maintenant en cour martiale devant un juge qui a des pouvoirs pratiquement illimités. Le gouvernement cherche à lui donner une peine de prison maximale de 150 ans, mais le juge a également la possibilité de condamner ce jeune homme à la peine capitale.

Le gouvernement Obama n'est pas engagé dans un « débat » sur son programme d'espionnage illégal et constitutionnel. C'est un gouvernement qui tue des citoyens américains sans mandat ni procès, qui a déclaré son droit à détenir toute personne pour une durée indéfinie sans mandat ni procès, qui a organisé un quasi-état de siège contre la population de Boston, en violation du quatrième des dix amendements qui constituent le Bill of Rights [déclaration des droits fondamentaux], et qui a orchestré la chasse aux sorcières internationale et illégale pour empêcher Snowden de chercher asile. Tout ce que ce gouvernement veut, c'est de faire taire Snowden par n'importe quel moyen. Le Guardian veut qu'il soit livré à ses persécuteurs.

(Article original paru le 22 juillet 2013)

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